Le côté transpercé

Méditation de l’abbé Fernandez à partir des illustrations de P. P. Rubens, Le coup de lance (1640), Musée Royal des Beaux-Arts, Anvers ; et de G. L. Bernin, Longin (1644) transept de la Basilique St Pierre, Vatican.

Sur le Calvaire, les soldats surveillent sans hâte, quand un message inattendu arrive du palais de Pilate : les condamnés doivent être mis à mort impérativement avant le coucher du soleil. Le centurion qui commande l’escouade transmet l’ordre à ses subordonnés.

Le Christ sur la Croix entre les deux larrons. PP Rubens (1619) en l'église Saint Pierre à Gant (Belgique) . Photo : Renata Sedmakova/Shutterstock.com

Les deux larrons, encore en vie, succombent aux fractures des jambes, qui les empêchent, faute d’appui, de maintenir la respiration déjà laborieuse. Leur dernier râle s’entend encore quand les soldats constatent que la tête de Jésus pend inerte sur l’épaule, sans signe de vie ; ils font un geste de perplexité au centurion, qui les décharge de la tâche brutale.

« Arrivés à Jésus, ils constatèrent qu’il était déjà mort et ils ne lui brisèrent pas les jambes. Mais un des soldats, d’un coup de lance, le frappa au côté » (Jean 19, 33-34). La tradition prête au soldat anonyme de l’évangile le nom symbolique de Longin : « le porteur de lance ». Un lancier aguerri, qui fait partie du peloton d’exécution, est désigné pour porter le coup de grâce posthume. Sa main brandit la lance, il cambre le torse, son bras prend de l’élan et l’arme s’enfonce avec précision entre les côtes du « Roi des Juifs ». Le fer déchire implacable la peau et les muscles, jusqu’à toucher les abords d’un cœur privé de battement. Un jet vigoureux, mélange de lymphe et de sang, qui arrose l’air et le sol, étonne les témoins.

L’évangéliste regarde et enregistre ; il racontera maintes fois la scène et, à la lumière de la Pâque, en dévoilera le sens rédempteur ; enfin il consignera dans son évangile le fait, les prophéties et les fruits. L’absence de fractures lui fait penser à l’agneau pascal qui, sans tache et sans brisure, nourrissait la mémoire et la foi du peuple ; tandis que la poitrine ouverte, évoque l’oracle de Zacharie : « Ils verront celui qu’ils ont transpercé » (Jean 19, 37). Jésus lui-même avait expliqué à Nicodème l’épisode du serpent transformé en signe de salut (Jean 3, 14-15) ; son élévation attirera les regards croyants (Jean 12, 32).

Le Fils transpercé devient le point focal de la révélation et de la rédemption : gage d’un don sans limite, offre de refuge éternel, ondée d’amour irrésistible. Autrefois, Moïse avait frappé le rocher pour désaltérer son peuple. Jésus, supérieur au grand législateur, ouvre les vannes de sa miséricorde sur l’humanité : il engendre l’Église, dispense les sacrements, éveille la foi, attire le monde.

La dévotion au Côté transpercé a traversé les siècles comme un fleuve fécond. Des âmes sincères ont été touchées par ce signe éloquent. Les plaies du Sauveur, le Sacré-Cœur, le Roi de Miséricorde sont des références solides pour la dévotion. D’Ignace d’Antioche à Sœur Faustine, des hommes et des femmes passionnés ont admiré la générosité irrésistible du Rédempteur.

« Il sauve en se donnant » (J. Ratzinger, Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé, 1984). Déchiré à cause de nos péchés, Jésus marque le sommet de son parcours ; en montrant son amour jusqu’au bout, il dévoile la sainteté du Cœur divin, qui interpelle le nôtre. Le Témoin fiable donne la certitude décisive ; « la foi, qui prend conscience de l’amour de Dieu qui s’est révélé dans le cœur transpercé de Jésus sur la croix, suscite à son tour l’amour » (Benoît XVI, enc. Dieu est Amour §39).

À partir de la foi, dans la sanctification du sacrifice quotidien, le cœur du croyant « bat à l’unisson avec le Cœur très doux et très miséricordieux de Jésus notre Seigneur » (saint Josémaria, Amis de Dieu §67). Même devant les défauts et après les défaites, le chrétien n’hésite pas à se raccrocher à ce Cœur prodigue en miséricorde. « Lorsque chaque jour le Seigneur te relève, embrasse-le de toutes tes forces et pose ta pauvre tête sur sa poitrine ouverte, pour que les battements de son Cœur infiniment aimable achèvent de te rendre fou » (Idem, Chemin §884).

Abbé Fernandez

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