1) Les sources de la doctrine de saint Josémaria.
2) Le Christ, Centre. Christocentrisme.
3) Le Christ, Médiateur : a) Perfectus Deus, perfectus Homo ; b) Humanité du Christ, don de soi et vie ordinaire ; c) Rédempteur ; d) Prêtre.
4) Le Christ, Sauveur : chemin, vérité et vie.
Une exposition systématique de la vision de Jésus-Christ par saint Josémaria doit poser clairement les présupposés sur lesquelles elle se base. Tout d'abord, il faut souligner que pour saint Josémaria la figure de Jésus-Christ n'est pas un « sujet » d'étude, mais une présence aimée et vivifiante. « Le Christ vit. Jésus est l'Emmanuel : Dieu est avec nous ». Et il insiste encore : « Le Christ vit. La voilà la grande vérité qui donne son contenu à notre foi » (QCP 102). La conscience de la proximité du Christ vivant nous invite à ne pas nous contenter d'une idée générale de l'esprit de Jésus, mais nous conduit à aspirer à « apprendre de Lui des détails et des attitudes », à sentir que nous sommes « mêlés à sa vie », dans les scènes où cette vie s'est déroulée (cf. QCP 107), et enfin à nous identifier à Jésus lui-même.
La conscience de la proximité du Christ vivant éclaire la compréhension de l'ensemble du message du fondateur de l'Opus Dei. En fait, lorsqu'il parle ou écrit sur quoi que ce soit, saint Josémaria ne fait rien d'autre que de parler du Christ et d’être en relation avec Lui de sorte que les références explicites et implicites à notre Seigneur sont partout et dans ses écrits et dans sa prédication orale recueillie sur divers supports. Ces références à Jésus-Christ sont de nature théologico-spirituelle. Il parle et écrit sur la vie de Jésus, sur son mystère, sur la relation de Jésus-Christ avec les hommes, sur son action dans l'Église, sur le sens que toutes choses reçoivent du Christ, sur la réponse humaine au Christ, sur la vie en lui, etc. La raison de cette façon de procéder est que tout est lié à Jésus-Christ. Lorsqu'il traite d'un sujet quelconque, saint Josémaria se base toujours – et souvent de manière explicite – sur sa compréhension du mystère du Christ de sorte qu'il y a une dimension christologique omniprésente dans ses œuvres. Pour saint Josémaria, toute la réalité, la vie des hommes et des femmes, ne peut être comprise qu'à la lumière du Christ.
Cet article ne cherche pas à recenser les nombreux textes et les différentes manières dont saint Josémaria se réfère à Jésus-Christ, mais tente plutôt d'offrir une vision synthétique et unifiée de sa compréhension du mystère de Jésus-Christ. Il semble nécessaire de préciser que, compte tenu de l'abondance des textes pertinents pour cette tâche ainsi que de leur imbrication avec tous les autres aspects de sa vie, ce qui est proposé ici est nécessairement fragmentaire et incomplet.
L’exposé qui suit commence par un bref examen des « sources » dans lesquelles saint Josémaria a puisé pour former sa compréhension profonde et existentielle de Jésus-Christ. Elle s'articule ensuite autour de trois catégories qui nous semblent adéquates pour saisir, de manière ordonnée et hiérarchisée, la complexité – riche et dense à la fois – des multiples éléments dans lesquels s'exprime cette compréhension. Ces trois catégories découlent de trois appellations de Jésus-Christ : Le Christ centre ; Le Christ médiateur ; Le Christ sauveur, chemin, vérité et vie.
1. les sources de l'enseignement de saint Josémaria
[NdT : le traducteur s’étonne humblement de ne pas trouver, au moins à titre de rappel, la lecture et la méditation du Nouveau Testament comme un des sources considérées ; cela est bien sûr évident et développé dans d’autres articles du présent dictionnaire mais la logique voudrait peut-être qu’on le rappelle ; à l’éditeur de considérer ce point ?]
Les principales sources de connaissance du Christ par saint Josémaria sont, comment pourrait-il en être autrement, la foi de l'Église et sa propre expérience spirituelle de fidélité à la grâce. Il est cependant possible de se référer aussi aux « lieux » biographiques dans lesquels saint Josémaria a appris quelque chose sur Jésus-Christ.
Le premier, sans doute, fut l'éducation chrétienne dans son foyer, où la piété profondément vécue était nourrie par la liturgie qui a pour centre les mystères de la vie du Christ, et par la pratique de solides dévotions pieuses (cf. AVP, I, pp. 31-32 ; 37-38). À cela s'ajoutent ensuite la catéchèse précédant la première Communion et la première Communion elle-même au cours de laquelle le Seigneur – comme il l'affirme – « a voulu venir prendre possession de mon cœur » (AVP, I, p. 51). La connaissance de la doctrine chrétienne et l'expérience vécue de la présence du Christ dans son âme étaient des réalités riches et dynamiques de la vie intérieure de Josémaria.
