Quand l’amour saisit

Sainte Thérèse d'Avila, que l'Église fête le 15 octobre, nous donne un exemple d'humanité, de bon sens et de prière contemplative. Dieu lui a fait la grâce d'expérimenter son Amour de façon exceptionnelle : un épisode "sculpté" par Le Bernin.

Par une pirouette arithmétique, lors de la réforme grégorienne du calendrier, Thérèse d’Avila est morte dans la nuit du 4 au 15 octobre 1582. Cette dernière date propose donc la mémoire de la sainte carmélite, vierge et docteur de l’Église.

Un palmarès riche d’humanité et de bon sens, hissé jusqu’à la haute contemplation doublée de son œuvre fondatrice, ainsi que par l’héritage spirituel et les écrits savoureux. Elle fut la première à obtenir la reconnaissance comme docteur de l’Église. Thérèse éclaire par son « charisme de sagesse », qui se manifestait d’abord dans la vivacité de la prière : « la rencontre de l’Amour divin inondant, qui descend à la rencontre avec l’amour humain qui tend à monter de toutes ses forces » (Saint Paul VI, Homélie, 27/09/1970).

« Dieu est Amour » (1 Jean 4, 8), suprême et débordant. Le Verbe du Père exhale spontané l’Esprit auguste de charité : trois Aimants embrasés dans la même Flamme éternelle. « Nous avons connu l’amour de Dieu » (1 Jean 3, 16) dans le don que le Fils rédempteur a fait de sa vie. Thérèse l’a connu par les blessures du Christ, qui l’a immergé dans sa présence ; elle a répondu par sa prière cordiale : « fréquenter avec amitié, en tête à tête, Celui qui, nous le savons, nous aime» (Vie 8, 5). Une priorité vitale. « Le temps de la prière n’est pas du temps perdu, c’est un temps pendant lequel s’ouvre la voie de la vie, pour apprendre de Dieu un amour ardent pour Lui, pour son Église » (Benoît XVI, Discours, 2/02/2011).

« L’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné » (Romains 5, 5). Il abolit la distance : « Par ce don, Dieu fait vraiment de nous ses partenaires, réalisant ainsi le mystère nuptial de l’amour entre le Christ et l'Église » (Benoît XVI, exhortation La Parole du Seigneur §22). Dieu et son amour nous dépassent mais ne nous annulent pas ; la charité élève le chrétien, dilate l’âme, comble les attentes. L’amour au Christ conduit à partager sa vie, y compris sa Passion, à se sentir « co-crucifié » : « J’ai été crucifié avec le Christ, si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Galates 2, 19-20). Par le don de soi et le retour à Dieu, « c’est le moment de la contrition, de l’amour, de la fusion de la créature, qui est néant… avec son Dieu et son Amour, qui est tout » (Saint Josémaria, Dialogue avec le Seigneur, Le Laurier, 2021 §41).

« Mets tes délices dans le Seigneur, et il remplira tous les désirs de ton cœur » (Psaume 36, 4). La protagoniste décrit son expérience extatique : « Je voyais l’ange qui tenait à la main un long javelot d’or dont la pointe laissait échapper une flamme. Il m’en perça soudain le cœur jusqu’aux fibres les plus profondes et il me semblait qu’en le retirant, il en emportait des lambeaux. Puis il me laissa toute entière embrasée de l’amour de Dieu. La douleur était si vive qu’elle m’arrachait des gémissements, mais accompagnée d’une telle volupté que j’aurais voulu qu’elle ne cessât jamais » (Sainte Thérèse, Vie, 29).

Les théologiens ont commenté le phénomène de la « transverbération », qui défie la froideur de la logique : « Lorsque la flamme de l'amour qui naît de la vie divine, touche l'âme et lui fait sentir la tendresse que cette vie divine verse dans les cœurs, cette flamme blesse l'âme si profondément qu'elle la fait fondre d'amour, comme l'Épouse » (Saint Jean de la Croix, Vive Flamme d'amour 1, 2). « Le cœur qui éprouve la douceur du pain céleste, ressent un véritable plaisir. Celui-là est attiré vers le Christ, qui trouve ses délices dans la vérité, la béatitude, la justice, l’éternelle vie ; car le Christ est tout cela » (Saint Augustin,Sur Jean 26, 4).

Les artistes se sont inspirés du récit ; trente ans après la canonisation de la carmélite, le Bernin atteignit un sommet avec sa sculpture : à l’église Santa Maria della Vittoria (Rome, 1652), L’extase de Sainte Thérèse trône dans la chapelle Cornaro, de pur style baroque. Le chœur déborde de marbres polychromes, de métal doré et d’effets visuels. La lumière descend du haut, comme un don de l’Esprit Saint ; la coupole suggère une foule de chérubins célestes. Thérèse, ravie, se tient affaissée, les yeux clos, la bouche entre-ouverte.

« Ta parole est éprouvée comme un feu ardent, et ton serviteur l’aime » (Psaume 119, 140). La Parole aimante est comme un dard enflammé ; son contact est comparable à une douce blessure, d’où l’expression, biblique et profane, « mourir d’amour ». « Nous rappelant bien des écrivains espagnols du seizième siècle, peut-être voudrons-nous goûter nous aussi la saveur de ces mots : ‘Je vis parce que je ne vis pas : c’est le Christ qui vit en moi !‘ » (Saint Josémaria, Amis de Dieu §297).

Abbé Fernandez