Le message de saint Josémaria et son héritage social 50 ans après sa venue en Amérique latine

Conférence prononcée par Mgr Mariano Fazio, vicaire auxiliaire de l'Opus Dei, lors de la deuxième édition de Be Do Care, à São Paulo (Brésil), le 10 octobre 2024.

Sommaire

L’appel universel à la sainteté au milieu du monde, dans tous les milieux sociaux.

Unité de vie.

Formation à la doctrine sociale de l’Eglise.

Sens des responsabilités.

Amour de la liberté, pluralisme.

Capacité de dialogue.

Esprit de service. Gouverner c’est servir.

Compassion et action.


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L’appel universel à la sainteté au milieu du monde, dans tous les milieux sociaux

Le message que saint Josémaria avait reçu de Dieu le 2 octobre 1928 était centré sur l'appel à la sainteté au milieu du monde, à travers le travail professionnel et les circonstances ordinaires du chrétien. Tous les chrétiens sont appelés à la sainteté en vertu de leur baptême et, pour la grande majorité d'entre eux, il n'est pas nécessaire de « sortir de son chemin » pour y parvenir. Le monde – la vie ordinaire, avec ses sphères caractéristiques que sont le travail professionnel, la famille et les devoirs d’état dans la société civile – est "l'habitat" où le chrétien s'identifie au Christ. La sanctification de la vie ordinaire requiert l'aide de la grâce et une relation personnelle avec Dieu. En même temps, la vie spirituelle elle-même est nécessairement ancrée dans les circonstances normales de l'existence au milieu du monde et s'y réfère.

Le Seigneur attend de nous que nous nous sanctifiions et que nous fassions de l'apostolat dans notre famille, sur notre lieu de travail, dans nos cercles d'amis, dans les initiatives sociales dans lesquelles nous sommes impliqués, dans notre village, notre ville, notre région et notre pays. Toujours avec une vision universelle, catholique, qui nous fait voir avec les yeux de la foi que l'influence que nous pouvons avoir sur notre environnement peut aller jusqu'aux confins de la terre. Mais nous devons commencer par ce que nous avons à portée de la main. Si nous ne profitons pas de nos circonstances immédiates, nous tomberons dans des visions imaginaires qui empêcheront toute fécondité apostolique.

Prenons un exemple littéraire. Dans Bleak House, l'un des meilleurs romans de Charles Dickens, il y a un personnage grotesque : Mme Jellyby. Cette dame représente ces personnes qui sont obsédées par l'idée d'aider tout le monde – plus leur situation est éloignée d’elles et mieux c'est – mais qui oublient qu'elles ont des personnes dans le besoin juste à côté d'elles, souvent dans leur propre maison, dans leur propre communauté de voisins ou dans leur propre ville.

Mme Jellyby passe son temps à écrire des lettres, à y répondre, à organiser des réunions pour aider une mission en Afrique : Borrioboola-Gha. Elle est mère d'une famille nombreuse, mais ses enfants vivent dans le désordre et la saleté. Personne ne s'occupe d'eux et lorsqu'ils réclament l'attention de leur mère, celle-ci leur reproche de « ne pas s'intéresser aux grands problèmes du monde ». Au fond, selon Mme Jellyby, ses enfants sont égoïstes. Son mari est lui aussi victime de la préoccupation de sa femme pour la mission africaine. Il vit dans l'isolement, au milieu de terribles problèmes financiers, sans personne pour s'occuper de lui. Mme Jellyby ignore les problèmes familiaux, car elle se préoccupe des pauvres Africains qui ont tant de besoins matériels et spirituels. Cette préoccupation est toutefois naïve, car elle se consacre au tissage de manteaux de laine, qui ne seraient guère utiles dans la chaleur tropicale de l'Afrique.

En réalité, c'est elle qui est égoïste : son zèle pour l'Afrique lui permet d'échapper aux problèmes et aux besoins ordinaires de la vie quotidienne comme préparer les repas, nettoyer la maison, maintenir l'ordre au sein d'une famille nombreuse, s'occuper d'un enfant malade, réconforter un enfant triste, encourager une fille qui a des difficultés émotionnelles, soutenir son mari en période de crise économique, améliorer la coexistence avec ses voisins, et ainsi de suite.

Le Seigneur nous appelle à sanctifier la vie ordinaire, y compris tous les aspects de la vie sociale, par un sain réalisme surnaturel. Nous voulons changer le monde, mais nous devons commencer par changer nos propres cœurs et l'environnement qui nous entoure. Deux conditions sont nécessaires à cette œuvre de sanctification : que nos actes soient cohérents avec la foi que nous professons, et que nous soyons suffisamment formés pour être gouvernés par les principes de l'Évangile qui nous éclairent tant sur les moyens d'atteindre le bien commun de la société. Examinons ces deux conditions.

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Unité de vie

Dans des circonstances ordinaires, nous avons certainement vu – dans notre propre vie ou dans celle de nos parents, amis ou voisins – des incohérences entre la morale naturelle ou la doctrine chrétienne et les actions dans la vie sociale de nombreux catholiques. Des personnes qui ne respectent pas le code de la route, qui mentent dans leur déclaration d'impôts, qui se font l'écho de calomnies infondées ou qui traitent tout simplement avec mépris ceux qui occupent une place inférieure dans l'échelle sociale. Tout cela représente un obstacle évident à la recherche chrétienne du bien commun.

Il y a de nombreuses années, le saint Aragonais écrivait : « En effet, même parmi les catholiques qui semblent responsables et pieux, il y a souvent l'erreur de penser qu'ils sont seulement obligés d'accomplir leurs devoirs familiaux et religieux, et ils ne veulent guère entendre parler de devoirs civiques. Ce n'est pas de l'égoïsme : c'est simplement un manque de formation, parce que personne ne leur a jamais dit clairement que la vertu de piété, qui fait partie de la vertu cardinale de justice, et le sens de la solidarité chrétienne se concrétisent aussi dans cette présence, dans cette connaissance et dans cette contribution à la résolution des problèmes qui concernent l'ensemble de la communauté »[1].

L'appel à la sainteté au milieu du monde conduit, comme l'une de ses conséquences les plus importantes, à incarner ce que saint Josémaria appelait « unité de vie ». Les personnes dont les actes sont en contradiction avec leur foi pourraient être décrites comme des hommes ou des femmes à la double personnalité ou, pour reprendre un mot souvent cité dans l'Évangile, comme des personnes hypocrites et menteuses.

Saint Josémaria conclut : Il est donc nécessaire d'imiter Jésus-Christ pour le faire connaître par notre vie. Nous savons que le Christ s'est fait homme pour introduire tous les hommes dans la vie divine, afin que, en nous unissant à Lui, nous puissions vivre individuellement et socialement la vie de Dieu »[2]. Notez bien qu’il parle de vivre « socialement » la vie de Dieu.

