Sanctifiée soit la douleur !

Ce document est rédigé à partir des notes utilisées pour le rapport présenté en mars 1983 au procès de béatification de saint Josémaria, par les docteurs Eduardo Ortiz de Landázuri, Diego Martínez Caro et Alejandro Cantero Fariña. Il s’agissait d’une synthèse de son histoire clinique et de l’évolution du processus ayant abouti à son décès.

Aspects médicaux de la biographie de saint Josémaria Escriva de Balaguer, synthèse de son histoire clinique et de l’évolution du processus ayant abouti à son décès, remise au procès de canonisation de saint Josémaria en mars 1983 par les professeurs Diego Martinez Caro et Alejandro Cantero Fariña, et publiée aux Éditions Scripta Theologica de l’Université de Navarre.

Ce document est rédigé à partir des notes utilisées pour le rapport présenté en mars 1983 au procès de béatification de saint Josémaria, par les docteurs Eduardo Ortiz de Landázuri, Diego Martínez Caro et Alejandro Cantero Fariña. Il s’agissait d’une synthèse de son histoire clinique et de l’évolution du processus ayant abouti à son décès.

Ce dossier contient, d’une part, les données médicales les plus importantes, recueillies à partir de sa naissance et jusqu’en septembre 1966 et, d’autre part, les examens, analyses, notes et commentaires archivés, détaillés et précis à partir de 1966 et jusqu’à sa mort, le 26 juin 1975. Les études et les notes de cette histoire ont été réalisées par une équipe médicale de scientifiques de la Clinique Universitaire de l’Université de Navarre qui, sous la direction du professeur Eduardo Ortiz de Landázuri, a suivi saint Josémaria pendant neuf ans.

Histoire clinique

Le 21 septembre 1966, les docteurs Eduardo Ortiz de Landázuri, Diego Martínez Caro et José Miranda Heras, ont soumis leur patient à un questionnaire exhaustif qui leur a permis d’avoir les antécédents cliniques leur permettant de dresser ce rapport. Ils ont effectué aussi à ce moment-là tous les autres examens para-cliniques et analyses avec l’aide des docteurs J.M Martínez Lage, J.L Arroyo, A.López Borrasca, M. San Julián, P. Ipiens, J. Teijeira et J.R Bascarán.

Il n’était pas nécessaire de présenter, systématiquement et dans le détail, toutes les données de l’histoire clinique de saint Josémaria, minutieusement conservées et analysées par les médecins qui en prenaient soin. Cependant, afin d’être en mesure d’illustrer nos commentaires, nous avons cru bon de résumer, dans un langage intelligible au profane, l’ensemble des processus pathologiques, considérés comme des « maladies ».

Il y a, tout d’abord, les antécédents de la petite enfance (une rougeole à trois ans) et de l’adolescence, habituels à l’époque. Il faut toutefois prendre en compte une grave maladie infectieuse, une méningite probablement, survenue à deux ans. Dans son adolescence et dans les premières années de sa vie à Madrid, on trouve un ensemble de troubles qu’on pourrait qualifier de « mineurs », qui ont un rapport certain, ou tout au moins indirect, avec son affection principale et qui, très souvent, ont été la conséquence directe de ce qu’il a enduré avant et pendant la guerre civile de 1936. Entre 1930 et 1936, suite à une diète essentiellement hycrocarbonée, il a atteint un poids de 90 kg. Entre 1936 et 1938, avec des rhumes et des pharyngites fréquents, il a connu quelques épisodes de rhumatismes aux genoux et aux autres articulations. En 1937 et 1938, il a eu plusieurs hémoptysies dont on n’est pas arrivé à déterminer la cause, malgré un examen exhaustif. On note que, pendant la guerre civile (1936-1939) son poids a baissé jusqu’à 44 kg.

Le processus qui a fondamentalement altéré son état de santé, à partir de 1940, fut un diabète insulinodépendant (diabète type II) avec quatre phases :

- Une phase latente (pré diabète) de 1942 à 1943, sans présence de sucre dans les urines mais avec certains symptômes caractéristiques de la maladie : très grande soif (polydipsie), diurèse abondante (polyurie), grande fatigue et reprise de poids. À ce moment-là, sa pression artérielle (d’après l’histoire clinique du docteur Pardo Urdapilleta qui le suivait à Madrid) était à la limite supérieure à la normale.

