Le livre des Psaumes commence par un chant à la fécondité de celui qui s’efforce d’être fidèle à Dieu et à sa loi, sans se laisser intimider par l’ambiance promue par les impies : « Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants, qui ne suit pas le chemin des pécheurs, ne siège pas avec ceux qui ricanent, mais se plaît dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit ! Il est comme un arbre planté près d’un ruisseau, qui donne du fruit en son temps, et jamais son feuillage ne meurt ; tout ce qu’il entreprend réussira » (Ps 1, 1-3). En réalité, cet enseignement est constant dans l’Écriture : « Un homme de confiance est comblé de bénédictions » (Pr 28, 20) ; « à qui sème la justice, la récompense est assurée » (Pr 11, 18). Toutes les œuvres de Dieu sont fécondes, de même que la vie de ceux qui répondent à son appel. Le Seigneur l’a rappelé aux apôtres lors de la Dernière Cène : « C’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit » (Jn 15, 16). La seule chose qu’il nous demande est de demeurer unis à lui comme les sarments à la vigne, car « celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit » (Jn 15, 5)
Tout au long des siècles, les saints ont fait aussi l’expérience de la générosité de Dieu. Par exemple, sainte Thérèse écrit : « Non, sa Majesté n’a pas coutume de lésiner avec des hôtes qui le reçoivent bien » [1]. » Avec des mots débordants d’affection, il a promis d’accueillir dans son Royaume ceux qui seront fidèles : « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur » (Mt 25, 21). Cependant, Dieu n’attend pas le ciel pour récompenser ses enfants, mais il les introduit, déjà dans ce monde, dans la joie divine avec de nombreuses bénédictions, des fruits de sainteté et de vertu, en tirant le meilleur de chacun et de ses talents. Et en nous aidant à ne pas trop nous attarder sur notre fragilité mais à mettre notre confiance plutôt en son pouvoir. En outre, par l’intermédiaire de ses enfants, Dieu bénit aussi ceux qui les entourent. Dieu s’y complaît : « Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples » (Jn 15, 8).
Dans ces lignes, nous allons passer en revue quelques-uns des fruits de notre fidélité, aussi bien dans notre vie que dans la vie des autres. Puissent ces fruits, et bien d’autres que Dieu seul connaît, nous stimuler à ne jamais interrompre nos actions de grâce à Dieu pour ses soins et sa compagnie. Nous apprendrons ainsi à jouir chaque jour davantage de cet amour.
Un ciel au-dedans de nous
Quelques semaines avant son départ pour le ciel, saint Josémaria disait à un groupe de ses enfants : « Le Seigneur a voulu déposer en nous un très riche trésor […] Dieu notre Seigneur habite en nous, avec toute sa grandeur. Un ciel se trouve habituellement dans nos cœurs [2]. » Le Seigneur l’avait promis aux apôtres : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure » (Jn 14, 23). Tel est le don principal que Dieu nous offre : son amitié et sa présence en nous.
DIEU N’ATTEND PAS LE CIEL POUR RÉCOMPENSER SES ENFANTS, MAIS IL LES COMBLE DÉJÀ DANS CE MONDE DE SES BÉNÉDICTIONS
Chaque jour dans la prière, nous pouvons contempler d’un regard neuf la vérité de la présence divine en nous et la garder dans notre mémoire. Fort étonnés et reconnaissants, nous essaierons alors de répondre, en bons enfants, à l’immense affection que Dieu nous porte. Parce que « ce n’est pas pour rester dans le ciboire d’or que le Seigneur descend chaque jour du ciel, mais afin de trouver un autre ciel : le ciel de notre âme où il prend ses délices » [3]. Grâce à ce cadeau divin nous nous sentons infiniment payés de retour ; et sûrs de la joie que notre fidélité procure à Dieu.
