1. Racines théologiques de l’apostolat de l’exemple.
2. Le chrétien, signe du Christ.
3. La foi avec les œuvres : la parole et l’exemple.
4. Cohérence de vie.
5. L’attraction divine.
Le sens de l’apostolat de l’exemple dans la doctrine de saint Josémaria peut se résumer en citant le point 1 de Chemin : « Que ta vie ne soit pas une vie stérile. — Sois utile — Laisse ton empreinte. — Que rayonne la lumière de ta foi et de ton amour. Efface, par ta vie d’apôtre, la trace visqueuse et sale qu’ont laissée les impurs semeurs de haine. — Et embrase tous les chemins de la terre au feu du Christ que tu portes dans ton cœur ».
1. Racines théologiques de l’apostolat de l’exemple
Saint Josémaria insistait sur le fait que le fondement de l’esprit de l’Opus Dei est la filiation divine. Le reste des caractéristiques de la physionomie de l’esprit que Dieu a voulu pour l’Opus Dei peut être considéré comme découlant de cette lumière centrale. C’est aussi le cas du témoignage, cette manifestation de l’apostolat qui doit être l’expression d’une vie chrétienne vraiment vécue et, par conséquent, de la condition d’enfant de Dieu reçue au Baptême par la grâce de l’Esprit Saint.
« Toute la vie du Christ est Révélation du Père : ses paroles et ses actes, ses silences et ses souffrances, sa manière d’être et de parler. Jésus peut dire : " Qui me voit, voit le Père " (Jn 14, 9) » (CEC, no 516). En même temps, Dieu le Père témoigne de son Fils : « Celui-ci est mon Fils (…) : écoutez-le ! » (Lc 9, 35), entend-on au moment de la Transfiguration. Jésus annonce qu’après son Ascension, ce sera l’Esprit Saint qui témoignera du Père et du Fils, et que les Apôtres témoigneront aussi : « Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur. Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement » (Jn 15, 26-27).
Le chrétien qui vit la vie de grâce, c’est-à-dire la vie de Dieu qui lui a été communiquée, rend témoignage à Dieu Lui-même par l’imitation du Christ, image parfaite du Père. Jésus-Christ est le chemin que tout chrétien doit emprunter pour atteindre le Père et pour être et se sentir vraiment un enfant de Dieu. L’Incarnation du Verbe, l’assomption de la nature humaine par la deuxième personne de la Sainte Trinité, rend possible ce chemin de filiation. En conséquence, suivre et s’identifier au Christ conduit à la divinisation de notre propre vie. C’est ce que souligne saint Josémaria dans Forge : « Tu dois imiter Jésus-Christ et le faire connaître par ta conduite. N’oublie pas que le Christ a assumé notre nature, afin d’introduire tous les hommes dans la vie divine. C’est ainsi qu’unis à lui, nous pourrons vivre les commandements du ciel dans notre vie individuelle et sociale » (F 452).
2. Le chrétien, signe du Christ
Le chrétien est appelé par sa vie à manifester la vie de celui avec qui il est uni : le Christ lui-même. L’action du Christ et de l’Esprit Saint conduit à l’imitation du Christ, dans laquelle s’enracine l’exemplarité du chrétien : « Embrasser la foi chrétienne, c'est s'engager à poursuivre la mission de Jésus parmi les créatures. Chacun d'entre nous doit être alter Christus, ipse Christus, un autre Christ, le Christ lui-même » (QCP 183).
La relation et l’union avec le Christ doit informer la vie du chrétien ; elles conduisent donc à l’imitation. « Jésus est notre modèle : imitons-le ! » (F 138). Et d’une manière plus développée : « Vis ta vie chrétienne avec naturel ! J’insiste : fais connaître le Christ par ta conduite comme un bon miroir qui renvoie une image non déformée, non caricaturale. — Si tu es aussi bon que ce miroir, tu reflèteras la vie du Christ, et les autres pourront voir » (F 140). En parlant de cette façon, saint Josémaria a présent à l’esprit une imitation du Christ qui façonne la personnalité du chrétien de l’intérieur. La transformation en Christ, qui est le fruit de l’action de la grâce, non seulement respecte mais donne de l’éclat à la personnalité propre dans laquelle se voit finalement par transparence l’amour qu’est Dieu Lui-même. Ainsi dit saint Josémaria : nous devons « lutter pour que notre conduite rappelle Jésus, évoque sa figure très aimable. Nous devons nous conduire de telle manière que les autres puissent dire en nous voyant : celui-ci est chrétien, parce qu'il n'a pas de haine, parce qu'il sait comprendre, parce qu'il n'est pas fanatique, parce qu'il domine ses instincts, parce qu'il se sacrifie, parce qu'il manifeste des sentiments de paix, et parce qu'il aime » (QCP 122).
