Soldats du Christ, sans l’ombre d’un ésotérisme

« Je suis arrivé très jeune dans l’Opus Dei. J’ai été attiré par cet engagement direct, tout à fait séculier : trouver le Christ dans le travail, dans la famille, dans le sport ». Interview du Cardinal Julian Herranz par Marco Politi, publiée dans « La Republica » le 28 juin 2005

Il n’avait que vingt-trois ans et il était déjà l’un des secrétaires personnels d’Escriva. Actuellement cet ami intime du fondateur de l’Opus Dei est cardinal de la Curie et président du Conseil pontifical pour l’interprétation des textes législatifs. Lorsqu’il en parle, ce cardinal âgé de soixante quinze ans, né à Cordoue, le décrit comme « un miroir qui reflétait le Christ ».

Cardinal Herranz, décrivez-nous la personnalité de Josémaria Escriva

« La théologie nous apprend que le Christ avait la nature parfaite de Dieu et la nature parfaite de l’homme. Il avait l’infinie capacité d’aimer d’un Dieu assumée par un homme qui dans une sensibilité humaine exquise souffrait avec la veuve qui avait perdu son fils, ou avec le lépreux rejeté par les hommes ou l’aveugle, ou avec celui qui ne pouvait plus faire un pas. Jésus avait cet amour là et c’est cet amour qu’Escriva avait lui aussi. »

Quel souvenir en gardez-vous ?

« Une personnalité attachante, douée d’une profonde dimension surnaturelle et d’une tout aussi profonde humanité. « Je n’ai qu’un seul cœur, disait-il, avec lequel j’aime le Christ, avec lequel j’ai aimé mes parents, avec lequel je vous aime vous tous qui tenez, avec moi, à accomplir la volonté divine, et dont j’aime tous les hommes, y compris ceux qui ne me comprennent pas ou qui pensent être mes ennemis. »

En avait-il beaucoup ?

« Il a été l’objet de nombreuses incompréhensions, voire de persécutions. En effet, il y avait des personnes qui ne comprenaient pas son message sur l’appel universel à la sainteté et sur l’appel des laïcs à assumer la responsabilité de l’apostolat du Christ au sein de leur vie ordinaire d’hommes courants. Certes, dans les années trente, c’étaient des idées innovantes et il fallut attendre encore des dizaines d’années pour que le Concile Vatican II en fasse le point central de son magistère dans la constitution Lumen Gentium. »

Quant à Escriva… ?

Je me souviens que lorsque quelqu’un avouait avoir pardonné à quelqu’un d’autre qui ne le comprenait pas, il répondait : « Moi je n’ai pas eu à pardonner à qui que ce soit parce que le Seigneur m’a appris à aimer. Et lorsqu’on m’a fait partager la croix du Christ, j’ai baisé la main de ceux qui m’ont procuré ce bienfait. »

Vous êtes arrivé dans l’Opus Dei lorsque vous étiez étudiant en Médecine. Qu’est-ce qui vous a attiré et qu’elles sont pour vous les caractéristiques de l’Œuvre ?

« J’ai beaucoup aimé cet engagement direct et tout à fait séculier. Trouver le Christ dans les réalités temporelles : le travail professionnel, la famille, le sport, l’art, les engagements sociaux, politiques, syndicaux. L’idée du travail comme une participation à l’œuvre créatrice de Dieu, comme quelque chose qui sert non seulement à gagner son pain sur cette terre, mais aussi le pain du ciel. »

Il y a des témoins qui parlent d’Escriva comme d’un homme au tempérament colérique, violent, ayant une façon de s’exprimer très dure

« C’était un homme et les hommes ne sont pas tous des chiffes molles. Les hommes, tout comme Jésus, vrai Homme, sont aussi tenus de prendre des décisions fermes. Le Christ a chassé les marchands du temple et il était cependant l’exemple d’une totale mansuétude. Escriva était capable d’une compréhension et d’un amour énormes, mais il savait qu’il y a des valeurs et des vérités qu’il faut défendre avec la fermeté du Christ lui-même. »

Dans Da Vinci Code de Dan Brown des millions de gens ont lu que l’Opus Dei est une organisation de pouvoir, un peu comme les Jésuites au seizième siècle. Pourquoi cette idée a-t-elle frappé l’imagination populaire ?

« Je ne saurais vous dire. Pour moi, ce livre, que je n’ai pas lu mais dont je connais le contenu, va à l’encontre du Christ, blesse davantage le Christ, l’Église et la foi partout dans le monde que l’Opus Dei. La légende noire que véhicule cet ouvrage est purement anecdotique. Il fallait, bien sûr, une institution qui puisse être le fil conducteur de cette légende. Tout ceci, y compris la recherche du Graal, reflète une tendance ésotérique. Lorsque la foi s’estompe, les gens cherchent à se complaire dans l’ésotérisme. Par ailleurs on parle des « moines de l’Opus Dei », ce qui montre une totale ignorance de notre institution. »

Comment parleriez-vous du processus de sécularisation en cours ?

« Je préfère parler de paganisation. Vivre comme si Dieu n’existait pas et chercher à mettre de côté la dimension surnaturelle, faire en sorte que l’âme se contente des satisfactions purement humaines du pouvoir, du plaisir, de l’argent, de la drogue, du sexe incontrôlé : nous sommes en train d’assister à une dégradation non seulement religieuse, mais culturelle aussi. Ce sont des valeurs humaines que nous devons tous défendre car autrement l’homme s’animalise. »

En Espagne, votre pays d’origine, on assiste actuellement à un bras de fer entre l’Église et le gouvernement à propos des homosexuels.

« Il y a des documents très explicites de la Congrégation pour la Doctrine de la foi à ce sujet et je n’ai rien à y ajouter. Par délicatesse je ne voudrais pas me mêler d’une affaire dont s’occupe déjà la conférence épiscopale espagnole. »

Je vous demanderais quand même un jugement moral

« Tous les baptisés sont des enfants de Dieu et ont des droits concernant la dignité de la personne humaine. D’un point de vue surnaturel, ces personnes ont le droit d’être secourues et aidées à dépasser une situation de désordre dans la nature qui demande un effort ascétique supérieur à la normale. »

Éminence, l’Opus Dei travaille aussi dans ses situations géopolitiques difficiles, où les chrétiens sont en minorité. Comme cela se passe-t-il ?

« Le travail apostolique des laïcs de l’Opus Dei se fait à travers leur travail professionnel. Il n’y a pas de programme-cadre défini pour leurs initiatives. Nous sommes une organisation désorganisée, se plaisait à dire Escriva. Je ne peux m’empêcher de penser à la Chine. Dans la région de Canton et de Pékin, il y a des laïcs de la Prélature qui ont fondé deux ONG. L’une dans le milieu de l’agriculture, l’autre dans le secteur des ingénieurs de maintenance. J’ai rencontré l’autre jour dans le même avion que moi, un autre laïc qui travaille aussi là-bas pour une entreprise suisse de produits pharmaceutiques : des produits contre la gale du bétail. »

Et comment exercent-ils leur mission ?

« Grâce à un apostolat d’amitié et de confidence auprès de leurs collègues et des personnes qu’ils côtoient, en ces moments d’intimité où l’on parle de la famille, de l’existence, du sens de la vie et de la mort, de la destinée de l’homme. Qui suis-je ? Qui m’a créé ? Qu’y-a-t-il après la mort ? Ce sont des questions que tout homme se pose et dont tout chrétien a la réponse claire.»

Marco Politi // La Republica