Conférence, Saragosse, 27 mars 2025
EUCHARISTIE ET SACERDOCE
En cette célébration du centenaire de l'ordination sacerdotale de saint Josémaria, je m'arrêterai principalement sur quelques-uns de ses textes portant sur certains aspects de la relation entre le sacerdoce et l'Eucharistie. Ce sont des textes qui, en plus de leur contenu doctrinal, expriment aussi l'expérience vivante de son âme sacerdotale.
J'examinerai d'abord le sacerdoce en tant qu'ordonné à l'Eucharistie, puis l’importance de celle-ci dans la sanctification du prêtre, et enfin son rôle dans la mission pastorale que le prêtre est appelé à remplir.
Sacerdoce pour l'Eucharistie
L'Eucharistie, et plus précisément le Sacrifice eucharistique, est au centre de la vie chrétienne. Saint Josémaria l'a résumé par l'expression « centre et racine », par exemple dans le texte suivant de l'une de ses lettres : « Je vous ai toujours enseigné, mes très chers filles et fils, que la racine et le centre de votre vie spirituelle est le Saint Sacrifice de l'Autel, dans lequel le Christ Prêtre renouvelle son Sacrifice sur le Calvaire, en adoration, honneur, louange et action de grâces à la Très Sainte Trinité »[1].
Cette idée était si profondément ancrée dans son cœur et dans son âme qu'il l'a souvent répétée verbalement et par écrit[2]. En même temps, il ajoutait que « si, pour chacun de nous, [le Sacrifice eucharistique] est le centre et la racine de la vie chrétienne, il doit l'être tout spécialement pour la vie du prêtre »[3].
Saint Josémaria a dû se réjouir que, des années plus tard, un texte du concile Vatican II aussi important que le décret Presbyterorum Ordinis parlant de la relation entre le sacerdoce et l'Eucharistie, utilise la même expression pour affirmer que le sacrifice eucharistique est « le centre et la racine de toute la vie du prêtre »[4].
a) Centre et racine de la vie du prêtre
En effet, il est logique d'insister sur ce point dans le cas du prêtre. Comme l'a écrit Benoît XVI, « le lien intrinsèque entre Eucharistie et Sacrement de l'Ordre découle des paroles mêmes de Jésus au Cénacle : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19). En effet, Jésus, à la veille de sa mort, a institué l'Eucharistie et fondé en même temps le sacerdoce de la Nouvelle Alliance (...) Personne ne peut dire « ceci est mon corps » et « ceci est la coupe de mon sang » si ce n'est au nom et en la personne du Christ, unique souverain prêtre de la nouvelle et éternelle Alliance (cf. He 8-9) »[5].
Le pape François a souligné que cette identification au Christ prêtre s'étend à toute la vie du prêtre. « Il ne peut pas dire : « Prenez, et mangez-en tous : ceci est mon Corps livré pour vous », et ne pas vivre le même désir d’offrir son propre corps, sa propre vie, pour le peuple qui lui est confié »[6].
Cette transformation profonde du prêtre est intimement liée à l'Eucharistie. Saint Josémaria l'a commenté dans une homélie : « le sacrement de l'Ordre confère au prêtre la possibilité effective de prêter à Notre Seigneur sa voix, ses mains, tout son être ; c'est Jésus-Christ qui, dans la Sainte Messe, change, par les mots de la consécration, la substance du pain et du vin en son Corps, son Âme, son Sang et sa Divinité »[7].
b) Dignité et faiblesse
A partir de ces considérations sur le rapport entre sacerdoce et Eucharistie, on comprend que l'Eucharistie est à la fois le centre vers lequel tout converge et, inséparablement, la racine de cette convergence. Elle est le centre, car si c'est Dieu qui attire tout et tous à Lui dans le Christ, l'Eucharistie est le lieu où s'accomplit l'offrande du monde au Père, par le Christ, avec Lui et en Lui. En même temps, « Le Christ en personne se place dans les mains des prêtres, qui deviennent ainsi des dispensateurs des mystères — des merveilles — du Seigneur (1 Co 4, 1) »[8].