Lorsque la fatigue physique ou morale arrive, lorsque les attaques et les difficultés s’intensifient, c’est le moment de se rappeler une nouvelle fois que « si Dieu habite en notre âme, tout le reste, pour important que cela paraisse, n’est qu’accidentel, transitoire ; en Dieu, en revanche, nous sommes ce qu’il y a de permanent » [4]. La certitude que Dieu est avec moi, en moi et que je suis en lui (cf. Jn 6, 56) est une source d’assurance intérieure et d’une espérance impossible à expliquer humainement. Cette conviction nous rend toujours plus simples, comme des enfants, et nous apporte une vision large et pleine de confiance, une intériorité sans tension et joyeuse. Alors du fond de l’âme jaillissent la joie et la paix, comme fruits naturels de la fidélité et du don de soi. Ces fruits sont tellement importants et possèdent une telle force évangélisatrice que saint Josémaria les demandait chaque jour au Seigneur dans la sainte messe, pour lui et pour tous ses fils et ses filles [5].
Nous avons un ciel en nous et nous devons le porter partout : chez nous, le lieu de travail, le repos, des rencontres avec nos amis… « De nos jours, où l’absence de paix est si souvent perceptible dans la vie sociale, dans le travail, dans la vie familiale… il est de plus en plus nécessaire que nous autres chrétiens nous soyons, selon l’expression de saint Josémaria, “des semeurs de paix et de joie” [6]. » Nous savons par expérience que cette paix et cette joie ne viennent pas de nous. C’est pourquoi nous essayons de cultiver dans notre cœur la présence de Dieu, pour que ce soit lui qui nous comble et communique ses dons à ceux qui nous entourent. L’efficacité de ces semailles si simples est assurée, même si leur portée est imprévisible : « La paix du monde, peut-être, dépend davantage de nos dispositions personnelles, ordinaires et persévérantes, à sourire, pardonner et ne pas nous croire importants, que des grandes négociations entre les États, aussi importantes soient-elles [7]. »
Un cœur ferme et miséricordieux
Lorsque nous laissons la présence de Dieu s’enraciner et fructifier en nous, ce en quoi consiste d’une certaine façon la fidélité, nous acquérons progressivement une « fermeté intérieure » qui nous rend aptes à la patience et à la douceur face aux contrariétés, aux imprévus, aux situations gênantes, à nos limites et à celles des autres. Saint Jean-Marie Vianney disait que « nos fautes sont des grains de sable par rapport à la grande montagne de la miséricorde de Dieu » [8]. Cette conviction permet de réagir de plus en plus comme Dieu lui-même réagit face aux mêmes personnes et circonstances, avec douceur et miséricorde, sans nous inquiéter si elles ne répondent à nos prévisions et à nous goûts du moment. Nous découvrons, en définitive, que tous les événements sont en quelque sorte « des vecteurs de la volonté divine, c’est pourquoi ils doivent être reçus avec respect et amour, avec joie et paix » [9]. Ainsi nous acquérons peu à peu une plus grande facilité pour prier, excuser et pardonner, comme le Seigneur le fait, et si nous perdons la paix nous la recouvrons aussitôt.
DIEU TRANSFORME NOTRE PAUVRE CŒUR EN UN CŒUR DOUX ET MISÉRICORDIEUX, À LA MESURE DU SIEN
Parfois, la disposition à cultiver dans notre cœur la mansuétude et la miséricorde devant les misères d’autrui pourra nous sembler pusillanime, car nous pensons qu’il faut les dénoncer ou qu’elles sont le fruit de la malice de certains cherchant à faire du mal. Rappelons-nous, cependant, que Jésus reprend les disciples lorsqu’ils suggèrent de faire tomber un châtiment du ciel sur les Samaritains qui ne l’ont pas bien accueilli (cf. Lc 9, 55). « Le programme du chrétien – le programme du bon Samaritain, le programme de Jésus – est “un cœur qui voit”. Ce cœur voit où l’amour est nécessaire et il agit en conséquence [10]. » Notre miséricorde patiente, qui ne s’irrite pas ni ne se plaint face aux contrariétés, devient ainsi un baume avec lequel Dieu guérit ceux qui ont un cœur contrit. Il panse leurs blessures (cf. Ps 147, 3) et leur rend plus facile et supportable le chemin de la conversion.
Une efficacité inimaginable
Cultiver et faire connaître l’image et le profil personnels devant les autres est devenu une exigence, parfois indispensable, pour être présent sur les réseaux sociaux et professionnels et y exercer une influence. Cependant, si nous oublions que nous vivons en Dieu et qu’il est « toujours à nos côtés » [11], notre intérêt pourrait se muer en l’obsession plus ou moins subtile de se sentir acceptés, reconnus, suivis, voire admirés. Alors, nous éprouverions le besoin de vérifier la valeur et la transcendance de tout ce que nous faisons ou disons.
