Je suis de Shawinigan, région du Saint-Maurice au Québec. Mon père, grand travailleur, m’a enseigné la détermination et la fierté d’un travail bien fait.
De Shawinigan à Montréal
C’est en septembre 1961. J’ai 20 ans. Le moment est arrivé pour moi de laisser le bercail. Après quelques recherches, épaulé par mes parents, j’aboutis à Piedmont, de fait le premier centre de l’Opus Dei à Montréal (et au Canada). Je n’en connais rien. Mais je me plairai à merveille dans cette nouvelle famille.
Ce que je vois, ce que j’y vis, m’édifie et fait son travail en moi.
Je ne puis oublier Alphonse Bielza qui m’a beaucoup inspiré. Je voyais en cet ingénieur, le chrétien et laïc typique de l’Opus Dei. C’était à ce moment, le seul célibataire laïc à Montréal. J’apprendrai que certains fidèles étaient des gens mariés, que je ne connaissais pas. Je revois Alphonse souriant, habile de ses mains réparer après son travail et après le souper une poignée de porte, un interrupteur, replacer les feutres sous les pattes d’une chaise pour ne pas abîmer les planchers de bois franc. Je vois aussi cet Alphonse greloter sous des couvertures de laine usées d’un vieil hôtel Ford de Montréal ou encore, baragouiner tant bien que mal l’anglais et le français, après avoir quitté son Madrid et sa profession d’ingénieur aéronautique pour devenir dessinateur dans une compagnie d’aviation de Montréal. Quelques années plus tard il se spécialise dans l’énergie nucléaire à Montréal pour parcourir l’Asie, se former aux Philippines et installer une centrale nucléaire au Pakistan.
Un rideau s’ouvre. Horizons insoupçonnés
Je connais d’abord saint Josémaria par l’entremise de Chemin, un classique de la spiritualité, et par le témoignage de ses premiers fidèles qui ont commencé l’Opus Dei au Canada.
Le 15 mars 1962, à 21 ans, première lettre à Mgr Escriva pour lui demander d’être admis dans l’Opus Dei. Aidé de la grâce, j’opte pour le célibat. Je serai numéraire. Toujours étudiant, je continue d’étudier, plus et mieux que jamais. Aux cours de sciences politiques, j’ajoute des cours de philo à Boston et à Montréal. Je bouffe de la philo, d’auteurs comme Gilson, Maritain, Jolivet, Journet, Verneaux, un Allemand, Joseph Pieper : de la vraie, réaliste. De sorte que fin août 1965, je fais mes valises. Ma mère la remplit de chemises, cravates, chaussettes, pantalons, vestons, etc.
Saint Josémaria en personne
En effet, le 23 août 1965, je m’envole pour Rome y rencontrer Mgr Josémaria Escriva. Il a 63 ans, j’en ai 24. Je découvre un père. C’est déjà le 18 octobre. Depuis mon arrivée à la fin août, j’ai passé des semaines au bord de la mer, à Terracina, avec une cinquante d’étudiants. En plus d’être bronzé comme un mexicain basané, j’y ai amélioré ma maîtrise de l’espagnol et poursuivi le programme d’études de philo et de théologie.
Enfin ce jour du 18 octobre arrive : nous débarquons de l’autobus. Certains d’entre nous vont commencer des études de pédagogie, que saint Josémaria a mises sur pieds en pensant aux futurs écoles agricoles ou primaires et secondaires en Espagne et ailleurs. D’autres ont terminé leur maîtrise et doctorat civil et d’autres la termineront à Rome. Mgr Escriva nous attend au vivoir accompagné de Mgr Alvaro del Portillo, expert au Concile, de Don Javier Echevarria et de résidents restés à Rome pendant l’été. La joyeuse bande monte l’escalier vers un salon qui m’est inconnu.
Mgr Escriva (le Père) est assis sur les bras larges de deux chaises en bois franc et je vois chacun s’arrêter à lui, le saluant, des éclats de rires et de voix. Il y a de la joie dans l’air! Il devait y avoir une dizaine d’étudiants devant moi. Hilary Mahaney, Américain de 6 pieds 3 pouces, carrure d’un joueur de basket, originaire de Saco, Maine, est debout devant moi. Le Père en le voyant se lève, et lui dit : Hilary, quel visage de bonne santé! Il lui donne deux bons becs sur les joues. Je regarde dans les yeux le Père resté debout tandis qu’Hilary, pour se retirer, enjambe des personnes assises sur le plancher. Le Père me regarde tendrement et je me présente : Père, je suis André du Canada. Une bonne accolade s’en suit et je l’entends dire au photographe : Ça vaut une photo! On se tourne vers le photographe qui cafouille avec son appareil. Je dois me séparer du Père, passant tout joyeux la foule. Lorsque je vois le photographe devenir maître de son instrument, je crie: Père, le photographe est prêt. Le Père se lève aussitôt et je me fraie un passage pour me retrouver de nouveau à son bras pour une accolade. A la grande joie de tous.
Qui suis-je? Quelle explication donner à ces gestes si humains, qui t’accordent toute l’importance du monde lorsque tu n’as pas d’importance. J’ai toujours pensé que Mgr Escriva était au courant de ce Canadien que j’étais: pour avoir prié pour moi depuis septembre ‘61, mis au courant de l’existence de ce jeune étudiant qui recevait une formation à la Résidence Piedmont et un bon coaching des abbés Martin, Mayoral, Escribano, désireux d’intégrer et d’unifier toutes les dimensions de sa vie –foi, travail, vie familiale, amitiés.
A plusieurs reprises, entre octobre 1965 et le 29 juin 1967, j’ai eu l’occasion de sentir la chaleur humaine et la force spirituelle de cet homme de Dieu.
Le 29 juin 1967, nous étions une dizaine conversant avec lui juste avant de prendre le train pour Barcelone. Je me souviendrai toujours de son adieu, sans oublier le jet d’eau d’une fontaine dans ce jardin de la résidence : « Vous n’êtes pas des surhommes. Vous retournez dans votre pays pour servir, pour placer votre cœur sur le plancher pour que vos frères y marchent mollement comme sur un tapis ». Tout un programme de vie. Quelle confiance en ses enfants!
À suivre...