Il remonte aux origines. C’est le premier arbre cité dans la Bible. Il est inscrit dans la vie des hommes au tout début de leur existence : après leur prévarication, nos premiers parents connurent qu’ils étaient nus ; ils cousirent des feuilles de figuier et se firent des pagnes [1].
Dans l’Antiquité, en Égypte comme en Grèce, la figue, nutritive et digeste, est une ressource alimentaire de base. Elle fait partie des repas avec le pain d’orge et le fromage de chèvre [2]. Elle sert aussi à engraisser le bétail et est à l’origine sémantique du « foie gras » [3].
Sèche, on la consomme toute l’année durant : riche d’oligo-éléments et de nombreuses vitamines,
constituée de sucre pour moitié de sa masse, c’est un excellent tonifiant pour les enfants, adolescents, les personnes âgées, les femmes enceintes, les sportifs, les convalescents.
S’il peut pousser sous des latitudes septentrionales, c’est tout autour de la Méditerranée que le figuier fructifie le mieux : son aire de répartition géographique s’étend de l’Afrique du Nord aux pieds du Caucase. C’est un arbre du quotidien, synonyme de subsistance, d’autant qu’il est « facile à vivre », n’exigeant pas de greffage. Il est indissociable de la vie paysanne : dans les campagnes, on plantait un figuier dans le verger à la naissance d’un enfant, pour que ses fruits participent activement à l’économie de la famille agrandie. Plutarque raconte comment Caton parvint à convaincre les sénateurs de mener une expédition punitive contre Carthage, rivale de Rome pour la suprématie en mare nostrum : il leur montra une figue, et les stupéfia en leur révélant qu’elle avait été cueillie trois jours plus tôt chez leur ennemi héréditaire. C’était assez illustrer la proximité du danger [4].
« À l’ombre bleue du figuier passent, passent les étés »
L’intuition du poète [5] nous renvoie, dans l’évangile, aux premiers échanges entre Jésus, et Nathanaël que lui présente son ami : Avant que Philippe t’appelât, quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu [6]. Le figuier était un arbre commun en Palestine. C’est là, sans doute, que Philippe vint le chercher. Le Christ le savait déjà, en raison de sa puissance divine — car Les yeux du Seigneur sont infiniment plus lumineux que le soleil (…) et pénètrent dans les recoins les plus secrets [7]. Approfondissons le sens de ce passage :
1. Pour saint Thomas d’Aquin [8]: quand tu étais sous le figuier, c’est-à-dire « à l’ombre du péché »[9], avant d’avoir été appelé à la grâce, je t’ai vu des yeux de la miséricorde; car la prédestination de Dieu à l’égard des hommes demeure, même quand ils sont dans le péché[10]. Je t’ai vu : autrement dit, je t’ai prédestiné de toute éternité. Voilà une scène semblable à celle de la vocation de saint Matthieu : sous le figuier, je t’ai vu / il vit un homme assis au bureau de douane. Qu’est-ce à dire ? « Il le vit, non pas tant avec les yeux du corps qu’avec le regard intérieur de la miséricorde »[11] et, dans sa miséricorde, il le choisit pour être son apôtre. Le pape François a reproduit ce commentaire dans sa devise : miserando atque eligendo ! En effet, « le programme de Jésus est ‘un cœur qui voit’. Ce cœur voit où l’amour est nécessaire et il agit en conséquence » Alors, « revêtu de la miséricorde, même si la condition de faiblesse du péché demeure, le pécheur est comme recouvert par l’amour qui permet de regarder plus loin et de vivre autrement »[12].
2. Pour saint Grégoire le Grand: quand tu étais sous le figuier, signifie lorsque tu vivais « à l’ombre de la Loi » car la Loi n’a que l’ombre des biens à venir[13].
Le symbolisme de l’image est éclairant : la figue, en effet, est une drôle d’espèce végétale qui semble dénuée de fleurs. Pourtant, elles existent bien, mais elles se cachent au sein de ce renflement que l’on appelle la figue. Elles tapissent l’intérieur de cet appendice en forme de poire. On peut en constater la présence lorsqu’on coupe en deux une figue non mûre. Plus tard, ces fleurs donneront naissance aux véritables fruits : les petits grains croquants contenus à foison dans la figue qui n’est en définitive, qu’un gros sac rempli de petits fruits. Par sa rondeur et sa douceur qui s’ouvrent sur cette multitude de graines, la figue ne représente-t-elle pas l’espoir de vies nouvelles en germe en elle ?
