1. L’expérience personnelle de Saint Josémaria.
2. La pédagogie de la douleur chez Saint-Josémaria.
3. La douleur comme mystère : la relation avec les malades.
« Ce n'est que lorsque l'homme, fidèle à la grâce, se décide à mettre la Croix au centre de son âme, en se reniant soi-même par amour de Dieu, lorsqu'il est réellement libéré de l'égoïsme et de toute fausse sécurité humaine, c'est-à-dire quand il vit vraiment de la foi, c'est alors, et alors seulement, qu'il reçoit en sa plénitude le grand feu, la grande lumière et la grande consolation du Saint-Esprit » (QCP 137). On ne comprend pas bien ce que signifie l’expérience de la douleur pour saint Josémaria si l’on ne réfléchit pas longuement à ce passage de l’homélie dédiée à l’Esprit Saint, qu’il désigne comme le Grand Inconnu parce qu’il reste caché à beaucoup.
La douleur n’est pas à proprement parler une grande inconnue, car on la remarque et on la ressent, mais c’est quelque chose qu’on ne veut pas subir et qu’on essaie de fuir, parce que le sens qu’elle est appelée à avoir dans la vie humaine nous échappe. C’est une invitée indésirable, et pourtant tôt ou tard, elle entre dans la vie de tout le monde ; elle s’installe dans notre corps, dans notre âme, donne à nos émotions un ton tantôt enragé, tantôt triste, et parfois même résigné ou franchement angoissé.
C’est quelque chose dont nous nous débarrasserions tous volontiers, car nous parvenons difficilement à lui trouver un sens qui la rende digne d’être vécue. On y parvient seulement si l’on découvre que la douleur est « la pierre de touche de l’Amour » (C 439), parce que, d’une certaine manière, notre capacité à aimer se mesure à notre capacité à souffrir par amour. L’amour et la douleur, la souffrance et le bonheur représentent quatre coordonnées sur lesquelles saint Josémaria fonde ce que nous pouvons à juste titre appeler la pédagogie du bonheur : « Je te veux heureux sur terre. — Tu ne le seras pas, si tu ne te délivres pas de cette peur de la souffrance. Car, tant que nous “ cheminons ”, c’est précisément dans la souffrance que réside le bonheur » (C 217).
Perdre la peur de la souffrance n’est pas facile ; il y a en chacun de nous une répugnance naturelle envers la douleur, répugnance que seul l’amour peut nous conduire à surmonter : « Le don de soi est la première foulée d'une course faite de sacrifice, de joie, d'amour, d'union à Dieu. — Ainsi toute la vie s'emplit d'une bienheureuse folie qui fait découvrir le bonheur là où la logique humaine ne voit que renoncement, souffrance, douleur » (S 2). Séparer la douleur de l’amour, s’enfermer dans une logique égocentrique, c’est perdre de vue la perspective du bonheur, la seule qui nous permette de donner un sens à la souffrance de toute sorte. Pour beaucoup de saints et pour saint Josémaria lui-même, la douleur est l’actualisation du Chemin de Croix dans notre vie, le chemin qui conduit l’homme à la rencontre avec Dieu et qui lui permet une identification pleine et accomplie avec le Christ.
1. L’expérience personnelle de Saint-Josémaria
Saint Josémaria a eu dès son plus jeune âge l’expérience de la maladie, la sienne et celle de ses sœurs, culminant dans la mort de trois d’entre elles ; il a perçu comment dans sa vie se conjuguait la grammaire de la douleur qui atteignait les personnes qui lui étaient chères. La nécessité de quitter la maison familiale de Barbastro, la perte d’un bien-être économique discret, la recherche fastidieuse d’un nouvel emploi – quelque chose qui imposa de lourds sacrifices à son père par amour pour sa famille – le changement d’école et l’effort pour se faire de nouveaux amis, etc., sont quelques-unes des réalités qui ont marqué son enfance et son adolescence.
