- Dieu vient en aide à notre désir de Lui
- De la gratitude à la générosité
MARIE a marché d'un pas rapide, jusqu'à la maison d'Élisabeth et Zacharie. À son arrivée, elle constate que tout ce que l'ange lui a dit est vrai. Elle y croyait fermement, mais quelle joie de voir sa cousine attendre un enfant ! Ce qu'elle ressent déjà dans ses entrailles se confirme à nouveau : la présence du Messie. Sa joie déborde et touche Jean lui-même. On peut penser que le Baptiste attend déjà impatiemment le moment de proclamer la bonne nouvelle, dès le ventre de sa mère : Jean ne perd pas un instant et l'annonce à sa mère, qui, pour l'instant, est la seule à l'entendre.
Pour Marie, ce fut sans doute une immense joie de pouvoir partager avec quelqu'un ce qui remplissait son cœur. En saluant Élisabeth, elle comprit vite que celle-ci savait déjà tout. Jusqu'alors, elle avait gardé la nouvelle au plus profond de son cœur. La Mère de Jésus commence à chanter et, dans sa louange, elle entrelace l'histoire d'Israël avec les paroles qu'elle a lues tant de fois dans la Sainte Écriture. L'amour divin pour elle est si grand qu'elle ne sait comment l’exprimer ; elle doit emprunter ses paroles à Dieu lui-même, comme nous le faisons presque toujours dans la liturgie de l'Église. Élisabeth lui a dit des choses magnifiques, mais elle les adresse immédiatement à l'auteur de telles merveilles. Il en sera ainsi tout au long de sa vie : conduire les hommes à Dieu.
« Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur » (Lc 1,46). Marie est impressionnée par la manière dont Dieu fait les choses et par la raison pour laquelle il se sert d’elle : « Il s’est penché sur son humble servante » (Lc 1,48). Marie se sent regardée d'une manière particulière par Dieu et cette conviction la conduit à rendre grâce.
BIEN SÛR Marie n'avait jamais rêvé de trouver grâce à ce point, aux yeux de son Créateur. Elle se rend compte que c'est l'immense bonté de Dieu qui se répand, sans aucune autre raison que la liberté divine elle-même. Nous sommes saisis d'émerveillement. Nous avons du mal à imaginer et à croire en un Dieu qui soit si content de nous, pauvres créatures que nous sommes.
En même temps, à cause de l'expérience du péché, nous pouvons nous sentir quelquefois un peu étrangers à cette gratitude, car il ne faut pas oublier que "l’aptitude à percevoir Dieu semble presque un don qui est refusé à certains. Et en effet – notre manière de penser et d’agir, la mentalité du monde contemporain, l’éventail de nos diverses expériences sont de nature à affaiblir la sensibilité à Dieu, à nous 'priver d’oreille musicale' pour Lui. » [1]. Ce manque d'oreille ne doit pas nous inquiéter. Saint Thomas d'Aquin nous rassure : « La grâce de Dieu et son amour pour nous sont tellement splendides qu'Il a fait plus pour nous qu'on ne peut le comprendre »[2]. En d'autres termes, bien que nous ayons du mal à syntoniser avec Lui, la grâce de Dieu va beaucoup plus loin et nous aide.
Dieu se tourne vers chacun de ses enfants, avec toute son intensité. " Il n’a pas attendu que nous devenions bons pour nous aimer, mais il s’est donné gratuitement à nous. (...) Et la sainteté n’est autre que conserver cette gratuité. " [3]. Être saint, c'est se laisser aimer par Dieu, comme ça, parce qu'Il en a envie, sans aucune autre raison. Saint Josémaria employait des mots qui nous surprennent peut-être : « Avec la Foi et l'Amour, nous pouvons "faire perdre la tête" à Dieu, qui devient fou à nouveau - Il était déjà fou sur la Croix, et Il est fou chaque jour dans l'Hostie -, comme un Père aime avec prédilection son premier né »[4]. Nous sommes aussi l'objet de ce regard gratuit de Dieu. Marie comprend que sa joie sera proclamée par toutes les générations et le don qu'elle fait d'elle même jaillit de cette reconnaissance.
LES DESIRS de correspondance et de générosité jaillissent plus facilement d'un cœur reconnaissant. Nous ne pouvons atteindre le vrai bonheur et nous engager vraiment à rendre amour pour amour, que lorsque nous laissons notre cœur réagir avec gratitude. Par nos forces, nous ne pouvons pas répondre à Dieu proportionnellement à ce qu'Il nous donne. Cette incapacité nous libère, d'une certaine façon. Le don que nous faisons de nous-mêmes est l'œuvre de Celui qui « fit pour moi des merveilles » (Lc 1,49) parce qu'Il est tout-puissant, même pour tirer de nous ce qui nous dépasse au départ. « Sa miséricorde s'étend d'âge en âge » (Lc 1,50), d'Abraham à aujourd'hui, jusqu'à ma vie, concrète, ordinaire et inconnue de tant de personnes.
Dieu aime manifester la puissance de son bras et ainsi confondre ceux qui pensent qu'ils peuvent être heureux par eux-mêmes et que leur seule volonté suffit. Dieu a ordonné de placer au sommet de son royaume les humbles, les petits qui se laissent devenir grands. Il ébranlera tout trône construit par des mains humaines. Dieu veut combler de biens ceux qui se sentent dans le besoin, et parmi ces biens le premier d'entre eux est son amour inconditionnel et infini : Il est décidé à faire déborder notre imagination et à dépasser nos désirs les plus optimistes.
Malheureusement, pour ceux qui se sentent riches sans l'être, Dieu ne pourra pas leur offrir son trésor. Ce sera un grand regret pour Lui, car Il veut combler tous ses enfants de son amour. Mais c'est l'histoire de sa miséricorde, de sa tendre affection pour chacun. C'est l'histoire de la liberté d'un Dieu qui offre toute sa joie, de génération en génération, qui cherche continuellement des chemins pour que l'homme se laisse aimer. Marie, avec son « fiat », l'a réalisé comme personne d'autre, et elle se fera un plaisir de nous l’enseigner et de nous accompagner sur le chemin.
[1] Benoît XVI, Homélie, 24-XII-2009.
[2] Saint Thomas d’Aquin, Sur le Credo, 1, c., 61.
[3] François, Homélie, 24-XII-2019.
[4] Saint Josémaria, Instruction, 19-III-1934, n° 39.