Retraitée et grand-mère, Frédérique entend en 2014 à la radio un appel à volontaires pour aller visiter les détenus. «Consciente d’avoir toujours eu une vie très heureuse, je souhaitais depuis longtemps aller à la rencontre de personnes réellement en difficulté pour partager un peu de cette joie dont la vie m’avait comblée », explique-t-elle. Ne sachant pas trop dans quoi elle se lançait, elle décide d’entrer en contact avec les services sociaux et se porte volontaire pour faire ce que l’on appelle en Belgique des « visites sociales » à la prison de Bruges. Des visites qui font désormais partie de son quotidien depuis 10 ans.
La démarche pour vous porter volontaire a-t-elle été simple ?
Oui et non. Non car on n’entre pas dans une prison comme ça, juste parce qu’on le décide. Lorsque j’ai répondu à l’appel entendu à la radio, on m’a dit que je devais d’abord m’adresser aux services sociaux, au département en charge de la recherche de volontaires. Ce que j’ai fait. Et là j’ai eu de la chance car, à ce moment-là, ce service proposait justement une formation à destination des bénévoles désireux de devenir « visiteurs sociaux ». J’y ai participé et cela m’a été très utile.
Qu’avez-vous appris dans cette formation ?
En premier lieu à savoir écouter. Cela a l’air évident, mais il n’est pas toujours simple de laisser parler l’autre. Je me souviens que, pour nous y préparer, un des exercices consistait à nous entrainer à ne pas dire « je » pendant au moins 15 minutes ! On nous invitait aussi à faire l’effort de toujours bien distinguer l’acte et la personne : nous allions rencontrer des « personnes qui avaient commis un crime » et non pas des « criminels ». C’est là, à mon sens, une des clés essentielles : voir l’humanité des personnes et ne pas les réduire à leurs erreurs. Pendant cette formation, j’ai bien sûr appris aussi le fonctionnement du système pénitentiaire et tout le jargon qui s’y rattache. Et j’ai pu visiter la prison et l’endroit où j’allais être amenée à recevoir les détenus : une petite pièce sans fenêtre.
Comment s’est passée votre première visite ?
J’avais un peu d’appréhension car il s’agissait d’une femme qui avait tué son compagnon de 18 coups de couteau… Pourtant cela s’est parfaitement bien passé. C’était une femme charmante qui souffrait de bipolarité. Elle était en prison depuis 9 mois et avait accouché en détention d’un bébé, quelques mois plus tôt. Nous avons immédiatement eu un excellent contact, elle se confiait beaucoup. Nos entretiens duraient parfois des heures. Je lui ai rendu visite tous les 15 jours pendant 5 ans. Lorsqu’elle est sortie de prison, je suis restée en contact avec elle, j’ai même pu rencontrer la famille de son compagnon.
Connaissez-vous toujours le crime commis par les détenus que vous visitez ?
Lorsque j’ai commencé les visites, on nous indiquait le crime du détenu que nous allions rencontrer. Mais depuis quelques années, les choses ont changé, nous ne connaissons pas la raison de leur peine lorsque nous les rencontrons, nous les laissons nous le dire s’ils le souhaitent, s’ils se trouvent suffisamment en confiance.
Combien de personnes avez-vous accompagnées depuis 2014 ?
J’ai visité neuf personnes en 10 ans, quatre femmes et cinq hommes. On peut suivre jusqu’à trois personnes en même temps. Au bout de deux années avec la même personne, on se soumet à une sorte d’évaluation pour vérifier que nous ne sommes pas dépassés par la relation qui s’est installée et pour décider si nous voulons ou non la poursuivre.
Cela a-t-il parfois été dur ?
Oui, récemment avec un détenu de 33 ans condamné à 7 ans de prison pour des problèmes de mœurs qui ne parlait que de drogue et de sexe. Il m’est parfois arrivé de me demander ce que je pouvais bien lui apporter et, après avoir longuement réfléchi - car on n’abandonne pas un détenu comme ça du jour au lendemain - j’ai décidé de lui demander directement s’il voulait que nous arrêtions nos entretiens. Il m’a immédiatement répondu « non », que ces rencontres étaient importantes pour lui. Et là, je ne sais pas comment le dire autrement, je me suis sentie à ma place, j’ai ressenti comme une évidence qu’il me fallait aimer cet homme comme le Christ l’aimait et donc me dépasser avec Son aide.
Parlez-vous de votre foi aux détenus que vous visitez ?
Pas directement, en revanche je leur dis systématiquement que je prierai pour eux : tous en sont extrêmement reconnaissants. J’ai par exemple envoyé une image de la Sainte Vierge en guise de carte de Noël au détenu dont je viens de vous parler. J’appréhendais un peu sa réaction, or quelle n’a pas été ma surprise quand il m’a dit : « Merci beaucoup ! C’est formidable ! J’ai maintenant dans ma cellule une mère qui me regarde ». À ce moment-là, je me suis dit : moi, je l’écoute, et la Sainte Vierge et l’Esprit Saint feront le reste ! J’ai aussi eu pas mal de discussion sur la foi et sur la prière avec certaines détenues femmes musulmanes. J’essaie surtout toujours de parler de miséricorde et de pardon, car, avec un seul prêtre aumônier pour 850 détenus dans la prison de Bruges, les détenus n’ont pas forcément la possibilité de se confesser. Or leur faire entrevoir la beauté du pardon est une étape importante sur la voie de l’apaisement.
Vous faites partie d’une association qui s’appelle BrugBinnensteBuiten, ce qui signifie « un pont entre l’intérieur et l’extérieur ». Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Oui, lorsque le système n’a plus permis de financer le type de formations que j’avais eu la chance de suivre en 2014, des bénévoles ont décidé de créer une Association Sans But Lucratif initialement pour former des volontaires au contact avec les détenus. Puis, progressivement, cette association a « élargi » ses actions. Nous proposons par exemple aujourd’hui d’aller chercher les familles des détenus qui habitent loin de la prison et n’ont pas de moyen de locomotion. Ils nous arrivent aussi d’assurer le transport des détenus pour leur permettre de se rendre à leurs rendez-vous médicaux hors de la prison. Et comme il est interdit de rentrer dans la prison avec des choses venant de l’extérieur, nous avons créé une sorte de boutique éphémère à l’intérieur pour que les personnes venant visiter des détenus puissent leur acheter un petit quelque chose. L’occasion pour nous aussi de rencontrer les familles des détenus et de créer de nouveaux liens !
Que retenez-vous de ces différentes rencontres ?
Je crois vraiment que ces rencontres ont profondément changé le regard que je porte sur les personnes en général, qu’elles m’ont appris à remplacer le jugement que l’on porte un peu trop rapidement par de l’écoute, de l’empathie, de la bienveillance. Rencontrer des prisonniers qui ont perdu tout ce qui faisait leur vie d’avant et qui, pour la plupart, n’auront plus rien lorsqu’ils sortiront, m’a par ailleurs aidé à questionner mon attachement aux choses matérielles. Enfin, l’univers carcéral a beau être un monde très dur, j’y ai rencontré, parmi toutes les personnes qui y travaillent ou qui y sont détenues, beaucoup de politesse et de gentillesse. On me demande souvent s’il m’arrive d’avoir peur : la réponse est non. Au contraire c’est une joie de se rendre auprès d’une personne qui vous attend car vous serez peut-être son seul contact avec l’extérieur. Je demande d’ailleurs toujours en fin de visite à mon détenu s’il souhaite que je revienne. Lorsqu’il me répond oui, je reçois vraiment cette réponse comme un cadeau !