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Formation à la doctrine sociale de l’Eglise

Nous venons de voir comment saint Josémaria soulignait que l'ignorance est l'un des facteurs qui expliquent le manque d'engagement social des catholiques. Avec l'unité de vie, une autre implication de l'appel à la sainteté au milieu des relations sociales est la connaissance de la doctrine sociale de l'Église. Citons le saint Aragonais : « À cet égard, je vais vous dire mon grand désir : je voudrais que le catéchisme de la doctrine chrétienne pour les enfants enseigne clairement quels sont ces points fermes sur lesquels on ne peut pas céder lorsqu’on agit, d'une manière ou d'une autre, dans la vie publique ; et que l’on affirme, en même temps, qu'il y a le devoir d'agir, de ne pas s'abstenir, de collaborer personnellement, au service du bien commun avec loyauté et liberté personnelle. C'est un grand désir pour moi, parce que je vois qu'ainsi les catholiques apprendraient ces vérités en tant qu'enfants, et sauraient ensuite les mettre en pratique en tant qu'adultes »[3]. Dieu merci, c'est déjà une réalité dans le Catéchisme de l'Église Catholique et dans le Compendium de la doctrine sociale de l'Église.

Le pape François se fait également l'écho de cette préoccupation. Dans son encyclique Fratelli tutti, il se désole du désarroi de nombreux chrétiens en matière sociale, comme ceux qui soutiennent le nationalisme fermé, la xénophobie et le mépris de ceux qui sont différents. Le remède est la formation : « La foi, de par l’humanisme qu’elle renferme, doit garder un vif sens critique face à ces tendances et aider à réagir rapidement quand elles commencent à s’infiltrer. C’est pourquoi il est important que la catéchèse et la prédication incluent plus directement et clairement le sens social de l’existence, la dimension fraternelle de la spiritualité, la conviction de la dignité inaliénable de chaque personne et les motivations pour aimer et accueillir tout le monde »[4].

Celui qui veut imprégner les structures terrestres de l'esprit du Christ doit nécessairement s'instruire pour ne pas se tromper en chemin. L'Évangile jette une lumière intense pour comprendre le projet de Dieu pour l'organisation sociale, la famille, l'économie et la culture. Benoît XVI a souvent parlé des « principes non négociables » que le chrétien cohérent doit défendre pour rapprocher le plus possible ce monde du projet de Dieu. Mais s'il y a des principes « non négociables », il y a aussi beaucoup de choses qui sont négociables, qui peuvent faire l'objet de transactions, de dialogue, de recherche de consensus, etc. Distinguer ce qui est essentiellement lié à la foi de ce qui relève de l'opinion est fondamental pour contribuer à la construction d'une société toujours plus conforme au projet de Dieu. Et pour distinguer correctement, il est nécessaire d'être bien formé.

Saint Josémaria ne prétendait pas que tous les citoyens devaient être des professionnels de la politique ou des sciences sociales, mais il encourageait tout le monde à avoir « un minimum de connaissance des aspects concrets que présente, dans des circonstances historiques données, le bien commun de la société dans laquelle chacun vit ; et on peut aussi exiger un minimum de compréhension de la technique – des possibilités réelles et limitées – de l'administration publique et du gouvernement civil, parce que sans cette compréhension il ne peut y avoir de critique sereine et constructive ni d'opinions sensées »[5].

Il existe en Italie un dicton populaire qui dit ceci : Piove. Governo ladro ! (Il pleut, gouvernement voleur !). Les critiques faciles, les protestations gratuites et les exigences exorbitantes qui sont à l'ordre du jour dans la vie politique, dans l'opinion publique et sur les réseaux sociaux, ne contribuent pas à la recherche du bien commun. Suivre le conseil de saint Josémaria de bien s'éduquer et d'essayer de comprendre le monde qui nous entoure avec empathie créerait un climat de paix, de justice et de compréhension qui aiderait au bien social de la communauté.

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Sens des responsabilités

Dans l'Évangile, nombreux sont les appels que le Seigneur lance à ses disciples pour qu'ils prennent conscience de leur responsabilité à l'égard du monde. Le chrétien doit être sel et lumière, levain dans la pâte. La parabole des talents, dans laquelle le Seigneur nous demande de faire fructifier nos capacités au service de nos frères et sœurs, est l'une des paraboles les plus commentées dans la tradition de l'Église, parce qu'elle est toujours un appel à éviter la passivité et l'indolence. Nous la lisons au chapitre XXV de saint Matthieu, où nous trouvons également la description du Jugement universel : le Seigneur nous pressera de rendre compte de la manière dont nous nous sommes occupés, dont nous avons été responsables de nos voisins, en particulier de ceux qui sont le plus dans le besoin.

La parabole du bon samaritain est un autre appel à la responsabilité à l'égard de tous. Le pape François commente que « cette parabole est une icône éclairante, capable de mettre en évidence l’option de base que nous devons faire pour reconstruire ce monde qui nous fait mal. Face à tant de douleur, face à tant de blessures, la seule issue, c’est d’être comme le bon Samaritain. Toute autre option conduit soit aux côtés des brigands, soit aux côtés de ceux qui passent outre sans compatir avec la souffrance du blessé gisant sur le chemin. La parabole nous montre par quelles initiatives une communauté peut être reconstruite grâce à des hommes et des femmes qui s’approprient la fragilité des autres, qui ne permettent pas qu’émerge une société d’exclusion mais qui se font proches et relèvent puis réhabilitent celui qui est à terre, pour que le bien soit commun. En même temps, la parabole nous met en garde contre certaines attitudes de ceux qui ne se soucient que d’eux-mêmes et ne prennent pas en charge les exigences incontournables de la réalité humaine »[6].

L'unité de vie et la formation doctrinale, toujours fondées sur une vie spirituelle sincère, renforceront notre sens de la responsabilité sociale. Nous devons abandonner la passivité, le confort, et prendre sur nos épaules ce monde qui est le nôtre, si plein de besoins, d'injustices et de souffrances. « Votre amour pour tous les hommes doit vous conduire à affronter les problèmes temporels avec courage, selon votre conscience. N'ayez pas peur du sacrifice, ni d'assumer de lourds fardeaux. Aucun événement humain ne peut vous être indifférent ; au contraire, tout événement doit être une occasion de faire du bien aux âmes et de leur faciliter le chemin vers Dieu »[7].

La principale manifestation du sens de la responsabilité sociale réside dans l'accomplissement de nos devoirs d’état : bien travailler, avec toute la perfection dont nous sommes capables, afin de rendre le service que nos concitoyens attendent de nous à juste titre ; créer un environnement familial apte à former les enfants, futurs citoyens responsables, dans les vertus ; respecter les lois et les réglementations juridiques légitimes afin que la vie en commun soit ordonnée et pacifique. C'est là que le Seigneur nous attend et c'est ainsi que nous pourrons contribuer efficacement au bien commun. Mgr Fernando Ocáriz a évoqué le caractère transformateur du travail : « Le travail sanctifié est toujours un levier pour la transformation du monde, et le moyen habituel pour réaliser des changements qui rendent la vie des personnes plus digne, afin que la charité et la justice imprègnent vraiment toutes les relations. Le travail ainsi effectué peut contribuer à purifier les structures du péché, en les transformant en structures où le développement humain intégral est une réelle possibilité »[8].

