Le phonème « père » offre, par hasard, une assonance avec « Pierre » ; la fête des pères, à la lumière de la foi, conduit à la figure du saint père. Puisque le lieutenant terrestre du Christ exerce un « ministère d’amour » (saint Augustin, Traités sur Jean, 123, 5), le pape a le droit de s’exprimer par des gestes paternels : un baiser de paix, une accolade cordiale. Des façons chaleureuses d’évêque, parfois reconnaissantes, toujours stimulantes. Les papes saints, en embrassant, félicitent et renforcent la fidélité des siens.
« Gardez l’unité d’esprit par le lien de la paix » (Ephésiens 4, 3). Le Peuple de Dieu s’agglutine dans la charité par le lien du souffle divin ; l’Esprit Saint, selon le mystique cistercien, est l’« étreinte » resserrée, le « baiser » réciproque du Père et du Fils unique (Guillaume de Saint-Thierry, Sur le Cantique §1). Une Trinité sans fissures. L’Esprit palpite dans chaque signe de charité.
En moins de trente ans, deux papes n’ont pas hésité à serrer entre leurs bras, sous l’œil des caméras, le pasteur de l’Opus Dei, comme l’un de ses nombreux collaborateurs loyaux : Paul VI le fit avec mgr Escriva ; Jean-Paul II, avec mgr del Portillo. Les trois premiers ont été canonisés, entre 2002 et 2018 ; le dernier, béatifié en 2014. Les quatre sont vénérés publiquement dans l’Église, la mère féconde de tous.
Haut responsable au Vatican, en 1946 le futur Paul VI avait rencontré Mgr Escriva, qui venait de s’installer à Rome, ainsi que son proche collaborateur, le prêtre et ex-ingénieur Del Portillo. Mgr Montini, formé dans « l’humanisme intégral » de J. Maritain, avait bien compris le message diffusé par Escriva ; ainsi il le soutint face à certains intégrismes dans la curie romaine.
Devenu Paul VI, il lui adressa un message manuscrit (octobre 1964) et le reçut plusieurs fois en audience privée. « L’Opus Dei exprime la jeunesse pérenne de l’Église », écrivit-il, en comparant son rayonnement évangélisateur aux vaisseaux sanguins capillaires qui atteignent chaque cellule. Juste avant la fin du concile Vatican II, le pape voulut inaugurer, dans un quartier ouvrier du diocèse, une œuvre sociale qui avait été confiée à l’Opus Dei. La durée de la visite pulvérisa les prévisions du protocole ; tout se termina par une accolade d’adieux, assortie d’un éloge lapidaire : « Tout ce que j’ai vu ici c’est l’œuvre de Dieu ». Les évêques du monde entier en furent au courant.
Jean Paul II ne connut pas Escriva, mais lut ses écrits et présida successivement sa béatification (1992) et canonisation (2002). Un bis rare. À l’occasion, le cardinal Ratzinger déclarait : « Escriva n’a pas fait son œuvre, mais celle de Dieu ».
Dans l’homélie du 17 mai 1992, le pape avait salué « l’humanisme chrétien » du bienheureux ; dans le discours du lendemain, il qualifiait sa fondation d’un « grand bien pour l’Église ». Ce jour-là, le pape avait offert une audience aux pèlerins, présidés par le prélat de l’institution. L’embrassade scella la rencontre : un satisfecit de haut de gamme. Des gestes de marque. Une accolade romaine peut bien en cacher une autre.
Dix ans plus tard, il admirait « l’horizon insoupçonné » de son message, utile à tous pour l’évangélisation d’un monde blessé. Le pontife décernait au nouveau canonisé un titre inattendu : « On pourrait dire qu'il fut le saint de l'ordinaire ». Peut-être comme une voiture tout-terrain ?
L’Esprit fait aimer dans le don total de soi-même. Saint Josémaria avouait être épris par « trois amours » : le Christ, Notre Dame et le chef de l’Église (Chemin §833). Tout le ministère sacerdotal du saint prêtre gravitait autour ; son héritage reste vivant.
Ces signes d’affection invitent aujourd’hui à une responsabilité accrue. Un 23 juin, Saint Josémaria arriva à Rome ; il la quitta un 26, date de sa mémoire liturgique, pour rejoindre la Patrie ultime ; le 29, les saints Pierre et Paul brillent de tous les feux du martyre. À nous de les suivre.
Abbé Fernandez