- Un diabète établi (1943-1946), avec du sucre dans les urines, une perte de poids, des malaises progressifs, et une pression artérielle très anormale (190/90). Le docteur J.Rof Carballo devient alors son médecin traitant et lui déconseille le voyage à Rome que saint Josémaria tient à faire pour accélérer les démarches en vue de l’approbation de l’Opus Dei par le Saint-Siège.

- Un diabète décompensé, nécessitant de fortes doses d’insuline (plus de 100 unités par 24 h), d’abord à Madrid, puis à Rome (1946-1954). De très fréquentes infections cutanées, à la bouche, etc.

- Le 27 avril 1954, il eut un choc anaphylactique à l’insuline, très grave. Suite à un changement d’insuline de type retard, il présenta, dès le premier jour de son administration, une réaction anaphylactique légère et, le troisième jour, un tableau de choc extraordinairement violent, avec perte de connaissance, érythème intense, puis pâleur extrême du visage, ainsi qu’une rigidité importante. Une fois revenu de son choc, son diabète disparut, non seulement des chiffres de glycémie, mais du reste des symptômes. De fait, à partir de ce tableau, on ne lui administra plus jamais d’insuline.

À côté de ce tableau métabolique, il a connu des épisodes occasionnels de goutte dus à une hyperuricémie (taux élevé de l’acide urique dans le sang), s’apaisant avec la médication appropriée.

Comme une conséquence du diabète, il développe une maladie rénale (néphropathie diabétique) qui provoque une insuffisance rénale évolutive jusqu’à la fin de sa vie. L’évolution de cette affection rénale peut être documentée, dans le détail, à partir de 1966. Initialement l’affection générale et les altérations des analyses sanguines sont discrètes. Par la suite, l’insuffisance rénale s’installe (avec une diurèse abondante, aux urines peu concentrées et avec une présence d’albumine et de para protéines) et progresse lentement mais de façon continue. Le taux d’urée dans le sang subit des variations irrégulières, allant de 0,64g°/oo à 2,4 g °/oo avec des oscillations importantes. La créatinine sanguine connaît une montée plus constante et continue, allant de 1,16 mg % à 5,8 mg %. Le filtrat glomérulaire passe de

70 ml/min à 14 ml/min. Ce processus, avec sa tendance à l’hypertension artérielle, entraîne l’apparition d’une cardiopathie hypertensive qui est la cause la plus immédiate de son décès.

Vers 1966, il avait déjà une artériosclérose évidente, avec des taux de cholestérol élevés. Par la suite, les valeurs se sont normalisées avec une ré-élevation en 1975. Lors d’un examen radiologique, on a pu observer des calcifications artérielles en de multiples endroits. De très probables localisations vasculaires de ce processus (coronaires, vaisseaux rétiniens et vaisseaux rénaux, en toute logique) n’ont pas été examinées. Cependant, le principal trouble vasculaire fut la cardiopathie hypertensive déjà citée, avec une évidente hypertrophie ventriculaire gauche, bien que les chiffres tensionnels, tendant à la hausse, n’aient jamais été spécialement élevés.

L’hypertrophie ventriculaire a progressé petit à petit jusqu’à la présentation d’épisodes de défaillance ventriculaire gauche avec des crises de dyspnée paroxystique et un œdème pulmonaire aigu en 1975. Il est évident que sa néphropathie, avec une polyurie intense, entravait l’équilibre des liquides et que ce déséquilibre a pu, à un moment donné, entraîner la congestion pulmonaire aiguë.

L’histoire clinique de saint Josémaria n’a pas les données concernant son décès, mais nous les connaissons d’après ce que mgr Alvaro del Portillo a écrit dans sa lettre du 29 juin 1975.