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Amour de la liberté, pluralisme

Le bien commun implique de créer les conditions permettant à chacun de s'épanouir dans sa vie personnelle et dans ses relations avec les autres. Pour cela, il faut garantir de larges espaces de liberté. Ce n'est pas le moment de s'étendre sur tous les aspects de la liberté : soulignons seulement que la plénitude de la vie humaine est l'Amour, avec une majuscule, qui s'identifie à Dieu, et que sans liberté, nous ne pouvons pas aimer.

Dans de nombreuses sociétés contemporaines, la liberté est minée de manière inquiétante. En imposant ce qui est supposé être « correct » dans une perspective fermée, cette liberté est limitée et de nombreuses personnes tombent dans une spirale de peur et de silence pour ne pas être mises à l'écart, comme cela s'est produit avec la prétendue culture de l’effacement que les recteurs de certaines des universités les plus importantes des États-Unis dénoncent. Dans certaines parties du monde, des dictatures d'un type ou d'un autre sont imposées, imprégnées d'idéologies totalitaires, qui empêchent l'expression de pensées qui ne coïncident pas avec la doctrine officielle, sous peine d'emprisonnement. Plus graves encore sont les tentatives de priver les citoyens de leur liberté religieuse en persécutant systématiquement ceux qui ne partagent pas l'unique credo officiel d'une société fondée sur le fondamentalisme. Le fondamentalisme religieux n'est pas le seul en cause : la laïcité verse également dans le totalitarisme lorsqu'elle empêche les manifestations publiques de la foi religieuse.

Saint Josémaria aimait l'air pur et l'eau claire. Là où la liberté est refusée, l'environnement social se remplit de ténèbres et l'eau qui devrait couler librement pour étancher la soif des gens stagne et pourrit. C'est pourquoi l'un des traits les plus marquants de son enseignement – et pas seulement dans sa dimension sociale – était précisément son amour de la liberté. Il affirmait avec force qu'il existe dans la personne humaine une sphère absolument libre dans laquelle seuls l'intéressé et Dieu peuvent pénétrer et qui doit toujours être respectée : l'intimité des consciences. Son respect absolu du sanctuaire intime des consciences l'a conduit à défendre la liberté en matière religieuse. Il entretenait des relations d'amitié sincère avec des personnes de toutes confessions ou sans confession, et il était prêt à donner sa vie pour défendre la liberté de leurs consciences. Il a mené une lutte filiale avec le Saint-Siège pour permettre à des coopérateurs non catholiques et même non chrétiens d'entrer dans l'Opus Dei. Il s'est réjoui de la déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanae du Concile Vatican II. Paraphrasant la déclaration magistérielle, il a déclaré : « je défends de toutes mes forces la liberté des consciences, selon laquelle il n’est permis à personne d’empêcher que la créature rende à Dieu le culte qui lui est dû. Il faut respecter la soif légitime de vérité : l’homme a l’obligation grave de chercher le Seigneur, de le connaître et de l’adorer, mais personne sur la terre ne doit se permettre d’imposer au prochain la pratique d’une foi qu’il n’a pas ; de même que personne ne peut s’arroger le droit de faire du tort à celui qui l’a reçue de Dieu »[9].

Outre la liberté religieuse, saint Josémaria a défendu la liberté de tous les chrétiens de défendre leurs opinions sur des questions que Dieu a laissées au libre arbitre des hommes et des femmes. Il encourageait un climat de vie ouvert, où chacun pouvait s'exprimer simplement tel qu'il était, et où les opinions des autres étaient respectées. Il détestait la tyrannie, « parce qu'elle est contraire à la dignité de la personne humaine »[10] et il était très respectueux du pluralisme des opinions, qu'elles soient politiques, sociales, économiques, culturelles ou sportives, bref, du vaste monde qui ne relève pas des dogmes. Nous lisons dans Sillon : « C’est une triste chose que d’avoir une mentalité à la César et de ne pas comprendre la liberté des autres citoyens, dans les affaires que Dieu a laissées au jugement des hommes »[11].

Dans un article publié dans le quotidien madrilène ABC, le 2 novembre 1969, saint Josémaria disait : « Dieu, en nous créant, a accepté le risque et l'aventure de notre liberté. Il a voulu que l'histoire soit une histoire vraie, faite de décisions authentiques, et non une fiction ou un jeu. Chaque personne doit faire l'expérience de son autonomie personnelle, avec tout ce que cela comporte de hasard, de tâtonnements et, parfois, d'incertitudes. N'oublions pas que Dieu, qui nous donne la sécurité de la foi, ne nous a pas révélé le sens de tous les événements humains. À côté des choses qui sont absolument claires et certaines pour le chrétien, il y en a d'autres, très nombreuses, sur lesquelles il n'y a que des opinions, c'est-à-dire une certaine connaissance de ce qui peut être vrai et opportun, mais qui ne peut pas être affirmé de manière incontestable. En effet, non seulement je peux me tromper, mais si j'ai raison, il est possible que d'autres aient aussi raison. Un objet qui semble concave pour l'un semblera convexe pour ceux qui se situent dans une perspective différente »[12].

Pour lui, la responsabilité entraînait l'obligation morale d'intervenir dans la vie de la société, en y laissant une empreinte évangélique, toujours dans le respect des choix temporels libres. « Prenez donc mes paroles pour ce qu’elles sont, a-t-il déclaré dans sa célèbre homélie sur le campus de l'Université de Navarre, : une exhortation à exercer vos droits, tous les jours, et pas seulement dans les situations difficiles ; à vous acquitter noblement de vos obligations de citoyens – dans la vie politique, dans la vie économique, dans la vie universitaire, dans la vie professionnelle – en assumant hardiment toutes les conséquences de vos décisions libres, en endossant vos actes avec l’indépendance personnelle qui est la vôtre. Et cette mentalité laïque de chrétiens vous permettra d’éviter toute intolérance, tout fanatisme, et pour le dire positivement, elle vous permettra de vivre en paix avec tous vos concitoyens et d’encourager la bonne entente entre les différents ordres de la vie sociale »[13].

La liberté en matière d'opinion était un élément essentiel de son esprit laïc et séculier. Il abhorrait la mentalité de « parti unique » et revendiquait pour les chrétiens la liberté d'opinion et la prise de décisions responsables dans leurs activités professionnelles et sociales : « Il n'y a pas de dogme dans les choses temporelles. Il n'est pas conforme à la dignité de l'homme de vouloir fixer des vérités absolues dans des domaines où chacun doit nécessairement considérer les choses de son propre point de vue, en fonction de ses intérêts particuliers, de ses préférences culturelles et de son expérience personnelle. Vouloir imposer des dogmes en matière temporelle conduit inévitablement à forcer la conscience d'autrui, à manquer de respect à l'égard d'autrui »[14].