Ses études de théologie furent un autre moment important de progrès dans sa connaissance du Christ. Nous ne savons pas grand-chose sur l'étude de la christologie par le jeune Josémaria pendant les années de sa formation au sacerdoce au séminaire San Francisco de Paula à Saragosse. Au cours de l'année scolaire 1920-1921, il suit le cours De incarnato et gratia, enseigné par Manuel Pérez Aznar de Teruel dont les étudiants se souviennent comme quelqu’un de très thomiste et dont les explications étaient denses et bonnes. Josémaria y obtint la mention Meritissimus. Selon les recherches de Ramón Herrando, le texte utilisé à Saragosse était celui du Canadien L. A. Paquet (Disputationes theologicae seu commentaria in Summam Theologicam D. Thomae, IV : De Incarnatione Verbi, Romae, Pustet, 1906), qui, comme le titre l'indique, était une adaptation académique de la Summa de saint Thomas. Mais l’ouvrage de « Paquet » s'est fait rare pendant quelques années, et le texte d'Horatius Mazzella (Praelectiones Scholastico-dogmaticae breviori cursu accommodatae, Turin, Società Editrice Internazionale, 1914) était utilisé à sa place. Selon Herrando, il n'a pas été possible de déterminer lequel des deux a été utilisé par saint Josémaria (cf. HERRANDO, 2002, pp. 146-149). L'examen des manuels permet toutefois de conclure que le titre du sujet (De Incarnato et gratia) correspondait davantage à l'œuvre de Mazzella – qui consacre le tome III aux deux questions – qu'à celle de Paquet qui traite de la christologie en elle-même et plus longuement.
Enfin la lecture d'auteurs spirituels a donné à sa connaissance théologique et vitale du Christ une forme historico-concrète surtout en rapport avec sa propre expérience. Les références explicites ou implicites à l'Imitation de Jésus Christ, à sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, à saint Ignace de Loyola, à saint François de Sales, au père Luis de la Palma et à d'autres auteurs nous permettent d’apprécier les sources spirituelles dans lesquelles il a trouvé des formulations heureuses et des expériences qui l'ont éclairé dans le développement de sa connaissance du Christ.
2. Le Christ, centre. Le Christocentrisme
Un terme qui peut aider à clarifier la place du Christ dans la vie et l'enseignement de saint Josémaria est celui de « centre ». Pour le fondateur de l'Opus Dei, Jésus-Christ est le centre vers lequel tout le reste converge, trouve son fondement et d'où tout reçoit sens, finalité et énergie. Nous pouvons donc parler d'un véritable « christocentrisme » chez saint Josémaria. Ratzinger l'a décrit comme « un christocentrisme accentué et singulier dans lequel la contemplation de la vie terrestre de Jésus et la contemplation de sa présence vivante dans l'Eucharistie conduisent à la découverte de Dieu et à l'illumination, par Dieu, des circonstances de la vie quotidienne » (RATZINGER, Message inaugural : BELDA, 1996, p. 59).
Le christocentrisme de saint Josémaria n'est pas une catégorie théologique, mais un christocentrisme théologal, une réalité connue et vécue avec l’intelligence de la sagesse. De cette façon, tout ce qu'il peut y avoir d'approche dialectique dans le terme « christocentrisme », pris comme catégorie, est dépassé dans une réalité où la diversité du réel est concentrée de façon hiérarchique et ordonnée : « Le Christ, par son incarnation, par sa vie de travail à Nazareth, par sa prédication et ses miracles dans les terres de Judée et de Galilée, par sa mort sur la Croix, par sa résurrection, est le centre de la création, l'Aîné et le Seigneur de toute créature » (QCP 105). La centralité du Christ ne relève pas tant de l'analyse que de l'expérience vécue du chrétien qui cherche existentiellement un centre pour sa vie et le trouve dans le Christ lui-même : « Le remède – coûteux comme tout ce qui en vaut la peine – [il parle à ce moment de l’orientation de la vie] consiste à chercher le véritable centre de la vie humaine, ce qui peut donner une hiérarchie, un ordre et un sens à tout le reste : le commerce avec Dieu, grâce à une vie intérieure authentique. Si, vivant dans le Christ, nous faisons de Lui notre centre, nous découvrons le sens de la mission qui nous a été confiée, nous avons un idéal humain qui devient divin, de nouveaux horizons d'espérance s'ouvrent devant notre vie, et nous parvenons à sacrifier avec joie non plus tel ou tel aspect de notre activité, mais toute notre vie, en lui donnant ainsi, paradoxalement, l'accomplissement le plus profond » (Entretiens 88).
Le Christ comme centre est la base de l'unité fondamentale qui tisse le mystère et l'action de Dieu avec la réponse de l'homme à son appel. L'une des idées maîtresses de saint Josémaria est précisément l'unité dans ses diverses manifestations, une unité qui ne s'oppose pas à la diversité, mais qui exclut tout dualisme. Dans l'histoire des religions et de la philosophie, le dualisme se présentait à l’origine comme la distinction et l'exclusion mutuelle entre l'esprit et la matière. Par la suite, ce dualisme a acquis des connotations théologiques et s’est présenté – sans cette nette opposition cosmologique antérieure – comme une distinction difficile à concilier entre nature et grâce, liberté et grâce, foi et raison, et d'autres encore. Le fondement de ce dualisme est varié, mais son remède est unique : l'unité, dans le Christ, de Dieu et de l'homme, de l'histoire et du mystère, de l'être et de la mission, de l'ontologie et de l'action salvifique. Dans le décret pontifical sur l'héroïcité des vertus de saint Josémaria, nous lisons à ce propos : « Grâce à une vive contemplation du mystère du Verbe Incarné, le Serviteur de Dieu a compris profondément que le tissu des réalités humaines est intimement mêlé, dans le cœur de l'homme qui renaît dans le Christ, à l'économie de la vie surnaturelle, devenant ainsi lieu et moyen de la sanctification » (texte original latin in Romana, 1990, p. 23).