Les difficultés de la vie n’ont pas manqué à saint Josémaria depuis son enfance, mais cela ne l’a pas empêché de réagir de manière profondément surnaturelle aux traces laissées par les pieds nus d’un moine carmélite dans la neige d’un hiver glacial de Logroño. Il n’était pas facile de comprendre ce qui poussait cet homme à offrir à Dieu la mortification de marcher dans une rue enneigée qui lui congelait quasiment les pieds. Ainsi commence l’histoire de la vocation de saint Josémaria : contempler ces empreintes sur la neige et laisser résonner dans son cœur l’appel de l’Amour de Dieu qui lui demande de tout abandonner pour Le suivre. À ce moment-là, face à la gratuité absolue de ce sacrifice et à son apparente absurdité, il décide de s’aventurer dans un Chemin de Croix mystérieux et mystique qui va durer toute sa vie.
La douleur ressentie dans cette première phase de son existence n’est qu’un avant-goût de ce qui lui arrivera dans les années à venir. Mais la foi et l’espérance dans le Seigneur lui permettent d’y faire face avec bonne humeur et avec une charité pleine de miséricorde envers ceux qui, plus ou moins consciemment, auraient pu en être la cause. Sa capacité à comprendre et à porter sur lui la souffrance des autres, à commencer par celle de ses parents, s’est réaffirmée dès ce moment de 1918 où il a senti que sa vocation, en l’éloignant de chez lui, créerait pour eux de nouvelles raisons de souffrir. Par une prière intense et confiante, il demande au Seigneur un frère, quelqu’un qui puisse prendre soin de ses parents et éviter qu’ils restent seuls. La perte des sœurs, subie alors qu’il n’était qu’un enfant, lui faisait comprendre pleinement que le don d’une nouvelle paternité et d’une nouvelle maternité pouvait être le meilleur antidote à la séparation, au vide, qu’il était lui-même sur le point de provoquer. Dieu accueille sa prière, même si les événements prennent plus tard un autre chemin, et il arrive un moment où, alors qu’il éprouve la douleur de la perte du père, surgit le problème de prendre soin de la mère, de la sœur et du petit frère. Une douleur intérieure en rien facile à accepter, mais en même temps une force nouvelle pour reprendre en main le fil de sa propre vie en pleine et absolue harmonie avec la Volonté de Dieu, à laquelle il s’abandonne et en laquelle il se confie.
Outre les événements dramatiques de la vie de saint Josémaria, il existe un autre type de souffrance qui étaye sa formation. Une souffrance moindre et seulement en apparence moins pertinente. Il y a les inconvénients causés par les revers de la vie quotidienne et par les incompréhensions de ses compagnons, aussi bien pendant ses années de séminaire qu’aux débuts de son travail sacerdotal. Il y a l’ironie puérile avec laquelle certains se moquent de ses idéaux, de ses élans d’intimité avec Dieu. Des petites choses qui demandent beaucoup de patience et de magnanimité pour éviter les réactions agressives comme le conformisme résigné : « Tu te plains ?... Et tu m'expliques comme si tu avais raison : une piqûre !... Une autre ! — Mais ne te rends-tu pas compte qu'il est stupide de s'étonner qu'il y ait des épines parmi les roses ? » (S 237). C’est le creuset dans lequel se forme la personnalité des jeunes et où émerge le profil de la maturité. « Ne te plains pas si tu souffres. On polit la pierre que l'on estime, celle qui a de la valeur. Cela te fait mal ? — Laisse-toi tailler, et sois reconnaissant parce que Dieu t'a pris dans ses doigts comme un diamant... Ce n'est pas un vulgaire caillou que l'on travaille ainsi » (S235). Ce sont les relations personnelles qui peuvent parfois devenir la cause de souffrances qui semblent insupportables en raison de la répétition des provocations et de la difficulté du pardon. Il est difficile de ne pas réagir à certains coups d’épingle : « Comme le mépris fait souffrir, même si la volonté s’applique à l’aimer ! — Ne t’en étonne pas, et offre cela à Dieu » (F793).