Une action supérieure est-elle possible sur terre ? L'action la plus propre au Christ, Grand Prêtre miséricordieux et fidèle, médiateur de la nouvelle alliance (cf. He 2,17 et 9,15), reste entre les mains de sa créature. C'est par lui que le culte d'adoration s'élève vers le Père, et par lui que les dons divins parviennent aux fidèles.
C'est ainsi que le Concile Vatican II l'exprime : pour les prêtres « c’est dans le culte (...) eucharistique que s’exerce par excellence leur charge sacrée : là, agissant en la personne du Christ et proclamant son Mystère, ils réunissent les vœux des fidèles au sacrifice de leur Chef (...), [le] Christ s’offrant une fois pour toutes à son Père en victime immaculée (cf. He 9, 11-28) »[9].
L'on comprend alors que le centre de la vie du prêtre ne puisse être que celui-ci. De plus, on peut dire que la Sainte Messe constitue la fin principale de l'ordination, l'acte dans lequel « tout le ministère sacerdotal trouve sa plénitude, son sens, son centre et son efficacité »[10].
Certes, la dignité du sacerdoce se trouve dans la conscience que chaque prêtre a de sa propre indignité, et cela constitue en soi le premier motif pour s'efforcer de vivre étroitement uni au Seigneur[11]. Dans la célébration de l'Eucharistie elle-même, les prières que le prêtre récite en secret et dans lesquelles il s'adresse au Seigneur en son nom propre l'aident, comme le rappelle le Missel, à prendre conscience de sa mission et donc à l'accomplir avec plus d'attention et de piété. Ces prières ont généralement un caractère pénitentiel et se trouvent à des moments clés de la célébration eucharistique : avant la proclamation de l'Évangile, à la fin de l'Offertoire et pour se préparer à entrer dans la grande Prière Eucharistique, au moment où il se prépare à recevoir le Corps et le Sang du Christ.
Le prêtre est conscient que, par la grâce qu'il reçoit lors de son ordination et par l'action de l'Esprit Saint dans l'Église, en s'approchant de l'autel, ce n'est pas lui qui se prépare à célébrer le culte du Père, mais le Christ lui-même qui, en lui, « renouvelle sur l'autel le divin sacrifice du Calvaire »[12]. Le geste extérieur de revêtir les ornements sacerdotaux rappelle cette vérité au célébrant. En effet, en revêtant ces ornements, il rend manifeste l'événement intérieur et la tâche qui en découle : revêtir le Christ, se donner à Lui comme Il s'est donné pour nous. Les ornements ne sont pas des signes de pouvoir ou de supériorité : ce sont des symboles qui rappellent à tous – et en premier lieu aux prêtres eux-mêmes – qu'ils n'agissent pas maintenant en tant que personnes privées, mais in persona Christi et aussi in persona ecclesiae. De cette façon, les vêtements sacrés rappellent également que les célébrants ne sont pas maîtres, ni de la célébration ni de la communauté, mais serviteurs.[13]
c) Eucharistie et autres fonctions sacerdotales
La centralité de l'Eucharistie dans la vie du prêtre n'empêche pas d'affirmer, comme le fait le Décret Presbyterorum Ordinis, que les prêtres « ont pour premier devoir d’annoncer l’Évangile [du Christ] à tous les hommes »[14]. Non seulement parce que la prédication de l'Évangile précède chronologiquement la célébration de l'Eucharistie, mais aussi et surtout parce que la prédication conduit à l'Eucharistie, et que de l'Eucharistie – du Christ qui se donne à l'Église – elle tire sa force d'être parole de vie éternelle (cf. Jn 6,68)[15]. En effet, comme nous le verrons plus loin, toute l'activité du prêtre découle de l'Eucharistie comme de sa source la plus intime. La célébration de l'Eucharistie n'est pas l'unique fonction du prêtre, mais il est compréhensible qu'elle soit sa mission principale et la plus constitutive, notamment parce qu'en elle se résument tous les mystères de la foi chrétienne.