« Il n'est pas possible de séparer la vie intérieure et l'apostolat, comme il n'est pas possible de séparer chez le Christ son être de Dieu fait homme et sa fonction de Rédempteur. Le Verbe a voulu s'incarner pour sauver les hommes, pour qu'ils ne fassent qu'un avec Lui » (QCP 122), dit saint Josémaria, en parfaite harmonie, d'ailleurs, avec la théologie moderne qui souligne l'unité inéluctable entre christologie et sotériologie. À proprement parler, « nous ne [pouvons] pas dire qu'il y ait des réalités — bonnes, nobles, voire indifférentes — exclusivement profanes, dès lors que le Verbe de Dieu a fixé sa demeure parmi les enfants des hommes » (QCP 112). L'unité de vie du chrétien se nourrit de l'unité parfaite du Christ, centre de toutes choses : « Non, mes enfants ! non, il ne peut y avoir de double vie, nous ne pouvons être pareils aux schizophrènes si nous voulons être chrétiens : il n'y a qu'une seule vie, faite de chair et d'esprit et c'est cette vie-là qui doit être – corps et âme – sainte et pleine de Dieu : ce Dieu invisible, nous le découvrons dans les choses les plus visibles et les plus matérielles » (Entretiens 114).
Le christocentrisme ne se limite pas au Christ comme centre, c'est-à-dire comme point d'appui ou de convergence d'un mouvement vital centripète. Certes, « tout subsiste en Lui » (Col 1, 17), et tout est dirigé vers Lui. Mais ce serait une erreur de le considérer comme quelque chose de statique, car, au contraire, c’est une source inépuisable de connaissance et de vie. En effet, la connaissance du Christ et la vie dans le Christ ne sont pas des moments successifs mais des aspects mutuellement imbriqués au point d'être inséparables. En ce sens, à travers la prière et sa propre expérience spirituelle, saint Josémaria a diffusé, sans en faire un problème particulier, une connaissance du Christ inséparable de la vie et de la charité. La foi et la charité n'existent ensemble que dans leur état connaturel. La foi sans la charité n'est pas impossible, mais c'est une situation anormale qui ne peut perdurer. Une connaissance purement « objective » du Christ n'est pas une vraie connaissance, car le Christ n'est pas un objet d'étude mais une personne vivante à rechercher, à rencontrer et à aimer. C'est la synthèse dont parle saint Josémaria dans la dédicace qu'il fit en 1933 en offrant le livre La Passion du Christ du Père De la Palma à Ricardo Fernández Vallespín, et à laquelle il fera plus tard allusion au point 382 de Chemin : « Sur cette Histoire de Jésus que je t’ai offerte, j’ai écrit en dédicace : “ Cherche le Christ, trouve le Christ, aime le Christ. ” — Ce sont trois étapes très distinctes. As-tu essayé, au moins, de vivre la première ? » (Cf. CECH, pp. 552-554)
La connaissance du Christ est un thème fondamental de la christologie vivante de saint Josémaria, mais l'expression se réfère à une connaissance avec tout ce qu'elle implique : les conditions subjectives pour que cette connaissance soit réelle, et l'enrichissement qu'elle apporte à ceux qui la développent en eux. Cela évoque, en premier lieu, la relation entre la connaissance et l'amour : « Quand on aime quelqu’un, on désire connaître tout ce qui le concerne. — Médite ceci : éprouves-tu le désir de connaître le Christ ? Car... c’est avec cette mesure-là que tu l’aimes » (F 37). On peut ainsi aller un peu plus loin et concrétiser l'amour avec le service. À plusieurs reprises, saint Josémaria fait le lien avec le service comme condition de la connaissance du Christ : « apprendre à accomplir cette mission de service, car ce n'est qu'ainsi que nous pourrons connaître le Christ et L'aimer » (QCP 182). Et plus tôt dans le même ouvrage, il affirme : « Connaître Jésus, par conséquent, c'est nous rendre compte que notre vie ne peut choisir d'autre orientation que de nous donner totalement au service des autres » (QCP 145).
3. Le Christ, médiateur
La référence explicite à l'expression du Christ comme « Médiateur » n'est pas fréquente dans les écrits de saint Josémaria : seulement trois fois dans Quand le Christ passe. « Car le Christ est le Chemin, le Médiateur : en Lui, nous trouvons tout ; hors de Lui, notre vie est vide » (QCP 102 ; l'idée était déjà exprimée presque littéralement un peu avant : cf. QCP 91). « Chacun de nous doit être ipse Christus. C'est Lui, l'unique médiateur entre Dieu et les hommes : et nous, nous nous unissons à Lui pour offrir, avec Lui, toutes choses au Père » (QCP 120).
Malgré l'absence d'un usage formel de l'expression « médiation du Christ », on peut affirmer que c'est précisément le Christ comme médiateur qui est le « récipient » le plus apte à accueillir dans une relation variée et harmonieuse les traits avec lesquels saint Josémaria a présenté sa vision de Jésus-Christ. « La perception profonde de la richesse du mystère du Verbe Incarné a été le fondement solide de la spiritualité du Fondateur » (DEL PORTILLO, 1993, p. 77). Et le « mystère du Verbe incarné » est précisément le mystère de l'unique Médiateur, l'homme Jésus-Christ qui a donné sa vie en rançon pour tous (cf. 1 Tm 2, 5).
La médiation du Christ exprime le dynamisme de sa centralité non seulement en tant que vie de l'humanité, mais aussi en tant que point de rencontre où converge, tout en y trouvant son origine, le mouvement qui part de Dieu et atteint l'humanité, et qui, de l'humanité, retourne à Dieu. Nous allons examiner quatre aspects essentiels de la compréhension christologique qu’a saint Josémaria de cette médiation unique du Christ : le Christ perfectus Deus, perfectus homo ; le sens de l'Humanité du Christ ; le Christ Rédempteur ; et enfin le Christ Prêtre.
a) Perfectus Deus, perfectus Homo
Saint Josémaria reprend fréquemment cette ancienne expression utilisée d’abord dans le Symbole d'Union[1] (433), et solennellement au Concile de Chalcédoine (451). « Le Christ est perfectus Deus, perfectus homo, Dieu, Seconde Personne de la Très Sainte Trinité, et homme parfait. Il apporte le salut et non la destruction de la nature » (AD 73). Dans l'usage qu'il en fait, il souligne ce qu'il considère comme étant passé le plus inaperçu, l'Humanité parfaite : « Iesus Cristus, perfectus Deus, perfectus Homo. — Jésus-Christ, Dieu parfait, et Homme parfait. Ils sont nombreux les chrétiens qui suivent le Christ, tout éblouis par sa divinité : mais ils L'oublient, Lui, en tant qu'Homme... » (S 652). « Perfectus Deus, perfectus homo, Dieu parfait et Homme parfait, en chair et en os, comme vous et moi » (AD 50).
