Interview du prélat de l'Opus Dei, au cours du synode sur l'Eucharistie

Voici l’interview que mgr Xavier Echevarria, prélat de l’Opus Dei, a accordée au journal « La Gaceta de los Negocios » en Espagne à l’occasion du Synode sur l’Eucharistie

(Interview réalisée par Fernando Rayon)

Le siège central de l’Opus Dei se trouve au 75 via Bruno Buozzi, à Rome. La façade d’un immeuble à plusieurs étages. À l’intérieur, il abrite une série de bâtiments très différents allant de l’ancienne ambassade de la Hongrie près le Saint-Siège, très tape-à-l’œil, aux édifices aux styles variés et plus ou moins beaux. Tout un pâté de maisons clairsemé petits patios intérieurs, aux fontaines qui rafraîchissent un peu l’ensemble.

C’est dans l’une de ses cours que j’ai rencontré le prélat de l’Opus Dei. Je lui avais envoyé un questionnaire préalable qu’il me remet dès qu’il me voit, mais notre entretien se prolongera un bon moment, pendant que le photographe fait son travail. Il parle vite, sans élever la voix, avec un accent italien. Il a un regard intense. Mes premières questions portent évidemment sur le synode des évêques qui va commencer le lendemain et auquel il va participer en répondant à l’appel explicite du pape Benoît XVI.

Monseigneur, d’aucuns pensent que l’immobilisme va être la caractéristique de ce synode.

Et bien ils se trompent lourdement. Le Saint-Père tient à écouter tous les évêques du monde, les théologiens et les spécialistes qu’il a invités. Je suis sûr que l’on va y analyser des questions pouvant tous nous aider à mieux nous approcher du sacrement de l’Eucharistie et que les décisions que l’on prendra seront d’un grand secours pour l’Église universelle.

Les entretiens de Benoît XVI avec Bernard Fellay, chef de file des lefébvristes et avec Hans Kung nous ont renvoyé une image insolite du nouveau pape. Comment interpréter ces audiences ?

Nous n’avons pas beaucoup de données sur leur contenu, cependant il est clair que l’Église est toujours ouverte à tous. Le pape donne beaucoup de facilités pour que les gens s’approchent de Dieu, pour récupérer toutes les âmes pour Dieu. Ceux qui cherchent la vérité vont pouvoir le trouver.

Monseigneur, il y a quelques jours Benoît XVI a béni une statue du fondateur de l’Opus Dei au Vatican. Les relations de l’Œuvre avec ce pape vont-elles être aussi bonnes qu’avec son prédécesseur.

Il y a 150 statues à la Basilique Saint-Pierre de saints de tous les temps. Je pense que le fait que les papes bénissent ces sculptures a une grande valeur symbolique. Cela met devant nos yeux que les saints ont contribué aussi à édifier l’Église qu’ils ornent de leurs vertus. En même temps, cela veut dire que l’Église présente aux catholiques l’exemple attrayant de ces enfants fidèles.

Et pour l’Opus Dei, qu’est-ce que cela suppose ?

Pour ce qui est concrètement de saint Josémaria, sa présence en la Basilique nous montre bien que la Prélature est aussi au service de l’Église et que cet engagement-là est au cœur de tous ses fidèles.

Et le pape a béni la statue…

La bénédiction de Benoît XVI m’est allée droit au cœur. En même temps, pendant cette cérémonie je me suis mis à penser que saint Josémaria se serait dit : nous devons prendre soin des affaires courantes, des petites choses, de ce qui est caché aux les yeux du grand nombre, et ce, tous les jours, y compris les extraordinaires.

Depuis le décès du fondateur en 1975, qu’y-a-t-il de changé dans la Prélature ?

En ces 30 ans, il y a eu naturellement du mouvement : le nombre de personnes, de pays, des nouvelles tâches apostoliques s’est accru. Le contexte de l’Église et du monde a changé, lui aussi : il suffit de penser ce que le pontificat de Jean-Paul II a supposé dans tout cela. L’aspect essentiel de l’Opus Dei n’a pas bougé : l’esprit de son fondateur, les implications de l’appel à la sainteté et à l’apostolat dans la vie quotidienne, au travail professionnel, à l’exercice des devoirs communs à tous les chrétiens.

Mais, quels ont été les changements les plus importants ?

Pour me servir de votre expression, je pense que les changements les plus importants tiennent à deux événements d’une grande portée, qui se sont produits après 1975 : la configuration de l’Opus Dei en une Prélature, ce que saint Josémaria avait prévu depuis le début et la canonisation de ce saint prêtre. Ces deux jalons ont eu des conséquences incalculables dans un certain sens. Entre autres, ils ont confirmé de façon solennelle la finalité spirituelle de l’Opus Dei au sein de l’Église.