Cette aspiration à être reconnu et à voir confirmée notre valeur personnelle répond en réalité, même de façon approximative, à une vérité profonde. À savoir que, de facto, notre valeur est très grande, tellement grande que Dieu a voulu donner sa vie pour chacun de nous. Cependant, il arrive que nous nous mettions assez facilement à exiger, fût-ce de façon subtile, l’amour et la reconnaissance, alors qu’ils seront toujours gratuits, notre action consistant à les accueillir. C’est peut-être pour cette raison que le Seigneur a indiqué sur la Montagne : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer » (Mt 6, 1). Et plus radicalement encore : « Que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite » (Mt 6, 3).
Le risque d’exiger l’Amour au lieu de se limiter à l’accueillir perdra de sa force en nous si nous agissons bien convaincus que Dieu contemple notre vie avec une affection minutieuse, puisque l’affection se manifeste dans les détails. « Si vous voulez avoir des spectateurs de ce que vous faites, vous les avez là : des anges, des archanges et même le Dieu de l’Univers [12]. » Nous expérimentons alors dans notre âme l’auto-estime de qui se sait toujours entouré, sans avoir besoin d’incitations extérieures particulières pour être sûr de l’efficacité de sa prière et de sa vie. Et ce, que tout cela soit connu de beaucoup ou bien passe inaperçu pour la grande majorité. Il nous suffira de penser au regard de Dieu et de lire comme adressés à nous les propos de Jésus : « Ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6, 4).
En ce sens, nous pouvons beaucoup apprendre des années cachées de Jésus à Nazareth. Il y a passé la majeure partie de sa vie sur terre. Sous le regard attentif de son Père du ciel, de la Vierge Marie et de saint Joseph, le Fils de Dieu réalisait déjà dans le silence et avec une efficacité infinie la Rédemption de l’humanité. Peu le voyaient, mais là, dans le modeste atelier d’un artisan d’une petite bourgade de Galilée, Dieu était en train de changer pour toujours l’histoire des hommes. Nous aussi, nous pouvons avoir la fécondité de la vie de Jésus, si nous le faisons vivre en nous, si nous le laissons aimer les autres dans notre vie, avec la même simplicité.
Du fond caché de chaque tabernacle, du fond de notre cœur, Dieu continue de changer le monde. C’est pourquoi notre vie de don de soi, bien unis à Dieu et aux autres, acquiert grâce à la communion des saints une efficacité que nous avons du mal à imaginer et à mesurer. « Tu ne sais si tu as progressé, ni de combien… — à quoi bon ce calcul ?… — L’important est que tu persévères, que ton cœur brûle, que tu voies davantage de lumière et de plus vastes horizons… : que tu te soucies de nos intentions, que tu les pressentes (même si tu ne les connais pas) et que tu pries pour chacune d’entre elles [13]. »
Dieu est toujours le même
Saint Paul encourageait les chrétiens à être fidèles, sans s’inquiéter de devoir aller à contre-courant ; et à toujours travailler face au Seigneur. « Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, soyez inébranlables, prenez une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur, car vous savez que, dans le Seigneur, la peine que vous vous donnez n’est pas perdue » (1 Co 15, 58). Saint Josémaria reprenait sous des formes variées la même exhortation : « Si vous êtes fidèles, vous pourrez vous appeler vainqueurs. Dans votre vie, vous ne connaîtrez pas la défaite. L’échec n’existe pas si l’on agit avec droiture d’intention et en voulant accomplir la volonté de Dieu. Avec du succès ou sans lui, nous avons triomphé, parce que nous avons travaillé par Amour [14]. »
SE SAVOIR TOUJOURS ACCOMPAGNÉ DE DIEU FAIT GRANDIR NOTRE SIMPLICITÉ ET NOTRE CONFIANCE EN CELUI QUI PEUT TOUT
Quelle que soit notre vocation, il peut arriver qu’au bout d’un certain temps nous éprouvions la tentation du découragement. Nous pensons peut-être que nous avons manqué jusqu’alors de générosité ou que notre fidélité porte peu de fruit étant donné que nos succès apostoliques sont plutôt mitigés. Dans tous les cas, il est bon de se rappeler ce que Dieu nous a assuré : « Mes élus jouiront des ouvrages de leurs mains » (Is 65, 22). Saint Josémaria l’exprimait de la façon suivante : « Être saint suppose que l’on est efficace, même si le saint n’arrive pas à toucher du doigt ni à percevoir son efficacité [15]. » Dieu permet parfois que ses fidèles soient confrontés à des épreuves et à des difficultés dans leur travail, pour rendre ainsi leur âme plus belle, et plus tendre leur cœur. Si, malgré notre désir de plaire à Dieu, nous nous décourageons ou nous fatiguons, nous ne cesserons pas pour autant de travailler, avec un sens du mystère : en ayant présent à l’esprit que notre efficacité est « souvent invisible, insaisissable, elle ne peut pas être comptée. La personne sait bien que sa vie donnera du fruit, mais sans prétendre connaître comment, ni où, ni quand. […] Avançons, engageons-nous à fond, mais laissons-le rendre féconds nos efforts comme bon lui semble » [16].
