Témoignage de Duni sur Marie Chabert : « Elle s’est donnée totalement et jusqu’au bout ! »

Le professeur Duni Sawadogo nous donne ses souvenirs de Marie Chabert, qu'elle connaissait depuis longtemps

J’ai connu Marie en Février 1984 lorsque, étudiante en fin de cycle des études pharmaceutiques, j’ai commencé à fréquenter Marahoué. C’était le seul Centre de l’Opus Dei en Côte d’Ivoire. Elles étaient huit Numéraires – une kenyane, une portugaise, deux françaises, trois espagnoles – et quatre Numéraires Auxiliaires Kenyanes à habiter ensemble. J’ai rapidement demandé l’Admission comme Numéraire. J’ai habité avec Marie, d’une manière discontinue, environ 20 ans. Ces quatre dernières années, nous nous occupions d’un cours de formation intensif pour les Surnuméraires et de l’apostolat qui en découlait.

Marie était une personne qui s’est toujours montrée disponible pour faire l’Opus Dei aussi bien dans les choses importantes que dans celles qui avaient moins de valeur humainement parlant. Elle a accepté de venir commencer le travail apostolique en Côte d’Ivoire munie seulement d’une valise avec des effets personnels. Elle a changé de lieu de résidence et d’activité autant de fois que cela était nécessaire. Elle se trouvait là où le besoin se faisait sentir. Marie qui était déjà une jeune dame s’est mise à participer aux activités avec les filles du club de 8 à 9 ans, avec les étudiantes et bien sûr avec les dames comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Elle s’intéressait à chacune et lui dédiait le temps qu’il fallait avec la même intensité et selon les besoins de celle qui était à côté d’elle. On la voyait assise à côté d’une petite fille de 8 ans qui lui racontait ses peines et ses joies. Quelques instants plus tard c’était le tour d’une amie ou d’une collègue. Les premières années, elle habitait dans le Centre où se déroulaient les activités pour les dames. Puis elle a ouvert le Centre pour les jeunes avec le Club pour les élèves du primaire et du collège et les activités pour les lycéennes et les jeunes professionnelles. Elle est ensuite allée s’occuper du Centre Yarani lorsqu’il venait tout juste d’ouvrir ses portes. Elle s’est également orientée vers la formation de celles qui avaient choisi comme option professionnelle de se dédier au service à la personne. Elle a aussi commencé le travail apostolique à Yamoussoukro ; elle se rendait alors le week-end ou lors des vacances scolaires au Centre Okassou installé dans cette ville située à plus de 200 Km de la capitale économique, en rendant compatibles ses voyages avec son travail professionnel à Abidjan.

C’était une personne sacrifiée. De prime abord, cette disponibilité pouvait être mise sur le compte de sa rapidité naturelle pour agir ; cependant un regard avisé remarquait qu’il s’agissait d’une disposition habituelle acquise par effort. Elle était très vive. Même si c’était la plus âgée, il fallait être attentive et l’empêcher de se lever pour débarrasser quand nous étions à table. Elle passait dans les chambres à côté de la sienne pour retirer le couvre-lit. Elle avait tendance à choisir ce qui était le moins sympathique. Quand nous étions plusieurs à sortir en voiture, elle s’arrangeait pour prendre la place la moins confortable. A la maison elle s’asseyait dans le petit bureau le plus proche de la porte d’entrée, pour corriger des copies ou travailler à l’ordinateur, et c’est ainsi qu’elle était la première à se lever dès que quelqu’un sonnait pour éviter qu’une autre personne se déplace. Elle disait à voix haute, en se levant de sa chaise « j’y suis ». Les jours où les moyens de formation étaient organisés, c’était un défilé continuel entre 16h30 et 19h00.

Lors de la crise socio-politique en Côte d’Ivoire pendant l’année 2011, presque tous les européens avaient quitté Abidjan. Elle savait qu’elle pouvait rentrer en France pendant quelque temps ; elle a tout simplement refusé de le faire. Elle était plus ivoirienne que nous- mêmes. Elle est restée avec nous.

