Ingénieur des âmes

Entrevista en Le Monde (francés) a Mons. Philippe Jourdan, obispo católico de Estonia. Y breve reseña de la entrevista editada por Aceprensa, en español.

PDF: Ingénieur des âmes (Le Monde)

La cathédrale de Tallinn, capitale de l'Estonie, est un modeste bâtiment blanc, caché au fond d'une cour, au coeur de la vieille ville. Sa simplicité tranche avec la splendeur des immenses clochers effilés des temples protestants et des bulbes richement ornés des églises orthodoxes qui l'entourent.

En un vendredi après-midi, la messe est dite par l'évêque d'Estonie en personne, devant une trentaine de personnes, dont quelques touristes. L'évêque parle estonien vite et parfaitement, mais son accent est aisément reconnaissable. Monseigneur Philippe Jourdan est français : il est né et a grandi à Dax, dans les Landes.

Elevé dans la religion catholique par des parents pratiquants, il ne se destinait pas, dans sa jeunesse, à la prêtrise. Il rêvait d'être ingénieur et de voyager. Elève brillant, il s'installe à Paris après le bac et entre à l'Ecole des ponts et chaussées. Il y mène une vie d'étudiant studieux, qui sait aussi s'amuser de temps à autre.

On lui conseille aussi d'apprendre le russe. Dans les années 1980, les entreprises françaises de travaux publics pensaient que l'URSS était un grand marché d'avenir. Elles avaient besoin d'ingénieurs parlant le russe. Lui rêvait plutôt de s'expatrier en Amérique latine et de construire des barrages géants. "Mais comme plusieurs garçons de ma promotion, je me suis mis au russe. Puis le mirage du marché soviétique s'est évanoui et j'étais persuadé que je ne me servirais jamais de cette langue. J'avais tort."

Dans le même temps, Philippe Jourdan se rapproche encore de l'Eglise, en découvrant les écrits de Mgr Escriva de Balaguer (1902-1975), fondateur de l'Opus Dei. "Sa réflexion sur l'intégration du travail intellectuel dans la vie spirituelle a changé ma vision du monde." A 20 ans, il devient membre de cette institution de l'Eglise catholique. "J'étais jeune, c'est vrai. Mais je ne suis pas un hésitant, j'ai toujours aimé aller vite."

Dès qu'il obtient son diplôme des Ponts et Chaussées, il commence sa carrière d'ingénieur aux services techniques des HLM de la Ville de Paris, puis part faire son service militaire. C'est à sa sortie de l'armée qu'il renonce à sa vie toute tracée et décide de devenir prêtre. "Je n'ai pas entendu de voix ni vu de lumière. Simplement, une conviction s'est peu à peu installée, selon laquelle Dieu attendait plus de moi." Il part étudier à l'université pontificale de la Sainte-Croix, à Rome. Quatre ans plus tard, il rentre en France pour être ordonné prêtre attaché à la prélature de l'Opus Dei, et devient responsable d'une résidence étudiante à Paris.

Le second grand tournant de sa vie a lieu en 1996, lorsqu'il reçoit un appel téléphonique du Vatican. Le nonce apostolique pour les pays baltes cherchait un jeune prêtre pour l'envoyer en Estonie, et en faire son bras droit. "Il n'a trouvé personne parlant estonien, mais il a vu dans mon dossier que j'avais étudié le russe." En Estonie, 30 % de la population est russophone.

Philippe Jourdan décide de tenter l'aventure. Une fois à Tallinn, il est très vite nommé vicaire général et s'attelle à sa nouvelle tâche : renforcer la présence catholique dans ce pays de tradition protestante, encore très marqué par cinquante ans de régime soviétique. Il décide d'apprendre l'estonien : "C'est une langue difficile, il faut s'y consacrer à fond pendant au moins deux ans."

Il est nommé évêque en 2005 par Jean Paul II. La cérémonie de consécration a lieu dans la grande église protestante Saint-Olaf de Tallinn, car la cathédrale catholique est trop petite pour accueillir toute la foule. "Ici, les différentes Eglises chrétiennes entretiennent des rapports fraternels. Cela vient sans doute de la période soviétique, elles ont souffert ensemble, cela a créé une véritable solidarité."

Pour se rapprocher encore de ses fidèles, Mgr Jourdan décide de devenir estonien à part entière, en demandant sa naturalisation. Celle-ci lui est accordée par décision gouvernementale, pour "contribution au développement de la vie religieuse et au dialogue interreligieux". Le dernier pas à franchir pour que son changement de vie soit complet consistait à renoncer à sa nationalité française. "Je suis allé voir l'ambassadrice de France, qui m'a très bien accueilli. Elle m'a dit qu'en cessant d'être français, je faisais plus pour la France que beaucoup de Français qui vont et viennent par ici. Selon elle, mon geste donnait l'image d'une France modeste et ouverte, alors que les Estoniens voient souvent la France comme une nation arrogante, qui veut toujours avoir raison."

Il n'y a que 6 000 catholiques en Estonie, sur une population de 1,3 million d'habitants, mais la charge de travail est lourde. "Nous avons 13 prêtres, 8 églises, et des fidèles éparpillés dans tout le pays. Ma vie ne ressemble pas à celle d'un évêque français. Ici, tout le monde doit faire un peu toutes les tâches."

A Tallinn, Mgr Jourdan est devenu une authentique personnalité. Il s'était même lié d'amitié avec Lennart Meri (décédé en 2006) figure historique de la lutte pour l'indépendance et premier président de la nouvelle République estonienne, après la chute de l'URSS.

