Organisé à l’occasion du Centenaire de la naissance de saint Josémaria, un colloque universitaire s’est tenu au siège de l’Unesco, à Paris, samedi 30 novembre.
Centré sur le thème des « deux Cités » — cité terrestre, cité céleste — ce colloque se proposait d’examiner les rapports entre la foi chrétienne et la liberté personnelle. Ce thème, qui est central dans le message de saint Josémaria, a été envisagé dans toute son ampleur historique, depuis les premiers chrétiens jusqu’aux écrits de saint Josémaria, en passant par saint Augustin, le Moyen âge et l’époque moderne.
Cinq interventions de professeurs d’Université examinaient cette question en se plaçant dans le sillage du chef-d’œuvre de saint Augustin La Cité de Dieu. Le public, composé d’étudiants et d’universitaires, est venu nombreux pour écouter des conférences aussi variées que brillantes.
L’augustinisme politique est-il fidèle à la pensée d’Augustin ? Rudi Imbach, professeur à la Sorbonne, a répondu à cette question en situant d’abord La Cité de Dieu dans son cadre historique : le sac de Rome, en 410, « qui eut un effet comparable aux attentats du 11 septembre 2001 ». La réaction des païens — qui en imputèrent la faute aux chrétiens — suscita la réponse d’Augustin à travers une œuvre apologétique gigantesque : La Cité de Dieu.
Le Professeur Imbach s’est attaché à démontrer que la véritable signification des deux cités n’est pas politique. Les cités représentent les deux orientations intimes que peut prendre, en définitive, la vie de chaque homme : choisir la cité de Dieu, « Jérusalem », c’est choisir Dieu comme fin ultime, et orienter tout le reste en vue de Dieu ; choisir la cité terrestre, « Babylone », c’est au fond choisir de tout orienter par rapport à soi-même, y compris Dieu. La question à laquelle conduit l’œuvre augustinienne est alors très personnelle : quels sont mes désirs, quelle est la cité où je veux demeurer ?
La pensée d’Augustin a toujours été actuelle et vitale. Telle était la thèse de la conférence de la philosophe Blandine Kriegel, illustrée par l’influence d’Augustin sur la Réforme de Luther, mais aussi dans l’école française de spiritualité (Mabillon) et, en un sens dévoyé, dans l’œuvre du juriste allemand Carl Schmitt.
Avec Marie-Francoise Baslez, professeur d’histoire ancienne dans une Université parisienne, le public fut plongé dans l’effervescence spirituelle et apostolique de la chrétienté primitive. S’appuyant sur les travaux les plus récents en matière d’éxégèse et d’histoire, la conférencière a brillamment restitué la nouveauté et la portée du « choix de la cité » fait par les premiers chrétiens, menés notamment par saint Paul. Rompant avec la tradition dominante du judaïsme, les disciples du Christ refusèrent de se constituer en communauté séparée, close sur elle-même. C’est la cité antique qui fut d’emblée le cadre de leur vie et de leur apostolat, un apostolat conçu d’emblée aux dimensions de l’univers. Un long et profond commentaire de la fameuse Epitre à Diognète concluait l’exposé en illustrant le thème si actuel du « levain dans la pâte » qu’ont voulu être les premiers chrétiens au sens du monde antique.
Pierre Manent, spécialiste réputé de philosophie politique, a voulu montrer les tensions et les conflits auxquels fut exposée l’Eglise des deux derniers siècles, confrontée au mouvement général de sécularisation qu’a connu le monde occidental. Le défi, toujours actuel, est pour les chrétien d’accepter toutes les conséquences du système démocratique, sans renoncer à leur adhésion à un bien d’ordre supérieur, à la Vérité immuable qui est Dieu.
À la lumière de certaines erreurs du passé, évoquées par Pierre Manent, et de l’exposé de Marie-Françoise Baslez, l’intervention de Cyrille Michon prenait un sens tout particulier. Cyrille Michon s’appuyait sur l’un des derniers travaux du Professeur Xavier Guerra, décédé quelques semaines avant la tenue de ce colloque, dont il avait été l’un des inspirateurs. Xavier Guerra s’était efforcé de définir les contours de « l’imaginaire » social et politique de Josémaria Escriva, tel qu’il se dégage de la lecture de son œuvre publié. L’étude de l’occurrence de certains termes, le choix des comparaisons, des exemples privilégiés de sa prédication, a permis à Xavier Guerra de mettre en évidence le refus par Escriva d’idéaliser une époque de « Chrétienté », et l’importance, vraiment inédite, du rôle individuel de chaque chrétien. À l’écart de toute critique systématique du « monde moderne », saint Josémaria déploie au contraire toutes les virtualités dont est porteuse, pour le disciple du Christ, la société moderne.
Le monde n’a jamais été meilleur, les premiers chrétiens — nos modèles— vivaient dans un monde plus semblable au nôtre que celui du moyen-âge. Pour Josémaria, c’est l’individu qui compte. Individu face à Dieu — pas d’anonymat dans la prière — et face aux hommes — à chacun de prendre ses initiatives et de les assumer. Il insiste fortement sur l’autonomie des deux cités dont le chrétien est citoyen, en refusant le cléricalisme — instrumentalisation du laïc à des fins spirituelles — et l’instrumentalisation de l’Eglise à des fins purement temporelles. Enfin, le chrétien a un impact dans la société par son travail, quel qu’il soit : en vivant avec les hommes, dans le tissu social, il va devenir le « ferment qui fera lever la pâte ».
Une journée complète de conférences qui aura permis de voir, en fin de compte, l’actualité du message chrétien au début de ce millénaire.