2.1. par son Incarnation, Jésus-Christ est venu instaurer la loi de la charité, une loi nouvelle qui met au centre de la rencontre avec le Sauveur, non « la justice de la loi, mais l’amour de Dieu qui sait lire dans le cœur de chacun, pour en saisir le désir le plus caché »[14]. Si donc il nous appelle à porter du fruit, un fruit qui demeure [15], c’est que possumus [16] nous le pouvons car nous sommes assurés, comme les fils de Zébédée, de son affection, et il y en nous une richesse non encore révélée : notre personnalité abrite des talents encore prisonniers de conventions mondaines ou d’habitus de commodité. Saint Jean-Paul II l’indiquait en commentant les paroles d’une chanson à succès: si può dare di più : « on peut donner davantage parce qu’il est à l’intérieur de nous. C’est très important car cela signifie que, lorsque nous nous rendons capables de donner, nous trouvons di più en nous. Et donner signifie s’enrichir. Nous nous enrichissons en donnant, en offrant (…) Il est possible d’exiger davantage de soi »[17]. L’Esprit Saint, en effet, a rempli notre timbale de baptême de charismes variés, de dons spirituels en bourgeons que nous avons la responsabilité de développer au service de Dieu, pour construire l’Église.
2.2. saint Josémaria parlait de « s’ouvrir en éventail », le pape François « d’aller aux périphéries » : des expressions analogues qui nous demandent de lutter contre la chair [18], à savoir l’être charnel en proie à son propre égoïsme qui, idolâtriquement, considère tout par rapport à lui-même : « l’esprit de l’homme, avec le péché, est comme un miroir renversé qui, au lieu de refléter Dieu, reflète en lui-même l’image de la matière informe »[19]. Mais l’Esprit Saint est en mesure de nous libérer de cette force négative radicale pour orienter notre existence selon de nouveaux critères. Car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous fut donné [20]. Et si l’Esprit vous anime, vous n’êtes pas sous la loi [21].
2.3. les fruits de l’Esprit Saint sont les perfections que forme en nous le Paraclet comme prémices de la gloire éternelle. Ils sont le produit extérieur de son inhabitation. Chez ceux qui se laissent conduire par son action, ils sont l’expression d’un chemin qui évoque l’idée de maturation. À la suite de saint Paul, la Tradition de l’Église en énumère douze : charité, joie, paix, patience, longanimité, bonté, bénignité, douceur, mansuétude, fidélité, modestie, continence, chasteté [22]. Le Magistère précise qu’à cette liste, on peut ajouter unfruit de l’Esprit « qui jaillit directement de la charité et du fait d’être fils dans le Fils »[23]. De quoi s’agit-il ? De la liberté. Pourquoi ? Parce que le Saint Esprit en est le principe actif ; il lui communique un dynamisme nouveau : poussée à suivre la loi de l’Esprit, [24] celle-ci devient capable de se détourner du mal par amour, non par crainte, et d’épouser les desseins du Seigneur [25].
Ne pas laisser l’été passer sans plus
« Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tes fidèles »
Selon le calendrier liturgique de la forme extraordinaire, l’été coïncide en grande part avec le « temps après la Pentecôte », comme pour rappeler qu’après la célébration des solennités qui suivent le Temps pascal ‒ Sainte Trinité, Fête-Dieu, Sacré Cœur ‒, l’été aussi peut être une période de croissance spirituelle, de maturation intérieure, sous l’impulsion du Paraclet. Aussi le prions-nous : « Envoie du haut du ciel un rai de ta lumière » [26]. Là encore, le figuier nous donne une leçon de choses : Voyant un figuier près du chemin, Jésus s’en approcha mais ne trouva rien que des feuilles. Il lui dit alors : jamais plus tu ne porteras de fruit ! Et, à l’instant même le figuier devint sec [27].
- Jésus et ses apôtres sont sortis tôt de Béthanie pour se rendre à la Cité Sainte[28]. Dans la lumière claire du matin, le vert feuillage de l’arbre présente tant d’attraits et de fraîcheur. Ses branches se balancent doucement au vent… sans offrir cependant les fruits espérés. La réaction du Sauveur semble brutale : frappé dans ses parties vives, l’arbre commença à se dessécher.