« Chacun de ces gestes humains [il parle des récits évangéliques] est un geste de Dieu (...) Le Christ est Dieu fait homme, homme parfait, homme complet. Et dans l'ordre humain, Il nous fait connaître la divinité (...) Nous sommes en train de découvrir Dieu. Toute œuvre du Christ possède une valeur transcendante : elle nous fait connaître la façon d'être de Dieu, nous invite à croire à l'amour de ce Dieu qui nous a créés et qui veut nous introduire dans son intimité » (QCP 109). En plus de nous faire connaître Dieu, Jésus-Christ nous fait connaître le sens divin de la vie humaine, y compris celui de la vie ordinaire : « Jésus nous révèle que l'existence humaine, nos occupations courantes et ordinaires, ont un sens divin » (QCP 14) ; « Jésus prend l'homme au sérieux et veut lui faire connaître le sens divin de sa vie » (QCP109).
En insistant sur l'Humanité parfaite et réelle du Christ, saint Josémaria souligne que Jésus-Christ est médiateur dans la mesure où il est homme et que, par conséquent, il révèle la présence du divin dans l'humain. Unitatem teneat divinitas, medietatem suscipiat humanitas, « la divinité [du Sauveur] reste dans l'unité divine, et par son humanité il devient médiateur », avait écrit saint Augustin (Sermo 293, no 7). L'Humanité du Christ (la divina humanitas dont parle aussi l'évêque d'Hippone) montre la forme humaine de Dieu, tandis que la divinité (la humana divinitas) manifeste la manière divine d'être homme. Par son Humanité, le Verbe de Dieu est descendu au niveau des hommes, s'est fait proche d'eux. Ainsi, l'Incarnation a profondément marqué l’homme en le divinisant. La médiation du Christ en tant qu'être humain prend forme surtout dans son humiliation, dans laforma servi du médiateur, car cette « condition d’esclave » nous la rend proche de manière radicale : « Je te contemple, perfectus Deus, perfectus homo : vrai Dieu, mais aussi vrai homme. Avec une chair comme la mienne. Il s’est anéanti lui-même, prenant la condition d’esclave, pour que je ne doute jamais de sa compréhension, de son amour » (AD 201).
b) L'humanité du Christ, son don de soi et sa vie ordinaire
« Pour nous approcher de Dieu, nous devons emprunter la bonne voie : la Très Sainte Humanité du Christ » (AD 299). Saint Josémaria aborde l'Humanité du Christ sous différents angles (théologique, spirituel, mystique). Sur un plan biographique, la première est la perspective spirituelle. Les aspects théologiques et mystiques viennent plus tard. La perspective théologique – qui est celle qui nous intéresse maintenant – est celle indiquée dans le texte que nous venons de citer : la vraie connaissance de Dieu est celle que l’on trouve dans le Christ. « Tout le pouvoir, toute la majesté, toute la beauté, toute l’harmonie infinie de Dieu, ses richesses grandes et incommensurables, tout un Dieu ! est demeuré caché dans l’Humanité du Christ pour nous servir. Le Tout-Puissant se montre décidé à obscurcir sa gloire pour un temps, afin de faciliter la rencontre rédemptrice avec ses créatures » (AD 111). Saint Josémaria s'appuie sur le mystère de l'Incarnation dans une perspective descendante qui ne laisse aucun doute sur le fait que le Christ homme est le Fils bien-aimé, l'image parfaite du Père. En même temps, l'Humanité du Christ devient le point de départ du véritable accès à Dieu, de sorte que la boucle est bouclée dans le mouvement ascendant de l'humanité vers le mystère insondable et proche de la Trinité.
Dans les écrits de saint Josémaria, nous trouvons, bien que de manière floue et non explicite, un point que la théologie moderne a abordé (en se rattachant en fait à la tradition augustinienne et thomiste) : comment l'Humanité du Christ est le fondement d'une véritable sacramentalité. Saint Augustin parle du "mediatoris sacramentum", et Thomas d'Aquin de l'"instrumentum coniunctum", par lequel l'action salvifique parvient aux sacrements (cf. S.Th., III, q. 62, a. 5). Derrière ces expressions se cache la conviction que l'humanité du Christ est le signe efficace de la présence et du don de Dieu. Il y a dans l'Humanité du Christ une transcendance qui renvoie au don le plus parfait de Dieu à ses enfants et le réalise.