Saint Josémaria s’efforce d’offrir à Dieu toutes ces choses, qui ne semblent que petites en apparence. Il le fait pendant ces longues heures d’adoration nocturne devant le Saint-Sacrement, là où, de fait, il apprend à souffrir par Amour, cherchant une identification généreuse et audacieuse avec le Christ : « Tu as demandé à Notre Seigneur de te laisser souffrir un peu pour Lui. Mais ensuite, quand est venue l'épreuve, sous une forme si humaine, si normale (difficultés et problèmes familiaux..., ou encore ces mille petitesses de la vie courante), il t'en a coûté de voir le Christ derrière tout cela. — Ouvre docilement tes mains à ces clous..., et ta douleur deviendra ta joie » (S 234). La douleur devient pour lui une sorte d’expérience mystique dans laquelle son ascétisme souriant se transforme peu à peu en une véritable union avec Jésus : « Permets-moi de te dire encore, comme je l'ai fait jusqu'à présent, en confidence : il me suffit d'avoir devant moi un Crucifix, pour ne pas oser parler de mes souffrances... Et il ne me gêne pas d'ajouter que j'ai beaucoup souffert, toujours joyeusement souffert » (S 238).
Et même face à la maladie physique, Saint Josémaria parvient toujours à faire toujours bonne figure : « Une maladie incurable limitait son action. Et pourtant, plein de joie, il me donnait cette assurance : "ma maladie se conduit bien à mon égard et je l'aime de plus en plus ; si on m'en laissait le choix, je renaîtrais cent fois de la sorte !" » (S 254). Mais il donne le meilleur de lui-même face à la souffrance psychologique et spirituelle : « Écoute-moi bien, mon enfant : tu dois te considérer heureux quand on te maltraitera, et qu’on te déshonorera ; quand beaucoup de gens se dresseront contre toi et qu’il sera à la mode de te cracher dessus, car tu es “omnium peripesma”, comme une ordure pour tous — Cela coûte, cela coûte même beaucoup. C’est dur, jusqu’au moment où, enfin, un homme s’approche du tabernacle, se voit considéré comme s’il était à lui seul toute la saleté du monde, comme un pauvre ver de terre et dit pour de bon : “Seigneur, si tu n’as pas besoin de mon honneur, pourquoi, moi, en voudrais-je ?” Jusqu’à ce moment ce fils de Dieu n’avait pas su ce que c’était que d’être heureux : jusqu’à ce qu’il parvienne à cette nudité, à ce don de soi, qui est don d’amour, mais fondé sur la mortification, sur la douleur » (F803).
Saint Josémaria souffre des critiques malveillantes et gratuites qui lui font toucher à quel point son honneur a été blessé et humilié. Mais c’est précisément son honneur, ce qu’un homme a de plus intime et de plus précieux, qu’il laisse au pied du Tabernacle. Et c’est là qu’il trouve sa consolation, un bonheur inattendu, fruit d’un don fondé sur l’amour et la douleur. Il n’y a en lui ni amertume ni ressentiment ; ni même l’ombre de ce désir de revanche si répandu chez les hommes, seulement le courage d’un don total qui contrebalance l’expérience de la douleur globale d’une manière qui n’est pas sans rappeler ce que nous dit le Livre de Job.
Même si dans le cas du fondateur de l’Œuvre, à l’histoire de Job, à sa lamentation exaspérée, s’ajoute la dimension surnaturelle d’une douleur de celui qui connait la Croix du Christ : « Sacrifice ! Sacrifice ! — Il est vrai que suivre Jésus-Christ (et c'est Lui-même qui l'a dit) veut dire porter sa Croix. Mais je n'aime pas entendre les âmes qui se sont éprises de Notre Seigneur parler à ce point de croix et de renoncement ; lorsqu'il y a l'Amour, le sacrifice est joyeux, même s'il en coûte, et la croix, c'est la Sainte Croix. — L'âme qui sait aimer et se donner ainsi, se remplit de joie et de paix. Alors à quoi bon insister sur le "sacrifice", comme pour y chercher une consolation, puisque la Croix du Christ — qui est ta vie — te rend heureux ? » (S 249). Dans son expérience personnelle, le chemin de la Croix, marqué par une douleur toujours vieille et toujours nouvelle, a toujours eu son point d’arrivée dans le bonheur humain et surnaturel de l’intimité avec le Seigneur.