Eucharistie et sanctification du prêtre
Si l'on considère ce qu'est l'Eucharistie, on comprend que saint Josémaria ait écrit : « Le sacerdoce, en raison des fonctions sacrées qui lui reviennent, exige plus qu'une vie honnête : il exige une vie sainte chez ceux qui l'exercent, constitués – comme ils le sont – en médiateurs entre Dieu et les hommes »[16].
a) L'Eucharistie et la conformation au Christ
Dans la configuration au Christ Tête, propre au ministère ordonné, le décret Presbyterorum Ordinis affirme que pour les prêtres, « ce qui ordonne leur vie à la perfection, ce sont leurs actes liturgiques de chaque jour, c’est leur ministère tout entier, exercé en communion avec l’évêque et les autres prêtres »[17].
Le Sacrifice eucharistique, dans lequel il exerce sa mission ou sa fonction principale, est en même temps pour le prêtre – comme pour tout chrétien – le principal moyen de sanctification, d'identification au Christ. Selon Benoît XVI, « si elle est vécue avec attention et avec foi, la [Sainte] Messe est formative dans le sens le plus profond du terme, en tant qu'elle promeut la conformation au Christ et qu'elle affermit le prêtre dans sa vocation »[18].
Cet aspect profondément formatif de la célébration elle-même est logique si l'on garde à l'esprit que « les paroles et les rites de la Liturgie constituent aussi l’expression fidèle, mûrie au long des siècles, des sentiments du Christ, et ils nous apprennent à avoir les mêmes sentiments que les siens ; en conformant notre esprit à ces paroles, nous élevons nos cœurs vers le Seigneur »[19]. La Sainte Messe devient ainsi une école de vie.
D'autre part, l'identification au Christ dans la célébration elle-même conduit parfois à ce que « le Seigneur fasse découvrir à chacun de nous ce qu’il doit améliorer, quels sont les défauts qu’il doit déraciner, et quel doit être notre comportement fraternel avec tous les hommes »[20].
Ainsi, dans la célébration et de diverses manières, l'existence du prêtre devient une existence eucharistique. Non seulement parce qu'il se nourrit de l'Eucharistie et que sa célébration est l'acte central de sa vie, mais aussi parce que, en tout, le prêtre vit dans la même attitude que celle avec laquelle le Christ se fait nourriture pour ses semblables.
b) De la Trinité pour amener le monde à la Trinité
En élargissant notre regard, nous comprenons que dans la rencontre avec le Christ dans l'Eucharistie, nous recevons « le don même de la Trinité à l'Église »[21]. En effet, la Sainte Messe est l'action dans laquelle l'amour de la Trinité se manifeste le plus pleinement. Saint Josémaria l’explique : « dans la Messe, nous invoquons constamment le Père. Le prêtre est un représentant du Prêtre éternel, Jésus-Christ, qui est, en même temps, la Victime. Et l’action de l’Esprit Saint, à la Messe, n’est pas moins ineffable, ni moins certaine. Par la vertu de l’Esprit Saint, écrit saint Jean de Damas, s’effectue la conversion du Pain en Corps du Christ »[22]. Dans l'Eucharistie, la personne humaine est divinisée et de l'Eucharistie jaillit la joie, fruit de l'Esprit Saint, qui caractérise l'existence chrétienne.
L'Eucharistie est donc la réalité autour de laquelle s'articule la vie spirituelle du prêtre : elle en est la racine et le centre, la source et l'anticipation sacramentelle de son but définitif. Cette centralité et cette radicalité donnent au chrétien, et en particulier au prêtre, la capacité de transformer toute activité quotidienne en culte à Dieu. C'est un enseignement sur lequel saint Josémaria a insisté, surtout lorsqu'il s'adressait aux simples fidèles, avec un travail au milieu du monde, car il concerne tous ceux qui participent au sacerdoce du Christ, qu'il s'agisse du sacerdoce commun ou du sacerdoce ministériel.
