«Réveille-toi mon cœur !»

Alors que 25 ans après Jean-Paul II, le Pape François s’apprête à fouler demain le sol estonien pour son troisième jour de visite dans les Pays Baltes, Mgr Philippe Jourdan, administrateur apostolique d’Estonie depuis 2005, revient sur les principaux enjeux de ce voyage pontifical.

Mgr Jourdan, vous avez débuté votre ministère en Estonie depuis 1996, d’abord comme vicaire général de l’Administration Apostolique d’Estonie puis comme Administrateur apostolique. Alors que vous êtes français d’origine, vous avez fait le choix d’être naturalisé estonien en 2005. Pourquoi ce choix ?

Lorsque j’ai été consacré évêque de Tallin par le Pape Jean-Paul II, cela faisait 62 ans que l’Estonie n’avait plus d’évêque. Mon prédécesseur à cette charge, dont le procès de canonisation est d’ailleurs en cours, a en effet été déporté en république soviétique en 1941 où il a finalement trouvé la mort en 1942. Il me semblait donc important, et c’était également l’avis du premier ministre de l’époque, que l’Église catholique locale ait un évêque qui, à défaut d’être estonien de souche, ait au moins la même citoyenneté !

Plus de vingt ans après la chute du communisme, l’Estonie est un pays en pleine recomposition. Pouvez-vous, en quelques mots, nous décrire la situation actuelle ?

L’Estonie est un petit pays comptant à peine 1,3 millions d’habitants dont un tiers est russophone. Comme la plupart des pays nordiques, l’Estonie est un pays majoritairement non croyant puisque 75% des estoniens se déclarent athées. Les 25% restants se répartissent entre orthodoxes (16%) et luthériens (10%). Quant aux catholiques, alors qu’ils se comptaient sur les doigts d’une main dans les années 70 et qu’ils étaient à peine plus de 2500 au début des années 90 juste après l’indépendance, ils sont aujourd’hui entre 6000 et 7000 fidèles. Bref, même si le catholicisme est ultra-minoritaire en Estonie, on observe une forme de mouvement d’intérêt à son égard.

Avec quelques milliers de fidèles, 15 prêtres et une petite communauté de Sœurs de Mère Theresa, l’Église d’Estonie est tout de même souvent considérée comme l’une des plus petites églises au monde. Quelle est la place de cette Église dans la société estonienne ?

Comme dans la plupart des pays scandinaves, l’Église a en Estonie une influence supérieure à sa dimension objective. Depuis la fin de l’Union soviétique, elle s’est notamment montré très active, en particulier dans le domaine de l’enseignement. Les catholiques ont en effet créé des écoles très appréciées dans le pays, dont la plus grande a d’ailleurs été visitée en 1993 par le bienheureux Alvaro. Par ailleurs, parce qu’elle n’est attachée à aucune nationalité, elle peut notamment jouer un rôle de pont entre les communautés. Je dirais enfin que l’image que l’on se fait de l’Église catholique en Estonie ne tient pas au nombre de fidèles qui se rendent régulièrement à la Messe. Elle se fonde davantage sur une certaine vision de l’Église universelle, très liée à la figure du Pape qui reste, dans la chrétienté, une référence spirituelle et religieuse importante.

Le Pape François se rendra demain en Estonie, 25 ans après la première visite de Jean-Paul II. C’est le titre d’une chanson populaire estonienne – Réveille-toi mon cœur – qui a été retenu comme slogan de cette visite. Que peut apporter le voyage du Pape dans le contexte actuel de l’Estonie ?

Lors de la visite de Jean-Paul II il y a25 ans, l’Estonie commençait à peine à se reconstruire. Si l’incertitude alors était grande, les grands idéaux de paix, de liberté, d’Europe unie étaient malgré tout très présents. Le "N’ayez pas peur" prononcé par Jean-Paul II au moment de sa visite prenait à cette époque tout son sens. Aujourd’hui, le contexte n’est plus du tout le même. La société est beaucoup plus forte, plus riche, plus stable. L’incertitude est moins prégnante et, en même temps, on ne peut que constater l’omniprésence d’une certaine forme de pessimisme et de matérialisme. Nous attendons donc de la visite du Pape qu’elle contribue à réveiller les cœurs, comme le dit le refrain que nous avons choisi comme phrase clé de cette visite. Nous plaçons notamment beaucoup d’espoir dans la rencontre œcuménique prévue avec les jeunes catholiques, luthériens et orthodoxes qui devrait constituer un des temps forts de cette journée.