Messe à Saint-Séverin (Paris, 27 mai 2017) pour la mémoire liturgique du bienheureux Alvaro del Portillo (transférée du 12 mai)
Ez34,11-16 Col1,24-29 Ps 23(22),1-6 Jn10,11-16
C’est avec joie que nous commémorons le bienheureux Alvaro del Portillo, en union de prière avec le Prélat de l’Opus Dei, Mgr Fernando Ocáriz, à Rome, et avec le Vicaire régional pour la France, Mgr Antoine de Rochebrune, absent de Paris ces jours-ci et qui m’a demandé de célébrer cette Eucharistie.
Nous sommes dans le temps liturgique qui va de la solennité de l’Ascension à celle de la Pentecôte. L’ascension du Seigneur au Ciel a rempli de joie les Apôtres (cf. Lc 24,52). La gloire du Christ leur avait été manifestée. Avec le Corps de Jésus c’était notre humanité créée qui entrait au Ciel : leur espérance s’en trouvait confortée.
En même temps, avec l’Ascension la présence sensible de Jésus disparaissait. Nous pouvons imaginer que la joie des Apôtres fut mêlée de tristesse, comme il arrive souvent dans la vie.
Mais au fond du cœur la joie prédomine. Si Jésus est parti, de manière apparemment paradoxale il est maintenant plus près de chacun d’entre nous. Comment cela ? Le Seigneur ne nous a pas laissés seuls. Il a envoyé l’Esprit Saint d’auprès du Père. L’Esprit est le don qui deviendra donateur à partir de la Pentecôte : l’Esprit fait vivre Jésus en nous et, dans le Christ, nous pouvons appeler Dieu « Abba, Père, papa » (cf. Rm 8,15 ; Ga 4,6), dans une liberté pleine de confiance, celle des enfants de Dieu. Aimons beaucoup l’Esprit Saint, plus amant qu’aimé. Lien d’Amour du Père et du Fils, c’est l’Amour subsistant incréé. On l’appelle aussi le Consolateur : il accompagne cette relative solitude de chacun de nous, mieux, il nous en fait sortir pour aller vers les autres, comme nous y invite si souvent le Pape François. Il est le « pasteur de nos âmes[1] », il est « malheureusement pour certains chrétiens le Grand Inconnu: un nom que l'on prononce, mais qui n'est pas Quelqu'un, une des trois Personnes du Dieu unique, avec laquelle on parle et dont on vit[2] ».
L’Esprit est présent dans la collecte de la messe du bienheureux Alvaro[3]. La collecte est cette prière que l’on adresse à Dieu le Père au début de la Messe, avant les lectures. Son nom signifie que nous sommes rassemblés –« colligere » en latin– et que nous unissons nos intentions, nous les condensons en quelques mots pour les présenter à Dieu le Père. Que dit cette collecte ? « Dieu, Père de miséricorde, tu as comblé le bienheureux Alvaro, évêque, d’esprit d’amour et de vérité : donne-nous de marcher sur ses pas pour servir humblement la mission de l’Église ».
Nous mentionnons l’esprit d’amour et de vérité. Or l’Esprit Saint est l’Amour subsistant, et par ailleurs c’est l’Esprit de vérité. Comme le dit saint Thomas d’Aquin, rien de vrai ne peut être dit sans l’assistance du Saint-Esprit[4]. L’Esprit est amour et vérité. Il n’y a pas d’amour sans vérité. Aimer les autres, c’est les aimer tels qu’ils sont, mais aimer c’est aussi leur dire la vérité. Et réciproquement seul l’amour peut pénétrer jusqu'à la vérité des cœurs et les comprendre. Dans nos cœurs est inscrit un profond désir de vérité. Ainsi, comme le constatait saint Augustin, il ne plaît à personne d’être trompé[5].
Or le bienheureux Alvaro del Portillo avait ce don de dire les choses à la fois clairement et avec une grande douceur. Car c’était un homme à la fois aimant et vrai. Il pouvait faire des remarques dures, quand c’était nécessaire, mais avec un sourire empreint de bonté. Quand il corrigeait, nul ne se sentait jugé ou étiqueté.
Demandons au Seigneur la grâce de faire la vérité dans la charité (cf. Ep 4,15), la grâce d’être vraiment libres pour aimer.
Quel fut alors secret de don Alvaro pour être à la fois aimant et vrai ? Je pense que ce fut l’humilité. Le bienheureux Alvaro servait « humblement la mission de l’Église », dit la collecte. Pour annoncer la vérité dans la charité, il faut se faire petit afin d’avoir un cœur qui se dilate pour aimer autrui, pour dire courageusement au prochain ce qui convient pour son bien et non pas ce que, peut-être, il aimerait entendre, et ce en le considérant vraiment comme supérieur à nous (cf. Ph 2,3).