Dans la capitale, tout le monde connaît son nom et les médias locaux sollicitent régulièrement son avis. "Je les intrigue. Par ailleurs, je dois être le visage et la voix de l'Eglise catholique dans ce pays." Il lui incombe également de satisfaire à de nombreuses obligations officielles, qui contribuent à renforcer sa renommée. Il est aussi vice-président du conseil oecuménique, une instance qui réunit toutes les églises chrétiennes du pays.

Cependant, il n'a pas coupé tous les ponts avec la France : "Quand on est landais, on le reste." Jeune homme, il jouait au rugby, comme trois-quarts aile et, grâce à Internet, il suit l'actualité de l'US Dax, l'équipe de sa ville natale. "Récemment, Radio Landes m'a appelé, pour que j'enregistre un message d'encouragement pour notre équipe. Il a été diffusé juste avant le match, décisif pour notre équipe." Cela étant, il n'y a pas eu de miracle : ce jour-là, Dax a perdu.

Après la messe, l'évêque s'attarde sur le parvis, pour échanger quelques mots avec les fidèles, notamment un jeune couple issu d'un milieu protestant, qui veut se convertir au catholicisme. Puis il se repose un moment dans le presbytère attenant à la cathédrale, où habite le curé de la paroisse de Tallinn, Alfonso Di Giovanni, un Italien rond et jovial.

En face, un vieux bâtiment délabré est en cours de rénovation. Bientôt, l'évêque, qui habite dans un appartement en ville, pourra y emménager. Il y aura aussi des chambres pour les curés de province de passage dans la capitale. A Tallinn, le domaine de l'Eglise catholique commence à s'agrandir.

Yves Eudes


Un ingeniero francés, obispo de Estonia

Según cuenta Yves Etudes en una entrevista para Le Monde (23-07-2009), Mons. Philippe Jourdan, obispo católico de Estonia, habla correctamente y con soltura el estonio, pero su acento delata su origen francés.

En efecto, Mons. Jourdan nació en Dax (Las Landas) en 1960, donde permaneció hasta que fue a París a cursar el bachillerato y la carrera de ingeniero civil. Su profesión le llevó a aprender ruso, por el interés de las compañías francesas de obras públicas hacia el mercado soviético, que juzgaban un filón muy atractivo y que luego se esfumó. "Estaba convencido de que ya no tendría que utilizar más esta lengua -confiesa-. Me equivocaba".

Encuentro con el Opus Dei

Por aquella época Jourdan conoció las obras de Josemaría Escrivá de Balaguer, fundador del Opus Dei. "Su reflexión sobre la integración del trabajo intelectual en la vida espiritual cambió mi visión del mundo", relata. A los 20 años era miembro de la Obra, y ya con el título de ingeniero trabaja en el servicio técnico de las viviendas de protección oficial de París, y marcha a hacer la carrera militar.

A la vuelta, está decidido a dejar todos sus planes anteriores y a convertirse en sacerdote. "No he escuchado voces ni he visto ninguna luz. Simplemente he ido teniendo, poco a poco, la convicción de que Dios esperaba más de mí". Recibió la ordenación en 1988.

Estonia

En 1996, el nuncio apostólico en los países bálticos necesitaba un sacerdote que fuese su brazo derecho en la administración apostólica de Tallin, pero no encontraba a nadie que hablase estonio. Entonces supo que Jourdan sabía ruso, lo cual no era menos útil: el 30% de la población de Estonia es rusófona. Todavía estaba reciente, cuando el sacerdote francés llegó a Tallin, la huella de cincuenta años de régimen comunista. Algo de lo que, sin embargo, supo sacar provecho el ecumenismo: "Aquí las diferentes Iglesias cristianas tienen relaciones fraternales -explica Jourdan-, y esto viene sin duda del período soviético, cuando todas sufrían juntas y crearon una verdadera solidaridad".

Nombrado obispo en 2005, Mons. Jourdan fue consagrado en el templo protestante de S. Olav, cedido apara la ocasión porque la catedral católica resultaba demasiado pequeña para acoger a la multitud de fieles deseosos de asistir. Para la comunidad católica de Estonia, era la segunda vez en quinientos años de historia que podía presenciar una consagración episcopal, tras la del anterior prelado, el jesuita Edouard Profittlich, muerto en un campo de concentración soviético en 1942 (cfr. Aceprensa 21-09-2005).

Mons. Jourdan, puesto al frente de una comunidad de 6.000 católicos (en una población total de 1,3 millones de habitantes), ha querido identificarse por completo con el pueblo estonio. Aprendió el idioma ("es una lengua difícil -explica-: requiere dedicarse a fondo durante no menos de diez años") y ha solicitado la nacionalidad; el gobierno se la ha concedido "por su contribución al desarrollo de la vida religiosa y del diálogo interreligioso". Esto le ha supuesto la renuncia a la nacionalidad francesa, pero la misma embajadora de su país de origen le animó a dar el paso. Le dijo que "dejando de ser francés haría mucho más por Francia que tantos otros, pues, según ella, mi gesto daba la imagen de una Francia modesta y abierta, mientras que los estonios suelen verla como una nación arrogante, que quiere tener siempre la razón".

En Estonia Jourdan ocupa además la vicepresidencia del Consejo Ecuménico, una instancia que reúne todas las Iglesias cristianas del país.

Yves Eudes

Le Monde