Lettre du prélat de l’Opus Dei sur le carême

Mgr Echevarria a envoyé cette lettre pastorale au début du Carême, temps de préparation à la Semaine Sainte et à Paques

Aujourd'hui commence le Carême, « temps privilégié du pèlerinage intérieur vers celui qui est la source de la miséricorde. C'est un pèlerinage au cours duquel lui-même nous accompagne à travers le désert de notre pauvreté, nous soutenant sur le chemin vers la joie profonde de Pâques ».

Par son invitation insistante pour que nous nous préparions aux fêtes pascales, la liturgie de ces prochains jours nous incite à prier avec plus d'intensité et de constance, à être plus généreux dans l'offrande de mortifications et dans la réalisation d'œuvres de miséricorde. Ce dernier aspect est précisément celui sur lequel Benoît XVI a voulu insister dans son Message, en choisissant comme thème cette expression de l'évangile : « en voyant les foules Jésus eut pitié d'elles ». Nous pouvons et nous devons appliquer ces paroles de saint Matthieu à nos journées caractérisées par un échange continuel avec d'autres personnes dans des domaines très différents : la famille, le travail, le repos, les relations sociales.

A tous ces moments-là, rappelle le saint-père, nous devons nous efforcer de regarder les autres comme Notre Seigneur les regardait en tâchant de les aider et voir chez ceux qui nous entourent, sans exclure quiconque, des âmes rachetées par le précieux Sang de Jésus-Christ. Comme il y a vingt siècles, « le regard de compassion du Christ ne cesse de se poser sur les hommes et sur les peuples. Il les regarde sachant que le projet divin prévoit l'appel au salut. Jésus connaît les obstacles qui s’opposent à ce projet et il est pris de compassion pour les foules : il décide de les défendre des loups, même au prix de sa vie. Par ce regard, Jésus embrasse les personnes et les multitudes, et il les remet toutes au Père, s'offrant lui-même en sacrifice d'expiation ». En ces temps-là, alors qu'il demeurait physiquement parmi ses frères les hommes, le Verbe incarné enveloppait lui-même de son regard ceux qui le suivaient ; maintenant, depuis le tabernacle et depuis le ciel, il se sert de ses disciples, de toi et de moi, pour envelopper chaque homme et chaque femme d'un regard miséricordieux.

Il nous faut toujours penser aux autres, chercher à les conduire à Dieu. Mais au cours des prochaines semaines, durant lesquelles nous nous préparerons en outre de façon immédiate à la solennité de Saint Joseph, notre zèle apostolique doit être encore plus grand. Il suffit de regarder ce qui se présente à nous tous les jours, dans notre entourage proche et dans le monde entier, pour découvrir partout l'urgente nécessité de la charité du Christ. Face aux épisodes de violence que l'on enregistre dans tant de pays, nous ne pouvons pas, nous chrétiens, répondre par d'autres offenses et maltraiter qui que ce soit. Pour faire face aux problèmes, grands ou petits, des hommes entre eux, la solution consiste à aimer plus, à aimer mieux, en accord avec l'exhortation de saint Paul : « ne rendez à personne le mal pour le mal ; ne songez qu'au bien à l'égard de tout le monde. Si possible, pour autant qu'il dépend de vous, vivez en paix avec tout le monde. Ne vous vengez pas vous-mêmes, mes bien-aimés, mais laissez agir la colère de Dieu. Au contraire, ton ennemi a-t-il faim, donne-lui à manger ; a-t-il soif, donne-lui à boire : car, ce faisant, tu amoncelleras sur sa tête des charbons ardents. Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais triomphe du mal par le bien ».

Dès les premières années de l'Œuvre, saint Josémaria avait synthétisé cet enseignement de l'Apôtre en une phrase incisive : « il nous faut noyer le mal dans l'abondance du bien ». Et il précisait : « l ne s'agit pas de faire des campagnes négatives, ni d'être anti quoi que ce soit. Bien au contraire : il s'agit de vivre d'affirmations, d'être pleins d'optimisme, de jeunesse, de joie et de paix ; de se montrer compréhensif envers tous qu'ils suivent le Christ ou qu'ils l'abandonnent ou qu'ils ne le connaissent pas ».

Cette attitude n'a rien à voir avec la passivité ou le défaitisme : la compréhension n'est pas de l'abstentionnisme, ni de l'indifférence, c'est une attitude active. Comme membres de la société civile, les chrétiens doivent défendre leurs droits de citoyens — qui sont aussi les droits des autres personnes — par tous les moyens licites qui sont à leur portée, sans agressivité mais sans capitulation ou compromission en ce qui se réfère au bien commun des individus et des nations. Actuellement, alors qu'en de nombreux endroits, on se vante de faire du laïcisme militant, il est particulièrement important que ceux qui reconnaissent la loi morale naturelle s'unissent pour la défense et la promotion de ces valeurs, indépendamment des croyances de chacun.