Le prêtre est conscient d'avoir été choisi parmi ses sœurs et ses frères pour présenter au Père l'offrande de l'Église, que le Christ lui-même assume et fait sienne. En ce sens, saint Josémaria s'est efforcé de faire de la journée une Messe, en veillant à ce que cet acte de culte déborde, comme il l'a lui-même enseigné, dans les oraisons jaculatoires, dans les visites au Saint-Sacrement, dans l'offrande de son travail et de ses relations quotidiennes.[23]
c) Don et tâche
Que l'Eucharistie soit effectivement le centre et la racine de la vie du prêtre n'est pas seulement un don, mais aussi une tâche personnelle de correspondance à ce que l'on a reçu de Dieu. Saint Jean-Paul II a écrit dans l'une de ses lettres du Jeudi saint aux prêtres : « Célébrons toujours avec ferveur la sainte Eucharistie. Restons souvent et longuement en adoration devant le Christ Eucharistique. Mettons-nous, en quelque manière, « à l'école » de l'Eucharistie »[24].
Les détails dans lesquels peut se manifester le désir de prendre soin de la Sainte Messe sont innombrables, aussi créatifs que peut l’être la capacité d'aimer d'une personne. L'important est de ne pas perdre de vue que, comme le prêchait saint Josémaria, « la vie liturgique est une vie d'amour ; amour de Dieu le Père, par Jésus-Christ dans l'Esprit Saint, avec toute l'Église »[25]. Cet amour n'est pas une réalité abstraite, mais une réalité très concrète : incarnée. Le fondateur de l'Opus Dei aimait à répéter que « nous devons être très humains, sinon nous ne pourrions pas non plus être divins »[26]. Et il l'expliquait de manière très éloquente : « Mais notez bien que Dieu ne nous dit pas : au lieu de votre cœur, je vous donnerai la volonté d’un pur esprit. Non. Il nous donne un cœur, et un cœur de chair, comme celui du Christ. Je n’ai pas un cœur pour aimer Dieu et un autre pour aimer autrui, en ce monde. C’est avec le même cœur qui m’a fait aimer mes parents et qui m’a fait aimer mes amis que j’aime le Christ, le Père, l’Esprit Saint et Sainte Marie »[27].
L'amour du prêtre pour la Sainte Messe, l'effort pour lui donner la centralité qui lui correspond objectivement, peut s'exprimer de mille façons différentes. Par exemple, saint Josémaria avait l'habitude de diviser la journée en deux parties : la première moitié pour rendre grâce pour la Communion, et l'autre moitié pour se préparer en vue du lendemain.
Un autre aspect sur lequel je voudrais m'arrêter est son invitation récurrente à célébrer l'Eucharistie dans le calme. Cette suggestion est très actuelle dans ce monde marqué par la distraction et la précipitation. Sur un ton très personnel, il confiait à un groupe de prêtres ce qu'il avait récemment vécu lors d'une cérémonie universitaire : « Alors que ce n'était pas mon tour de parler, je pensais beaucoup à l'amour des prêtres pour Notre Seigneur, et à la façon dont nous ne savons pas le montrer parce que nous sommes presque toujours pressés. Trop ! Les amoureux ne sont pas pressés. Regardez comment ils se tiennent compagnie une fois et une autre... Ils ne se décident pas à se séparer ». Puis il les encourageait : « Célébrez la Sainte Messe calmement, faites-les attendre ! Alors nous ferons un travail splendide, si nous savons ne pas être pressés, parce que vraiment, in persona Christi, nous accomplissons une tâche sacerdotale profonde »[28].
d) Accompagner le Seigneur dans le tabernacle
Outre la célébration de la Sainte Messe, au cours de laquelle la relation personnelle du prêtre avec l'Eucharistie se réalise de manière particulière, la présence permanente du Christ dans le Tabernacle est un rappel constant pour donner à toute la vie une orientation eucharistique précise.
Pour le prêtre, l'Eucharistie est une présence vivante qui console et donne de la force. Comme l'a écrit saint Jean-Paul II, « Nombreux sont les prêtres qui, au cours des siècles, ont trouvé en elle le réconfort promis par Jésus le soir de la dernière Cène, le secret pour vaincre leur solitude, le soutien pour supporter leurs souffrances, l'aliment pour reprendre le chemin après chaque découragement, l'énergie intérieure pour confirmer leur choix de la fidélité »[29].