Il faut ajouter que, chez notre auteur, inséparablement liée à cette conscience de la liberté du chrétien dans les affaires temporelles, se trouve l'obligation de la formation de la conscience et aussi l'affirmation du droit et du devoir de la hiérarchie ecclésiastique de prononcer des jugements moraux sur les réalités temporelles lorsque la foi et la morale chrétiennes le requièrent.[15]

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Capacité de dialogue

Le pluralisme social promu par saint Josémaria implique l'instauration d'une « culture du dialogue » dans la société. C'est précisément au dialogue que saint Paul VI a consacré sa première encyclique, Ecclesiam suam. Le fondateur de l'Opus Dei nous encourageait à ne pas polémiquer, mais à échanger les points de vue, avec charité et respect pour les personnes qui ont des opinions différentes des nôtres. Le dialogue requiert l'humilité : nous ne sommes pas les détenteurs de la vérité et nous pouvons – et devons – apprendre des autres ; il requiert la charité : nous ne pouvons jamais maltraiter une personne même si nous sommes sûrs qu'elle a tort ; il requiert la compréhension, c'est-à-dire se mettre à la place des autres. En bref, dans le dialogue, nous exerçons de nombreuses vertus chrétiennes qui rendent la société dans laquelle nous vivons plus humaine.

Pour que le dialogue soit réel, il est essentiel de rester fidèle à sa propre identité. La grande majorité des questions sont ouvertes à l'opinion. En même temps, il y a un noyau de vérités – aussi bien de foi que d'ordre naturel – sur lesquelles une personne de bonne conscience ne peut pas transiger : c'est la « sainte intransigeance », selon l'expression de saint Josémaria, ou les « principes non négociables » de Benoît XVI. Un point de Sillon cité plus haut se termine ainsi : « Ce n’est qu’en matière de foi et de morale qu’il existe un critère indiscutable : celui de notre Mère l’Église »[16]. Défendre avec panache ces points inaliénables, ce n'est pas être intégriste : c'est être cohérent avec notre conscience humaine et chrétienne.

Dans une lettre adressée à ses enfants le 21 janvier 1966, saint Josémaria parlait longuement du dialogue que tout chrétien doit entretenir dans la société pour la rendre plus humaine et, par conséquent, plus chrétienne. Nous allons reproduire quelques passages de cette lettre, car je pense qu'elle mérite d'être connue et surtout d'être appliquée dans le climat actuel de tension du débat public, aussi bien dans le domaine politique que dans le domaine culturel et religieux.

Comme toujours, le modèle est la vie de Jésus qui a entretenu un dialogue ininterrompu avec toutes sortes de personnes. « Avec la lumière toujours nouvelle de la charité, avec un amour généreux de Dieu et du prochain, nous renouvellerons, à la lumière de l'exemple que nous a donné le Maître, notre désir de comprendre, de pardonner, de ne nous sentir ennemis de personne »[17]. Notre attitude doit être celle de semeurs de paix et de joie dans le monde, aimant et défendant la liberté des âmes, conquise et respectée par le Seigneur lui-même.

Saint Josémaria concevait comme objectif propre de l'Opus Dei – mais nous pouvons l'appliquer à tous les chrétiens – « de diffuser dans le monde le message d'amour et de paix que le Seigneur nous a légué ; d'inviter tous les hommes et toutes les femmes à respecter les droits de la personne »[18].

Le fondateur a brossé un tableau sombre de l'époque dans laquelle il vivait, qui ressemble beaucoup à la nôtre : on parle beaucoup de paix, mais la paix brille par son absence ; on parle de démocratie et d'égalité, mais il y a des castes fermées et impénétrables ; on se gargarise de compréhension, mais elle n'est pas vécue, pas même parmi les chrétiens. « Nous vivons une époque où les fanatiques et les intransigeants, incapables d'accepter les raisons des autres, se soignent en qualifiant de violents et d'agressifs ceux qui sont leurs victimes. Enfin, le Seigneur nous a appelés alors que nous entendons beaucoup parler d'unité, et il est peut-être difficile de concevoir qu'il puisse y avoir une plus grande désunion, non pas entre les gens en général, mais entre les catholiques eux-mêmes »[19].

Saint Josémaria aborde un thème central dans l'action des chrétiens sur la place publique : la fidélité à la doctrine – qu'il appelle, comme nous l'avons vu, la « sainte intransigeance » – et l'acceptation et le respect de toutes les personnes, y compris celles qui sont dans l'erreur : la « sainte transigeance ». Et il précise : « Il faut cependant que vous appreniez à beaucoup de gens à pratiquer cette doctrine, parce qu'il n'est pas difficile de trouver des gens qui confondent l'intransigeance avec l'intempérance, et la transigeance avec l'abandon de droits ou de vérités qui ne peuvent être bradés »[20].

Nous les chrétiens, nous ne pouvons pas transiger sur les vérités de la foi. Le dépôt de la Révélation ne nous appartient pas. Si l’on faisait les changements de doctrine que beaucoup préconisent, avec la bonne intention de nous mettre tous d'accord, on aboutirait à une sorte de religion vague et sentimentale qui ne serait plus sel et lumière. Le chrétien doit défendre ce que l'Église enseigne en matière de foi et de coutumes « par l'exemple, par la parole, par vos écrits, par tous les nobles moyens dont vous disposez »[21].

La fidélité à la vérité ne peut pas nous conduire à vouloir anéantir celui qui a tort, à nous laisser emporter par la colère ou à tomber dans le fanatisme. Il ne s'agit pas d'être un « marteau à hérétiques ». Nous devons faire la distinction entre l'erreur et la personne qui se trompe. Mais dans l'erreur elle-même, il faut sauver la part de vérité qu'elle porte. « Les mauvaises idées ne sont généralement pas entièrement mauvaises ; d’ordinaire, elles contiennent une part de bien, sinon personne ne les suivrait. Elles ont presque toujours une étincelle de vérité, qui est leur appât ; mais cette part de vérité ne leur appartient pas : elle est prise au Christ, à l'Église ; et donc ce sont ces bonnes idées, mélangées à l'erreur, qui doivent suivre les chrétiens qui possèdent la pleine vérité : ce n'est pas nous qui devons aller après elles »[22].

La « sainte transigeance » nous conduit à vivre avec tous, à dialoguer avec tous. « Nous devons vivre, en un mot, dans une conversation continue avec nos compagnons, avec nos amis, avec toutes les âmes qui viennent à nous. C'est la sainte transigeance. On pourrait certes l'appeler tolérance, mais la tolérance me semble trop peu, car il ne s'agit pas seulement d'admettre, comme un moindre mal inévitable, que d'autres pensent différemment ou sont dans l'erreur. Il s'agit aussi de céder, de transiger sur tout ce qui nous appartient, sur ce qui est sujet à opinion, sur ce qui, sans toucher à l'essentiel, pourrait être source de désaccord. Bref, il s'agit d'aplanir les aspérités, là où elles peuvent l'être, pour créer une plate-forme de compréhension qui éclairera ceux qui se trompent »[23].