2. La pédagogie de la douleur chez saint-Josémaria
La prédication et l’activité formatrice incessante du fondateur de l’Opus Dei sont l’occasion de nombreux textes desquels il est aisé de déduire sa manière de traiter un problème aussi complexe que celui de la douleur et de la souffrance. Toujours attentif aux circonstances particulières, doté d’une empathie surprenante, il sait accueillir les besoins et les états d’âme des personnes qui l’entourent et se laisse guider par son expérience pour apprendre aux jeunes à faire face à la douleur et à la souffrance. « La douleur t’accable, parce que tu la reçois lâchement. — Reçois-la avec courage, dans un esprit chrétien, et tu l’estimeras comme un trésor » (C 169). Il n’y a pas de fausse piété dans l’incipit de ce point de Chemin : saint Josémaria ne propose pas de réconforter superficiellement le garçon qu’il a en face de lui, probablement affligé par les escarmouches habituelles de la vie. Il l’encourage à réagir et le fait avec cette sincérité sauvage avec laquelle lui aussi a affronté les difficultés de la vie. Il se tourne vers lui en le secouant : « ne sois pas bête, puise dans tes réserves de courage... » ; il fait appel à ses vertus, mais fait en même temps un appel immédiat à l’esprit chrétien et à ces valeurs dont il sait évidemment qu’elles sont très présentes dans le cœur du garçon. Il essaie de tirer le meilleur de lui ; il a réellement confiance en lui et lui confirme cette confiance simplement avec ce ton apparemment dur ; il l’aide ainsi à trouver le sens d’une expérience qui menace de l’écraser.
Ce point de Chemin est comme un traité sur la pédagogie de la douleur exprimé en quelques lignes. Saint Josémaria veut que le garçon sorte de l’état de découragement auquel une expérience douloureuse l’a poussé, mais il veut qu’il le fasse en mettant tous ses ressorts en jeu. Peu importe que la douleur dont il parle soit physique ou spirituelle. L’émotivité et l’affectivité humaine, lorsqu’elles sont blessées, ont toujours un impact au niveau corporel, et la douleur physique a, en outre, des répercussions immédiates sur le plan affectif et émotionnel. D’où l’appel à ne pas se laisser submerger, tout en concentrant l’attention sur le courage en tant que valeur profondément humaine, qui met aussi en jeu le cœur et la capacité d’aimer : « (...) qu’importe de souffrir si c’est pour consoler Dieu, notre Seigneur, pour lui plaire, dans un esprit de réparation, et unis à lui sur sa Croix ? En un mot, si l’on souffre par Amour ? … » (C 182).
Les vertus humaines et le sens surnaturel constituent le binôme indispensable sur lequel, selon saint Josémaria, doit couler l’expérience humaine de ceux qui veulent sincèrement s’ouvrir au vrai bonheur de manière réaliste mais pas égoïste. De plus, pour lui, l’égoïsme représente une barrière insurmontable au bonheur, tandis que la douleur et la souffrance ouvrent la voie à l’expérience de la paix et de la joie. « L’amour joyeux, celui qui rend l’âme heureuse, est fondé sur la douleur : pas d’amour sans renoncement » (F 760). Et plus loin : « le chemin de l’Amour a pour nom sacrifice » (F768). Le but de la formation est toujours l’amour, l’amour humain et l’amour surnaturel, tandis que le sacrifice et sa présence immédiate représentée par la douleur sont toujours et seulement un moyen. Un moyen noble mais jamais une fin. Personne ne choisit la douleur comme fin, bien qu’il soit vrai que personne n’atteint sa fin sans passer par le chemin de la douleur et du sacrifice.
