« Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel », voilà la question de fond autour de laquelle s’articulent les travaux de préparation du prochain synode des évêques, prévu au mois d’octobre prochain à Rome. Question riche comportant un bon nombre d’angles d’attaque. Question vitale puisqu’il y va de la réussite ou de l’insuccès d’une vie. Or, nous ne vivons qu’une seule fois ! Dès lors, il est absolument exclu que nous puissions la manquer en raison d’une méconnaissance de son origine et de son sens ou d’une mauvaise orientation.
Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure
(Jn 15, 16)
L’objet de ces lignes est de montrer que toute vie, par le simple fait d’exister, a un sens vocationnel. C’est-à-dire qu’elle n’est pas le résultat du hasard mais l’expression d’une volonté de Dieu comportant un projet. La question a taraudé l’esprit humain depuis les temps les plus reculés et c’est en lui cherchant des réponses que les philosophes grecs sont parvenus à la notion de « causalité ». Platon, par exemple, la définit ainsi : « Tout ce qui naît naît nécessairement par l’action d’une cause ». La foi nous confirme ce trait de notre raison en nous découvrant la cause et la fin ultime et radicale de l’existence humaine. À titre d’exemple, pensons à la vocation de saint Matthias, choisi pour remplacer Judas après sa défection. Le livre des Actes nous dit que les apôtres, ayant retenu deux candidats, Joseph dit Barsabbas et Matthias, ont prié Dieu de leur faire connaître sa volonté. Après quoi on tira au sort et le sort tomba sur Matthias, qui fut mis au nombre des douze apôtres (Ac 1, 26). Était-ce le sort qui a décidé du sens de sa vie et de l’organisation du collège des apôtres ? Nullement. Le sort n’existe pas, du moins dans le sens que la plupart des gens l’entendent. Le sort et ses synonymes, tels que chance ou hasard, sans compter d’autres termes appartenant à un niveau de langue plus populaire. Car rien n’échappe à la Providence paternelle de Dieu. Le Seigneur l’a affirmé noir sur blanc au cours de la Dernière Cène : Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure (Jn 15, 16).
Les interrogations profondes du genre humain
De tout temps, les hommes se sont interrogés pour savoir si la vie a un sens et, dans l’affirmative, lequel. C’est un trait caractéristique de la personne humaine qui ne se contente pas de rester à la surface des problèmes mais a besoin d’aller au fond de choses, en se posant les questions les plus radicales. À première vue, il semblerait possible que quelqu’un traverse l’existence sans aborder ce genre de questions, qu’il ait son temps bien occupé et s’investisse dans de nombreux projets, passionnants et utiles, comme nous le voyons autour de nous. Toute sorte de projets professionnels, humains, affectifs, ou sociaux. Mais une telle vie, vaudrait-elle vraiment la peine d’être vécue ? C’est plus qu’improbable.Dans la constitution Gaudium et Spes (GS), le Concile Vatican II s’est fait l’écho de ces inquiétudes du cœur humain : « Le nombre croît de ceux qui, face à l’évolution présente du monde, se posent les questions les plus fondamentales ou les perçoivent avec une acuité nouvelle. Qu’est-ce que l’homme ? Que signifient la souffrance, le mal, la mort, qui subsistent malgré tant de progrès ? À quoi bon ces victoires payées d’un si grand prix ? Que peut apporter l’homme à la société ? Que peut-il en attendre ? Qu’adviendra-t-il après cette vie ? » (GS n° 10). Des interrogations qui portent à la fois sur l’identité de l’homme et sur le sens de sa vie, parce que toute quête de sens restera toujours étroitement liée à la découverte de notre identité ultime.
Les réponses de la foi
Prenez le Catéchisme de l’Église Catholique, ouvrage essentiel, et vous trouverez la première et principale réponse à ces inquiétudes : « Dieu, infiniment Parfait et Bienheureux en Lui-même, dans un dessein de pure bonté, a librement créé l’homme pour le faire participer à sa vie bienheureuse. C’est pourquoi, de tout temps et en tout lieu, Il se fait proche de l’homme. Il l’appelle, l’aide à Le chercher, à Le connaître et à L’aimer de toutes ses forces. Il convoque tous les hommes que le péché a dispersés dans l’unité de sa famille, l’Église. Pour ce faire, Il a envoyé son Fils comme Rédempteur et Sauveur lorsque les temps furent accomplis. En Lui et par Lui, Il appelle les hommes à devenir, dans l’Esprit Saint, ses enfants d’adoption, et donc les héritiers de sa vie bienheureuse. » (Catéchisme de l’Église Catholique, n° 1)
Dès le premier de ses presque trois mille points, le Catéchisme met en évidence de manière saisissante quel est le sens de la vie pour chacun de nous et pour l’humanité entière, en résumant les principaux jalons de l’histoire du Salut : la création, l’élévation à l’ordre de la grâce, le péché et ses conséquences dramatiques, la décision divine de nous racheter par l’Incarnation du Verbe et notre destinée finale dans la patrie du Ciel. Nous n’y trouvons pas simplement un ensemble d’idées purement spéculatives qui, certes, constituent un système de pensée cohérent et bien structuré. Non, ce résumé représente quelque chose d’infiniment plus vital. C’est tout un itinéraire que nous devons nécessairement suivre jusqu’au bout, si nous voulons réussir notre vie. C’est un chemin qui, passant par Jésus-Christ, nous conduira à l’intimité de la vie divine.
