CHARISMES

1. Concept de charisme. 2. Diversité de charismes dans l’Église. 3. Le charisme fondationnel de l’Opus Dei.

1. Concept de charisme.
2. Diversité de charismes dans l’Église.

3. Le charisme fondationnel de l’Opus Dei.

Saint Josémaria a reçu de Dieu un charisme spécifique pour faire naître dans l’Église la réalité de l’Opus Dei. Il a dédié toute sa vie au service de ce charisme.

1. Concept de charisme

Le terme « charisme » vient du grec charisma (de charis : don/grâce avec le suffixe -ma qui indique en grec l'effet d'une action). Dans le Nouveau Testament, il est utilisé seize fois dans les lettres de saint Paul et une fois dans la première de saint Pierre. Par ce mot, saint Paul mentionne les grâces spéciales, accordées à certains fidèles, pour qu'ils contribuent à l'édification de l'Église. Le critère fondamental pour que les charismes soient féconds se trouve dans la charité : « J’aurais beau parler…, J’aurais beau être …, j’aurais beau avoir …, J’aurais beau distribuer …, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien » (1 Co 13, 1- 3).

La théologie scolastique, avec à sa tête saint Thomas d'Aquin, a distingué la grâce gratis data (donnée pour le bien commun), de la grâce gratum faciens (celle qui est donnée pour sauver celui qui la reçoit). Les charismes appartiennent aux grâces gratis datae. Au cours des siècles, la tendance à considérer les charismes comme des « dons extraordinaires, marquants et transitoires, reçus principalement par l'Église dans ses origines » (cfr. ROMANO, 1992, p. 424) s'est établie. Dès le Concile Vatican I - et surtout avec Pie XII - un dépassement progressif de cette position réductrice s'est initié.

Le Concile Vatican II, en vertu d'une plus grande attention à l'action de l'Esprit Saint, a particulièrement souligné le rôle des charismes dans l'Église. Ce Concile enseigne que, dans le dessein de salut du Père, l'Église « tire son origine de la mission du Fils et du Saint-Esprit » (AG, 2). Le Paraclet, « bâtit et (...) dirige [l'Église] grâce à la diversité des dons hiérarchiques et charismatiques, il l’orne de ses fruits (cf. Ep 4, 11-12 ; 1 Co 12, 4 ; Ga 5, 22) » (LG, 4). Le Concile a également reconnu que l'Esprit « distribue aussi parmi les fidèles de tous ordres, « répartissant ses dons à son gré en chacun » (1 Co 12, 11), les grâces spéciales qui rendent apte et disponible pour assumer les diverses charges et offices utiles au renouvellement et au développement de l’Église » (LG, 12). Le paragraphe consacré aux charismes se termine en disant que « c’est à ceux qui ont la charge de l’Église de porter un jugement sur l’authenticité de ces dons et sur leur usage bien ordonné. C’est à eux qu’il convient spécialement, non pas d’éteindre l’Esprit, mais de tout éprouver pour retenir ce qui est bon (cf. 1 Th 5, 12.19-21) » (LG, 12).

2. Diversité des charismes dans l'Église

Saint Paul, tout en insistant sur la « diversité des dons » (1 Co 12, 41), souligne que les charismes sont des manifestations particulières du même Esprit Saint, qui les distribue « comme il le veut, à chacun » (1 Co 12, 11). Ses lettres proposent quatre séries de charismes qui, sans prétendre à l'exhaustivité, montrent la richesse et la variété de l'action de l'Esprit (cf. 1 Co 12, 8-10 ; 1 Co 12, 28-30 ; Rm 12, 6-8 ; Ep 4,11). Le service auquel sont destinés les charismes mentionnés par l'Apôtre concerne des réalités très variées : évangélisation, enseignement, prophétie, gouvernement, guérison, don des langues et miracles. Le critère qui règle l'exercice des différents charismes est formulé dans 1 P 4, 10 : « Ce que chacun de vous a reçu comme don de la grâce, mettez-le au service des autres, en bons gérants de la grâce de Dieu qui est si diverse ».

