Entretien avec le Prélat :  « Dieu attend des laïcs un dialogue permanent d'amour »

Nous publions l’entretien que Mgr Fernando Ocáriz a accordé au magazine Ecclesia lors de son récent séjour au Portugal.

Vous avez eu l'occasion de dire que vous vous sentiez "chez vous" au Portugal, et non pas de passage. Comment voyez-vous la réalité de l'Opus Dei dans notre pays et sa contribution à l'Église et à la société portugaise ?

Je me sens "chez moi" parce que je suis allé plusieurs fois au Portugal – j'ai aussi prié à Fatima – et parce que dans l'Opus Dei il y a beaucoup de Portugaises et de Portugais. L'Opus Dei est présent au Portugal depuis plus de 75 ans et ses membres essaient d'être, dans l'Église et dans la société, comme le levain dans la pâte. De quelle manière ? Non pas en se pensant différents, mais en vivant la même vie que tous les autres, en union affective et effective avec Jésus-Christ, en tant qu'enfants de Dieu par le baptême.

C'est là leur vocation ecclésiale. Bien sûr, il est important que des laïcs soient engagés dans des activités et des services propres à la pastorale de l’Église. Mais pour la grande majorité des laïcs, cela n'est ni possible ni souhaitable. Dieu attend des laïcs un dialogue permanent d'amour dans leur foyer, dans leur vie conjugale, dans l'éducation de leurs enfants, dans leurs soucis économiques, sur leur lieu de travail, dans leur engagement dans la vie civile ou culturelle, dans le sport, dans leurs loisirs, dans le monde de l'art, et ainsi de suite. Il ne s'agit pas d'une relation avec Dieu de type intimiste, sans conséquences externes, mais d'une relation qui conduit à s'identifier de plus en plus à Jésus-Christ et, comme Lui, à se consacrer à sa propre famille, à ses amis et à ses voisins, à ses collègues de travail.

Il y a deux mois, nous avons accueilli le rassemblement international des Journées Mondiales de la Jeunesse. Pensez-vous qu'il a été l'occasion de faire connaître des charismes comme celui de l'Opus Dei et de susciter une nouvelle mobilisation évangélisatrice parmi les nouvelles générations ?

Je félicite les Portugais pour leur organisation des JMJ. La satisfaction du pape et des nombreuses personnes qui ont fait part de leur expérience de ces journées en témoigne.

Certes, nous devons apprécier le nouvel élan que les JMJ apportent à de nombreux chemins dans l'Église, y compris à l'Opus Dei. Mais surtout, les JMJ ont été un moment où Jésus-Christ s'est rendu présent de manière spéciale et a révélé son visage, à la fois doux et exigeant.

Il était émouvant de voir Jésus Eucharistie adoré en silence par tant de jeunes dans le parc du Tage. Il était également impressionnant de voir les files patientes d'environ dix mille jeunes qui voulaient recevoir le sacrement de pénitence dans le Parc du Pardon.

Le travail avec les jeunes, en particulier les étudiants, reste-t-il une priorité ?

Avant de dire oui, permettez-moi de vous rappeler que la priorité est d'atteindre tout le monde, sans exclure personne. Chaque personne est précieuse et unique aux yeux de Dieu. Nous devons nous hâter, d’une hâte sereine, de ne laisser personne sans la possibilité de connaître Jésus-Christ, avec l'aide de notre prière, de notre fréquentation et de notre amitié sincère.

Pour leur part, les jeunes, en plus d'être le présent de l'Église, sont aussi, d'une manière particulière, son avenir. Jésus continue de passer sur le rivage de toutes les mers de l'histoire à la recherche de jeunes pêcheurs d'hommes : pour marcher avec Lui et les envoyer dans le monde entier.

La plupart des jeunes ressentiront que Dieu les attire à la vocation du mariage, mais certains feront l'expérience que Dieu les appelle à une relation exclusive dans le célibat, ouverte au service de tous. Nous associons souvent le célibat à la vie sacerdotale et religieuse, non sans raison. Il convient cependant de rappeler que, depuis l'époque des apôtres, Dieu appelle aussi au célibat dans la vie laïque, sur la seule base de la consécration baptismale.

En outre, les étudiants ont une vocation particulière à trouver comment harmoniser la foi avec la culture et la science pour que la foi informe efficacement la vie sociale.

Mgr Fernando Ocáriz prie devant Notre-Dame de Fatima

La Prélature traverse une période de changement. Nous savons que le travail a commencé avec le Dicastère pour le Clergé pour proposer une modification des statuts qui sera soumise au Saint-Père. Comment vivez-vous cette période ?