Le 26 juin 1975, « il a célébré la Sainte Messe à 7 h 53. À 9 h 35, nous sommes partis à Castelgandolfo… Nous sommes arrivés vers 10 h 30, Xavi (Xavier Echevarria), Xavier Cotelo, au volant, et moi-même. Là, il nous a parlé, lors d’une réunion d’une vingtaine de minutes. Quelques minutes après le début… il s’est senti fatigué…La réunion fut interrompue…il s’est un peu reposé. Il semblait aller mieux et nous sommes revenus à Rome…Il rentrait de Villa delle Rose vraiment fatigué, mais serein et content…lorsqu’il est arrivé à Bruno Buozzi, quelques minutes avant 12 h. Il a salué le Seigneur avec une génuflexion posée…puis nous sommes montés au bureau où il travaillait habituellement. Quelques secondes après en avoir franchi la porte, il a appelé « Xavi ! Xavier !(mgr Xavier Echevarria) qui fermait derrière lui la porte de l’ascenseur…Il s’est effondré immédiatement après… José Soria (docteur José Luis Soria) et moi-même venions aussi d’arriver au bureau

Ce fut une heure et demie de lutte, d’espoir : oxygène, piqûres, massages cardiaques…Nous nous relayions. Nous avions du mal à croire que cette heure immensément douloureuse était arrivée. Nous continuions de croire contre toute espérance… et nous agissions toujours contre l’inconcevable… Il était décédé et nous n’arrivions pas à nous en convaincre… Pour nous, il s’est agi d’une mort subite ».

Avec les antécédents cités, nous pensons que l’accident qui a entraîné son décès a pu être une arythmie maligne (fibrillation ventriculaire). La rapidité de sa présentation, de son évolution, l’absence de douleur ou d’autres manifestations, nous fait penser qu’un ventricule affaibli, sur un patient digitalisé ayant tendance à l’hypokalièmie (baisse du potassium sanguin), l’apparition d’une ou de plusieurs extrasystoles ventriculaires à la phase vulnérable du cycle électrique, a provoqué la crise de fibrillation ventriculaire avec asystolie instantanée.

Après ce bref résumé de son histoire clinique, nous tenons à exposer notre évaluation clinique des symptômes et des signes provoqués par sa maladie et à expliquer aussi l’importance et la gravité de certaines de ces données cliniques, par rapport à ce qu’était la vie réelle de saint Josémaria. Nous le ferons en découpant ces commentaires par périodes, clairement délimitées par l’analyse de la documentation clinique et par les notes biographiques que nous possédons sur sa vie et son travail. Nous avons été, soit des témoins directs de la plupart de ces données et des circonstances vitales, soit informés de première main par mgr Alvaro del Portillo ou mgr Xavier Echevarria. Avec les données sommaires du dossier clinique, il nous faut, en toute justice, rassembler les faits montrant comment il vivait, en faisant fi de sa situation bio pathologique, tout à fait oublieux des limites inhérentes à la maladie, au point que, si on ne connaissait pas « de l’intérieur », c’est-à-dire en tant que médecin, l’évolution des différents processus pathologiques qu’il endurait, on n’aurait jamais pu se douter de son manque de santé réel, au vu de ses manifestations extérieures. Son allure, empreinte de naturel et de simplicité, était tout à fait normale. Il savait ôter de l’importance aux différentes maladies, aux malaises, et acceptait tout ce que la providence voulait bien lui réserver, faisant ainsi preuve de son identification à la volonté divine, y compris dans la maladie.

Comme il a été dit, saint Josémaria a souffert de plusieurs maladies graves, réelles et objectives, mais n’a jamais eu « le complexe des malades ». Son régime de vie, son comportement extérieur, ne montraient jamais les manifestations typiques de la psychologie de quelqu’un qui souffre d’une maladie chronique, évoluant progressivement et devenant de plus en plus grave.

Quant à nous, ses médecins, nous sommes dans l’admiration lorsque nous confrontons les données cliniques et analytiques à la vie de saint Josémaria. Il a développé, pendant tout ce temps, une activité intense au service des âmes ; une énergie et une vitalité dans tous ses faits et gestes ; une sérénité et une joie qu’il communiquait aux autres ; un exercice exemplaire de toutes les obligations qui découlaient de son travail de gouvernement à la tête de l’Opus Dei ; un souci d’aimer toujours davantage, dans les œuvres concrètes, l’Église et le pape, une volonté qui le conduisait à se lancer dans des entreprises ardues, accroissant ainsi les risques d’une santé très faible, tout en se pliant toujours à ce que les médecins lui prescrivaient, à ce que lui suggéraient ceux qui l’entouraient.

