Une société démocratique doit reconnaître les droits de la femme

« En vertu des dons naturels qui sont les siens, la femme peut beaucoup enrichir la vie civile ». Ce sont des réflexions du bienheureux Josémaria sur l’intervention de la femme dans la vie sociale que recueille dans cet article la journaliste Covadonga O’Shea.

Covadonga O'Shea

J’ai changé le format de la page parce que je cède la parole à un grand personnage de notre temps, un Espagnol universel, Josémaria Escriva de Balaguer, dont on célébrera l’anniversaire le prochain 9 janvier. Avec mes études de journalisme récemment terminées, j’ai pu le connaître à Molinoviejo, une maison aux approches de la Sierra de Guadarrama. Un groupe d’étudiantes y suivait un cours de philosophie. Entre deux activités, elles se réunissaient auprès de Mgr Escriva. Cela m’intéressait de l’écouter.

Je fus frappée par sa façon d’exposer à un groupe de jeunes femmes ce que la société attendait d’elles, en leur ouvrant des horizons professionnels et humains insoupçonnés, pas du tout courants en ce temps-là. Ce jour-là, je n’ai pas noté ses paroles, mais est restée gravée dans mon esprit la force avec laquelle il les encourageait à participer à la vie de la société, aussi bien dans famille qu’à partir de diverses professions, un sujet qui allait devenir tellement brûlant dans les années à venir. Peu après, j’ai trouvé un de ses textes qui résume assez bien ce que j’ai entendu à cette occasion-là. « La femme est appelée à apporter à la famille et à la société civile quelque chose de caractéristique, qui lui est propre et qu’elle seule peut donner : sa tendresse délicate, sa générosité inlassable, son amour du concret, son esprit fin, sa capacité d’intuition, sa piété profonde et simple, sa ténacité… La féminité n’est pas authentique », en vient-il à dire, « si elle ne perçoit pas la beauté de cet apport irremplaçable et ne l’incorpore pas dans sa vie ».

Peu d’années après, le 8 octobre 1967, sur le campus de l’Université de Navarre, encore en construction, je l’ai écouté à nouveau dans une homélie à laquelle on a donné le titre très juste d’  « Aimer le monde passionnément ». En cette occasion-là, il brossait la manière de réussir l’objectif, pas du tout facile, d’une vie conjugale, pleinement vécue, qui est transformée en chemin de sainteté à travers le chemin des choses ordinaires, l’un des axes du message de l’Opus Dei qu’il avait fondé le 2 octobre 1928 : « Le secret du bonheur conjugal se trouve dans ce qui est quotidien et non dans les rêveries. Il se trouve dans la joie cachée procurée par le retour au foyer, dans les relations tendres avec les enfants, dans le travail de tous les jours où collabore l’ensemble de la famille, dans la bonne humeur devant les difficultés qu’il faut affronter avec un esprit sportif, dans le fait de profiter aussi de tous les progrès que nous offre la civilisation pour rendre la maison plus agréable, la vie plus simple, la formation plus efficace ».

J’étais alors vice-directrice de cette même revue, TELVA, qui venait de paraître sur le marché avec un grand succès. À la rédaction arrivaient nombre de lettres et de suggestions pour que nous n’omettions pas d’aborder dans les articles et les reportages les questions qui étaient dans l’air du temps sur la responsabilité de la femme, ses possibilités d’agir dans la société, le sujet des enfants et de leur éducation ou encore l’indissolubilité du mariage.

Nous arrivons ainsi à l’année 1968. Une année qui est restée dans les annales de l’histoire à cause des remous dans le monde universitaire, commencés avec la révolution de Mai en France, laquelle à partir de la maxime « il est interdit d’interdire », se propagea dans le monde entier et conduisit tant de gens à confondre la liberté et le libertinage, en balisant un avant et un après dans la pensée de la deuxième moitié du XXème siècle. Parmi les droits que l’on réclamait d’un air novateur se trouvaient en tout premier rang ceux qui concernaient la femme et que des courants féministes extrémistes avaient diffusés, tout en radicalisant leurs thèses, dans un climat d’affrontement et de sérieuses menaces pour la stabilité personnelle, familiale et sociale. Il n’était pas facile de trouver un juste équilibre et de savoir avec sécurité ce qu’il fallait faire.

Moi je n’ai pas hésité : j’avais très présent à l’esprit ce que j’avais entendu de Mgr Escriva de Balaguer sur cette problématique. J’étais sûre qu’il serait capable de donner quelques critères pleins de sens commun et de sens chrétien, avec des teintes d’avant-garde, le tout entrelacé et exposé avec la simplicité qui l’a toujours caractérisé.

En principe, il n’était pas facile d’obtenir une entrevue avec Mgr Escriva de Balaguer très peu enclin à paraître dans la presse. Malgré tout, nous en avons conçu le plan dans la rédaction, puis nous avons envoyé la proposition à Rome où il résidait habituellement. La réponse fut un accord immédiat.

Je suis impressionnée chaque fois que je relis cette interview, recueillie dans un livre « Entretiens avec Mgr Escriva de Balaguer », par le fait que, quarante ans après, avec le changement radical subi par la société, ses idées continuent d’être absolument actuelles et valides pour ne pas perdre le nord dans cette aventure de vivre dans l’an 2002.