Le thème de la variété des charismes dans l'unité de l'Église a été très présent dans les réflexions du Concile Vatican II. L'une des idées centrales du Concile est celle de la communion. Cette question est réapparue dans la lettre Communionis Notio (28-V-1992) de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dont le quatrième chapitre est intitulé « Unité et diversité dans la communion ecclésiale ». Il commence par quelques mots de Jean-Paul II : « L'universalité de l'Église entraîne d'une part la plus solide des unités et, d'autre part, une pluralité et une diversité, qui ne sont pas un obstacle pour l'unité, mais lui confèrent au contraire son caractère de "communion" » (CN, 15). La valeur positive de la variété a été soulignée par celui qui était encore le cardinal Ratzinger dans sa présentation : Les mouvements ecclésiaux et leur positionnement théologique, du 28 mai 1998. S'adressant aux évêques, il a rappelé « qu’il ne leur est pas permis de prétendre de quelque manière à l’uniformité absolue dans les organisations et les programmes pastoraux. Ils ne devraient pas mettre leurs propres projets pastoraux à un niveau supérieur à celui des œuvres de l’Esprit Saint : pour des raisons de planification, il peut arriver que les Églises se rendent impénétrables à l’Esprit de Dieu, énergie qui les fait vivre. Il n’est pas légitime de prétendre que tout doit s’intégrer dans une organisation unique ; il vaut mieux moins d’organisation et plus d’Esprit Saint ! ».

Parmi les différents dons charismatiques, le Concile parle de ce qu’on appelle « grâces d'État », données aux fidèles pour les aider à vivre leur propre vocation-mission dans l'Église, ainsi que d'autres charismes liés à certains ministères et/ou sacrements, le charisme du célibat ou de la virginité, et d'autres dons avec lesquels l'Esprit Saint permet à certains fidèles d'accomplir des missions particulières au service des âmes. « Mais le même Esprit Saint ne se borne pas à sanctifier le Peuple de Dieu par les sacrements et les ministères, à le conduire et à lui donner l’ornement des vertus, il distribue aussi parmi les fidèles de tous ordres, « répartissant ses dons à son gré en chacun » (1 Co 12, 11), les grâces spéciales qui rendent apte et disponible pour assumer les diverses charges et offices utiles au renouvellement et au développement de l’Église » (LG, 12). « Les charismes − signale le catéchisme de l'Église Catholique − sont à accueillir avec reconnaissance par celui qui les reçoit, mais aussi par tous les membres de l’Église. Ils sont, en effet, une merveilleuse richesse de grâce pour la vitalité apostolique et pour la sainteté de tout le Corps du Christ » (CEC, 800).

Au sein de cette variété de charismes, on peut dégager quelques grandes lignes qui se développent autour des trois différentes manières dont les fidèles participent à la mission de l'Église : la sécularité propre des laïcs, la ministérialité des pasteurs, et la « tension eschatologique » des consacrés. Au fil des siècles, la réflexion théologique sur la vie religieuse et, dans une large mesure, la vie sacerdotale, ainsi que sur les tâches et les charismes qui s'y rapportent, s'est particulièrement développée. La vie spirituelle des fidèles laïcs était beaucoup moins développée. Et c'est précisément au service de sa vocation-mission ecclésiale que se situe le charisme reçu par le fondateur de l'Opus Dei.

Saint Josémaria a souvent rappelé l'importance de la docilité à l'action de l'Esprit, en exhortant à la prière personnelle, dans laquelle Ses inspirations sont perçues et accueillies. Ainsi, il sera possible « [d’] être sensibles à ce que l'Esprit divin réalise autour de nous et en nous, aux charismes qu'Il distribue, aux mouvements et aux institutions qu'Il suscite, aux résolutions et aux décisions qu'Il fait naître en notre cœur » (QCP 130). « C'est Lui qui nous pousse à adhérer à la doctrine du Christ et à l'assimiler en profondeur. C'est Lui qui nous éclaire, nous rend conscients de notre vocation personnelle et nous donne la force de réaliser tout ce que Dieu attend de nous. Si nous sommes dociles au Saint-Esprit, l'image du Christ se formera sans cesse davantage en nous » (QCP 135).

Saint Josémaria a vu très clairement que les charismes que chacun reçoit doivent être vus avec une profondeur et un sens ecclésiaux, ce qui lui a aisément permis d'aimer tous les charismes dans l'Église tout comme la liberté des chrétiens, fuyant toute attitude exclusiviste. En même temps, il a souligné que les charismes, qui présupposent la fidélité et l'humilité, exigent la correspondance et mettent en jeu les capacités humaines au service de ce que Dieu demande, c'est pourquoi il a dit qu'il ne faut pas être « féru de miracles » (C 583) et a mis en garde contre la tentation d'être « charismatiques sans doctrine » (Entretiens 2).