Les premières années après la guerre civile

C’est grâce à l’anamnèse précise du mois de septembre 1966 et aux examens cliniques faits à ce moment-là, que nous avons pu connaître les souffrances en tout genre endurées pendant les années qui ont précédé la guerre civile, et tout au long de celle-ci. À l’insécurité connue avant d’être la victime d’une persécution contre lui et contre ses proches, s’est ajoutée, très souvent, la carence de l’indispensable pour survivre. Parmi les séquelles de cette période de privations, il y a, surtout le développement de son processus diabétique qui, ayant débuté dans les années 1942-43, présente à peu près les signes d’une malignité que l’on découvre dans les taux de glucose dans le sang et l’urine et dans les doses considérables d’insuline nécessaires pour arriver à une compensation. L’avis négatif du docteur Rof Carballo témoigne aussi de la gravité de ce diabète puisqu’il était contre le voyage du fondateur de l’Opus Dei à Rome en mai 1946.

Pendant les dix longues années où il souffrit de diabète, saint Josémaria travailla comme s’il était en parfaite santé, surmonta des céphalées intenses et constantes, un état d’asthénie très profonde, des infections dermiques à répétition, une diplopie, etc. Ce sont les années où, sous l’impulsion de son fondateur, l’Opus Dei se répand d’abord en Espagne, puis dans toute l’Europe, ce qui le pousse à voyager continuellement d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre, dans des conditions matérielles très pénibles, pour s’occuper de la formation des membres de l’Œuvre et pour déployer personnellement une intense activité apostolique avec des personnes de toutes les origines sociales, de toutes les professions. Ajoutons à tout cela qu’il avait entrepris ce qu’il appelait « la bataille juridique » nécessaire pour donner à l’Opus Dei un statut en accord avec l’esprit qu’il avait reçu de Dieu. Les premières manifestations de sa maladie coïncident ainsi avec les débuts de la Société sacerdotale de la Sainte-Croix qui demandaient un intense travail visant à résoudre les problèmes juridiques et de formation des trois premiers prêtres. De fortes contrariétés matérielles et spirituelles s’acharnent contre lui, issues des rangs de ceux qui, ne comprenant pas l’Opus Dei, propageaient des calomnies dans les milieux ecclésiastiques et civils.

Depuis 1946, avec son départ à Rome, son diabète s’aggrave sans que cela suppose un ralentissement de l’intense activité de saint Josémaria. C’est précisément à cette période-là et dans les années suivantes, que le Saint-Siège octroie l’approbation pontificale à l’Opus Dei, qu’il installe avec de grosses difficultés financières, le siège central de l’Œuvre à Rome et qu’il met en route le collège romain de la Sainte-Croix, destiné à la formation des membres de l’Œuvre issus des pays où l’on travaille déjà de façon stable : l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Angleterre, l’Irlande, la France… et en Amérique, le Mexique, l’Argentine, les Etats-Unis, le Chili, le Venezuela, le Pérou, le Guatemala…

Bien que le 27 avril 1954, après le grave choc anaphylactique dont nous avons parlé, la symptomatologie diabétique ait totalement disparu et que, dans les analyses de sang et d’urine, reprises d’innombrables fois après, on n’ait pas trouvé non plus de signes diabétiques, certains appareils et certains systèmes ont tout de même été lésés. Le système oculaire, l’appareil rénal, le cardiovasculaire en étaient témoins à la première consultation médicale du fondateur de l’Opus Dei.

Dans le rapport médical de septembre 1966, on note d’abord une légère hypertension, avec des manifestations oculaires, cardiovasculaires et rénales, relativement bénignes dans leur ensemble.

Après le Concile

C’est entre septembre 1966 et mars 1972 que l’on note le progrès de son insuffisance rénale. Les taux d’urée et de créatinine atteignent les valeurs maximales de 0,88g°/oo et de 206 mg % respectivement, c’est-à-dire en des quantités doublant les constantes normales. Son taux de cholestérol est de 325 mg % et celui de l’acide urique de 11, 4 mg %, avec une calcémie diminuée de 6,5 % (données analytiques de novembre 1971). C’est à ce moment-là qu’apparaît un tableau aigu de goutte, avec d’intenses douleurs articulaires, une inflammation des grandes articulations (genou, coude, etc.), qui l’empêchent totalement de bouger et des crampes très douloureuses provoquées par l’hypocalcémie. Il ne pouvait pas se mettre debout, il fallait pratiquement le prendre, parce qu’il ne pouvait pas faire un pas tout seul. C’est aussi en novembre 1971 qu’il connaît la première crise nocturne de dyspnée cardiaque avec une oppression précordiale provoquée par une montée de la pression artérielle associée à une défaillance ventriculaire gauche.