Marie était une très bonne professionnelle, dotée d’un grand prestige. Elle avait passé en France l’un des plus hauts diplômes en Lettres classiques et pour l’enseignement général. Elle a enseigné le français au lycée Jean Mermoz depuis 1981. Elle a formé de nombreux jeunes qui sont actuellement des cadres dans notre pays. Combien de fois ces personnalités se sont-elles arrêtées en la voyant passer dans la rue ou en la rencontrant dans un Supermarché pour la saluer et lui rappeler qu’elle avait été leur professeur. Elle a participé à la mise en marche, avec d’autres collègues, du lycée Maurice Delafosse lorsque tous les établissements scolaires français avaient fermé à cause de cette crise. Marie était beaucoup plus à l’aise avec les lycéens mais elle mettait tout son savoir-faire pour intéresser les collégiens de la classe de 5ème. Je la revois encore en train de préparer ses cours avec de nouvelles matières telles que le Cinéma. Elle cherchait la bibliographie et soignait la manière de transmettre ces nouvelles notions. Lorsqu’elle a pris sa retraite de la fonction publique française, elle s’est mise au service l’école Etimoé qui faisait ses premiers pas.

Elle mettait aussi à la disposition des personnes de l’Opus Dei et de celles qui participaient aux activités de formation, ses qualités d’enseignante. Elle dispensait des cours de latin, de grec et d’espagnol à toutes celles qui y étaient intéressées. Elle traduisait et lisait couramment l’anglais, qu’elle a appris en France – au lycée–, puis en Angleterre et qu’elle a su perfectionner pour élargir sa culture générale, dont nous avons toutes bénéficié 40 années durant.

Presqu’à l’âge de 75 ans, elle s’occupait de sa maison. Elle faisait les plans de ménage, les menus, les listes d’achats. C’était son nouveau métier. Elle l’aimait beaucoup. Cela faisait plaisir de voir avec quel enthousiasme elle participait à tous les cours ou séminaires de formation pour être plus efficace et mener à bien sa nouvelle profession.

Marie savait chanter, jouer du piano, aimait beaucoup le bricolage, rendre la vie agréable aux autres en faisant tout ce qui était nécessaire pour amuser, détendre, même s’il fallait faire quelquefois le clown. Toutes tes qualités, toute ta vie, ton cœur, tu les as mis au service de cette mission : faire l’Opus Dei en Côte d’Ivoire. Tu as fini pressée comme un citron, selon une image utilisée par notre très cher Fondateur.

Le samedi soir vers 20 h, la veille de ton retour vers la maison du Père, tu disais à une Surnuméraire : « n’oublie pas que la joie a les racines en forme de croix. Sois toujours contente, toujours contente. Le Seigneur est à côté de toi. Il t’aime ». C’était ton testament.

Tu avais reçu du Seigneur la grande grâce de te trouver à Rome, le 26 Juin 1975, au moment où saint Josémaria rendait son âme à Dieu. Chaque fois que tu nous racontais ces moments tu pleurais... Nous aimions tellement t’entendre évoquer ces souvenirs et beaucoup d’autres encore ; tu savais si bien le faire !

Tu avais également toujours présent à l’esprit ces quelques jours de formation et de travail passés à Rome en septembre 1981 aux côtés de don Alvaro tout juste avant de venir commencer le travail apostolique de l’Opus Dei en Côte d’Ivoire. C’était très clair pour toi qu’il s’agissait non seulement de venir mais aussi de travailler dans tout ce qui serait nécessaire et jusqu’au bout !

Tout ce que je peux te dire c’est que ta mission n’est pas terminée. Ta tâche de formation, ta passion pour la formation demeure. De là-haut, continue de nous aider ; tu le feras peut-être mieux qu’ici-bas. Tu vas nous manquer. Tu nous manques déjà…

Que la terre de Côte d’Ivoire, que tu as tant aimée et pour laquelle tu t’es tant sacrifiée te sois légère. Repose en paix.

Photo prise le 15 août 2021, à l’occasion d’un cours de formation au centre de rencontres Foundi à Yamoussoukro