L'humanité du Christ est, écrit saint Josémaria, « cette merveille ineffable de Dieu qui s’humilie au point de devenir homme » (AD 178). Conformément à la kenosis dont parle saint Paul, saint Josémaria comprend l'Incarnation comme le fruit de l'abaissement et de l'humiliation du Fils, une humiliation qui révèle la valeur de chaque instant de la vie et de l'action humaine. Cet abaissement se manifeste avec force dans la vie ordinaire, cachée, vécue par Jésus pendant trente ans, que saint Josémaria contemple comme une lumière qui illumine tous les événements humains et dans laquelle il trouve la source d'inspiration du processus en vertu duquel tout chrétien se sait appelé à devenir alter Christus, ipse Christus. Mais cet abaissement qu’implique l'Incarnation acquiert son expression maximale dans l'humiliation de la passion de Jésus : « son Humanité souffrante, réduite à une loque » (AD 132) ; « la très Sainte Humanité du Seigneur, qui n'est plus qu'une plaie » (Chemin de Croix, Ière Station, point 5) ; les plaies de l'Humanité du Christ (cf. C 555 ; AD 302) sont des réalités qui touchent profondément le cœur et l'élèvent jusqu’à comprendre, dans la mesure de ce qui est donné à l'être humain, la profondeur de l'amour divin et à être rempli de joie en conséquence. « En contemplant la sainte Humanité de Notre Seigneur vous ressentez tous une immense joie en votre âme : un Roi avec un cœur de chair comme le nôtre ; l'auteur de l'univers et de chacune de ses créatures, qui n'impose pas sa domination mais mendie un peu d'amour en nous montrant en silence les plaies de ses mains » (QCP 179).
Saint Josémaria voit dans cette humiliation progressive du Christ en son Humanité l'expression la plus parfaite de l'amour qui imprègne le cœur du Christ, un amour qui, comme nous le verrons, est essentiellement rédempteur. « Traiter ce sujet [il parle de la pureté] revient à s’entretenir de l’Amour. Je viens de vous indiquer que je me sens aidé en ce domaine par le recours à la sainte humanité de notre Seigneur, à cette merveille ineffable de Dieu qui s’humilie au point de devenir homme et ne se sent pas dégradé d’avoir pris une chair identique à la nôtre avec ses limites et ses faiblesses, hormis le péché, et cela parce qu’il nous aime à la folie ! » (AD 178).
c) Le Rédempteur
« Il n'est pas possible de séparer, chez le Christ, son être de Dieu-Homme de sa fonction de Rédempteur. Le Verbe s'est fait chair et Il est venu sur la terre ut omnes homines salvi fiant, pour sauver tous les hommes (cf. 1 Tm 2, 4) » (QCP 106 ; cf. QCP 122). Plus loin nous nous attarderons sur l'action salvatrice et rédemptrice du Christ. Nous nous intéressons maintenant uniquement à l'identité du Christ en tant que rédempteur qui découle du fait qu'il est le seul médiateur entre Dieu et les hommes. Ceci entendu, il n'est pas possible de penser au Christ comme rédempteur uniquement dans la mesure où il agit comme tel, comme si cela dépendait de son activité. Le Christ est rédempteur en Lui-même, parce qu'il est le Médiateur, et par conséquent son action est rédemptrice ; il n'est pas rédempteur parce qu'il rachète, mais à l'inverse : il rachète parce qu'il est rédempteur. C'est dans cette conviction de l'identité rédemptrice du Christ que s'enracine la profonde perception théologico-spirituelle de saint Josémaria que l'on retrouve dans des expressions comme « le cheminement rédempteur de Jésus-Christ » (QCP 162), ou, à propos de la vie cachée, telle que : « Il réalisait la rédemption du genre humain » (QCP 14).
Parce que le Christ est le Rédempteur, toute sa vie a une valeur sotériologique. Certes, c'est dans la passion et la mort librement acceptée que – à la lumière de la théologie du sacrifice de l'Ancien Testament – culmine la Rédemption. Saint Josémaria fait référence à la Croix, qui est « emblème du Rédempteur » (Chemin de Croix, IIème Station, point 5), au « Sang rédempteur » (AD 302 ; QCP 8), au rédempteur de l'univers, immolé (cf. QCP 10), etc., comme des moments où la rédemption accomplie par le Christ devient complètement explicite et achevée. En même temps, cependant, il se rend compte que la rédemption ne peut être réduite à ces seuls moments.
Si la rédemption n'avait lieu qu'au Calvaire, le reste de la vie de Jésus, et notamment les trente années de vie cachée, n'aurait aucune importance et ne servirait qu'à souligner l'humilité de Jésus et non son action salvatrice. Saint Josémaria comprend que l'unité de vie de notre Seigneur rend impossible d’y distinguer des moments : Jésus est le Rédempteur et, pour cette raison, toute sa vie est rédemptrice. Et parler ici de rédemption, c'est se référer non seulement à l'efficacité (cause efficiente), mais aussi à l'illumination (cause exemplaire) que cette vie apporte à l'homme. À partir du Christ, la vie humaine n'est pas dominée par une interrogation sur le sens de la vie, puisqu'elle trouve dans le Christ – exemplaire et modèle – la réponse : « En grandissant et en vivant comme l'un d'entre nous, Jésus nous révèle que l'existence humaine, nos occupations courantes et ordinaires, ont un sens divin » (QCP 14). On peut donc conclure en acceptant sans ambages l'ancienne distinction entre sacramentum et exemplum comme parfaitement adéquate au Christ Rédempteur.
d) Le Prêtre
La fonction du médiateur est une fonction sacerdotale bien qu'elle ne s'y réduise pas. Parce qu'il est médiateur, Jésus-Christ est prêtre, et son sacerdoce trouve sa plus haute expression dans le sacrifice. Saint Josémaria avait une perception existentielle du sens du sacerdoce du Christ, c'est-à-dire qu'il comprenait le Christ en tant que prêtre, en s’approchant de Lui à partir de sa propre condition sacerdotale, poussé par le désir de mieux comprendre le modèle et l'exemple dont il devait s'inspirer pour sa vie de prêtre.
