Dans sa profusion, Dame Nature a orné notre terre d’amandiers sauvages à fruits amers, mais aussi d’une variété plus répandue qui donne des amandes douces.
Originaire d'Asie et depuis longtemps enraciné au Moyen Orient, cet arbre a été introduit en Europe par les Grecs de l’Antiquité qui servaient l’amande macérée dans du miel. Aussi les Romains l’appelèrent-ils la "noix grecque". À l’époque de Charlemagne, des recueils de lois mentionnent sa culture, et la dragée, amande enrobée de sucre et de miel, fait son apparition à Verdun, en 1220; depuis, elle est offerte à l'occasion de cérémonies religieuses, comme le baptême des enfants[1]. L’amande se mange aussi en praline ou en fruit déguisé dans la frangipane ou la pâte d'amande, et c'est l’un des treize desserts du Noël provençal.
L'Amandier a la particularité rare de fleurir bien avant l'apparition de ses feuilles. Il est le premier à annoncer le printemps alors que les autres arbres sont encore engourdis dans la torpeur de l’hiver. Ses fleurs, aux pétales blancs à base rosée, allient, dans une harmonie délicatement colorée, la fraîcheur, la beauté, l'élégance, et donnent à la saison qui s’avance un caractère de renouveau. Chaque rameau se voile alors complètement de blanc, à la ressemblance d’une robe de mariée, suscitant une ambiance de fête. La vie reprend avec lui : c’est l’arbre des veilleurs. D’ailleurs, la même racine, shéqed en hébreu, désigne à la fois le veilleur et l’amandier.
1. Il apparait dans la Bible comme le symbole de la vigilance du Seigneur à l’égard de son peuple : que celui-ci en vienne à l’oublier, lui reste attentionné ; qu’il traverse une période critique, lui assure son devenir. Il le fait avec une fermeté bienveillante dont la Torah rend compte en affectant la tribu de Lévi au service du Temple et du peuple de Dieu, ainsi que par l’institution du sacerdoce et du prophétisme [2] :
- dans le livre des Nombres, après avoir châtié la révolte des « fils de Coré », Yahvé demande que chaque chef de famille patriarcale place un rameau dans la Tente de la Réunion ; c’est celui d’Aaron qui fleurit : des bourgeons avaient éclos, des fleurs s’étaient épanouies et des amandes avaient mûri [3]. Ce signe du ciel vise à désamorcer le conflit et à souligner le rôle que désormais la maison de Lévi doit jouer pour le bien du Peuple élu, dans sa marche sur la voie du Salut.
- plus significatif encore est l’oracle adressé au jeune Jérémie, au principe de sa vocation, en une période trouble et dramatique du royaume de Juda : - Que vois-tu ? - Je vois une branche d’amandier [littéralement : de l’arbre veilleur] – Bien vu, car je veille sur ma Parole pour l’accomplir [4]. Et pendant quarante ans, comme en un long Carême, Jérémie se dédiera à cette Parole qu’il a reçue pour mission de prêcher. Quarante ans d’exhortations apparemment peu écoutées, au nom du Seigneur, pour conjurer l’idolâtrie, asseoir l’autorité de la Parole et ainsi éviter l’apostasie et la colère de Dieu.
2. De même qu’elles annoncent le réveil de la Nature, les fleurs d’amandier symbolisent l’espérance d’une vie nouvelle, meilleure, plus heureuse : celle de la fidélité à l’Alliance conclue avec Dieu. Aussi ont-elles été choisies pour accompagner l’Arche :
- celle-ci était le Trône visible du Dieu invisible. Elle demeurait dans le Saint des Saints du Temple, protégée par les ailes des chérubins. Elle contenait les Tables de la Loi, un peu de manne ainsi que la verge fleurie d’Aaron [5]
- et dans le Sanctuaire mitoyen, était placé le chandelier d’or à sept branches dont chacune, selon la prescription faite à Moïse par le Seigneur, portait trois calices en forme de fleurs d’amandier[6]. Dans quel but ? Pour cautionner l’accomplissement des promesses faites à Abraham, Isaac, Jacob, Moïse… en faveur des siens et, bien auparavant, juste après le péché originel, celle concernant la Femme [7] qui écraserait la tête du serpent infernal, source des malheurs de l’homme.