L’imitation du Christ se traduit, pour le chrétien ordinaire, par l’exercice des vertus humaines et surnaturelles dans la vie ordinaire. L’héroïsme chrétien prêché par saint Josémaria est simple, sans stridence, avec la force qui découle du naturel et de la sincérité : « Nous donnerons à ceux qui nous entourent le témoignage d'une vie simple et normale, non exempte des limitations et des défauts propres à notre condition humaine mais pourtant cohérente. En nous voyant égaux à eux en toute chose, les autres se sentiront invités à nous demander : “ Comment s'explique votre joie ? D'où tirez-vous des forces pour vaincre égoïsme et commodité ? Qui vous apprend cette compréhension, cette bonne entente pleine de franchise, cet esprit de service et ce don de vous-même aux autres ? ” C'est alors le moment de leur découvrir le secret divin de l'expérience chrétienne, de leur parler de Dieu, du Christ, du Saint-Esprit, de Marie. C'est le moment d'essayer de transmettre, à travers notre pauvre langage, la folie de l'amour de Dieu que la grâce a répandu dans nos cœurs » (QCP 148).
3. La foi avec les œuvres : la parole et l’exemple
Saint Josémaria, dans son homélieAimer le monde passionnément, a parlé de ″matérialisme chrétien″. Par cette expression il en est venu à mettre en évidence, de manière imagée, quelque chose d’essentiel au message chrétien : l’incorporation vitale, faite de chair et de sang, de la foi. L’Incarnation du Verbe, la constitution sacramentelle de l’Église et l’annonce d’une vie après la mort ne sont pas des aspects secondaires, mais essentiels, de la foi catholique. Ils mettent en évidence la transcendance de notre destin et rendent présente la tension eschatologique dans laquelle existent les réalités temporelles. Ils témoignent que la vie éternelle nous attend « car il passe, ce monde tel que nous le voyons » (1 Co 7, 31), et ils donnent de la vigueur à une tension sans laquelle l’Église deviendrait fugace en se submergeant dans l’histoire (cf. Ratzinger, 1984, p. 124) ; mais ils ne séparent pas du monde puisqu’en même temps ils impliquent que cette vie éternelle refonde l’histoire et lui donne un sens.
Dans ce contexte, nous devons comprendre l’insistance de la prédication catholique et de saint Josémaria sur le fait que la foi doit être une « foi vivante » profonde et authentique qui transforme le cœur et, par conséquent, se traduit en œuvres. La foi vit dans les œuvres, à la suite concrète de Jésus : « Le suivre sur le chemin. Tu as compris ce que le Seigneur te proposait, et tu as décidé de l’accompagner sur le chemin. Tu t’efforces de mettre tes pas dans les siens, de revêtir la robe du Christ, d’être le Christ lui-même. En effet ta foi, cette foi en la lumière que le Seigneur te donne, doit être opérante et empreinte de sacrifice. Telle est la foi qu’il attend de nous : nous devons avancer à son rythme, en œuvrant avec générosité, en déracinant et en jetant au loin tout ce qui entrave notre marche » (AD 198).
C’est la raison de l’importance du témoignage de vie et aussi la raison pour laquelle l’exemple doit être uni à la parole dans la vie du chrétien comme il l’a été dans la vie du Christ qui est venu faire et enseigner le bien (Ac 1, 1) : « C’est en vertu de ta condition de citoyen courant, et très précisément de la “laïcité” qui est la tienne, ni plus ni moins grande que celle de tes collègues, que tu dois avoir le courage — bien coûteux quelquefois — de rendre ta foi “tangible” : que l’on voie tes bonnes œuvres et ce qui te pousse à agir » (F 723). L’exemple manifeste dans les œuvres la réalité de la grâce et la parole fait connaître la racine (la vie de Dieu communiquée par la grâce) d’où naissent les œuvres.