3. Le charisme fondationnel de l'Opus Dei

La vie de saint Josémaria fut marquée de manière radicale par un événement surnaturel survenu le 2 octobre 1928. Dès ce jour, il mit toutes ses forces au service de la mission que le Seigneur lui avait confiée par une « illumination sur toute l'Œuvre » (Notes intimes, n.306 : AVP, I, p. 293), comme il en a lui-même témoigné. Dans cette lumière, il vit l'essence de l'Œuvre telle que Dieu la voulait à travers les siècles : un phénomène pastoral et apostolique destiné à promouvoir la sainteté parmi les chrétiens ordinaires, pour qui le travail et les occupations ordinaires deviendraient un moyen de sanctification. Une lumière qui lui a permis de voir la grandeur et les exigences de la vocation chrétienne, vécue dans les entrailles de la société et − de manière particulière − dans le travail professionnel.

Cette illumination a acquis de plus grandes nuances et connu des approfondissements avec d'autres lumières que saint Josémaria a reçues dans les années qui suivirent. Les plus importantes, aux dates suivantes : le 14 février 1930, lorsque Dieu lui fit comprendre que ce message devait aussi se répandre parmi les femmes ; le 7 août 1931 (alors fête de la Transfiguration), quand, pendant la Sainte Messe - lors de l'élévation de la Sainte Hostie - lui vint à l'esprit une phrase de l'Écriture « et ego si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad me ipsum » (Jn 12, 32), et qu'il comprit « que ce seraient les hommes et les femmes de Dieu, qui élèveraient la Croix avec les doctrines du Christ au sommet de toute activité humaine... Et j'ai vu le Seigneur triompher, attirant toutes choses à Lui » (Notes intimes, nos 217 et 218 : AVP, I, p. 381) ; le 16 octobre 1931, où il fait une profonde expérience de la filiation divine qui, selon ses propres mots, allait constituer « le fondement de l'esprit de l'Opus Dei » (QCP 64) ; et le 14 février 1943, lorsque la présence du ministère sacerdotal dans l'Opus Dei s'est trouvée configurée institutionnellement à travers la Société Sacerdotale de la Sainte Croix.

La valeur du charisme reçu par saint Josémaria peut être mieux comprise si l'on garde à l'esprit que, pendant de nombreux siècles, l'idée s'était répandue que la sainteté exigeait de s'éloigner des réalités temporelles, pour embrasser l'état religieux, défini comme un « état de perfection ». Selon ce schéma, on pensait − inconsciemment du moins − que les laïcs ne pouvaient pas aspirer à une véritable plénitude de vie chrétienne, mais seulement à une sainteté d'un rang inférieur. Cette position était en contradiction avec le fait que toute l'Église est un « peuple messianique » qui « a le Christ pour chef », qui pose comme condition « la dignité et la liberté des enfants de Dieu, dans le cœur de qui, comme dans un temple, habite l’Esprit Saint » (LG, 9), et dans laquelle tous les fidèles sont appelés à « la même sainteté », en la cultivant dans les multiples sortes de vie et d'occupations (cf. LG 31).

Dans l'un de ses premiers écrits, saint Josémaria fait remarquer que « lorsque Dieu Notre-Seigneur projette une œuvre en faveur des hommes, Il pense d'abord aux personnes qu'Il doit utiliser comme instruments... et Il leur communique les grâces appropriées » (Instruction, 19 -III-1934, n.48 : AVP, I, p. 576). Ces paroles, adressées aux premiers fidèles de l'Opus Dei, s'appliquent pleinement à sa personne et à sa mission. Comme fondateur, il avait reçu des lumières, un charisme, qui le faisaient pénétrer dans le mystère du Christ avec une profondeur particulière, montrant fortement les traits et les implications de l'esprit qu'il devait transmettre. Le charisme fondateur − dont nous avons brièvement rappelé le noyau − lui a permis de valoriser concrètement et d'une manière particulière dans le mystère du Christ ces aspects qui éclairent l'existence des chrétiens immergés dans les réalités séculières. En bref, il s'agit de s'identifier au Christ en tant que :

- Fils du Père, en contemplant avec amour toutes les choses qui sont sorties des mains de Dieu le Père Créateur, et accomplissant chaque chose - y compris le travail − dans l'esprit de la filiation divine et, par conséquent, avec toutes ses caractéristiques : foi, espérance, charité, paix, sérénité, joie...

- Verbe incarné, en révélant à la lumière de son Incarnation la valeur des réalités terrestres.

- Fils du charpentier, en suivant l'exemple de sa vie avec laquelle Il a révélé la valeur rédemptrice de la vie et du travail ordinaires.

- Prêtre (médiateur entre Dieu et les hommes), en transformant tout en une offrande agréable à Dieu en vertu de la participation à son sacerdoce.

- Apôtre (envoyé) du Père, en reconnaissant le chrétien comme apôtre avec la mission de transformer de l'intérieur toutes les réalités temporelles, de sanctifier le monde comme levain dans la pâte.