Saint Josémaria est bien conscient du nombre de personnes qui se soumettent à de grands sacrifices à des fins exclusivement humaines et il en profite pour le faire remarquer d’une manière élégamment ironique : « Comme les gens ont peur de l’expiation ! Ce qu’ils font pour plaire au monde, s’ils le faisaient pour Dieu en rectifiant leur intention, comme certains hommes et certaines femmes seraient donc saints ! » (C 215). L’inverse est également vrai : il y a des gens qui évitent le sacrifice, imaginant être capables d’atteindre des objectifs brillants en ne s’engageant que dans leur propre imagination et dans leur propre fantasme : « Tu me dis : quand l’occasion se présentera de faire quelque chose de grand… alors ! — Alors ? Tu voudrais me faire croire, et croire toi-même sérieusement, que tu pourras vaincre aux Jeux olympiques surnaturels sans préparation quotidienne, sans entraînement ? » (C 822). Le fondateur de l’Opus Dei met en garde contre les deux manifestations de deux défauts bien connus : d’une part, contre une ambition qui trouve en elle sa propre finalité et, d’autre part, contre le manque d’ambition ; d’une part, une volonté tenace ancrée dans un programme d’épanouissement personnel exclusif, et, d’autre part, une paresse indolente et abusive. Dans les deux cas, il leur manque cette vision surnaturelle qui leur permet d’affronter avec énergie et détermination tous les sacrifices et les souffrances nécessaires pour atteindre un objectif élevé, marqué par l’amour de Dieu et des autres.
3. La douleur comme mystère : la relation avec les malades
Son expérience de la douleur – la sienne et celle de tant de personnes qu’il a soignées dans son vaste travail sacerdotal – mais surtout sa profonde intimité avec la Passion du Seigneur, a conduit saint Josémaria à faire de la relation avec les malades, avec les pauvres et avec tous ceux qui souffraient d’une quelconque nécessité, l’un des éléments les plus humains et les plus profonds de son horizon de vie. « Enfant. — Malade. — N’éprouvez-vous pas la tentation d’écrire ces mots avec des majuscules ? Pour une âme qui aime, les enfants, les malades, c’est Lui » (C 419). C’est pourquoi il a consacré une partie importante de sa vie personnelle au service des malades, faisant de l’apostolat dans les hôpitaux le lieu privilégié de sa rencontre personnelle avec Jésus sur la Croix. « Comme elle aimait la Volonté de Dieu, cette malade à laquelle j’apportais des secours spirituels ! Elle voyait dans sa longue et pénible maladie, dans ses multiples maladies (plus rien n’allait) la bénédiction et les prédilections de Jésus (...) » (F 1034).
Jamais indifférent ou inattentif devant la douleur vécue par les personnes qui étaient à côté de lui, quelle qu’en soit la raison, il réussissait à transmettre à tous la chaleur de son affection, qui était, à la fois, paternelle et maternelle. Avec chaque pauvre et chaque malade, il essayait de matérialiser l’Amour de Dieu, mais en même temps il était bien conscient qu’il tirait de chacune de ces rencontres de nouvelles énergies pour ses tâches de fondateur de l’Œuvre. Il sentait, avant qu’ils ne le lui disent, ce qui se passait dans l’âme des gens, il savait anticiper la nécessité de partager ce qu’il y a en chaque homme, tuant dans l’œuf le tourment de la solitude. « Ne passe pas indifférent devant la douleur d'autrui. Cette personne (un parent, un ami, un collègue..., cette autre que tu ne connais pas) est ton frère. Souviens-toi de l'Évangile où si souvent tu as lu avec tristesse que même les proches de Jésus n'avaient pas confiance en Lui. Veilles-y : que cette scène ne se reproduise pas » (S 251).