Parole et exemple (témoignage) doivent être unis dans la vie du chrétien. Un discours sur le Christ qui ne serait pas contresigné par une vie cohérente sonnerait creux et courrait le risque de rester dans le vide. Un exemple qui ne débouche pas sur des paroles, sur un discours qui engage, qui interpelle, qui pousse à rapprocher les âmes de Dieu, serait un exemple incomplet et inachevé. « Bien que nous en soyons personnellement indignes, la grâce de Dieu fait de nous des instruments capables d'être utiles aux autres et de leur communiquer cette bonne nouvelle : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (QCP 175). « Certains se demanderont peut-être comment, de quelle manière, ils peuvent communiquer cette connaissance du Christ aux autres. Je vous répondrai : avec naturel, avec simplicité, en vivant exactement comme vous le faites au milieu du monde (...).C'est alors le moment de leur découvrir le secret divin de l'expérience chrétienne, de leur parler de Dieu, du Christ, du Saint-Esprit, de Marie. C'est le moment d'essayer de transmettre, à travers notre pauvre langage, la folie de l'amour de Dieu que la grâce a répandue dans nos cœurs » (QCP 148).
Le binôme qui vient d’être mentionné, parole et exemple, se prolonge, dans le vocabulaire de saint Josémaria, dans un autre : piété et doctrine. « La foi n’est pas destinée uniquement à être prêchée : elle doit être tout spécialement mise en pratique » (AD 204). La foi se manifeste dans le comportement. La vie du chrétien, éclairée par la foi, la fait resplendir, ouvre la voie à sa transmission. C’est pourquoi l’Écriture peut dire que le chrétien est sel et lumière, ce qui exige de la piété (une vie chrétienne de relation effective avec Dieu) et de la doctrine, la connaissance de la foi pour pouvoir la communiquer : « "On n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le lampadaire, pour qu'elle éclaire tous ceux de la maison ; que votre lumière brille ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux." Et, quand s'achève son séjour sur la terre, Il donne cet ordre : "euntes docete" — allez et enseignez. Il veut que sa lumière brille dans la conduite et dans les paroles de ses disciples, et dans les tiennes aussi » (S 930).
4. Cohérence de la vie
La vie de l’apôtre doit être cohérente : il doit parler de ce qu’il pratique et pratiquer ce dont il parle ; et tant ce qu’il pratique que ce dont il parle doivent refléter son identification au Christ. C’est là le véritable comportement exemplaire : la transparence et la véracité de la vie chrétienne (cf. AD 141). Saint Josémaria met constamment en garde contre le danger de mener une double vie. Une vie de foi rabougrie, qui n’agit qu’au sein des édifices religieux et des cérémonies ecclésiastiques, et une autre, la vie de travail, de relation sociale, de famille ou de divertissement. En utilisant une de ces expressions typiques qu’il chérissait tant, il disait qu’il fallait être « d’une seule pièce » : « J’éprouverais une immense tristesse si l’on était fondé à affirmer, de l’un d’entre nous, qu’il est incohérent ; un homme qui prétend vouloir être vraiment chrétien, saint, mais qui en méprise les moyens, puisqu’il ne témoigne pas continuellement à Dieu son affection et son amour filial dans l’accomplissement de ses obligations. Si telle était notre façon d’agir, nous ne serions pas non plus, ni toi ni moi, des chrétiens faits tout d’une pièce » (AD 19). La cohérence de vie n’implique pas l’absence d’erreurs ou de fautes, mais la lutte pour en rectifier constamment le cours (cf. AD 163-164).
La foi exclut la désertion, le fait d’être enfermé dans une tour d’ivoire. Le chrétien doit être cohérent avec sa foi dans toutes les manifestations de la vie : dans la famille, au travail, dans son cercle d’amis, dans la vie sociale et publique. « Ayons le courage de vivre, de façon publique et constante, en conformité avec notre sainte foi » (S 46). Un tel témoignage, cohérent en tout temps et dans toutes les situations, est ce dont le monde a besoin pour garder vivante son espérance dans la possibilité d’une existence plus conforme à l’essence de l’humanité. L’apôtre ne doit pas renoncer à configurer un avenir meilleur pour le monde, tout en soulignant que cet avenir a pour pierre angulaire l’enseignement du Christ lui-même : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » (Mt 6, 10). C’est ce qu’il rend public par sa conduite.