Grâce à Dieu, en de nombreux endroits des forces jusqu'alors en sommeil sont en train de s'éveiller et beaucoup de personnes sortent de leur individualisme pour prendre une part active aux grandes batailles culturelles et sociales de notre temps. Quel usage fais-tu, toi, de ta liberté personnelle ? Participes-tu, selon tes possibilités, à ces nobles initiatives ? Fais-tu en sorte de mobiliser d'autres personnes, en leur faisant remarquer qu'ils ne peuvent demeurer renfermés dans leur coquille, mais qu'ils doivent se décider à entrer en lice pour défendre les droits de Dieu et les droits inaliénables de la personne humaine ?

Cette mobilisation en fait, doit constituer une stratégie permanente. En même temps, puisqu'il s'agit d'entraîner des changements incisifs et durables, l'engagement personnel revêt une importance vitale. C'est dans le cœur de chaque être humain que se livrent les batailles décisives pour améliorer la société, comme l'enseigne l'évangile : c'est du cœur que viennent des pensées mauvaises : meurtres, adultères, fornications, vols, faux témoignages, blasphèmes. Saint Paul propose un programme d'action concret, tout à fait en accord avec l'esprit du Carême : que la charité soit exempte d'hypocrisie, écrit-il, soyez de ceux qui ont le mal en horreur, qui s'attachent au bien, qui s'aiment entre eux d'un amour fraternel, qui dans leur estime placent les autres avant eux, qui pour le zèle ne sont pas nonchalants, qui sont d'esprit fervent, qui sont au service du Seigneur, qui ont la joie de l'espérance, qui tiennent bon dans l'épreuve, qui persévèrent dans la prière, qui subviennent aux besoins des saints, qui pratiquent l'hospitalité.

Il s'agit, en définitive, de mener à bien une grande semence de charité dans les cœurs des hommes et dans les structures sociales. Comme Benoît XVI l'a signalé dans sa première encyclique, l'amour — caritas — sera toujours nécessaire, même dans la société la plus juste. Il n'y a aucun ordre juste de l'état qui puisse rendre superflu le service de l'amour. Celui qui veut s'affranchir de l'amour se prépare à s'affranchir de l'homme en tant qu'homme. Il y aura toujours de la souffrance, qui réclame consolation et aide. Il y aura toujours de la solitude. De même, il y aura toujours des situations de nécessité matérielle, pour lesquelles une aide est indispensable, dans le sens d'un amour concret pour le prochain. Nous devons tous ressentir cette préoccupation concrète pour les personnes qui vivent autour de nous, signe clair de l'amour de Dieu véritable ; car comment celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas ?

Saint Josémaria nous a enseigné que, pour que cette préoccupation se manifeste avec rectitude et efficacité, il est nécessaire de se vider de son propre moi, d'accueillir sincèrement et comme nôtres les préoccupations, les joies et les peines de nos semblables, et concrètement de ceux qui nous sont plus proches pour des raisons de vocation commune, de parenté, de profession, etc. Tu vas peut-être t'exclamer comme on le lit dans Sillon : c'est très difficile ! Souviens toi de la réponse de notre Père et efforce-toi de la mettre en pratique : écoute, si tu luttes, la grâce de Dieu est suffisante ; tu feras abstraction de tes intérêts personnels, tu serviras les autres pour Dieu, et tu aideras l'église là où se livre aujourd'hui la bataille : dans la rue, à l'usine, dans l'atelier, à l'université, au bureau, dans ton milieu, parmi les tiens.

Benoît XVI signale que, dans un premier temps, les motivations de l'amour contiennent habituellement des objectifs personnels tels que la complaisance de soi, l'auto réalisation, ou même le profit personnel. Mais il faut les purifier, suivre un chemin de montée, de renoncements, de purifications et de guérisons. C'est seulement ainsi que l'amour initial, imparfait, parviendra à se fondre dans l'amour de don véritable, un amour qui s'oublie lui-même car il est le reflet de l'amour du Christ pour l'humanité. Quand Jésus, dans ses paraboles, parle du pasteur qui va à la recherche de la brebis perdue, de la femme qui cherche la drachme, du père qui va au devant du fils prodigue et qui l'embrasse, il ne s'agit pas là seulement de paroles, mais de l'explication de son être même et de son agir. Dans sa mort sur la croix s'accomplit le retournement de Dieu contre lui-même, dans lequel il se donne pour relever l'homme et le sauver — tel est l'amour dans sa forme la plus radicale. Notre Père nous a appris à regarder un crucifix avec piété, car c'est Jésus sur la Croix, le coeur transpercé d'Amour pour les hommes ; voilà une réponse éloquente — les paroles son superflues — à notre question sur la valeur des choses et des personnes. Les hommes, leur vie, leur bonheur ont une telle valeur que le Fils de Dieu lui-même se livre pour les racheter, les purifier, les élever.

Alors qu'approche la solennité de Saint Joseph, après avoir médité sur ses douleurs et ses joies, pensons à l'entière loyauté que nous devons vivre dans tout ce qui nous occupe. Suppliez notre Père pour que se grave dans les âmes de chacune, de chacun, le « préjugé psychologique » de penser toujours à Dieu et aux autres, car nous ne sommes jamais seuls. Apprenons du saint patriarche à servir joyeusement, en aimant la volonté du Seigneur et en nous efforçant de vivre la charité avec tous.

Avec toute mon affection je vous bénis,

+ Xavier