Ceci dit, pendant toutes ces années-là, l’attitude de saint Josémaria devant ces ennuis de santé consiste à travailler sans répit, sans repos, en se pliant aux prescriptions médicales mais sans faire le moindre petit écart dans son rythme de vie. Il connaît alors une douleur morale profonde, provoquée par la situation de l’Église, qui est dans une mauvaise passe, vu l’application arbitraire que certains font des directives du concile Vatican II. Dans ces circonstances-là, saint Josémaria se dépasse dans le don de soi : il prend des mesures constantes pour assurer la formation doctrinale de ses enfants et il étend, de plus en plus, son rayon d’apostolat personnel.

En 1967, par exemple, il préside, à Pampelune, la 2ème Assemblée des Amis de l’Université de Navarre ou, au cours de la messe, il prononce une homélie (publiée sous le titre « Aimer le monde passionnément ») devant des milliers de personnes. Il consacre plusieurs journées à des réunions avec beaucoup de monde qui lui demandent un effort intense.

Tout au long de ces années, il parcourt l’Italie, la Suisse, la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Hollande, l’Espagne et le Portugal pour visiter divers sanctuaires marials et faire un travail pastoral parmi des milliers d’âmes. Ce fut le cas en Italie en 1967 et au Mexique en 1970, où il fit un travail pastoral de quarante jours, avec des voyages au centre du pays. Il surmonta toutes les difficultés venant du climat, de l’altitude, etc.

C’est aussi à cette époque-là qu’il donne un élan initial à la Faculté de Théologie de l’Université de Navarre et à une très vaste gamme d’œuvres apostoliques et de promotion sociale partout dans le monde. La thérapie indiquée visait à faire baisser l’urémie et l’hypercholestérolémie, à éviter l’augmentation pondérale, à pratiquer une prophylaxie des processus infectieux intercurrents. Pour que le catabolisme protéique n’augmente pas, on a prescrit une abondante ingestion de liquides, afin de lui permettre un rythme de vie « normal », ou pour mieux dire, normal pour saint Josémaria, c’est-à-dire caractérisé par une intense journée de travail.

La profonde fatigue provoquée par l’urémie élevée et le début d’anémie, ou les nombreuses nuits d’insomnie, n’ont pas été un obstacle au déploiement de l’énorme travail que nous avons décrit à grands traits.

Catéchèse en Espagne et au Portugal

La période allant du mois d’avril 1972 au mois de janvier 1974 est caractérisée par l’évolution progressive de l’insuffisance rénale : l’urémie atteint 1,3 g°/oo (normal 0,40 °/oo) et la créatininémie atteint 2,8 mg % (trois fois la normale) ; de plus, le fonctionnement rénal est réduit de 30% et l’élimination anormale des protéines par le rein est passé de simples traces à 3,7 g en 24 heures. Le sédiment de l’urine est plus altéré. Il a des débuts de goutte qui disparaissent après l’ingestion d’allopurinol et son régime diététique et des processus infectieux épisodiques. La pneumonie bilatérale qu’il subit à Pampelune en avril 1972 est le tableau microbien le plus important, étant donné une possible répercussion sur la fonction rénale et des conséquences cardiorespiratoires.