Et la canonisation, qu’a-t-elle supposé pour les membres de l’Œuvre ?

À mon avis, la canonisation a encouragé les fidèles de la Prélature à accroître leur sens des responsabilités, à raffermir leur engagement évangélisateur. Les mois qui ont précédé cet événement, et pour ce qui me concerne, je me disais que la canonisation me demandait une nouvelle résolution de conversion, de recherche de Dieu.

Cette conversion, a-t-elle quelque chose à voir avec les nouveaux apostolats dans lesquels l’Œuvre est actuellement impliquée ?

Les apostolats dépendent des besoins de l’environnement : les travaux apostoliques vont au devant des nouveaux besoins sociaux ou des âmes. Concrètement, ces dernières années nous voyons surgir de nouvelles initiatives, très variées, dans le domaine de la famille. J’ai le bonheur de recevoir de nombreuses personnes qui me parlent de leurs projets innovants : des activités de formation spirituelle pour hommes et femmes mariés, des séances d’études sur l’amour conjugal ou sur l’éducation des enfants, etc.

On a l’impression que les apostolats de l’Opus Dei misent sur la famille

Et c’est bien logique puisque la famille est une source de vie et de bonheur, elle l’a toujours été. L’on perçoit de plus en plus nettement qu’il faut cultiver la dimension familiale de notre existence parce qu’elle crée ce climat indispensable d’affection et qu’elle renforce ainsi le tissu de la société civile.

Cet apostolat de la famille, est-il spécifique à l’Opus Dei ?

À l’Opus Dei, l’apostolat se fait one to one, de personne a personne, d’ami à ami. L’efficacité de l’évangélisation ne dépend pas seulement des structures, ou des organisations. La clé réside en ce que les catholiques doivent rendre le Christ présent, aider les autres à découvrir la beauté et la vérité de sa Parole, traiter charitablement tous ceux qui nous entourent.

C’est aussi le travail évangélisateur de tous les chrétiens.

« Pour servir, servir », pour être utile, il faut se mettre au service des autres, disait fréquemment saint Josémaria. Cela peut être appliqué au travail évangélisateur de l’Église, je n’en ai aucun doute: si nous sommes au service des autres, nous serons utiles à l’Église en tant que porte-parole de l’Évangile. C’est ainsi que tout chrétien peut devenir crédible.

Votre Institution a deux cardinaux et actuellement deux évêques en Espagne, à Burgos et à Tarragone, cela vous affecte-t-il et comment ?

Avant de vous répondre, je tiens à préciser les termes de votre question, car la Prélature « n’a » ni cardinaux ni d’évêques. Le travail des cardinaux et des évêques dépend du Pape. Et pour en rajouter, au risque de paraître un peu exagéré : le verbe « avoir » est aussi inapproprié quant aux autres fidèles de la Prélature. Certes, l’on peut dire qu’une personne « appartient » à l’Opus Dei, ou qu’un diocèse « a » tant et tant de prêtres ou de fidèles. Mais, il est évident que cette appartenance n’a rien à voir avec une possession, elle n’est qu’une forme de relation.

J’accepte votre précision

Excusez-moi. J’ai tenu à préciser cela parce qu’il me semble que très souvent on parle à tort de l’Église comme d’une institution qui peut « manipuler » ses fidèles, alors qu’en réalité l’Église est un foyer où l’on circule en toute liberté. Et, dans l’Opus Dei, le premier défenseur de la liberté personnelle et de celle des autres ce fut toujours saint Josémaria.

Mais avouez que ces nominations touchent l’Œuvre quand même ?

Le fait que quelques prêtres de la Prélature soient nommés cardinaux ou évêques est une perte de bras pour les apostolats spécifiques de l’Opus Dei que nous acceptons de grand cœur parce que, ce faisant, nous servons encore une fois l’Église universelle.

À propos de liberté. La société espagnole n’est plus chrétienne, c’est un fait. Ni par ses lois, ni dans ses mœurs. Comment voyez-vous l’avenir de notre pays ?

Je mets en doute que l’on puisse assurer si formellement une chose pareille. Je pense qu’une grande partie de la société espagnole est chrétienne et que, en de nombreux secteurs, presque toute la société espagnole l’est : il suffit de penser, par exemple, aux nombreuses traditions, très enracinées et très populaires, ayant un sens éminemment religieux. Il faut aussi préciser qu’en réalité le christianisme ne tient qu’aux personnes et non à la société.