Si cette ouverture faisait défaut, nous rendrions un mauvais service à la vérité, comme ceux qui « font de leur vie une croisade perpétuelle, une défense constante de la foi, mais parfois s'obstinent, oubliant que la charité et la prudence doivent présider à ces bons désirs, et ils deviennent des fanatiques. Malgré leur intention droite, le grand service qu'ils veulent rendre à la vérité est déformé, et ils finissent par faire plus de mal que de bien, peut-être en défendant leur opinion, leur amour-propre, leur étroitesse d'esprit. Comme le chevalier de La Mancha, ils voient des géants là où il n'y a que des moulins à vent ; ils deviennent de mauvaise humeur, aigres, au zèle amer, aux manières brusques, qui ne trouvent jamais rien de bon, qui voient tout en noir, qui ont peur de la liberté légitime des hommes, qui ne savent pas sourire »[24].

Loin de cette attitude, le comportement du chrétien dans le débat public est régi par la charité qui a, entre autres caractéristiques, la délicatesse, le savoir-vivre, l'amour de la liberté d'autrui, la cordialité et la sympathie. D'autre part, nous ne pouvons pas nous limiter à parler ou à donner le bon exemple : « vous devez aussi écouter et être prêts à entrer dans un dialogue franc et cordial avec les âmes que vous voulez rapprocher de Dieu »[25].

Saint Josémaria exhorte à comprendre tout le monde, à aller main dans la main avec tout le monde, à travailler ensemble même avec des personnes qui sont dans une autre mouvance idéologique. Pour rapprocher ces personnes de la vérité, il faut renforcer notre formation doctrinale et tout arroser de la charité du Christ. « Contre qui sommes-nous ? Contre personne. Je ne peux pas aimer le diable, mais tous ceux qui ne sont pas le diable – même s'ils sont mauvais ou semblent l'être – je les aime bien. Je ne me sens, ni ne me suis jamais senti, contraire à personne ; je rejette les idées contraires à la foi ou à la morale de Jésus-Christ, mais en même temps j'ai le devoir d'accueillir, avec la charité du Christ, tous ceux qui les professent »[26].

En 1974, saint Josémaria effectua une visite pastorale dans quelques pays d'Amérique du Sud. En Argentine, le climat était tendu, marqué par la désunion nationale et la violence fratricide. Ses paroles ont résonné dans le cœur de milliers d'Argentins qui souffraient de cette situation, et elles peuvent s'appliquer à de nombreuses circonstances actuelles : « Semez partout la paix et la joie ; ne dites pas de paroles qui dérangent ; sachez être solidaires avec ceux qui ne pensent pas comme vous. Ne vous maltraitez jamais les uns les autres, soyez frères de toutes les créatures, semeurs de paix et de joie »[27].

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Esprit de service. Gouverner c’est servir

Le mot service n'est pas très populaire. En revanche, le mot pouvoir est présenté comme quelque chose de désirable. Cela montre peut-être que nous vivons dans un monde sécularisé qui a oublié que gouverner, c'est servir. C'est en tout cas la conception chrétienne de l'autorité. Celui qui occupe un poste de responsabilité dans la société – un dirigeant, un professeur d'université, un parent, etc. – doit être conscient qu'il est là pour servir ses sujets, ses élèves, les membres de sa famille. Souvent, nous voyons le contraire : celui qui exerce le pouvoir est perçu comme ayant la possibilité de se servir lui-même. Il considère le pouvoir comme une propriété personnelle dont il peut tirer profit. C'est l'origine de phénomènes aussi répandus sur les cinq continents que la corruption politique et économique, l'arbitraire et le désir de se perpétuer au pouvoir. L'histoire et la littérature – pensez aux nombreux rois des pièces de Shakespeare, comme Macbeth ou Richard III – le démontrent amplement. Dieu merci, il existe aussi de nombreux exemples de personnes qui exercent le pouvoir avec autorité morale, avec douceur, avec respect, avec un esprit de service : ils honorent le nom de « ministres », un mot qui vient du latin ministrare, c'est-à-dire servir.

L'une des caractéristiques que saint Josémaria met le plus souvent en avant pour la sanctification de toutes les dimensions sociales est précisément l'esprit de service. Toute tâche humaine honnête a pour finalité intrinsèque le service des autres. Le médecin sert aussi bien que la femme au foyer, le balayeur aussi bien que le chercheur ou l'employé de banque. Le service n'est pas quelque chose d'ajouté au travail humain. « Réfléchissons lentement à ce qui est au cœur de notre travail professionnel. Je vous dirai qu'il s'agit d'une seule intention : servir. Car dans le monde d'aujourd'hui, l'importance de la mission sociale de toutes les professions est évidente : même la charité est devenue sociale, même l'enseignement est devenu social »[28].

Josémaria Escrivá faisait référence au désir surnaturel de servir Dieu et les âmes qui doit régner dans le cœur de tous les chrétiens, et qui a aussi une dimension humaine : « essayer d'atteindre la perfection chrétienne dans le monde d'une manière propre, avec votre action totalement libre et responsable dans tous les domaines de l'activité citoyenne. Un service désintéressé, qui n'avilit pas, mais éduque, qui élargit le cœur, le rend romain, au sens le plus élevé du terme et conduit à rechercher l'honneur et le bien des personnes de chaque pays, afin qu'il y ait chaque jour moins de pauvres, moins d'ignorants, moins d'âmes sans foi, moins de désespérés, moins de guerres, moins d'insécurité, plus de charité et plus de paix »[29].

L'esprit de service nous conduit nécessairement à penser aux autres, à vivre cette clé anthropologique chrétienne, indiquée au n. 24 de Gaudium et spes : la personne humaine se réalise dans le don sincère de soi. C'est dans le cadre des relations sociales que s'exerce ce don de soi aux autres. « L'action de chacun de nous, mes enfants, est personnelle et responsable. Nous devons essayer de donner le bon exemple à chacun et à la société, car un chrétien ne peut pas être individualiste, ne peut pas ignorer les autres, ne peut pas vivre égoïstement, le dos au monde : il est essentiellement social, membre responsable du Corps mystique du Christ »[30].

Selon sa vision, si l'esprit de service prévaut dans la société, la transformation du monde – en étant toujours conscients des limites humaines – deviendra une réalité. « Notre travail apostolique contribuera à la paix, à la collaboration des hommes entre eux, à la justice, à la prévention de la guerre, à la prévention de l'isolement, à la prévention de l'égoïsme national et des égoïsmes personnels : parce que chacun se rendra compte qu'il fait partie de toute la grande famille humaine qui est guidée par la volonté de Dieu vers la perfection »[31]. Saint Josémaria est un maître lorsqu'il s'agit d'élargir les horizons : même si notre tâche dans la société est apparemment insignifiante ou de peu d'importance aux yeux des hommes, c'est précisément à partir de là que nous pouvons changer le monde.

Si tous les domaines de la société sont une occasion de contribuer au bien commun, de servir, il est évident que certains d'entre eux sont stratégiques. Saint Josémaria insiste particulièrement sur le service public, sur l'activité politique. « Dans tous les domaines où les gens travaillent, vous devez vous aussi être présents, avec l'admirable esprit de service des disciples de Jésus-Christ qui n’est pas venu pour être servi mais pour servir : sans abandonner imprudemment – ce serait une très grave erreur – la vie publique des nations, dans laquelle vous agirez comme de simples citoyens, ce que vous êtes, avec une liberté et une responsabilité personnelles »[32]. Et il insiste : « La présence loyale et désintéressée dans le domaine de la vie publique offre d'immenses possibilités de faire le bien, de servir : les catholiques ne peuvent pas (...) déserter ce domaine, en laissant les tâches politiques aux mains de ceux qui ne connaissent pas ou ne pratiquent pas la loi de Dieu, ou de ceux qui sont ennemis de sa Sainte Eglise »[33].