Saint Josémaria se réfère au Christ prêtre en utilisant trois marques principales. La première décrit le Christ comme prêtre éternel et en même temps comme victime : « Prêtre éternel, Jésus-Christ, qui est en même temps la Victime » (QCP 85 ; cf. Aimer l’église 45-47). L'éternité du sacerdoce du Christ a été commentée par saint Josémaria dans sa prédication à partir de He 7, 3, surtout à partir du verset 24. Le prêtre éternel est en même temps la victime parfaite et unique (« en fait, la seule Victime ! » : F 785). Cette victime est le Christ Roi, et roi sur la Croix (cf. QCP 179), ce qui introduit l'aspect suivant du sacerdoce du Christ.
En second lieu donc, saint Josémaria fixe son regard sur le geste du prêtre éternel qui étend les bras sur la Croix : « Le Christ, Lui qui est monté sur la Croix les bras grands ouverts dans un geste de Prêtre éternel... » (F 4). La relation entre le Christ Prêtre et la Croix est inséparable : « Le Seigneur, Prêtre éternel, bénit toujours au moyen de la Croix » (S 257). Mais la Croix n'est pas seulement le lieu de l'offrande de la victime, mais aussi le trône d'où règne le Christ prêtre. L'idée était déjà contenue dans Saint Rosaire : « Pour Jésus de Nazareth, Roi des Juifs, on a préparé le trône de triomphe. Ni toi ni moi ne le voyons se tordre de douleur lorsqu’on le cloue : souffrant tout ce que l’on peut souffrir, il étend les bras dans un geste de Prêtre Éternel » (Saint Rosaire, Cinquième Mystère Douloureux).
La troisième référence au Christ prêtre découle des précédentes : le Christ prêtre et victime se donne et en même temps règne sur la Croix, et de là, à bras ouverts – c'est le nouveau pas – attire tout à lui. « Jésus, dans un geste de prêtre éternel, attire à Lui toutes choses, pour les placer, divino afflante spiritu, avec le souffle du Saint-Esprit, en la présence de Dieu le Père » (QCP 94). L'attraction exercée par le Christ depuis la Croix est un point essentiel dans la compréhension du Christ par saint Josémaria, surtout après l'événement du 7 août 1931 (cf. RODRÍGUEZ, 1991, pp. 331-352). Saint Josémaria lui-même l'explique dans Entretiens 59 : « Depuis de très nombreuses années, depuis la date même de la fondation de l'Opus Dei, j'ai médité et fait méditer les paroles du Christ que nous rapporte saint Jean : et ego, si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad meipsum Jn 12, 32). Le Christ, en mourant sur la Croix, attire à Lui la création tout entière ». Et il faut souligner que cette attraction est celle du Christ Prêtre qui, depuis la Croix, « attire à Lui toutes les choses » (Chemin de croix, XIème Station, point 3), et les présente, unies à la victime – c’est-à-dire Lui-même –, au Père.
Une dernière remarque : du Christ prêtre découle le sacerdoce réel des chrétiens, appelés à être alter Christus, et le sacerdoce ministériel qui, par le sacrement de l'Ordre, configure les prêtres au Christ tête. Mais l'examen de ces points dépasse le cadre de ces pages.
4. Le Christ, Sauveur : Chemin, Vérité et Vie
Le titre de « Sauveur » est sans doute l'un des plus appropriés pour désigner Jésus-Christ : « La foi nous porte à reconnaître Dieu dans le Christ, à voir en Lui notre Sauveur, à nous identifier avec Lui, à œuvrer comme Il a œuvré » (QCP 106). Désigner le Christ comme Sauveur est plus large que de l'appeler Rédempteur, puisque la rédemption est un aspect fondamental mais pas le seul du salut. Au salut appartiennent également la révélation, la divinisation (Christ, vérité et vie), etc. « Le Verbe s'est fait chair et Il est venu sur la terre ut omnes homines salvi fiant, pour sauver tous les hommes (cf. 1 Tm 2, 4). Avec nos misères et nos limitations personnelles, nous sommes d'autres Christs, le Christ Lui-même et nous aussi sommes appelés à servir tous les hommes. (...) Notre Seigneur est venu apporter la paix, la bonne nouvelle, la vie à tous les hommes » (QCP 106).
Dans les sections précédentes, l'accent a été mis sur la personne de Jésus-Christ dans un sens descendant, pour ainsi dire : Le Christ est le don de Dieu qui descend du ciel, en qui nous trouvons notre centre, le médiateur par lequel Dieu s'approche de nous. Il s'agit maintenant de réfléchir sur le Christ Sauveur dans un sens ascendant, c'est-à-dire comme un chemin ouvert pour que le chrétien l’emprunte et qu’ainsi le mystère du Christ atteigne sa pleine efficacité salvatrice : « Jésus est le Chemin, le Médiateur ; en Lui se trouve tout ; hors de Lui, il n'y a rien » (QCP 91). Jésus devient le chemin en s'incarnant, et c'est ainsi que la vérité et la vie viennent à l'homme, comme l'avait écrit saint Augustin : « En tant qu’il demeure dans le Père, il est la vérité et la vie ; il est la voie, parce qu’il s’est revêtu de notre humanité » (Traité de l'Évangile de saint Jean, 34, 9). En se faisant chemin de la montée vers Dieu, le Christ remplit sa fonction de médiateur car il rend possible à l'homme d'aller vers Lui. En s'offrant comme sacrifice et expiation, le Christ réalise la réconciliation et place devant le Père la réponse humaine au don du salut, réponse à laquelle tous les hommes et toutes les femmes peuvent s'associer en s'identifiant à Lui.
Le Christ est le chemin par l'Incarnation. C'est pourquoi saint Josémaria parle de la « bonne voie » pour s'approcher de Dieu, qui est « la Très Sainte Humanité du Christ » (AD 299) : en contemplant le Christ « qui dépense sa vie au service des autres, nous faisons beaucoup plus que décrire une éventuelle façon de se conduire. Nous sommes en train de découvrir Dieu » (QCP 109). L'idée est complétée par la mise en relation de l'Humanité avec la Croix : « Pour arriver à Dieu, le Christ est le chemin ; mais le Christ est sur la Croix » (Chemin de Croix, Xème Station).