Il se peut qu’en Espagne des gens qui se disent chrétiens ne le soient pas tellement, ou ne pratiquent pas leur religion

Pour ce qui est de la foi, elle a un bel avenir devant elle. D’un côté, les catholiques nous comptons avant tout sur la grâce et sur la miséricorde de Dieu, non pas sur notre capacité humaine de persuasion. De l’autre, comme la foi est transmise par l’apostolat, le futur est entre nos mains : si nous catholiques nous nous serrons les coudes pour être cohérents, joyeux, serviables, humbles, intègres, travailleurs, si nous participons à la vie publique du pays, en y exerçant nos devoirs et nos droits de citoyens, alors l’avenir de l’Église en Espagne est plus que prometteur.

Avouez cependant que l’ambiance n’est guère chrétienne.

L’ambiance extérieure a certes son influence, mais le futur de la foi dépend surtout de la fidélité des chrétiens.

C’est sans doute bien différent de ce que vous venez de voir au rassemblement des jeunes à Cologne.

Ceux qui ont participé à cette rencontre à Cologne ont pris note que des centaines de milliers de jeunes éprouvent de vifs désirs de trouver Dieu, tout comme les personnes moins jeunes qui ont été bouleversées par cette mobilisation de tous les continents.

Mais, mis à part Cologne, avouez que le monde s’éloigne de Dieu.

En tout cas, la réponse au mal ne justifie pas les plaintes, les lamentations, elle tient à la décision humble et joyeuse d’apporter notre petit grain de sable à la construction collective du bien. J’ai encore à l’esprit une phrase chère à saint Josémaria : « semeurs de paix et de joie ». Voila la façon de procéder des chrétiens.

À propos de cette action, en Espagne d’aucuns continuent de se méfier de la présence de l’Opus Dei dans la vie publique, de sa force, de sa puissance

L’attitude de ces personnes dont vous parlez — moins nombreux que ce que l’on pourrait croire — reflète le problème dont je vous ai parlé tout à l’heure : l’approche qui consiste à voir les catholiques en général ou les fidèles de l’Opus Dei en particulier, comme des rouages d’un engrenage, des pions d’une organisation qui obéissent aveuglément à des ordres d’en haut et agissent en bloc dans le domaine de la politique. Rien n’est plus loin de la réalité. Les millions de personnes qui ont connu, de très près, l’Opus Dei en Espagne, en ses presque 80 ans d’existence, témoignent unanimement de la liberté qu’ils y ont trouvée.

Rejettent-ils alors la présence des membres de la Prélature dans les milieux politiques ?

À mon avis, dès que la liberté des catholiques dans la vie publique et politique sera mieux comprise, dès qu’on dépassera des schémas idéologiques qui appartiennent au passé ou qui sont le fait d’esprits peu ouverts, l’on comprendra mieux que les fidèles de l’Opus Dei jouissent de la même liberté que les autres citoyens, ni plus ni moins.

Croyez-vous donc que les institutions de l’Église vont jouer un rôle important dans la société ?

L’un des symptômes les plus clairs du progrès dans nos sociétés est que les droits des citoyens, de l’individu, sont de plus en plus appréciés. Les communautés humaines se forment grâce au libre exercice du vote, au paiement des impôts, au travail professionnel de plus en plus qualifié, etc. Ce sont les citoyens eux-mêmes qui prennent les décisions qui façonnent la société.

Et pensez-vous que cet individu peut s’intéresser à ce que la religion lui propose ?

Bien évidemment. Rien de plus logique ni de plus naturel que l’Église s’attache à proclamer l’Évangile parmi les laïcs, puisque c’est à eux qu’il revient, dans l’exercice de leur liberté et de leur responsabilité, d’apporter la lumière de la foi au cœur des activités humaines, de dignifier toutes les tâches nobles, de construire une société à la mesure de l’admirable dignité de la personne, créée à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Mais il se pourrait que l’individu ne tienne pas à ce que la religion peut lui apporter.

La destinée de l’Église et la destinée du monde ne sont pas opposées, ils n’empruntent pas des voies divergentes. L’une et l’autre dépendent de la responsabilité des citoyens, des catholiques, et tout spécialement des laïcs.

Je vous vois très optimiste

C’est que, par-dessus tous les avatars de l’histoire, la promesse du Seigneur assure une base solide à notre espérance : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » Ces paroles me remplissent d’un profond optimisme parce la vérité a toujours le dessus, malgré toutes les souffrances et contradictions à dépasser.