Dans la biographie de saint Josémaria, les longs moments passés en prière, le soir, devant le Tabernacle de la Redonda, marquent déjà son adolescence à Logroño. Maintenant que nous sommes à Saragosse, il est impossible de ne pas se rappeler les nuits qu'il passait en prière sur l'une des tribunes donnant sur le chœur de l'église du Séminaire de San Carlos. Il a conservé cette même dévotion au fil des ans et l'on sait comment il a encouragé le culte eucharistique à une époque où, en de nombreux endroits, la foi de l'Église était remise en question.
Lors d'un de ses voyages en Amérique, il recommanda aux prêtres de tenir souvent compagnie au Saint-Sacrement. Il voulait accroître la piété eucharistique de tous et leur fit remarquer que « sans le faire parce que les gens de votre église, les paroissiens de votre paroisse, vous voient, vous ne devez pas vous préoccuper d'être vus. Si vous êtes attentifs au Seigneur, et que les gens connaissent votre amour, ils vous demanderont pourquoi ; et vous pourrez alors parler de cet amour qui doit remplir toute votre vie »[30].
Comme le montrent ces simples mots, la correspondance du prêtre au don eucharistique, centre de sa vie spirituelle, déborde sur une action guidée par la charité pastorale.
Eucharistie et charité pastorale
La charité pastorale conduit le prêtre à être le serviteur de tous. Dans une de ses lettres, saint Josémaria écrivait que les prêtres, « à l'exemple de notre Seigneur, qui est venu non pour être servi mais pour servir : non veni ministrari, sed ministrare (Mt 20, 28), nous devons savoir mettre le cœur par terre, pour que les autres marchent confortablement dessus »[31]. Cette attitude ne naît pas d'une simple décision éthique, mais prend sa source dans la relation personnelle avec Dieu, avec ce Dieu qui s'abaisse et se donne jusqu'à devenir nourriture pour sa créature dans l'Eucharistie.
a) Une existence eucharistique
La force spirituelle pour vivre sa propre vie comme un don aux autres naît éminemment de l'union avec Jésus-Christ lui-même dans le Sacrifice eucharistique[32]. Le Sacrifice de la Croix, don total du Christ à son Église, y est rendu sacramentellement présent comme le témoignage suprême de sa qualité de Chef et de Pasteur, de Serviteur et d'Époux. Ainsi, l'Eucharistie est aussi la racine et le centre de la dimension pastorale de la vie du prêtre. Selon les mots de saint Jean-Paul II, « c’est précisément pourquoi la charité pastorale du prêtre non seulement naît de l'Eucharistie, mais trouve dans la célébration de celle-ci sa plus haute réalisation. De même, c'est de l'Eucharistie que le prêtre reçoit la grâce et la responsabilité de donner un sens sacrificiel à toute son existence »[33].
En d'autres termes, le prêtre est appelé à vivre une existence eucharistique, c'est-à-dire une vie à l'image du Sacrifice du Christ qu'il célèbre dans la Sainte Messe. Le Pape François l'a expliqué lors du Jubilé des prêtres en 2016 : « dans la célébration eucharistique nous retrouvons chaque jour notre identité de pasteurs. Chaque fois nous pouvons faire véritablement nôtre ses paroles « ceci est mon corps offert en sacrifice pour vous ». C’est le sens de notre vie, ce sont les paroles avec lesquelles, dans un certain sens, nous pouvons renouveler quotidiennement les promesses de notre Ordination »[34].
En définitive, la charité pastorale, qui est conférée au prêtre dans le sacrement de l'Ordre, est un don qui s'actualise dans chaque Eucharistie et qui doit se traduire par un comportement correspondant dans la vie quotidienne.
b) Correspondre au don reçu, se contenter de ce don
En célébrant l'Eucharistie, nous devons essayer de nous identifier au don du Christ, en l'incarnant dans notre propre vie. Saint Josémaria l'expliquait de façon imagée dans l'une de ses homélies : « celui qui ne laboure pas le champ de Dieu, celui qui n’est pas fidèle à la mission divine de se donner aux autres, en les aidant à connaître le Christ, pourra difficilement comprendre ce qu’est le Pain Eucharistique. Personne n’attache de prix à ce qui ne lui a pas coûté d’effort »[35].