Le Seigneur nous demande de travailler dans un esprit d’abandon, en mettant notre confiance en ses forces, non dans les nôtres, en sa vision des choses, non dans notre perception limitée. « Quand tu t’abandonneras vraiment entre les mains du Seigneur, tu apprendras à te contenter de ce qui arrive, et à ne pas perdre ta sérénité si tes activités ne prennent pas la tournure que tu souhaites malgré ton acharnement et les bons moyens que tu as employés… C’est qu’elles auront pris la « tournure » que Dieu voulait qu’elles prennent [17]. » La conscience que Dieu peut tout et qu’il voit et thésaurise tout le bien que nous faisons, aussi petit et caché qu’il puisse paraître, nous aidera à « être assurés et optimistes aux moments durs qui peuvent arriver dans l’histoire du monde ou dans notre existence personnelle. Dieu est toujours le même : tout-puissant, infiniment sage, miséricordieux ; à tout moment il sait tirer le bien du mal, de grandes victoires des défaites pour ceux qui mettent leur confiance en lui » [18].
Accrochés à la main de Dieu, nous vivons au milieu du monde comme ses enfants, devenant de plus en plus des semeurs de paix et de joie pour tous ceux qui nous entourent. Telle est l’œuvre patiente, celle d’un bon artisan, que Dieu réalise dans notre cœur. Laissons-lui éclairer toutes nos pensées, inspirer toutes nos actions. C’est ce que notre Mère la Vierge Marie a fait, heureuse de voir les grandes choses que le Seigneur réalisait dans sa vie. Puissions-nous dire nous aussi chaque jour comme elle : Fiat ! Que tout m’advienne selon ta parole (Lc 1, 38).
Pablo Edo
[1]. Sainte Thérèse d’Avila, Chemin de la perfection, ch. 34.
[2]. Cf. S. Bernal, Portrait de Mgr Escriva, Paris, S.O.S., 1978.
[3]. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, Histoire d’une âme, ch. 5.
[4]. Amis de Dieu, n° 92.
[5]. Cf. J. Echevarría, Memoria del Beato Josemaría Escrivá, Madrid, Rialp, 2000, p. 229.
[6]. F. Ocariz, Homélie, 12 mai 2017.
[7]. Ibid.
[8]. Cité par G. Bagnard, Le Curé d’Ars, apôtre de la miséricorde.
[9]. Instruction mai-1935 – 14 septembre 1950, n° 48.
[10]. Benoît XVI, Litt. enc. Deus caritas est, 25 décembre 2005, n° 31.
[11]. Saint Josémaria, Chemin, n° 267.
[12]. Saint Jean Chrysostome, Homélies sur saint Matthieu, 19, 2 (PG 57, 275).
[13]. Saint Josémaria, Forge, n° 605.
[14]. Saint Josémaria, Seul à seul avec Dieu, n° 314 (AGP, Bibliothèque, P10).
[15]. Forge, n° 920.
[16]. Pape François, Exhort. ap. Evangelii gaudium, 24 novembre 2013, n° 279.
[17]. Saint Josémaria, Sillon, n° 860.
[18]. D. Javier, Lettre pastorale, 4 novembre 2015.