Selon la hauteur ou le manque de hauteur intellectuelle, morale et esthétique d’une société donnée, il y aura des moments où le chrétien marchera – par la publicité intrinsèque à sa conduite – à contre-courant. La doctrine du Christ, à son époque de l’histoire, n’était pas non plus accommodante. Et ce sera toujours une doctrine difficile à accepter tant pour ceux qui la pratiquent, qui doivent lutter contre le péché, que pour ceux qui l’écoutent, qui peuvent avoir tendance à se détourner de la lumière : « Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées » (Jn 3, 20-21). C’est pourquoi le chrétien doit être fort pour, quand le cas se présente, manifester la foi, lui rendre raison, même si cela coûte.
« Ne pas se laisser emporter par l’environnement. Apporter l’atmosphère du Christ en tous lieux » est l’expression qu’il utilise souvent dans ses écrits pour parler de cette publicité de la foi par les œuvres. Ainsi, saint Josémaria souligne dans Sillon, 318 : « Il y a bien des années, j'ai découvert très clairement un critère qui sera toujours valable : l'atmosphère de la société, son éloignement de la foi et de la morale chrétienne, requièrent une nouvelle façon de vivre et de propager la vérité éternelle de l'Évangile. Au beau milieu de la société, du monde, les enfants de Dieu doivent rayonner par leurs vertus, comme des lampes dans l'obscurité — "quasi lucernae lucentes in caliginoso loco." ».
5. L’attraction divine
L’apostolat de l’exemple prend la forme d’une « invitation », d’une « suggestion ». Le chrétien présente sa vie aux autres comme une accréditation qui les invite à l’accompagner dans la suite du Christ. C’est donc quelque chose d’absolument étranger à l’imposition d’une attitude dure ou méprisante. C’est ainsi que le dira saint Josémaria : « Si nous méditons l’Évangile, et si nous examinons les enseignements de Jésus, nous ne confondrons pas ces ordres [le compelle intrare de la parabole de l’invitation aux noces dans Lc 14,23] avec la contrainte. Voyez comment le Christ insinue toujours : Si tu veux être parfait…, si quelqu’un veut venir à ma suite… » (AD 37).
La vie de l’apôtre peut ainsi être comparée, philosophiquement parlant, à la cause exemplaire, celle qui produit son effet par sa beauté et sa perfection dans la recherche et l’amour du bien, c’est-à-dire pour le proposer comme la fin de ses propres actions. C’est la beauté qui incline le plus impétueusement à agir ; or, la beauté doit être perçue, chacun en juge, par la répercussion qu’elle peut être appelée à avoir dans sa propre vie. C’est pourquoi la conduite exemplaire à la suite du Christ laisse une telle marge de liberté. Saint Josémaria attribue à l’apôtre « une force vitale qui entraîne » (F 709). Et il prévient en même temps que cette force est à l’opposé de toute coercition. La seule « coercition » que Jésus exerça dans son passage sur terre était celle de l’amour. Celui qui aime, s’engage. C’est l’amour de Dieu pour l’homme qui, en fin de compte, attire l’homme vers Dieu. C’est la raison pour laquelle saint Josémaria dit qu’une coercition violente serait aussi injuste qu’inefficace car « personne sur la terre ne doit se permettre d’imposer au prochain la pratique d’une foi qu’il n’a pas ; de même que personne ne peut s’arroger le droit de faire du tort à celui qui l’a reçue de Dieu » (AD 32). « En dernier ressort, il est évident que les décisions qui déterminent l'orientation d'une vie, doivent être prises par chacun personnellement, en pleine liberté, sans contrainte ni pression d'aucune espèce (...). Le conseil ne supprime pas la liberté, il donne des éléments pour juger, ce qui élargit les possibilités de choix et fait que la décision n'est pas déterminée par des facteurs irrationnels » (Entretiens 104).
Thèmes connexes : Apostolat.
Bibliographie :C 916-917, C 943-944 ; QCP 21 : Benoît XVI, Exhortation. Ap. Sacramentum caritatis 2007 ; Jean-Paul II, Cart. Ap. Novo millennio ineunte 2001, 24 et suiv. ; Scott Hahn Travail ordinaire, grâce extraordinaire. Mon chemin spirituel dans l’Opus Dei, Madrid, Rialp, 2007 ; Domingo Ramos-Lissón, « L’exemple des premiers chrétiens dans les enseignements due la bienheureux Josémaria » Romana. Bulletin de la Prélature de la Sainte-Croix et de l’Opus Dei 29 (1999), pp. 292-307 ; Joseph Ratzinger - Vittorio Messori Rapport sur la Foi, Madrid, BAC, 1985 ; Kristina Simon, « L’audace de l’exemple », dans GVQ, VIII p. 37-39.