Notre Dame réalise la prophétie, accomplit la promesse. Formé à la tradition biblique, Luc lui applique, dans son évangile de l’enfance, le symbole de l’Arche d’alliance : il établit un parallèle entre la scène de sa Visitation dans les montagnes de Judée et le transfert de l’Arche de Dieu par le roi David à Jérusalem, pour montrer que Marie est l’Arche vivante de Dieu, l’Arche de la nouvelle Alliance[8].
L’Église, dès le début, a reconnu à Marie la maternité virginale, et le Moyen Âge son emblème dans la baguette d’Aaron qui fleurit en une nuit, « ce rameau qui n’a été ni planté, ni arrosé et qui produit une fleur sur laquelle reposent du Seigneur les sept esprits … : le Christ, fleur véritable et gloire du genre humain, où habite corporellement toute la plénitude de la divinité »[9]. Du rapprochement entre la Vierge et la fleur d’amandier est née la représentation de la « mandorle », l'amande mystique, sorte d'auréole ogivale qui encadre souvent les images de Notre Dame, espace de mansuétude, à la ressemblance de son manteau sous lequel elle abrite ses fidèles de toute condition et de tous mérites.
Sous l’abri de votre miséricorde,
Nous nous réfugions, Sainte Mère de Dieu.
Ne méprisez pas nos prières quand nous sommes dans l’épreuve.
Mais de tous les dangers, délivrez-nous toujours,
Vierge glorieuse, Vierge bienheureuse !
Bertrand Cauvin, expert forestier
Abbé Patrick Pégourier
[1] En Égypte ancienne, l’amande n’était pas cultivée comme en Palestine. Aussi constituait-elle un cadeau fort apprécié. Ainsi, quand le vieux Jacob, en période de disette, accepta d’envoyer son dernier-né avec ses frères aînés auprès de Joseph, l’intendant de Pharaon, pour acheter du blé, il leur recommanda : Dans vos bagages, prenez des meilleures produits du pays, pour les porter en présent à cet homme, un peu de baume et de miel, de la gomme adragante et du ladanum, des pistaches et des amandes (Gn 43,11).
[2] Cf. Dt 18, 1-8 ; Nb 18, 8-32 ; Jos 13, 33.
[3] Nb 17, 23.
[4] Jr 1, 11-12.
[5] Cf. Ex 25, 16 et 16, 14-16.
[6] Ex 25, 33 ; 37, 19-20. En représentant un arbre à la belle frondaison, le chandelier à sept branches (menorah) signifiait que le Sanctuaire était le lieu de la présence de Dieu qui donne vie, lumière, et procure l’abri à ses fidèles : à cet effet, ses lampes restaient toujours allumées. Flavius Josèphe commente que le chandelier rappelait le pouvoir créateur de Dieu car les sept branches représentent la lune et les planètes (cf. Antiquités juives 3, 144-6).
[7] Gn 3, 15.
[8] Lc 1, 39-56 et 2 S 6, 2-16. Dans l’Ancien Testament, l’Arche d’alliance contenait les tables de l’Alliance de Dieu, la parole de Dieu dans la pierre. Dans le Nouveau Testament, Marie porte la Parole de Dieu dans la chair.
« Dans le sein de sa mère, Jean-Baptiste danse devant l’arche de l’Alliance, comme David; et il reconnaît ainsi: Marie est la nouvelle arche de l’alliance, devant laquelle le cœur exulte de joie (…) C’est donc à juste titre que la piété chrétienne, dans les litanies en l’honneur de la Vierge, s’adresse à Elle en l’invoquant comme Foederis Arca, c’est-à-dire «arche de l’alliance», arche de la présence de Dieu, arche de l’alliance d’amour que Dieu a voulu établir de façon définitive avec toute l’humanité dans le Christ » (Benoît XVI, homélie 15/08/2011). Par son Magnificat, chez Élisabeth, Elle fait l’éloge de la miséricorde ancienne et des tendresses à venir : « Nous étions nous aussi présents dans ces paroles prophétiques de la Vierge Marie » (Pape François, Le visage de la Miséricorde § 24).
[9] Rupert de Deutz, Commentaire des Nombres 2, 4.