Il a ensuite développé cette idée en utilisant une image tirée de l'Écriture et en mettant l'accent sur l'identification à Jésus-Christ : « Pour apprécier et aimer la Sainte Eucharistie, il est nécessaire de parcourir le chemin du Christ : être blé, mourir à nous-mêmes, renaître pleins de vie et donner du fruit en abondance : cent pour un ! Ce chemin se résume en un seul mot : aimer. Aimer, c’est avoir le cœur grand, ressentir les préoccupations de ceux qui nous entourent, savoir pardonner et comprendre : se sacrifier, avec Jésus-Christ, pour toutes les âmes »[36].
Et saint Josémaria de conclure : « Pour aimer de la sorte, il faut que chacun de vous extirpe de sa vie personnelle tout ce qui gêne la vie du Christ en lui : le goût du confort, la tentation de l’égoïsme, la tendance à briller. Ce n’est qu’en reproduisant en nous cette vie du Christ que nous pourrons la transmettre aux autres ; ce n’est qu’en faisant l’expérience de la mort du grain de blé que nous pourrons travailler dans les entrailles de la terre, la transformer de l’intérieur, la rendre féconde »[37].
Si l'Eucharistie est pour le prêtre le lieu "central et radical" de son identification au Christ et à son don salvifique, la charité pastorale le poussera nécessairement à conduire les fidèles à cette même source de vie, dans laquelle se trouve aussi l'exercice principal du sacerdoce commun des fidèles. Le prêtre peut le faire non seulement par sa prédication, mais aussi en "vivant" la Messe avec cette foi : il célèbre l'Eucharistie pour l'Église et en présence de l'Église – même si le peuple n'y participe pas – et sa vie est donc également appelée à imiter le sacrifice du Christ, qui « a aimé l'Église et s'est livré lui-même pour elle » (Ep 5, 25)
En définitive, le ministre ne peut se contenter d'être un canal inerte par lequel passent la parole et les sacrements de l'Église : il doit adapter sa vie au caractère sacramentel qu'il a reçu et qui le conforme au Christ, en orientant toute son existence vers ce plein don de soi qui trouve son centre et sa racine dans la célébration de l'Eucharistie au bénéfice de toute l'Église. Saint Josémaria l’explique : « Un prêtre qui vit ainsi la Sainte Messe – en adorant, en expiant, en implorant, en rendant grâces, en s'identifiant au Christ – et qui apprend aux autres à faire du Sacrifice de l'autel le centre et la racine de la vie chrétienne, fera véritablement preuve de la grandeur incomparable de sa vocation, du caractère dont il est marqué, et qu'il ne perdra pas de toute l'éternité »[38].
Plus on comprend la logique de la Croix présente dans la Sainte Messe, plus on vit le ministère comme un don total de soi. Se référant à la grâce propre à la plénitude du sacerdoce, le Catéchisme de l'Église Catholique affirme : « Cette grâce le pousse à annoncer l’Evangile à tous, à être le modèle de son troupeau, à le précéder sur le chemin de la sanctification en s’identifiant dans l’Eucharistie avec le Christ Prêtre et Victime, sans craindre de donner sa vie pour ses brebis »[39].
c) Vivre pour les frères, vivre pour l'Église
Les prêtres – imitant ce qui les concerne : le don total du Christ – puisent dans l'Eucharistie la force spirituelle nécessaire pour se sacrifier joyeusement au service de leurs frères, en particulier de ceux qui en ont le plus besoin, de ceux qui sont "rejetés" par le monde.
En effet, l'existence eucharistique du prêtre s'exprime dans mille détails d'attention et de soin. Elle se manifeste en particulier dans la miséricorde avec laquelle il accueille ceux qui viennent à l'Église en quête de réconciliation, et dans l'amour avec lequel il va à la recherche de ceux qui ne connaissent pas le Christ ou qui se sont éloignés de Lui. Dans tous les aspects de son ministère, il prépare et guide toutes les personnes à rencontrer Jésus dans l'Eucharistie, conscient du besoin que nous avons tous d'une rencontre personnelle avec Jésus-Christ.
