Vivre au temps du Ressuscité

L'abbé Pégourier nous propose quelques idées à méditer, au début de ce temps pascal.

Pendant le temps pascal, la liturgie nous répète avec insistance : Le Seigneur est vraiment ressuscité ! Alleluia ! Ne serait-ce pas là de l’exaltation présomptueuse ?Qu’est-ce que la Pâque apporte de véritablement significatif à notre viede tous les jours ?

Pâques, c’est la fête du passage du Christ : il qualifie notre histoire pour en faire l’histoire du salut ; il configure notre temps pour en faire le temps de la grâce. Le temps pascal, ce sont cinquante jours qui s’écoulent entre « la mère de toutes les veillées » - celle de la Résurrection - et « la métropole de toutes les solennités » - la Pentecôte -, deux événements lumineux du cycle liturgique annuel qui manifestent comment le Règne de Dieu s’est fait proche et même s’est enraciné dans notre histoire comme une semence destinée à devenir un grand arbre [1]. C’est maintenant le temps de la grâce, c’est aujourd’hui le jour du salut [2]! Ces paroles de l’Apôtre s’appliquent à ces jours-ci plus qu’à toute autre époque de l’année car le Seigneur est vraiment ressuscité : il partage avec nous les dividendes de sa résurrection à travers un style de vie qui prélude à la béatitude. Indiquons-en quelques aspects.

La vie du Christ est notre vie

Il est au fondement et au centre de l’Histoire. Il lui donne son sens, il en est le but ultime. L’Histoire ne consiste pas en un recommencement perpétuel et cyclique, comme la concevaient les Anciens ou se la représentent les philosophies orientales. Elle est linéaire et avance sur l’ « échelle du temps ». Avec l’Incarnation, l’éternité y fait son entrée ; désormais, le temps a une perspective ; il ne s’écoule plus sans plus. Avec la résurrection, il a un prix : celui du bonheur éternel.

Ressuscité, le Christ est vivant. Il est le Vivant. Avec lui, nous donnons vie au temps qui passe, pour l’animer et y faire passer son amour et sa joie. De même que le peintre impressionniste, avec sa palette de couleurs, tente d’exprimer sur la toile les vibrations de la lumière pour en reproduire le moment, de même, avec le Christ présent en nous, nous tentons d’exprimer la richesse de son cœur, pour faire vibrer, en chaque instant, ce qu’il a d’éternel.  Le temps est un trésor qui file, qui fuit, qui coule entre nos mains telle l’eau sur les rochers élevés. Hier est passé et aujourd’hui est en train de passer. Nos lendemains deviennent bien vite d’autres hier. La durée d’une vie est bien courte. Cependant, que de choses à réaliser dans ce court laps de temps, par amour de Dieu [3]! Par le baptême, Jésus nous a fait renaître pour une vivante espérance [4]. Dans son sillage, déjà nous sommes citoyens du ciel. Largeur de vues, donc, et sens des responsabilités !

Il rénove notre temps intérieur Par son Incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni Lui-même à tout homme [5]. Il le rejoint au sein de toutes ses activités. En ressuscitant, Il restaure aussi sa psychologie, le ressenti des événements qui marque sa conscience : léger ou lourd, rapide ou lent selon les sentiments qui l’accompagnent. Prenons deux exemples tirés des évangiles de la résurrection :

Les disciples d'Emmaus. Caravage

- en cheminant aux côtés des « disciples d’Emmaüs » abattus par la tragédie du Golgotha, le Sauveur comprend leur douleur, pénètre dans leur cœur. Il leur rend le goût de vivre et communique un nouveau ressort à leur existence[6] ;

- il se fait reconnaître de Marie-Madeleine en pleurs devant le sépulcre vide, au timbre de sa voix [7] : on peut le supposer, une voix chaude qui diffuse une onde de bonheur dans son âme obscurcie par le chagrin.