Face à la progression de l’insuffisance rénale, nous avons prescrit un régime diététique plus strict et conseillé un rythme de vie plus reposant. Concrètement, une diète faible en protéines, avec des taux précis d’hydrates de carbone et de lipides, afin d’éviter l’augmentation pondérale, un régime sans sel avec une augmentation des liquides. À l’heure des repas, cela revenait à un plat de légumes verts pouvant être assaisonné d’un peu d’huile, sans sel ou avec un sel sans soude, et un deuxième plat de viande ou de poisson, très exactement pesés. Presque toujours, un fruit au dessert. La monotonie de ce régime, si insipide, a été acceptée dans la bonne humeur et avec une obéissance soumise aux prescriptions médicales. Il n’a jamais posé de question sur les caractéristiques de sa maladie et, lorsque nous pensions qu’il fallait qu’il les connaisse pour lui faciliter l’accomplissement des indications thérapeutiques, il montrait une confiance absolue vis-à-vis des médecins et acceptait, tout au plus, que mgr Alvaro del Portillo et mgr Xavier Echevarria en soient informés.

Pendant les examens médicaux, nous avons pu apprécier sa docilité, sa patience et sa détermination à collaborer avec nous, sans jamais se plaindre des ennuis que comporte tout examen médical. Il parlait ouvertement de son état de santé lorsque nous l’interrogions et se laissait examiner de la tête aux pieds — l’allonger, le ponctionner, lui faire des radiographies et des électrocardiogrammes — dans une attitude complaisante et soumise. Et, en même temps, il ne se laissait pas servir. On avait du mal à l’aider à se dévêtir, à déboutonner sa chemise, ses boutons de manchette car, d’un geste rapide et vif, il devançait le nôtre. Si nous parvenions à saisir l’un de ses boutons, il prenait notre main et l’embrassait.

Il était habituellement élogieux et plein de reconnaissance envers ceux qui s’occupaient de sa santé.

Sa générosité habituelle le poussait à nous envoyer des cadeaux en signe de sa reconnaissance. Nous tenons à rapporter un exemple concret, dans ce sens. En avril 1972, à Madrid, il a offert au professeur Ortiz de Landázuri une croix en bois, d’une grande valeur symbolique pour lui, accrochée au mur de sa chambre, dans un geste spontané de son esprit généreux.

Lorsqu’il devait répondre aux questions des médecins sur son état de santé, il disait habituellement : « Moi, je vais bien » et, en regardant mgr Alvaro del Portillo et mgr Xavier Echevarria, il ajoutait « je laisse à ces deux-là le soin de vous dire ce qu’ils en pensent ».

Ces deux années de la vie de saint Josémaria sont marquées par deux mois d’une intense activité sacerdotale, déployée en Espagne et au Portugal, en octobre et novembre 1972.

C’est après les examens médicaux faits à la Clinique Universitaire qu’il a entrepris ces deux mois d’intense prédication : Pampelune, Bilbao, Madrid, Porto, Lisbonne, Séville, Valencia et Barcelone. Il est rentré à Rome le 30 novembre.

Lors de ces examens, nous lui avons encore recommandé de consacrer un moment de sa journée à marcher, à se détendre après le déjeuner et, dans la mesure du possible, à éviter les soucis et les occupations pénibles. Ces conseils heurtaient sa disponibilité habituelle, surtout pour ce qui était du repos post-prandial, la sieste : il ne l’a jamais faite pour des raisons ascétiques et parce qu’il ne disposait pas d’une minute à lui. Il ne pouvait, ni ne voulait, éviter les contrariétés de tous les jours, parce qu’il était fermement décidé à servir les autres par amour de Dieu. Lorsqu’on lui conseillait de quitter Rome de temps en temps pour changer d’air et se reposer tout en suivant de près le travail apostolique, sa réponse était à peu près celle-ci : « Je dois être à Rome, c’est ma croix et je ne peux pas ne pas la prendre. »

Le temps consacré à cette catéchèse lui a fait un grand bien, malgré le travail épuisant que cela lui a demandé : il parlait tous les jours à de vraies multitudes, dans de longues réunions et recevait tous les jours beaucoup de personnes, par petits groupes, tout en participant aux différentes cérémonies liturgiques qui le fatiguaient, sans aucun doute. Ceux qui connaissaient cet intense travail sacerdotal étaient dans l’admiration et nous, médecins, qui connaissions son état de santé, nous n’avions d’autre réponse satisfaisante que celle de son amour et de son zèle pour les âmes qui le portaient, en lui prêtant une force inhabituelle chez les biens portants, voire chez les plus jeunes que lui.