Il reste cependant une question majeure à considérer : pour atteindre le chemin qu'est le Christ, le souvenir de sa vie, dont on s'inspire et dont on prend exemple, est-il suffisant ? Et si le passé ne suffit pas, où trouver le Christ ? Ce sont des questions qui se posent à ceux qui entendent la prédication chrétienne pour la première fois, et aussi à ceux qui, étant chrétiens, se trouvent confrontés à l'urgence de montrer le Christ vivant aux autres.
Saint Josémaria affirme catégoriquement dans un texte extrêmement puissant d'une homélie pascale : « le Christ n'est pas une figure qui n'a fait que passer, qui n'a existé qu'un certain temps et qui s'en est allée en nous laissant un souvenir et un exemple admirables (...) Le Christ vit (...) » (QCP 102). « Le Christ vit. La voilà la grande vérité qui donne son contenu à notre foi » (Ibid). Nous trouvons le Christ vivant, affirme-t-il, dans l'Église, dans l'Eucharistie, dans le chrétien. Ainsi que, mais dans un autre sens, dans son "cheminement" (« le Christ qui passe ») à travers le monde, à travers les événements ordinaires de la vie du chrétien.
Dans l'Église : « Le Christ demeure dans son Église : dans ses sacrements, dans sa liturgie, dans sa prédication, dans toute son activité » (ibidem). Dans l'Eucharistie : « La présence de Jésus vivant dans la sainte Hostie est la garantie, la racine et la consommation de sa présence dans le monde » (ibidem). Dans le chrétien : « Le Christ vit dans le chrétien. La foi nous dit que l'homme en état de grâce est divinisé. Nous sommes des hommes et des femmes, non des anges. Des êtres en chair et en os, avec un cœur et des passions, des tristesses et des joies. Mais la divinisation s'accomplit dans l'homme tout entier, comme une anticipation de la résurrection glorieuse » (CP 103).
Par ailleurs le Christ est celui qui passe à nos côtés. « C'est encore le Christ qui passe ! » (QCP 71). Le Christ qui passe signifie la clémence divine (cf. QCP 67) ; Il se rend présent à nous dans les besoins de nos frères humains (cf. QCP 145) ; Il attend de nous – aujourd'hui, maintenant – un grand changement (cf. QCP 59). Le Christ continue à passer dans les rues et sur les places du monde, à travers ses disciples, les chrétiens (cf. QCP 71 ; F 665). « C’est Jésus qui passe, et c’est Jésus qui reste. Il demeure en toi, en chacun de vous et en moi » (F 673). Le passage de Jésus transforme la réalité en la rendant porteuse de « quelque chose de divin » (Cf. Entretiens 116 & 121 ; AD 305) et de la possibilité que la vie ordinaire soit l'occasion d'une rencontre avec Dieu. Le passage de Jésus dont parle saint Josémaria évoque les versets de saint Jean de la Croix dans le Cantique Spirituel. À l'appel lancé à la création : « dites-moi si vous l’avez vu passer », il répond : « C’est en répandant mille grâces / Qu’il est passé en hâte par ces bocages / En les regardant / Par sa seule figure / Il les a laissés revêtus de beauté ». Si la création, selon le mystique castillan, se revêt de beauté lorsque Jésus-Christ la traverse, saint Josémaria montre que l'on peut en dire autant de la vie et de l'activité ordinaires des disciples de Jésus traversés par ce « quelque chose de divin » qu'a laissé en eux le fait d'avoir eu pour protagoniste le Fils de Dieu fait homme.
Pour rencontrer le Christ il faut s'ouvrir à lui par la foi. « Dans ce domaine, dit saint Josémaria, le sommet du progrès est déjà atteint : c'est le Christ, alpha et oméga, commencement et fin (cf. Ap 21, 6). Dans la vie spirituelle, il n'y a pas de nouvelle époque à laquelle il faudrait parvenir. Tout a déjà été donné dans le Christ, qui est mort, qui est ressuscité, qui vit et demeure toujours. Mais il nous faut nous unir à Lui par la foi, en laissant sa vie se manifester en nous, afin que l'on puisse dire que chaque chrétien est non plus alter Christus, mais ipse Christus, le Christ lui-même ! » (QCP 104).
En soulignant que le Christ vit (« le Christ n'est pas une figure qui n'a fait que passer, (...) le Christ vit. Jésus est l'Emmanuel : Dieu est avec nous » QCP 102), saint Josémaria montre que la relation de l'homme avec le Christ doit se fonder sur une connaissance vivante, existentielle, consistant à entrer dans la fréquentation, l’imitation et l'identification qui constituent des jalons dans l'itinéraire de la relation avec Jésus-Christ. « Fréquenter le Christ, dans la Parole et dans le Pain » (QCP 116) apparaît comme une tâche irremplaçable pour que le Christ vive dans le chrétien. La prière biblique et liturgique sont des préalables nécessaires. « Ilfaut fréquenter le Christ, dans la Parole et dans le Pain, dans l'Eucharistie et dans la prière. Et Le fréquenter comme on fréquente un ami, un être réel et vivant comme l'est le Christ, puisqu'Il est ressuscité » (ibidem). Cette relation dans le Pain et dans la Parole implique la méditation de la vie de Jésus, surtout la vie cachée et la passion : de l'une et l'autre, le chrétien reçoit la lumière pour connaître le Christ en profondeur, pour graver dans son esprit et dans son cœur une image vivante de Jésus qui inspire sa vie et son action. C’est du contact avec Jésus-Christ « afin de pouvoir L’aimer toujours davantage » (F 545), et du fait de le « traiter comme un frère » (cf. Entretiens 67) que naissent le fait de L’imiter et de se mettre à sa suite pour finir par l'identification avec Lui.