La douleur de la solitude, de l’abandon et de l’indifférence représentait pour lui une manifestation de ce manque de fraternité qui conduit à découvrir l’effondrement de la vocation chrétienne, y compris dans sa propre vie. « Les manquements à la charité que les autres commettent à ton égard te font souffrir. Combien, dès lors, Dieu peut-il souffrir de tes manquements à la charité — à l’amour — envers lui ? » (C 441). L’amour et la douleur constituent dans le cœur de chaque homme un binôme inséparable, car seul l’amour donne un sens à la douleur, et seule l’expérience de la douleur et de l’amour enveloppe l’homme dans sa totalité. L’homme réagit de manière unitaire à tout ce qui l’affecte en profondeur, et la douleur le frappe dans son intimité, précisément à ce moment à la fois matériel et immatériel dans lequel la rationalité et l’affectivité, la corporéité et la spiritualité, se touchent et se croisent. C’est là que la fragmentarité de l’expérience humaine se recompose, que la multiplicité trouve son unité et que l’homme perçoit que quelque chose pénètre dans son intimité la plus profonde. Quelque chose qui blesse, qui transforme, qui rend plus fragile, mais qui en même temps dévoile de nouveaux horizons de compréhension du sens de la vie et de la valeur des relations humaines.
Pour saint Josémaria, l’homme sera inévitablement désorienté s’il perd le fil conducteur qui lie la joie et la douleur, l’amour et le don. Sans cette perspective globale, tout perd son sens, à commencer par la douleur, qui se manifeste dans sa crudité dure et exigeante. Malgré les énormes progrès de la science et de la technologie, la douleur est toujours présente. Et au fond du cœur de l’homme peut surgir un sentiment de culpabilité qui conduit à penser que la douleur est le résultat d’un péché, ou le fruit d’une punition. À ce stade, l’homme est exposé à un sentiment de perte et d’abandon qui peut l’amener à se replier sur lui-même, à se sentir trahi face à un mal qui semble injuste et inutilement persécuteur. Le fondateur de l’Œuvre, face à cette souffrance, offre un conseil, une suggestion qu’il murmure paternellement, avec une insistance délicate : « Douleur d’Amour. — Parce qu’il est bon. — Parce qu’il est ton Ami, qui a donné sa Vie pour toi. — Parce que tout ce que tu as de bon est à lui. — Parce que tu l’as tellement offensé… Parce qu’il t’a pardonné… Lui ! … À toi ! — Pleure, mon enfant, de douleur d’amour »(C 436).
Aucune des raisons pour lesquelles l’homme peut souffrir tout au long de sa vie – maladie, manque d’affection et de compréhension, revers de fortune, perception de ses propres limites, etc. – n’échappe à saint Josémaria. Même pas non plus l’expérience de rupture que provoque la prise de conscience des erreurs commises et des souffrances causées aux autres ; ou la douleur qui atteint ceux que l’on aime. Dans tous les cas, il est bon de répéter : « Bénie soit la douleur. — Aimée soit la douleur. — Sanctifiée soit la douleur… Glorifiée soit la douleur ! » (C 208). Saint Josémaria a toujours considéré que cette prière a une grande efficacité parce qu’avec elle la conformité de la volonté de l’homme avec la Volonté de Dieu s’exprime avec profondeur, et là prend racine en définitive, quelle que soit la raison pour laquelle on souffre, le secret du bonheur. « La pleine acceptation de la Volonté de Dieu apporte nécessairement la joie et la paix : le bonheur sur la Croix. — On voit alors que le joug du Christ est doux et que son fardeau n’est pas accablant » (C 758).
Thèmes connexes : Croix ; Maladie ; Espérance.
Bibliographie : AVP passim ; Flavio Capucci Josémaría Escrivá, saint. Itinéraire de la cause de canonisation, Madrid, Rialp, 2009 ; Julián Herranz Dans les environs de Jéricho. Souvenirs des années passées avec saint Josémaria et saint Jean-Paul II, Madrid, Rialp, 2007 ; Vittorio Messori Opus Dei. Une enquête Barcelona, Ediciones Internacionales Universitarias, 1994 ; Miguel Ángel Monge Saint Joséemaría et les malades, Madrid, Palabra, 2004 ; Miguel Ángel Monge - José Luis León Le sens de la souffrance, Madrid, Palabra, 2008 ; Giuseppe Romano Opus Dei. Il messaggio, le opere, le persone, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2002.