« Dès le début même de l’histoire » (Gaudium et Spes §13), l’homme se coupa de la miséricorde. Cédant à l’insinuation mensongère de « l’antique serpent » (Apocalypse 20, 2), la liberté humaine brisa l’alliance primordiale avec le Créateur. Par ce choix misérable, la sainteté tomba en ruine. La catastrophe se produisit à côté d’un arbre, par l’attirance d’un fruit réservé à la majesté divine.Le désir d’autonomie radicale bloqua l’accès à l’arbre de la vie éternelle. Dans la plénitude des temps, le bois méprisable d’une croix fut le levier du relèvement. « Tu as placé le salut du genre humain dans le bois de la Croix pour y faire surgir la vie, là-même où la mort été née » (Missel Romain, préface de la Sainte Croix).
Le désir d’autonomie radicale bloqua l’accès à l’arbre de la vie éternelle (...) « Tu as placé le salut du genre humain dans le bois de la Croix pour y faire surgir la vie, là-même où la mort été née »
La madrier de malédiction, accepté par l’Agneau sans tache, a été métamorphosé en piédestal de miséricorde. « La parole de la croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, elle est puissance de Dieu » (1 Corinthiens 1, 18). Le chrétien n’a ni honte ni peur de la Croix mais, comme Paul, il ressent une assurance théologale légitime : « Pour moi, jamais d’autre fierté que la croix de notre Seigneur Jésus Christ ; par elle, le monde est crucifié pour moi, comme moi pour le monde »(Galates 6, 14).
Depuis la découverte de la vraie Croix à Jérusalem, sa dévotion n’a cessé de grandir. Dans une prédication de carême, au Ve siècle, le pape saint Léon déploie la richesse du mystère : « Par la puissance de la croix apparaît en pleine lumière le jugement du monde et la victoire du crucifié » (Sermon de la Passion, 53). Par la force de l’amour Miséricordieux du Rédempteur, la Croix sainte est vénérée comme trône de triomphe : source de réparation, arme de sainteté, échelle du ciel. Au VIe siècle, l’honneur dû à la Sainte Croix s’étend partout. Près de Ravenne (Italie), la basilique de Saint-Apollinaire en Classe (le vieux port) arbore dans l’abside une croix en médaillon, entourée d’étoiles, qui porte dans son centre l’effigie du Sauveur, sous le regard de Dieu le Père, des anges et du troupeau de l’Église.
En 569, la reine Radegonde, devenue abbesse du monastère Notre-Dame de Poitiers, obtint de l’empereur de Byzance une relique de la Sainte Croix ; le diocèse lui dépara un accueil grandiose ; l’évêque Venance Fortunat composa à l’occasion des hymnes mémorables, encore utilisés dans la liturgie latine. « Dieu a régné sur le bois »(hymne Vexilla Regis); « ô doux bois qui a mérité porter ce poids suave » (hymne Pange, lingua).La croix attend le chrétien. De nos jours ils sont nombreux à la rencontrer au sens le plus dur du mot : crucifiés, brûlés vifs, égorgés… « Dans ta sainte Croix, nous voyons Dieu qui aime jusqu’au bout et nous voyons la haine qui assèche les cœurs » (pape François, Chemin de Croix, Rome, 25/03/2016).
La Croix de Jésus est l’autel du sacrifice acceptable du Fils unique ; la boussole ardente qui guide vers la gloire de Dieu et le salut humain. Sur la croix, les bras du Prêtre souverain soutiennent le monde et appellent les hommes au rendez vous de la miséricorde. Son sang précieux éteint la flamme du glaive pénal.« Si la Croix a profité à beaucoup de ses bourreaux, combien davantage aidera-t-elle ceux qui se tournent vers lui ! » (saint Léon, sermon sur la Passion, 52).
Abbé Antoine Fernandez