On retrouve alors un symptôme déjà vieux qui reprend de plus belle : l’insomnie nocturne. Nous l’expliquions à cause de l’urémie élevée et l’anémie qui s’accentuait. Cependant, on devrait en chercher une ultime explication dans ce temps de crise interne de l’Église, déjà dénoncée par le pape Paul VI, qui lui ravissait le sommeil et le poussait à demeurer en prière des nuits entières, en veillant. Nous savons qu’il disait à ceux qui l’entouraient : « l’Église me fait mal ». En tant que médecins, nous connaissions cela grâce à l’information fournie par mgr Alvaro del Portillo et mgr Xavier Echevarria à l’occasion de leurs visites. Pour lutter contre l’insomnie, nous avons changé le type de somnifère mais, à vrai dire, nous ne sommes pas arrivés à surmonter cette situation : il en a souffert jusqu’au bout de sa vie.

Catéchèse en Amérique

De mai à septembre 1974, il entreprend un long voyage et parcourt différents pays d’Amérique. C’est au début du mois de mai, à Pampelune, que nous avons procédé à des examens approfondis, afin de donner notre avis sur l’opportunité de ce déplacement pour ce qui touchait à son état de santé.

Les données analytiques montraient que l’insuffisance rénale continuait de progresser : une urémie de 1,2g°/oo ; une créatininémie de 4,8 mg % (presque cinq fois supérieure à la normale) et un GFR de 19 ml/m. Il y a aussi une protéinurie et de fortes altérations dans le sédiment urinaire, une discrète anémie avec 4 millions d’hématies par mm3, une élévation de la vitesse de sédimentation (20/106), une hypercholestérolémie (320 mg%), une hyperuricémie (8mg %) et une hypocalcémie de 7,7 mg %.

Nous avons autorisé ce voyage compte tenu de la personnalité de saint Josémaria. L’expérience acquise lors de nos entretiens avec cet éminent malade nous faisait comprendre que les altérations analytiques, dont certaines étaient importantes, comme nous l’avons indiqué, n’avaient pas un rapport direct sur l’état d’esprit du fondateur de l’Opus Dei. Les propos de mgr Alvaro del Portillo, après son décès, étayent le bien-fondé de notre avis positif : « Débordante d’amour de Dieu, son âme entraînait son corps de façon étonnante ; la partie spirituelle prenait de telle sorte le dessus sur la partie somatique que, malgré son grand âge, il pouvait déployer l’activité débordante à laquelle nombre d’entre vous avez assisté lors de la seconde et troisième catéchèse en Amérique. On ne saurait trouver d’autre explication. »

Ceci dit, en tant que médecins, nous avons aussi pensé au bienfait spirituel qui découlerait de la présence du fondateur parmi les fidèles de l’Opus Dei de ces nations, qui leur permettrait d’entendre directement parler des aspects essentiels de l’esprit de l’Opus Dei et à la joie spirituelle de saint Josémaria qui allait faire la connaissance de milliers d’enfants et de nombreuses activités apostoliques déjà en route. Et avec tout cela, il y avait son élan apostolique, son souci de confirmer les âmes dans la foi, dans l’amour de l’Église et du pape, dans la fidélité au Magistère.

Nous avons modifié le traitement pharmacologique, établi un régime alimentaire encore plus strict et préconisé un rythme de vie demandant une activité apostolique plus ralentie que celle qu’il déployait habituellement. L’un de nous serait du voyage. Cela confortait aussi notre avis positif.

Dès le 22 mai, à son arrivée au Brésil, et jusqu’au 31 août, à son retour en Europe, il s’est livré aux autres, sans compter. Tout au long de son itinéraire au Brésil, en Argentine, au Chili, au Pérou, en Équateur et au Venezuela, il a eu plusieurs réunions quotidiennes, lorsqu’il n’était pas alité pour cause d’une grave pneumonie, allant au-delà de sa fatigue physique, voire même au-delà de certaines souffrances importantes endurées pendant ces cent longues journées de catéchèse en Amérique.

Il s’est très bien adapté au changement d’hémisphère, de température, de pression atmosphérique, etc. Quelques heures après son arrivée au Brésil, il réclamait un surcroît de travail pastoral et disait, en plaisantant «qu’il rentrerait en Europe si on ne le faisait pas travailler puisqu’il n’était en Amérique que pour ça. »

Il s’est imposé un horaire de travail si serré que nous avons dû conseiller une baisse de rythme, mais ce ne fut pas possible. En effet, non seulement il se prodiguait dans des rassemblements importants, mais il faisait de même avec des groupes restreints, avec chaque personne, individuellement, avec les directeurs de l’Opus Dei dans chaque pays.