Le sens vocationnel de toute vie
« Dans le dessein de Dieu, chaque homme est appelé à se développer car toute vie est vocation" (Paul VI)
Le bienheureux Paul VI avait déjà apporté une précision des plus intéressantes sur le sens de la vie. C’était dans son encyclique sur le progrès des peuples (Populorum progressio, n° 15, 26-V-1967) : « Dans le dessein de Dieu, chaque homme est appelé à se développer car toute vie est vocation. Dès la naissance, est donné à tous en germe un ensemble d’aptitudes et de qualités à faire fructifier : leur épanouissement, fruit de l’éducation reçue du milieu et de l’effort personnel permettra à chacun de s’orienter vers la destinée que lui propose son Créateur. Doué d’intelligence et de liberté, il est responsable de sa croissance, comme de son salut. Aidé, parfois gêné par ceux qui l’éduquent et l’entourent, chacun demeure, quelles que soient les influences qui s’exercent sur lui, l’artisan principal de sa réussite ou de son échec : par le seul effort de son intelligence et de sa volonté, chaque homme peut grandir en humanité, valoir plus, être plus. » Nous pourrions en tirer les conclusions suivantes :
+ Dieu nous a créés selon un dessein parfaitement conscient et défini. C’est ce dessein qui donne un sens à notre vie : il est donc essentiel de le découvrir. L’Église nous dit que, dans sa bienveillance, il a voulu partager son bonheur avec nous, nous faire entrer dans l’intimité de sa vie divine. Nous appelons cet état final la Béatitude. Seulement, cela se fait en deux temps : notre vie sur terre et ensuite la vie éternelle
+Tel est le sens le plus radical : la vie sur terre a pour but de préparer notre éternité. Ce qui n’enlève rien à la valeur des réalités ordinaires de notre monde. En effet, pour aller vers le ciel, Dieu nous demande de suivre son plan créateur qui comporte un rôle à jouer dans l’existence, une mission à accomplir que nous appelons d’ordinaire « la vocation personnelle », celle qui donne son orientation de fond à notre vie sur terre.
+ Le bienheureux Paul VI évoque les aptitudes et les qualités reçues en germe à la naissance. La tâche principale des parents et des éducateurs consiste à nous les faire découvrir, pour que nous puissions ensuite les faire fructifier, dans le droit fil de la parabole des talents (cf. Mt 25, 14-30). Nous devons donc procéder jour après jour à leur épanouissement grâce à l’effort personnel et à l’éducation reçue. Une fois arrivés à l’âge adulte, il faudrait dire à la formation permanente.
+ Autrement dit, très maternellement, l’Église nous rappelle que nous avons une mission, que nous ne sommes pas dans le monde uniquement pour prendre du bon temps, pour couler des jours heureux, même si l’aspiration au bonheur est légitime. Aussi beaucoup de textes bibliques font-ils des reproches aux fainéants, comme dans la parabole du riche insensé (Lc 12, 16-21). Ce n’est pas une menace mais un conseil plein d’affection pour assurer notre bonheur.
Découvrir et vivre sa vocation et sa mission personnelles
Dans son Exhortation apostolique intitulée « Vocation et mission des fidèles laïcs dans l’Église et dans le monde » (Christifideles laici, 30-XII-1988), saint Jean Paul II donne des conseils pour aider les chrétiens, en particulier les jeunes, à découvrir le sens de leur vie. Comme ossature de son document, il a choisi la parabole des ouvriers envoyés à la vigne, une des plus claires sur la mission que Dieu nous a confiée en nous appelant à la vie et à son Église (cf. Mt 20, 1-16). Il est sans doute utile d’en citer quelques paragraphes (nos 57-58) qui éclaireront les réflexions de chacun à l’heure de s’interroger sur son existence personnelle.
+ « La formation des fidèles laïcs a comme objectif fondamental la découverte toujours plus claire de leur vocation personnelle et la disponibilité toujours plus grande à la vivre dans l’accomplissement de leur propre mission. »
+ « Dieu m’appelle et il m’envoie comme ouvrier à sa vigne ; Il m’appelle et il m’envoie travailler à l’avènement de son Règne dans l’histoire : cette vocation et cette mission personnelles définissent la dignité et la responsabilité de chaque fidèle laïc, et elles constituent la ligne de force de toute l’œuvre de formation. Celle-ci a pour but d’aider à reconnaître avec joie et gratitude cette dignité et à faire face fidèlement et généreusement à cette responsabilité. Dieu, en effet, a pensé à nous de toute éternité et il nous a aimés comme des personnes uniques et irremplaçables, appelant chacun de nous par son nom propre, comme le Bon Pasteur, qui “appelle ses brebis par leur nom” (Jn 10, 3).
Dieu a pensé à nous de toute éternité et il nous a aimés comme des personnes uniques et irremplaçables, appelant chacun de nous par son nom propre
+ « Or, pour pouvoir découvrir la volonté concrète du Seigneur sur notre vie, les conditions indispensables sont : l’écoute prompte et docile de la parole de Dieu, la prière fidèle et constante, la relation avec un guide spirituel sage et aimant, la lecture, dans la foi, des dons et des talents reçus et, en même temps, des diverses situations sociales et historiques où l’on est placé. »
La Vierge Marie est le modèle parfait de réponse à tous les appels de Dieu. Elle observait tout, s’interrogeait sur tout pour finalement dire « oui » à Dieu et à toutes ses requêtes. Prions-la pour conclure afin qu’elle nous aide à être plus perméables aux suggestions divines et plus généreux, ensuite, dans notre réponse.
Abbé Alphonse Vidal
Paris, Mai 2018