S'inscrivant dans une longue tradition de philosophie politique et de doctrine sociale, dont les représentants les plus notables sont Platon, Aristote, saint Augustin et saint Thomas, Josémaria Escrivá propose une définition de l'activité politique : « La politique, au sens noble du terme, n'est rien d'autre qu'un service visant à réaliser le bien commun de la Cité terrestre. Mais ce bien a une très grande extension et, par conséquent, c'est dans l'arène politique que sont débattues et édictées les lois de la plus haute importance, comme celles qui concernent le mariage, la famille, l'école, le minimum nécessaire de propriété privée, la dignité – les droits et les devoirs – de la personne humaine »[34].

Dans les textes classiques de philosophie politique, il est fréquent de trouver des sections consacrées aux vertus du gouvernant. Il existe de nombreux textes de saint Josémaria dans lesquels il donne une série de conseils pour bien gouverner en vue du bien commun. Par exemple, savoir distribuer les responsabilités, sans monopoliser le pouvoir en une seule personne (cf. Sillon 972) ; s'entourer de personnes savantes et morales, et non de médiocres, pour pouvoir se distinguer (cf. Sillon 968) ; prendre des décisions en écoutant ses collaborateurs, pour éviter les visions unilatérales (cf. Sillon 392) ; ne jamais juger ou parler à la légère de personnes ou de thèmes que l’on ignore (cf. Sillon 397) ; avoir la conviction que les gouvernants ne savent pas tout et doivent apprendre des autres (cf. Sillon 388).

Dans une lettre datée de 1959 et adressée aux membres de l'Opus Dei, il donnait une série d'indications qui n'étaient pas fondées sur ses idées politiques personnelles, mais sur la doctrine sociale de l'Église : « Lorsque vous devez participer à des tâches gouvernementales, efforcez-vous de dicter des lois justes, auxquelles les citoyens puissent se conformer. Agir autrement est un abus de pouvoir et une atteinte à la liberté du peuple : de plus, cela déforme sa conscience car, dans de tels cas, il a parfaitement le droit de ne pas se conformer à ces lois qui n'en ont que le nom »[35].

En même temps, il ne suffit pas de faire de bonnes lois, mais de faire bénéficier tous les citoyens du bien commun, en particulier les plus faibles : « Respectez la liberté de tous les citoyens, en gardant à l'esprit que le bien commun doit être partagé par tous les membres de la communauté. Donnez à chacun la possibilité d'élever sa vie, sans humilier les uns pour élever les autres ; offrez aux plus humbles des horizons ouverts pour leur avenir : la sécurité d'un travail rémunéré et protégé, l'accès à l'égalité de la culture, parce que cela, qui est juste, apportera de la lumière dans leur vie, changera leur humeur et facilitera leur recherche de Dieu et de réalités plus élevées »[36].

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Compassion et action

L'une des caractéristiques les plus importantes de la culture contemporaine est le rejet de tout type de discrimination. C'est quelque chose de très positif d'un point de vue chrétien, même s'il est douloureux de voir que différents groupes de personnes continuent d'être discriminés, en particulier les plus faibles ou ceux qui ont des capacités différentes. À ces groupes s'ajoutent ceux qui croient qu'il existe des vérités objectives, ou qui pensent que cette vie a un sens, ou encore ceux qui osent professer publiquement leur foi : il n'est pas rare que ces personnes – dont beaucoup de lecteurs de ce livre, je suppose – soient qualifiées de fondamentalistes, incapables de dialoguer avec ceux qui pensent différemment, ou qui constituent un danger pour la démocratie.

Récemment, un document du Saint-Siège a réaffirmé la dignité de chaque personne : « Une infinie dignité, inaliénablement fondée dans son être même, appartient à chaque personne humaine, en toutes circonstances et dans quelque état ou situation qu'elle se trouve. Ce principe, pleinement reconnaissable même par la seule raison, fonde la primauté de la personne humaine et la protection de ses droits »[37].

Afin de clarifier les éventuels malentendus sur le terme de dignité, le document explique que l'on peut distinguer quatre dimensions de la dignité : la dignité ontologique, la dignité morale, la dignité sociale et la dignité existentielle. La première dimension est la plus importante. La dignité ontologique « concerne la personne en tant que telle par le simple fait d'exister et d'être voulue, créée et aimée par Dieu. Cette dignité ne peut jamais être effacée et reste valable au-delà de toutes les circonstances dans lesquelles les individus peuvent se trouver »[38]. La dignité morale renvoie à l'exercice de la liberté par la personne humaine. Nous faisons souvent un mauvais usage de la liberté et, dans ce cas, nous nous comportons d'une manière qui n'est pas « digne » de la personne humaine. « L'histoire témoigne que l'exercice de la liberté contre la loi de l'amour révélée par l'Évangile peut atteindre des sommets incalculables dans le mal infligé à autrui. Lorsque cela se produit, on se trouve face à des personnes qui semblent avoir perdu toute trace d'humanité, toute trace de dignité. À cet égard, la distinction introduite ici nous aide à discerner précisément entre l'aspect de la dignité morale qui peut effectivement être "perdue" et l'aspect de la dignité ontologique qui ne peut jamais être annulée. Et c'est précisément à cause de cette dernière que l'on doit travailler de toutes ses forces pour que tous ceux qui ont fait le mal se repentent et se convertissent »[39].

La dignité sociale fait référence aux conditions de vie d'une personne. On peut dire qu'il y a des vies " indignes" parce que leurs conditions sociales ne respectent pas la dignité ontologique dont jouit toute personne. Parler d'une "vie indigne" « n'indique en aucun cas un jugement à l'égard de la personne, mais vise à mettre en évidence le fait que sa dignité inaliénable est contredite par la situation dans laquelle elle est contrainte de vivre »[40]. Enfin, l’expression dignité existentielle se réfère « à des situations proprement existentielles : par exemple, le cas d'une personne qui, bien que ne manquant de rien d'essentiel pour vivre, a du mal, pour diverses raisons, à vivre dans la paix, dans la joie et dans l'espérance. Dans d'autres situations, c'est la présence de maladies graves, de contextes familiaux violents, de certaines addictions pathologiques et d'autres malaises qui poussent quelqu'un à vivre sa condition de vie comme “indigne” face à la perception de cette dignité ontologique qui ne peut jamais être occultée. Les distinctions introduites ici, en tout cas, ne font que rappeler la valeur inaliénable de cette dignité ontologique enracinée dans l'être même de la personne humaine et qui subsiste en toutes circonstances »[41].

