Catherine de Sienne : aimer l'Église avec passion.

L'abbé Pégourier nous offre un portrait de cette femme passionnée, morte à 33 ans, après avoir révolutionné l'Église à sa manière.

En 1970, Paul VI l’a proclamée Docteur de l’Église : quelqu’un dont l’exemple de vie et le message constituent un enseignement qui mérite d’être relevé, pour l’édification de tous. Elle n’a pas fait progresser la théologie mais a su redire la foi chrétienne dans toute sa pureté, et l’exprimer dans la langue géniale d’un cœur dévoré d’amour [1]. Cet amour n’est pas son œuvre. C’est l’œuvre de l’Esprit en elle. Mais il est si fort qu’il imprime jusque dans sa chair les signes douloureux de la Passion du Christ.

Une grande réformatrice au XIVe siècle Si je meurs, c’est de passion pour l’Église, confiera-t-elle, agonisante. Qu’on en juge. C’est pour Elle qu’elle souffre lors de sa courte existence, pour ces chrétiens divisés, pour le grand schisme d’Occident qu’elle ne parvient pas à éviter, pour son pays ravagé par la peste et les rixes sanglantes … Elle ne vit que pour servir le Christ, en ses frères dolents. Elle soigne les corps, console les cœurs, travaille au salut des âmes. Elle apaise des querelles de fratries, éteint des guerres civiles, réconcilie des villes ennemies… Ouvrière infatigable de la paix et de l’unité, elle ira à Rome, elle ira en Avignon. Ni les montagnes, ni les distances ne l’arrêteront. Elle travaillera à ramener le pape là où il doit être : au cœur de l’Église. La réforme qu’elle promeut est avant tout intérieure – elle-même la cautionne par sa prière constante, et une pénitence d’une terrible exigence –, toujours dans la communion et l'obéissance filiale envers les représentants légitimes du Seigneur : non par la guerre, mais dans la paix et le calme, par des prières humbles et continuelles, dans les sueurs et les larmes des serviteurs de Dieu [2]. Aussi, quoiqu’incisives et vigoureuses, ses exhortations sont prises en considération. Elle les adresse principalement aux pasteurs auxquels elle reproche de laisser, par apathie, s’égarer le troupeau qui leur est confié : Hélas, ne plus se taire! Criez avec cent mille voix. Je vois que, parce qu'on se tait, le monde est détraqué, l'Épouse du Christ est pâle, on lui a enlevé sa couleur parce qu'on lui suce le sang hypocritement, le sang même du Christ [3]. Elle est presqu’illettrée, fille d’un humble teinturier ; elle est très écoutée pourtant, par les princes de son temps : gouverneurs de villes et de royaumes, prélats de l’Église, moines et théologiens. Saint Josémaria l’appelait « la grande rouspéteuse » : elle a insisté à temps et à contretemps auprès de ses interlocuteurs, avec déférence mais sans complexe ni respect humain, pour faire entendre la voix du Bon Pasteur.

Passionnée de vie éternelle

Son rayonnement, c’est l’épanchement à travers sa personnalité intègre, volontaire et communicative des charismes de l’Esprit Saint ; plus concrètement, c’est sa capacité à intégrer dans l’unité deux voies que l’on a, superficiellement, tendance à opposer : contemplation et action. Catherine est une amoureuse de Dieu dont la foi se fait entendre, qui remue l’auditeur et le gagne à sa cause : la purification et l’embellissement de l’Église. Elle est, notait le pape Montini, la mystique du Corps mystique du Christ.

Elle est d’abord une mystique, comme le manifestent les nombreuses visions dont elle bénéficia. La première à l’âge de six ans : revenant de chez sa tante avec son petit frère elle aperçut, au-dessus de l’église de son quartier, Jésus la regardant avec tendresse. Elle se planta là, immobile, tout à son bonheur. Mais le petit la tirait par la main :          - Qu’est-ce que tu attends ? Comme il insistait, elle finit par baisser les yeux sur lui mais, quand elle les releva, la vision avait disparu. Elle regretta amèrement d’avoir détourné le regard. Cependant, cette expérience orienta son existence, et nourrit son désir de ne se donner qu’à Dieu malgré la vive opposition des siens. C’est ainsi qu’à quinze ans, elle fut admise comme tertiaire dominicaine chez les sœurs Mantellate, forme de vie religieuse dans le monde. Par la suite, le Christ l’appela à des noces mystiques pour en faire son épouse dans l’intimité de sa conscience.

Sa profonde vie d’union à Dieu explique son aptitude à le voir chez les autres, dans le monde, et à l’y apporter. Elle commence par travailler dans un hôpital auprès des malades les plus atteints. Et, plus que de leur apporter un réconfort, c’est son cœur qu’elle leur apporte. Et quel cœur ! Aussi en vient-on à lui « refiler » les grabataires, les personnes dont personne ne veut s’occuper, les plus répugnants… Car elle déborde de richesse intérieure et, rehaussées par la vie de la grâce, ses qualités humaines donnent toute la mesure de la plénitude à laquelle peut parvenir une créature humaine. Voilà une jeune femme vive, gaie et enjouée, heureuse de faire ce qu’elle fait, même si cela semble indigne aux yeux du monde. Peu lui importe, elle le fait pour son Époux. Son charisme, uni à la force de son amour généreux, attire autour d’elle des gens de tous horizons – jeunes seigneurs, vieux marchands, prêtres, avocats, artistes, soldats, hommes et femmes qui étudient et prient ensemble – qu’elle accompagne spirituellement, pour qui elle est la dolce Mamma, et dont elle fait des missionnaires itinérants.

À 33 ans, elle meurt d’épuisement, à Rome où elle s’est installée pour encourager le Saint Père, le doux Christ sur la terre, comme elle l’appelle. Sa vie est un rai de lumière qui projette sur son époque assombrie par tant de malheurs, comme sur la nôtre, une espérance « déraisonnable » parce qu’ancrée dans une ardente passion pour les desseins de Dieu : Je veux, Seigneur, que tu aies tout, et ton ennemi rien !

[1]               Le Dialogue et 373Lettres.

[2]              cf. Dialogue, chap. XV, LXXXVI.

[3]              Lettre 16 au Cardinal d'Ostie, par L. Ferretti, I, 85.