L’imiter et se mettre à sa suite : cela se comprend mieux à la lumière des mystères de la vie du Christ. En effet, la forme narrative sous laquelle saint Josémaria se réfère ordinairement à Jésus-Christ a donné lieu dans ses écrits à une véritable théologie des mystères de la vie du Christ. Dans la lignée de saints comme sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et saint Jean Eudes, saint Josémaria a apporté sa propre expérience et compréhension de la vie en tant que représentation de la vie même de Jésus. Si, à la suite du Catéchisme de l'Église Catholique (nos 512-570), nous distinguons les mystères de la vie cachée et ceux de la vie publique de Jésus, nous devrions dire que saint Josémaria a surtout mis en valeur les premiers, les mystères de la vie cachée, tout en s'ouvrant, à partir d'eux, à toute la réalité de l'existence terrestre de Jésus. Dans une homélie sur l'Ascension – « le dernier des mystères de la vie de Jésus-Christ parmi les hommes » – nous lisons : « Depuis sa naissance à Bethléem que de choses se sont passées : nous L'avons trouvé dans la crèche, adoré par des bergers et par des rois ; nous L'avons contemplé pendant ces longues années de travail silencieux, à Nazareth ; nous L'avons accompagné à travers les terres de Palestine, prêchant le Royaume de Dieu aux hommes et faisant du bien à tous. Et, plus tard, lors de sa Passion, nous avons souffert en voyant comment on L'accusait, avec quelle cruauté on Le maltraitait, avec quelle haine on Le crucifiait » (QCP 117).
Dans la vie cachée de Jésus saint Josémaria a mis en évidence un domaine d'imitation qui touche la vie ordinaire de la plupart des gens. L'imitation du Christ dans sa « vie de travail ordinaire au milieu des hommes », sanctifiée comme une offrande très agréable au Père, est un chemin qui s’offre à tous les hommes. Ceux qui comprennent la valeur sainte et sanctifiante de la vie cachée du Christ se rendent compte que l'imitation de cette vie est un chemin de sainteté pour tous (cf. ARANDA, 2000, p. 167).
Par la considération des mystères de la vie publique, imiter le Christ revient peu à peu à se mettre à sa suite. « Suivre le Christ : voilà le secret. L’accompagner de si près que nous vivions avec lui, comme ses douze premiers apôtres ; de si près que nous nous identifiions à lui » (AD 299). C'est le chemin de « l'identification au Christ, de la sainteté » (QCP 58), et donc de la pleine réalisation de la dignité à laquelle l'homme est appelé par la grâce de Dieu. Terminons donc par une citation d'une homélie de la fête de l'Épiphanie : « Aux pieds de Jésus Enfant, en ce jour de l'Épiphanie, devant un Roi dépourvu des signes extérieurs de la royauté, vous pouvez dire : Seigneur, supprime de ma vie l'orgueil ; brise mon amour-propre, cette volonté de m'affirmer moi-même et de m'imposer aux autres. Fais que le fond de ma personnalité soit de m'identifier à Toi » (QCP 31).
Thèmes connexes : Croix ; Eucharistie ; Identification au Christ ; Sainte Trinité.
Bibliographie : Antonio ARANDA "El bullir de la Sangre de Cristo". Estudio sobre el cristocentrismo del Beato Josemaría Escrivá, Madrid, Rialp, 2000; Manuel BELDA - José ESCUDERO - José Luis ILLANES - Paul O'CALLAGHAN (eds.) Santidad y mundo. Actas del simposio teológico de estudio en torno a las enseñanzas del beato Josemaría Escrivá (Roma, 12-14 octubre 1993), Madrid, EUNSA, 1996; Ramón HERRANDO Los años de seminario de Josemaría Escrivá en Zaragoza (1920-1925). El seminario de San Francisco de Paula, Madrid, Rialp, 2002; José Luis ILLANES, "El cristiano "alter Christus - ipse Christus". Sacerdocio común y sacerdocio ministerial en la enseñanza del beato Josemaría Escrivá de Balaguer", in Gonzalo ARANDA - Claudio BASEVI - Juan CHAPA (eds.) Biblia, exégesis y cultura. Estudios en honor del Prof. D. José María Casciaro, Pamplona, EUNSA, 1994, pp. 605-622; Álvaro DEL PORTILLO Entrevista sobre el Fundador del Opus Dei, Madrid, Rialp, 1993; Pedro RODRÍGUEZ, ""Omnia traham ad meipsum". El sentido de Juan 12, 32 en la experiencia espiritual de Mons. Escrivá de Balaguer" Romana. Boletin de la Prelatura de la Santa Cruzx y Opus Dei, 13 (1991), pp. 331-352; Giuseppe TANZELLA-NITTI, "Perfectus Deus, perfectus homo. Riflessioni sull'esemplarità del mistero dell'Incarnazione del Verbo nell'insegnamento del Beato Josemaría Escrivá", in Romana. Bollettino della Prelatura della Santa Croce e Opus Dei, 25 (1997), pp. 360-381.
[1]NdT Le Symbole d’union, parfois appelé Symbole d'Éphèse, est l’exposé christologique signé conjointement, en 433, par Cyrille, patriarche d'Alexandrie, et Jean, patriarche d’Antioche, pour proclamer leur accord sur la théologie concernant la personne du Christ, deux ans après les affrontements du concile d’Éphèse et la condamnation de Nestorius.