Saint Jean Paul II, dans une perspective personnaliste, a souligné que « la personne est un être pour lequel la seule dimension adéquate est l'amour »[42]. Et François d'ajouter : « L’amour implique donc plus qu’une série d’actions bénéfiques. Les actions jaillissent d’une union qui fait tendre de plus en plus vers l’autre, le considérant précieux, digne, agréable et beau, au-delà des apparences physiques ou morales. L’amour de l’autre pour lui-même nous amène à rechercher le meilleur pour sa vie. Ce n’est qu’en cultivant ce genre de relations que nous rendrons possibles une amitié sociale inclusive et une fraternité ouverte à tous »[43].

Saint Josémaria, suivant l'exemple de Jésus-Christ crucifié, disait que tout chrétien devait ouvrir grand les bras pour embrasser toutes les âmes. Il considérait que chaque personne avait une valeur infinie, car « nous valons tout le sang du Christ ». En reprenant la terminologie du document que nous venons de citer, nous pouvons affirmer que, tant dans sa vie que dans son enseignement, il a vécu avec toutes ses conséquences le respect de la dignité de la personne humaine dans ses quatre dimensions. Dignité ontologique, qui le conduisait à défendre la vie depuis la conception jusqu'à la mort naturelle, dans un apostolat constant dans un contexte culturel où la mentalité anti-vie était déjà très développée ; dignité morale, qui le conduisait à rechercher le pécheur pour le rapprocher des sources de la grâce, même jusqu'aux portes de l'enfer ; la dignité sociale, en éveillant la conscience de tous les hommes de bonne volonté pour promouvoir le développement de tous, surtout des plus pauvres, et pour atteindre un niveau de vie conforme à la dignité des enfants de Dieu ; et enfin la dignité existentielle, par son souci constant d'accompagner les personnes seules, de consoler les malades, de prêcher la paix dans la famille, etc.

L'attitude personnelle de saint Josémaria se conjuguait avec sa volonté d'inculquer à ses enfants spirituels et à tous ceux que sa prédication atteignait, la responsabilité de collaborer à la solution des problèmes sociaux. Si le premier pas est la « compassion » pour les faibles, les pauvres, les discriminés, le suivant doit être « l'action » : le chrétien, et toute personne de bonne volonté, ne peut rester inactif face à l'injustice sociale. Son amour pour le Christ, qu'il voyait dans les pauvres, l'a poussé à chercher les moyens d'inverser les situations de pauvreté et de misère de tant de personnes sur les cinq continents. Il pensait que, si elle est authentique, la vie spirituelle doit nécessairement conduire à une proximité avec les personnes souffrantes. Sinon, on tomberait dans une religiosité subjectiviste qui contiendrait un confort étranger à l'esprit du Christ.[44] « On n'aime pas la justice, écrivait-il dans une homélie dédiée à saint Joseph, si l’on n’aime pas que les autres, eux aussi, en bénéficient. Et il n’est pas juste non plus de s’enfermer dans une religiosité commode et d’oublier les besoins d’autrui. Celui qui désire être juste aux yeux de Dieu, fait tout pour que la justice se réalise parmi les hommes, non seulement pour ne pas laisser bafouer le nom de Dieu, mais aussi parce que être chrétien veut dire assumer toutes les nobles aspirations que l’on trouve dans le cœur de l’homme. En paraphrasant un texte célèbre de l’apôtre Jean, on peut dire que celui qui se dit juste envers Dieu, sans l’être envers les autres hommes, est un menteur, et que la vérité n’est pas en lui »[45].

Tout en respectant le pluralisme légitime lorsqu'il s'agit de trouver des solutions techniques pour résoudre les urgences sociales, il n'a pas manqué de rappeler qu'un élément central de l'Évangile est la prédilection pour les pauvres et les malades, qui doivent jouir des mêmes droits que les autres personnes. Au milieu du siècle dernier, il affirmait sans ambages : « En ces temps de confusion, on ne sait pas ce qui est à droite, au centre ou à gauche, politiquement ou socialement. Mais si l'on entend par gauche la réalisation d'un bien-être pour les pauvres, afin que chacun puisse satisfaire son droit de vivre avec un minimum de confort, de travailler, d'être bien soigné en cas de maladie, d'avoir des enfants et de pouvoir les éduquer, de vieillir et d'être soigné, alors je suis plus à gauche que n'importe qui d'autre. Naturellement, dans le cadre de la doctrine sociale de l'Église, et sans compromis avec le marxisme ou le matérialisme athée ; ni avec la lutte des classes antichrétienne, parce que nous ne pouvons pas faire de compromis sur ces choses »[46].

Pour saint Josémaria, les exigences de la justice sont incontournables et il faut tout mettre en œuvre pour qu'elles soient respectées. En même temps, dans sa vision sociale imprégnée de l'amour du Christ, il considérait que la justice seule ne suffit pas. « Soyez bien convaincus que vous ne résoudrez jamais les grands problèmes de l’humanité en partant uniquement de la justice. Quand on rend purement et simplement la justice, il ne faut pas s’étonner que les gens se sentent meurtris : la dignité de l’homme, qui est fils de Dieu, requiert bien davantage. La charité est une partie inhérente de la justice et doit l’accompagner. Elle adoucit tout, elle divinise tout : Dieu est amour. (...) De la stricte justice à l’abondance de la charité il y a tout un chemin à parcourir. Peu nombreux sont ceux qui persévèrent jusqu’au bout. Quelques-uns se contentent de s’approcher du seuil : ils font abstraction de la justice, se limitant à un peu de bienfaisance, qu’ils baptisent charité.(...)La charité, sorte d’excès généreux de la justice, veut d’abord que l’on accomplisse son devoir : on commence par ce qui est juste ; on continue par ce qui est le plus équitable… Mais aimer requiert une grande finesse, une grande délicatesse, beaucoup de respect, beaucoup de cordialité ; en un mot, de suivre le conseil de l’Apôtre : Portez les fardeaux les uns des autres et accomplissez ainsi la loi du Christ. C’est alors que nous vivons pleinement la charité, que nous réalisons le commandement de Jésus »[47].
Tout au long de sa vie, le fondateur de l'Opus Dei a encouragé d'innombrables initiatives au service des plus démunis : instituts de formation professionnelle, dispensaires médicaux, écoles d'agriculture, centres de formation pour les employées de maison, etc. En même temps, il n'avait pas la mentalité de l'assistanat : il fallait donner aux plus démunis les outils nécessaires pour qu'ils puissent s'en sortir par eux-mêmes, dans le respect de leur dignité. Il fallait donc leur donner une formation humaine et professionnelle, sans oublier la formation spirituelle, car hier comme aujourd'hui, comme l'a dénoncé le pape François, « la pire discrimination dont souffrent les pauvres est le manque d'attention spirituelle »[48]. Saint Josémaria lui-même disait : « Enfants de mon âme, n'oubliez pas que la plus triste des misères est la pauvreté spirituelle, le manque de doctrine et de participation à la vie du Christ »[49].