L’humilité consiste en effet à nous abaisser. C’est la connaissance et l’acceptation de soi, c’est être détaché de notre image et du quand-dira-t-on, c’est reconnaître que tout nous est donné (1 Co 4,7), c’est découvrir dans les autres une bonté qui vient de Dieu et qui les rend aimables. C’est nous abaisser. Je me souviens d’un séjour du bienheureux Alvaro à Paris et d’une question que le lui avais posée sur un détail de la vie passée, et surtout de sa réponse accompagnée d’un sourire tranquille et presque amusé : « Je m’étais trompé ». Reconnaître nos erreurs ! L’Esprit se complaît dans notre faiblesse (cf. Rm 8,26) : plus nous sommes petits, plus il se fait grand en nous. On l’appelle le « Père des pauvres[6] » car il nous fait reconnaître notre misère personnelle et la grandeur de ce que Dieu veut accomplir en nous.
Le Christ que l’Esprit nous donne est en nous « l’espérance de la gloire » (Col 1,27). Quelle est cette gloire ? C’est l’amour de Dieu, c’est le poids irrésistible de l’amour éternel qui interpelle notre liberté. Soyons des hommes et des femmes de désir, pleins d’une espérance compréhensive pour autrui, de la petite espérance quotidienne à la grande espérance du Ciel, de cette espérance qui naît de l’amour (cf. Rm 5,5), qui croit en l’amour de Celui qui nous a aimés le premier (cf. 1 Jn 4,16.19), un amour qui veille sur nous, prend soin de nous (cf. Ez 34,11-16), dans le mystère de celui « qui donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11). J’ai été profondément marqué en 1976 lorsque j’ai vu pour la première fois don Alvaro et qu’il nous a dit que l’on pouvait dire à Dieu : « Je t’aime », car à ce moment précis on sentait qu’il était en train de le faire lui-même, de dire à Dieu son amour : de prier.
Chers amis, comment répondre à cet amour ? Seuls nous ne le pouvons pas. Les saints sont là pour nous aider : leur exemple et leur prière nous communiquent l’envie d’être petits et la capacité de le devenir, et ainsi d’aimer les autres en Dieu et de les aider en vérité.
Avant la béatification de don Alvaro en 2014, nous avons proposé à la Congrégation pour le culte divin des textes bibliques. Il fallait les choisir parmi ceux du Commun des pasteurs. Mais le Prélat de l’Opus Dei, Mgr Javier Echevarría, m’avait confié que si cela eût été possible il aurait bien aimé prendre l’évangile de Zachée. Zachée était petit de taille et il monta sur un sycomore pour voir passer le Christ. « Jésus leva les yeux et lui dit : ‘Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison’ » (Lc 19,5).
Comment voir Jésus qui passe dans notre vie ? Les saints sont ces nouveaux sycomores sur les épaules desquels nous pouvons nous hisser pour voir Jésus qui passe. Ils ne nous éloignent pas de lui, ils ne nous le cachent pas, au contraire ils nous le rendent plus proche, plus accessible. Zachée n’abandonna pas son travail, il continua à travailler, mais d’une manière nouvelle, juste, honnête et professionnelle, en restant à sa place. Sanctifier son travail et sa vie ordinaire ! C’est le message évangélique de saint Josémaria dont le bienheureux Alvaro fut un exemple et dont il se fit l’écho humble et fidèle.
Puisse le bienheureux Alvaro nous aider à être humbles. Le monde attend des chrétiens vrais et pleins de charité : que la Vierge Marie attire sur nous la grâce de l’Esprit Saint. Amen.
[1] Saint Josémaria, Quand le Christ passe, 174.
[2] Ibidem, 134.
[3] Cf. Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, Prot. 541/14, 7 octobre 2014.
[4] Cf. saint Thomas d’Aquin, STh I-II, q. 109 a.1: « "Nul ne peut dire: "Jésus est Seigneur", que sous l'action de l'Esprit Saint", nous lisons dans la Glose ambrosienne: "Tout ce qui est vrai, dit par quiconque, vient de l'Esprit Saint." Or le Saint-Esprit habite en nous par la grâce. Donc, sans la grâce, nous ne pouvons connaître la vérité ».
[5] Cf. saint Augustin, Confessions X, 23, 34, cit. par saint Jean-Paul II in Catéchèse, 13 juillet 1983.
[6] Séquence Veni, Sancte Spiritus : « Veni pater pauperum ».