Enfin, il convient de considérer que la centralité et la radicalité de l'Eucharistie dans le ministère du prêtre, comme don et comme tâche, a une dimension ecclésiale évidente et essentielle, puisque « l'Eucharistie, dans laquelle le Seigneur nous donne son Corps et nous transforme en un seul Corps, est le lieu où l'Eglise s'exprime de manière permanente dans sa forme la plus essentielle : présente en tout lieu et, cependant, seulement une, comme le Christ est un »[40].
La double dimension universelle et particulière de l'Église est également projetée sur le ministère sacerdotal, et c'est principalement dans l'Eucharistie que le prêtre peut et doit ressentir la sollicitude pour toute l'Église et, avec l'Église et dans l'Église, la sollicitude pour le monde entier. En ce sens, le prêtre à l'autel, comme le Christ sur le Golgotha, porte le poids des besoins, des difficultés et des souffrances de toute l'humanité[41].Le Pape François s'est référé à cette même idée : « le prêtre célèbre en chargeant sur ses épaules le peuple qui lui est confié, et en portant leurs noms gravés en son cœur. Revêtir notre humble chasuble peut bien nous faire sentir, sur les épaules et dans notre cœur, le poids et le visage de notre peuple fidèle, de nos saints et de nos martyrs, il y en a beaucoup à notre époque ! »[42]. Le sacrifice eucharistique n'est pas seulement un grand bien pour le prêtre, il constitue aussi son ministère principal pour le bien de tous.[43]
Conclusion
Le Christ est l’unique Grand Prêtre qui, par le sacrifice de la Croix, donne la vie à la communauté des fidèles et assure sa présence vivifiante à toute l'Église dans la célébration de l'Eucharistie. Dans l'Eucharistie, le Seigneur rassemble visiblement son peuple sacerdotal, destiné à louer Dieu en exerçant le sacerdoce baptismal.
Le Christ, Tête de l'Église, se rend présent en elle par ses ministres, par ceux qui, en vertu du sacrement de l'Ordre, sont constitués ses instruments pour le bien de tout le Peuple de Dieu. L'Église, une fois engendrée par l'action de l'Esprit Saint à travers la prédication, le Baptême et la célébration du Saint Sacrifice, continue à vivre, à s'étendre et à se répandre grâce à la puissance de l'Eucharistie qui est l'acte suprême du culte et la source principale du salut, du don de Dieu à notre égard.
« On comprend ainsi – dit saint Josémaria –que la Messe soit le centre et la racine de la vie spirituelle du chrétien. Elle est la fin de tous les sacrements. A la Messe, s’achemine vers sa plénitude la vie de la grâce que le Baptême a déposée en nous et qui grandit fortifiée par la Confirmation »[44].
Je ne voudrais pas terminer ces considérations sans faire référence à la Sainte Vierge. Dans l'article que saint Josémaria a écrit en 1974 sur Notre-Dame du Pilier, nous lisons : « Pour moi, la première dévotion mariale – j'aime à la considérer ainsi – est la Sainte Messe ».
Il expliquait ensuite comment il voyait la présence de Marie dans le Saint Sacrifice : « Chaque jour, lorsque le Christ descend entre les mains du prêtre, sa présence réelle se renouvelle parmi nous avec son Corps, son Sang, son Âme et sa Divinité : le même Corps et le même Sang qu'il a pris dans le sein de Marie. Dans le Sacrifice de l'autel, la participation de la Vierge évoque pour nous le souvenir silencieux avec lequel elle a accompagné la vie de son Fils, lorsqu'il marchait sur la terre de Palestine (...) Dans ce mystère insondable, le visage très pur de Marie, Fille de Dieu le Père, Mère de Dieu le Fils, Épouse de Dieu le Saint-Esprit, apparaît comme voilé »[45].