Un philosophe français contemporain, dans son livre « La troisième femme », essaie de clore définitivement la dialectique homme-femme avec une affirmation que je partage : « La femme actuelle n’a rien à démontrer. Elle a déjà prouvé sa capacité intellectuelle, professionnelle, artistique et personnelle, quand elle bénéficie d’une bonne préparation et des circonstances lui permettant de mener à bien des tâches de responsabilité dans les domaines les plus divers ». Quelle grande ressemblance avec ce que répondit Mgr Escriva en 1968 à l’une des questions que nous lui posions sur la façon d’orienter la femme dans son double travail !

« En premier lieu, il me semble opportun de ne pas opposer les deux domaines que vous venez de mentionner (…). Se consacrer aux tâches familiales constitue, c’est évident, une grande mission humaine et chrétienne. Toutefois, cela n’exclut pas la possibilité de se livrer à d’autres tâches professionnelles — celle du foyer en est une également — dans les divers métiers et emplois nobles qui existent dans la société où l’on vit ».

Avec une vision juste, toujours en harmonie avec ce qui se trouve à la racine de l’esprit de l’Œuvre, la sanctification du travail ordinaire, en encourageant la femme à participer aux aspects les plus divers de la vie sociale et politique, il soulignait quelque chose de fondamental : « Dans ces secteurs aussi, la femme peut apporter une contribution précieuse, en tant que personne et toujours avec les particularités de sa condition féminine ; et elle y prviendra dans la mesure où elle sera préparée sur le plan humain et professionnel. Il est clair que la famille autant que la société ont besoin de son apport particulier qui n’est en rien secondaire. »

« Pour accomplir cette mission, la femme doit développer sa propre personnalité, sans se laisser séduire par un esprit d’imitation ingénu qui — en général — la situerait sur un plan d’infériorité et laisserait s’atrophier ses possibilités les plus originales. »

Quand il dit ce qui, à son avis, est le plus propre de la femme, le bienheureux Josémaria fait un exposé objectif de son rôle dans la vie, que l’on devrait prendre en considération pour ne pas tomber dans des démagogies inefficaces quand il s’agit de poser ces sujet dans les instances politiques ou universitaires : « Développement, maturité, émancipation de la femme, tout cela ne doit pas signifier une prétention d’égalité — d’uniformité — avec l’homme, une imitation du comportemnt masculin. Ce ne serait point là un succès, mais bien plutôt un recul pour la femme : non pas qu’elle vaut plus ou moins que l’homme, mais parce qu’elle est différente. »

Il a toujours exprimé très clairement quelque chose d’évident mais qui était alors motif de controverses et de malentendus : « Sur le plan essentiel — qui doit comporter sa reconnaissance juridique, aussi bien en droit civil qu’en droit ecclésiastique — il est clair qu l’on peut parler d’égalité des droits car la femme possède, exactement au même titre que l’homme, la dignité de personne et de fille de Dieu. Mais, à partir de cette égalité fondamentale, chacun doit réaliser en lui-même ce qui lui est propre ; et sur ce plan, le mot émancipation revient à dire possibilité réelle de développer entièrement ses propres virtualités : celles qu’elle possède en tant qu’individu et celles qu’elle possède en tant que femme. »

Pour traiter avec prudence cette question complexe, il insista sur quelque chose d’essentiel : « l’égalité quant aux chances devant la loi ne supprime pas mais suppose et favorise cette diversité qui est richesse pour tous. »

Dans la dernière partie du XXème siècle, la femme, en Espagne, réussissait des avancées importantes dans la vie politique du pays. Sans parler encore de quotas, il y avait déjà des pionnières consacrées à l’activité politique. La question sur la tâche spécifique que la femme doit réaliser dans la vie politique était un exercice imposé. Il n’hésita pas dans sa réponse : «  La présence de la femme dans l’ensemble de la vie sociale est un phénomène logique et tout à fait positif (…) Une société moderne, démocratique, doit reconnaître à la femme le droit de prendre part activement à la vie politique et doit créer les conditions favorables pour que toutes celles qui le souhaitent puissent exercer ce droit. »

« La femme qui veut se livrer activement à la direction des affaires publiques est dans l’obligation de s’y préparer de façon adéquate, afin que son action dans la vie de la communauté soit consciente et positive (…). Pour une femme, qui a reçu la préparation adéquate, la vie publique doit être totalement ouverte à tous les niveaux. Dans ce domaine, le caractère spécifique ne vient pas tant de la tâche ou du poste que de la façon d’exercer la fonction, des nuances que la condition féminine fera découvrir pour résoudre les problème auxquels la femme devra faire face, et même de la découverte des problèmes et de la façon de les poser. » Pour souligner son point de vue, il ajoutait qu’ « en vertu des dons naturels qui lui sont propres, la femme peut grandement enrichir la vie sociale. Cela saute aux yeux, quand on pense au vaste domaine de la législation familiale ou sociale. Les qualités féminines assurent la meilleure garantie en ce qui concerne le respect des valeurs authentiquement humaines et chrétiennes, à l’heure de prendre des mesures qui affectent d’une façon ou d’une autre la vie de famille, le milieu éducatif, l’avenir des jeunes. »

Il est évident que sa tête et son cœur étaient épris par le rôle de la femme dans le monde, au dedans et au dehors de sa famille. À mon avis, ses positions peuvent bel et bien être qualifiées d’avant-gardistes.

Covadonga O’Shea // Telva (Madrid)