L'intégration de ces divers aspects dans une unité de vie profonde, où la contemplation et l'action, la vie intérieure et l'apostolat convergent et s'unissent, peut aussi être considérée comme faisant partie du charisme fondateur. Saint Josémaria l'a décrit de manière synthétique : « Unir le travail professionnel à la lutte ascétique et à la contemplation − quelque chose qui peut sembler impossible, mais qui est nécessaire, pour aider à réconcilier le monde avec Dieu − et faire de ce travail ordinaire un instrument de sanctification personnelle et d’apostolat. N'est-ce pas un grand et noble idéal, pour lequel il vaut la peine de donner sa vie ? » (Instruction, 19 mars 1934, n.33 : AGP, série A.3, 90-1-1).

En même temps, saint Josémaria a compris que le charisme reçu demandait à être vécu naturellement, et qu'il ne devait pas dispenser de l'effort d'acquérir une solide formation chrétienne et d'exercer les vertus humaines, parmi lesquelles se détachait l'assiduité. Ces aspects ont une importance particulière dans une spiritualité radicalement laïque comme celle qu’il a promue.

Ce charisme fondateur a été la racine d'un vaste phénomène pastoral qui, depuis lors, s'est développé et a donné naissance à l'Opus Dei comme « petite portion de l'Église ». Dès son origine (double mission du Fils et de son Esprit), dans l'Église tout est pour la mission. Par conséquent, dans ce charisme, deux dimensions peuvent être distinguées : un message et une communauté ecclésiale animée au service de ce message. Les deux dimensions − prophétique et institutionnelle − sont si intimement liées qu'elles constituent un seul événement divin, perçu par saint Josémaria « dans sa totale unité et mis en pratique dans un seul mouvement de son esprit » (RODRÍGUEZ, « L'Opus Dei comme une réalité ecclésiologique », in OIG, p. 37).

Il convient également de souligner la fermeté avec laquelle saint Josémaria a su non seulement vivre ce charisme, mais aussi le défendre d'éventuels malentendus et le transmettre. En témoigne le long et complexe itinéraire juridique de l’Œuvre, animé par son extrême fidélité à la lumière reçue de Dieu en 1928 et par sa volonté d'être en cohérence avec cette inspiration originelle qui déployait peu à peu ses potentialités. La nouveauté du charisme l'obligeait à ouvrir et à dessiner de nouvelles voies juridiques, en comptant toujours sur l'autorité de l'Église, conscient que ce n'est qu'en elle « qu'il y a une garantie de vérité, et ce n'est que dans et par l'Église que toute mission chrétienne concrète peut atteindre son objectif. » (CMI, p. 15).


Thèmes connexes : Formation : Considération générale ; Église.

Bibliographie : AVP passim ; Antonio Aranda "Le bouillonnement du sang du Christ". Étude sur le christocentrisme du bienheureux Josémaria Escriva, Madrid, Rialp, 2001 ; Arturo CATTANEO La varietà dei carismi nella Chiesa una e cattolica, Cinisello Balsamo, San Paolo, 2007 ; Fabio CIARDI I fondatori uomini dello Spirito. Per una theologia del charisma di fondatore, Rome, Città Nuova, 1982 ; José Luis ILLANES La sanctification du travail. Le travail dans l'histoire de la spiritualité, Madrid, Palabra, 2002 rev. et act. ID., "Données pour la compréhension historico-spirituelle d'une date", CCEDEJ, VI (2002), pp. 105-147 ID. Existence et monde chrétiens. Jalons pour une réflexion théologique sur l'Opus Dei Pampelune, EUNSA, 2003 ; Ramiro PELLITERO, « Carisma », in César IZQUIERDO (dir.) - Jutta BURGRAFF - Félix María AROCENA Dictionnaire de Théologie, Pampelune, ​​EUNSA, 2006, pp. 115-121 ; Antonio ROMANO, « Carisma », in Ermanno ANCILLI - Pontificio Istituto di Spiritualità del Teresianum (eds.) Dizionario Enciclopedico di Spiritualità, Rome, Città Nuova, 1992, pp. ID 422-430. I fondatori profezia della storia. La figura e il carisma dei fondatori nella riflessione teologica contemporanea, Milano, Ancora, 1989 ; Antonio SICARI Gli antichi carismi della Chiesa. Per una nueva collocazione, Milano, Jaca Book, 2002 ; Albert VANHOYE, « Carisma », in Pietro ROSSANO et al. (éds.) Nouveau Dictionnaire de Théologie Biblique, Madrid, San Pablo, 2001, pp. 282-288.

Arturo CATTANEO