Chantez au Seigneur un chant nouveau…[8] : la Résurrection, « jour de fête et de joie », est comme un point d’orgue[9] qui se dilate dans le temps intérieur de chacun, et dont la tonalité perdure sur les mesures de sa propre partition. Alors, « restons dans la note » : à l’heure de la Pâque, celle de l’amour chaleureux du Sauveur ! N’est-ce pas, d’ailleurs, ce que retiennent, à leur façon, les chansons populaires ? Le temps de l’amour, c’est long et c’est court, ça dure toujours, on s’en souvient[10]. Et ouvrons les oreilles à la Parole de Dieu : c’est une puissance de salut dont le caractère n’est pas seulement « informatif », mais « performatif »[11]. Ainsi, nous en tirerons sérénité et optimisme.

Il demeure présent à côté de nous et pour nous

Vivre au temps de Jésus ressuscité, c'est chercher à unir le cours de notre temps humain au sien. Mais est-ce réellement possible ? Une fois sorti du tombeau, le Sauveur manifeste une présence à éclipse : il apparaît soudain et disparaît aussitôt. II est insaisissable… jusqu’au moment où, lors de son Ascension, il s’échappe tout à fait. Comment, dans ces conditions, parvenir à passer au temps de Dieu ? Dans une catéchèse lumineuse, le Saint Père répond à cette interrogation : Jésus qui prend congé ne s’en va pas quelque part sur un astre lointain. Il entre dans la communion de vie et de pouvoir avec le Dieu vivant, dans la situation de supériorité de Dieu sur toute spatialité. Pour cela, il n’est pas « parti » mais, en vertu du pouvoir même de Dieu, il est maintenant toujours présent à côté de nous et pour nous. Il inaugure un nouveau mode de proximité, de présence permanente, qu’il anticipe lors de l’épisode où Il marche sur les eaux [12] : seuls sur la barque, au milieu du lac, les disciples rament en vain ; le vent leur est contraire et ils sont menacés par la violence du flot.Le Seigneur semble être loin, en prière sur sa montagne. Néanmoins, il les voit. Alors, il vient à eux en marchant sur la mer, il monte sur la barque avec eux et rend possible la traversée jusqu’à son but. C’est une image qui nous est destinée : le Seigneur est sur « la montagne » du Père. Par conséquent, il nous voit. Par conséquent, il peut, à tout moment, monter sur la barque de notre vie. Par conséquent, nous pouvons toujours l’invoquer et toujours être sûrs qu’il nous voit et nous entend. [13].

Affirmer que le Seigneur est vraiment ressuscité, ce n’est pas seulement dire qu’un jour il est sorti vivant du tombeau ; c’est aussi et surtout dire qu’il est le Ressuscité qui agit en nous et à travers nous pour susciter un monde nouveau où l’amour aura le dernier mot sur la mort et le péché. Certes le temps de Dieu échappe à notre compréhension mais, en même temps, il croise notre temps d’homme, qu’il s’agisse de notre intimité personnelle ou de notre histoire collective. Vivons la Pâque : lors de cette « nuit de vrai bonheur », Jésus est passé de la mort à la vie, comme les Hébreux étaient passés de l’esclavage à la liberté. De même, pendant le temps pascal et par la suite, nous sommes invités à passer de l’indifférence à l’attention, de l’égoïsme au don. Qu’en nous voyant, ceux qui nous entourent puissent découvrir que le Christ n’a pas seulement passé par notre vie, mais qu’il passe !

[1] Jean-Paul II, Lettre apostolique Au début du nouveau millénaire, 5.

[2] 2 Co 6, 2. [3] Saint Josémaria Escriva, Amis de Dieu, 52, 2.

[4] 1 Pi 1, 3.

[5] Concile Vatican II, constitution Gaudium et spes, n° 22 § 2.

[6] Cf. Lc 24, 13-35.

[7] Cf. Jn 20, 11-18.

[8]Ps 97.

[9] En musique, prolongement de la durée d’une note ou d’un silence à la convenance de l’interprète.

[10] Françoise Hardy, chanson Le temps de l’amour. [11] Cf. Benoît XVI, Exhortation apostolique La Parole du Seigneur, 50.

[12]Cf.Mc 6, 45-53.

[13] Benoît XVI, Jésus de Nazareth, ed. du Rocher, 2011, Perspective, p. 320-21.