C'est pourquoi il concluait : « La rencontre avec Jésus dans le Sacrifice de l'Autel entraîne nécessairement avec elle la rencontre avec Marie, sa Mère. Celui qui rencontre Jésus rencontre aussi la Vierge sans tache »[46].
Fernando Ocáriz
[1] Lettre numéro 10, no 11 (italiques ajoutés). Les textes sans référence d’auteur sont de saint Josémaria.
[2] Cf. par exemple la lettre numéro 25, no 5
[3] Prêtre pour l’éternité, in Aimer l’Eglise, no 43
[4] Concile Vatican II, décret Presbyterorum Ordinis, no 14.
[5] Benoît XVI, Ex. Ap. Sacramentum caritatis, no 23.
[6] Pape François, Lettre apostolique Desiderio desideravi, no 60.
[7] Prêtre pour l’éternité, in Aimer l’Eglise no 39
[8] Prêtre pour l’éternité, in Aimer l’Eglise no 34.
[9] Concile Vatican II, Const. Lumen Gentium, no 28. Cf. décret Presbyterorum Ordinis, no 2.
[10] Lettre numéro 26, no 18
[11] Cf. Prêtre pour l’éternité, in Aimer l’Eglise no 38-39.
[12] Prêtre pour l’éternité, in Aimer l’Eglise no 44.
[13] Le célébrant doit en effet conjuguer le "je" et le "nous". Le ministère sacerdotal s'inscrit dans une double perspective : il représente sacramentellement le Christ, "seul médiateur entre Dieu et les hommes" (1 Tm 2,5), qui rassemble et conduit son peuple, et il représente aussi l'Église, au service de laquelle il exerce son action.
[14] Concile Vatican II, décret Presbyterorum Ordinis, no 4.
[15] Cf. ibidem, no 5.
[16] Lettre 2-II-1945, no 4.
[17] Cf. Concile Vatican II, Décret Presbyterorum Ordinis, no 12.
[18] Benoît XVI, Ex. ap. Sacramentum caritatis, no 80.
[19] Congrégation pour le culte divin, Instr. Redemptionis sacramentum, no 5.
[20] Quand le Christ passe no 88. Dans ce texte, saint Josémaria poursuit son homélie en montrant, avec sa catéchèse mystagogique, que la Sainte Messe est formative au sens le plus profond du terme.
[21] Quand le Christ passe no 87.
[22] Quand le Christ passe no 85.
[23] Cf. Forge, no 69.
[24] Saint Jean Paul II, Lettre aux prêtres, Jeudi saint 2000, no 14.
[25] Cité dans E. Burkhart-J. López, Vida cotidiana y santidad en la enseñanza de san Josemaría, Rialp, Madrid 2013, vol.
[26] Quand le Christ passe no166.
[27] Quand le Christ passe no 166.
[28] Dos meses de Catequesis, vol. II, pp. 755-757.
[29] Saint Jean Paul II, Lettre aux prêtres, Jeudi saint 2000, no 14.
[30] Cité dans J. Echevarría, Memoria de san Josemaría, Rialp, Madrid, 6e éd. 2016, p. 239.
[31] Lettre numéro 10, no 20.
[32] Cf. Concile Vatican II, Décret Presbyterorum Ordinis, no 14.
[33] Saint Jean Paul II, Constitution apostolique Pastores dabo vobis, no 23.
[34] Pape François, Homélie, 3-VI-2016.
[35] Quand le Christ passe, no 158.
[36] Quand le Christ passe, no 158.
[37] Quand le Christ passe, no 158.
[38] Prêtre pour l’éternité, in Aimer l’Eglise no 49.
[39] Catéchisme de l'Église Catholique, no 1586.
[40] Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre Communionis notio, no 5.
[41] Cf. J. Echevarria, Para servir a la Iglesia. Homilías sobre el sacerdocio, Rialp, Madrid 2001, p. 58.
[42] Pape François,Homélie de la Messe chrismale, 28-III-2013
[43] Cf. Concile Vatican II, Décret Presbyterorum Ordinis, no 13.
[44] Quand le Christ passe, no 87
[45] La Virgen del Pilar, no 18; in Escritos varios pp. 289-290.
[46] Ibid, no 19.