- Les disciples en furent saisis. D’autant que ce n’était pas la saison des figues [29]. Le Fils de Dieu n’est qu’Amour. Il est incapable de caprice. Dans tout l’évangile, c’est son seul miracle de destruction. C’est donc une parabole en action, un acte symbolique qui, par sa signification cachée, dépasse ses propres apparences : dans un arbre fruitier, les feuilles sont destinées à garantir le fruit. Par cet exemple de sa Toute-Puissance, Jésus nous met en garde contre une piété percluse de formalisme et de superficialité, sans fécondité réelle. « Le Seigneur s’approche de toi car il a faim ; et il ne trouvera en toi que des feuilles si tu ne t’es donné à Luique de manière officielle et sèche, avec une foi sans vibration ; si chez toi, il n’y a ni humilité, ni œuvres, ni sens du sacrifice; si tu n’es que façade sans t’investir dans les détails de chaque instant (…) Il nous faut être des arbres qui donnent du fruit. Nous avons pour cela les moyens surnaturels et la doctrine adéquate. Et nous pouvons, avec la grâce de Dieu et malgré notre misère, abriter en nous la vie même du Christ, une vie capable d’illuminer les autres et de les entraîner à sa suite »[30].
L’été, souvent, est un temps de démobilisation où on en vient à mettre Dieu par parenthèse. Prions le divin Paraclet de nous garder de l’abus de la liberté qui conduit à construire sa propre image dans le refus de sa condition de créature : « Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tes fidèles » car, « sans ta force, il n’est rien dans l’homme qui soit sans faute »[31].
Bertrand Cauvin, expert forestier
Abbé Patrick Pégourier
[1] Gn 3, 12.
[2] Homère décrit l’abondance que connaissent les Phéaciens et prétend que les figuiers produisent, chez ce peuple merveilleux, leurs fruits toute l’année : Odyssée, chant 7, vers 121. Hérodote raconte comment les Égyptiens farcissent leur bœuf sacrifié à Isis de figues : Enquêtes, 2, 40.
[3] Hêpar sukôton, foie engraissé aux figues, est devenu ficatum en latin, et « foie » en français.
[4] Tel est le point de départ de la 3ème guerre punique en 146 avant notre ère. Cf. Vie de Caton l’Ancien, 27.
[5] Chanson de Jean Ferrat, 1972.
[6] Jn 1, 48.
[7] Si 23, 19.
[8] Commentaire de l’évangile de st Jean, Cerf 2006.
[9] Cf. Gn 3, 12 et la parabole du figuier stérile qui tarde à donner des fruits : Lc.13, 6-9.
[10] Dieu le Père (...) nous a élus [dans le Christ] avant la fondation du monde, (...) nous ayant prédestinés à être pour Lui des fils adoptifs par Jésus-Christ : Ep 1, 4.
[11] St Bède le vénérable sur Mt 9, 9, hom. 21; ccl 122, 149-151.
[12] Lettre enc. de Benoît XVI, Deus caritas est, (2005) n° 31 b) et LA Misericordia et misera (2018) du pape François, n° 1.
[13] Moralium lib., 18, eh. PL 76, col. 70 C-D.
[14] LA op. cit. n° 1.
[15] Jn 15, 16.
[16] Mt 20, 22.
[17] Discours à des étudiants, dimanche de Pâques 19/04/1987. Chanson victorieuse au festival de San Remo 1987 : Come fare, non so non lo sai neanche tu, ma di certo si può...dare di più.
[18] Cf. Gal 5, 13. 16-18.
[19] Saint Grégoire de Nysse, La création de l’homme, XII.
[20] Rm 5, 5.
[21] Gal 5, 18.
[22] Ga 5, 22-23.
[23] Cf. Conseil de présidence du grand jubilé de l’an 2000, L’Esprit Saint remplit l’univers, chap 8 p. 114.
[24] Cf. Rm 8, 2.
[25] Cf. saint Thomas d’Aquin in 2 Co 3, 17, lect. 3.
[26] Séquence de la Pentecôte.
[27] Mt 21, 19.
[28] Cette scène a lieu le lundi saint.
[29] Mc 11, 14.
[30] Saint Josémaria Escriva, Méditation 12/10/1947 et 9/01/1956.
[31] Séquence de la Pentecôte.