Nous essayons de suivre les dispositions du Saint-Père avec une obéissance filiale sincère et avec le désir – comme l'a rappelé le pape François lui-même – qu'elles servent à renforcer les aspects essentiels de l'Opus Dei, qui sont contenus dans son charisme. C'est ce que j'ai demandé expressément dans plusieurs messages adressés aux personnes de l'Opus Dei : être très unis, précisément dans cette obéissance sincère, à l'exemple de saint Josémaria et de ses deux premiers successeurs. C'est l'Esprit Saint qui guide l'Église. C'est pourquoi ce sont aussi des temps à vivre dans la paix et la sérénité.

Certains membres de la Prélature s’interrogent et ont fait part de leurs préoccupations à ce sujet, dans les médias et sur les réseaux sociaux. Comprenez-vous ces déclarations, en particulier celles qui y voient une attaque ? Craignez-vous que certaines personnes utilisent l'Opus Dei pour critiquer le pontificat ?

Il est compréhensible que des questions, des doutes et des inquiétudes se fassent jour, compte tenu également de certaines interprétations qui en ont été données, comme s'il s'agissait de "gagner ou de perdre le pouvoir", ce qui n'a aucun sens dans l'Église.

Dans ma première lettre en tant que prélat, j'ai écrit : « Faire croître le respect mutuel entre les fidèles de l'Église et entre les sensibilités les plus différentes fait partie de notre mission dans la grande famille des enfants de Dieu » Et je citais une phrase du fondateur : « Le principal apostolat que les chrétiens doivent réaliser dans le monde, le meilleur témoignage de foi, est de contribuer à ce que l’on respire dans l'Église un climat d'authentique charité ».

À cet égard, j'ai parfois rappelé une réflexion du cardinal Ratzinger, dont l'amour pour l'Église et pour le pape, fort et fondé sur la foi, allait au-delà de l'émotion. À un moment délicat pour l'unité de l'Église, alors mise en péril par certains, je l'ai entendu dire du fond du cœur : « Comment ne se rendent-ils pas compte que sans le pape, ils ne sont rien ! »

La relation des laïcs avec l'Œuvre pourra-t-elle changer, et cet "appel vocationnel spécifique" devra-t-il trouver son propre statut théologico-canonique dans l'Église ?

Dans l’Église, la vie précède la norme : en d’autres termes, pour reprendre les mots du pape François, la réalité est supérieure à l’idée.

Dieu a semé la graine d’un message dans le cœur de saint Josémaria. Quel message ? Celui de redécouvrir la valeur vocationnelle de la vie ordinaire des fidèles : Dieu a confié aux hommes et aux femmes la tâche divine de construire le monde (la famille, le quartier, le travail, le progrès, les arts, les loisirs) en tant qu’enfants de Dieu en Jésus-Christ.

Dans le cadre de l’inspiration fondatrice, ce message devait être proclamé et vécu dans un esprit concret, avec l’aide d’une institution, l’Opus Dei. Et cette institution a été dès le début, et dans son développement au fil du temps, une famille au sein du Peuple de Dieu, composée de femmes et d’hommes, de laïcs et de prêtres, avec une unité de vocation, de formation et d’esprit, dans une action complémentaire et non concurrente de celle des diocèses et des paroisses, ses membres laïcs restant pleinement des fidèles de leurs diocèses et de leurs paroisses. Cette réalité est donc antérieure au cadre canonique et constitue la raison d’être de l’Opus Dei.

Ce moment peut-il aider à récupérer le charisme original proposé par saint Josémaria Escrivá ?

Il ne s'agit pas de le récupérer, car rien n’a été perdu ou déformé, mais d'approfondir et de poursuivre l'effort pour le vivre fidèlement. En ce sens, nous espérons répondre à l'appel du Saint-Père : prendre soin du charisme de l'Opus Dei pour savoir l’incarner dans l'avenir tel que saint Josémaria nous l'a transmis. C'est-à-dire que nous nous engagions davantage à « diffuser l'appel à la sainteté dans le monde, à travers la sanctification du travail et des engagements familiaux et sociaux » (Motu proprio Ad charisma tuendum).

Ma dernière question concerne le Synode des évêques. Quelle contribution attendez-vous des membres de l'Œuvre dans ce processus ?

La première contribution est la prière pour le Synode, et par prière j'entends aussi l'accomplissement des devoirs quotidiens, réalisés aussi parfaitement que possible dans le cadre des limites personnelles. à part ceci, de nombreux membres de l'Opus Dei ont participé aux différentes étapes du processus synodal, en particulier aux niveaux diocésains et nationaux. En outre, il s'agit d'être en phase avec le désir profond du pape pour le Synode, c'est-à-dire de montrer que la responsabilité de faire avancer l'Église n'est pas l'apanage des évêques, des prêtres ou des religieux, mais de tous et de chacun des baptisés, « marchant ensemble ». La mission d'évangélisation et la recherche de la sainteté personnelle sont la responsabilité de tous, chacun avec ses possibilités personnelles et limitées.