Il a également encouragé les universités et les écoles de commerce à promouvoir la responsabilité sociale et l'esprit de service, afin de mettre cette formation de haut niveau au service du bien commun. Il a cherché à faire en sorte que les personnes les plus éduquées et les plus aisées économiquement aiguisent leur sensibilité sociale, non pas tant en raison de principes de philosophie politique ou économique, mais d'une mentalité conforme aux sentiments du Cœur du Christ : « Un homme ou une société qui demeurent passifs devant les tribulations ou les injustices, qui ne s’efforcent pas de les soulager, n’est pas à la mesure de l’amour du Cœur du Christ. Les chrétiens, tout en conservant leur liberté d’étudier et de mettre en œuvre différentes solutions, en fonction d’un pluralisme légitime, doivent avoir en commun ce même désir de servir l’humanité. Sinon, leur christianisme ne sera pas la Parole et la Vie de Jésus : ce sera un déguisement, une mascarade devant Dieu et devant les hommes »[50].

Nous ne pouvons pas nous contenter de résoudre les problèmes personnels et familiaux. Ils sont prioritaires, mais ils doivent constituer la plate-forme pour nous lancer « au large » à la recherche de tous les hommes et de toutes les femmes, pour apporter le message du Christ à chacun d'eux. « L'amour du Christ, écrit saint Paul, nous presse » (2 Co 5,14). Et l'amour implique le don de soi, la sortie de soi, le don sincère. En d'autres termes, il nous pousse à nous compliquer la vie. Au Venezuela, lors d'une de ces réunions de masse qu'il tenait avec toutes sortes de personnes, répondant à une question sur l'éducation des enfants par rapport aux biens matériels, saint Josémaria leur dit :

« Je les emmènerais se promener... dans ces quartiers autour de la grande ville de Caracas. Je leur mettrais la main devant les yeux, puis je l'enlèverais pour qu'ils voient les bidonvilles, les uns sur les autres : et vous leur aurez répondu ! Qu'ils sachent qu'ils doivent faire bon usage de l'argent, qu'ils doivent savoir le gérer, afin que chacun participe d'une certaine manière aux biens de la terre. Car il est très facile de dire : je suis très bon, si l’on n’a jamais été dans le besoin. Un de mes amis, un homme très riche, m'a dit un jour : « Je ne sais pas si je suis bon, parce que je n'ai jamais eu ma femme malade, sans travail et sans un sou ; je n'ai pas eu mes enfants affaiblis par la faim, sans travail et sans un sou ; je ne me suis pas trouvé au milieu de la rue, couché sans abri… Je ne sais pas si je suis un honnête homme : qu'aurais-je fait si tout cela m'était arrivé ? Ecoutez, nous devons faire en sorte que cela n'arrive à personne ; nous devons permettre aux gens, par leur travail, de s'assurer un minimum de bien-être, d'être à l'aise dans la vieillesse et dans la maladie, de s'occuper de l'éducation de leurs enfants, et de tant d'autres choses nécessaires. Rien des autres ne peut nous être indifférent et, de notre place, nous devons veiller à promouvoir la charité et la justice »[51].

* * *

Le chrétien qui, en cohérence avec l'Évangile et bien formé à la doctrine sociale, cherche à influencer la communauté, avec responsabilité sociale, respect de la liberté d'autrui, capacité de dialogue, esprit de service et compassion active pour les plus pauvres, est un générateur de changement positif. Comme les cercles concentriques produits par une pierre jetée dans l'eau, son influence s'étendra jusqu'aux extrémités de la terre. Si ces chrétiens sont nombreux, il y aura des raisons d'espérer un monde meilleur, avec plus d'amour, de compréhension, de paix, de pardon. Ne tombons pas dans l'utopie, car la présence du mal sera toujours présente jusqu'à la fin des temps. Mais il est de notre responsabilité d'apporter notre contribution pour rendre la coexistence sociale plus chrétienne et donc plus humaine.

Il y a quelques semaines, j'ai vu sur les étagères d'une librairie de Yaoundé, la capitale du Cameroun, un livre dont le titre était : « Le pire n'est pas encore arrivé ». Comme titre, ce n'est pas très excitant. Avec les certitudes que nous donne la foi, nous pouvons affirmer que, si nous sommes fidèles à notre vocation de citoyens chrétiens au milieu du monde, le meilleur n'est pas encore arrivé. Tout dépend à la fois de Dieu et de notre correspondance libre et responsable à la grâce divine.

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[1] Lettre n° 3, 46a, in Cartas I, Edition critique et annotée de Luis Cano, Rialp, Madrid 2020.

[2] Lettre n. 3, 29b, in ibidem.

[3] Lettre n. 3, 45b, in ibidem.

[4] Pape François, Encyclique Fratelli tutti, 3-X-2020, n° 86.

[5] Lettre n. 3, 46c, in Cartas I, cit.

[6] Pape François, Encyclique Fratelli tutti, 3-X-2020, n° 67

[7] Lettre, 15-X-1948, n° 28.

[8] F. OCÁRIZ, Conférence “Elargir son cœur”, 22 janvier 2023.

[9] Amis de Dieu, 32

[10] Entretiens, 53

[11] Sillon, 313

[12] Article Las riquezas de la fe, ABC, 2-XI-1969

[13] Entretiens, 117

[14] Las riquezas de la fe, ABC 2-XI-1969

[15] Cf. A. RODRÍGUEZ LUÑO, La formazione della coscienza in materia sociale e politica secondo gli insegnamenti del beato Josemaría Escrivá, in Romana, Janvier-Juin 1991, 162-181

[16] Sillon, 275.

[17] Lettre n° 4, 3a, in Cartas I, cit.

[18] Ibid. 3c.

[19] Ibid. 4c.

[20] Ibid. 6d.

[21] Ibid. 8c.

[22] Ibid. 11a.

[23] Ibid. 12a.

[24] Ibid. 12e et 12d.

[25] Ibid. 13e.

[26] Ibid. 24b. cvd.

[27] Notes d’une réunion familiale, 15-VI-1974 (Archives Générales de la Prélature, ci-après AGP, bibliothèque, PO4, vol. II, 482).

[28] Lettre n°3, 26b.

[29] Lettre n°8, 1b, in Cartas II, édition critique et annotée de Luis Cano, Rialp, Madrid 2022.

[30] Ibid. 37d.

[31] Ibid. 38a.

[32] Ibid. 40e.

[33] Ibid. 41a.

[34] Ibid. 42a.

[35] Lettre n° 29, 52

[36] Ibid.

[37] Dicastère pour la doctrine de la foi, Déclaration Dignitas infinita sur la dignité humaine, 8-IV-2024, n° 1

[38] Ibid. n°7

[39] Ibid.

[40] Ibid. n° 8

[41] Ibid.

[42] Saint Jean Paul II, Entrer dans l’Espérance

[43] Pape François, Fratelli tutti, n° 94.

[44] Cf. SCHLAG, M., entrée Promoción y desarrollo, in Diccionario…, cit., 1026.

[45] Quand le Christ passe, 52

[46] Instruction, V-1935/14-IX-1950, note 146.

[47] Amis de Dieu, 172-173

[48] Pape François, Evangelii gaudium, 200.

[49] Lettre n° 29, 52.

[50] Quand le Christ passe, 167

[51] Notes d’une réunion familiale, 9-II-1975 (AGP, Bibliothèque, P04, 1975, vol. III, 83-84).

Mariano Fazio