Il a ainsi vécu au Brésil, en Argentine et au Chili. C’est là qu’on a confié au laboratoire clinique central de l’Université catholique de Santiago du Chili, des prélèvements de sang et d’urine pour des contrôles de routine. Lorsqu’il a connu ces résultats, le professeur Croxalto, chef de laboratoire, sans connaître l’identité du malade, a signalé la gravité de son état et conseille de l’interner pour des séances de dialyse. Or ni saint Josémaria, ni ceux qui l’entouraient, n’ont reçu en temps voulu ce diagnostic médical. De ce fait, durant les dix jours passés au Chili, il a déployé les mêmes activités qu’au Brésil et qu’en Argentine : il a tenu vint cinq réunions publiques, avec des groupes plus ou moins nombreux, reçu treize familles, rendu visite au nonce de sa sainteté et aux autres autorités ecclésiastiques, et il s’est réuni, plus de vingt fois, avec des fidèles de l’Opus Dei. Il a eu aussi des réunions et des séances de travail avec les directeurs de l’Œuvre au Chili.

Il a aussi rendu visite au cardinal archevêque de Santiago, est allé au sanctuaire de Notre-Dame de Lo Vasquez, grimpé au sanctuaire de la Vierge du Cerro et visité le Carme de Saint-Joseph pour s’entretenir avec la communauté.

Son séjour au Pérou a débuté aussi à ce rythme-là. Le 13 juillet, il est allé de Lima à Cañete. Ce soir-là, après une journée intense, il est devenu aphone. Cependant, le 14 juillet, il a rencontré plusieurs milliers de personnes et reçu plusieurs familles péruviennes, en surmontant ces ennuis qui découlaient d’un processus broncho-pulmonaire en gestation, associé aux effets d’une médication anti-infectieuse et anti-histaminique, qu’on lui avait prescrite afin de stopper cette affection pulmonaire. Sur avis médical, il est resté au lit du 16 au 20 juillet et on a dû suspendre son programme de travail. Après un réajustement, il a pu aller jusqu’au bout de la tâche en s’adressant à des milliers de gens, alors qu’il n’était pas tout à fait rétabli et que ce travail sacerdotal lui demandait de gros efforts.

Il est arrivé à Quito sans que son affection respiratoire soit tout à fait guérie. L’altitude de la capitale de l’Équateur (il logeait dans une maison à 3.000 mètres), ajoutée à son déficit respiratoire déclencha une hypoxémie d’altitude que les autochtones appellent le « soroche », ou mal des montagnes. Elle était importante et présentait les symptômes suivants : nausées, vomissements, mal au cœur, des vertiges, une profonde anorexie, une incapacité à marcher, il tombait si on ne le tenait pas, une respiration pénible, une somnolence diurne et une insomnie nocturne. Le docteur Guillermo Azanza, médecin local, conseilla le repos et établit l’ordonnance de rigueur.

Son visage était ravagé par la fatigue. En l’examinant, on notait une augmentation progressive de la fréquence des mouvements respiratoires et, à la fin de son séjour en Équateur, sont apparus les signes d’un léger œdème pré-tibial et malléolaire, avec une légère réactivation du foyer pulmonaire : fébricule, toux, signes d’hypo-ventilation à l’auscultation. Les analyses de sang et d’urine présentaient des résultats similaires à ceux obtenus auparavant.

C’est tout ce qu’on pouvait noter, médicalement parlant. Or le plus important de ces jours-là était la réponse surnaturelle de saint Josémaria à sa pénible situation physique. Sa voix était faible, il avait des difficultés à articuler des sons normalement. Il disait être en train de vivre des journées d’enfance spirituelle. Pendant de nombreuses années, près de cinquante après son ordination, il avait lutté ascétiquement pour devenir un enfant de Dieu et il soulignait comment le Seigneur le lui faisait vivre ces jours-là : une voix faible, une difficulté à prononcer des mots, des vomissements, une somnolence diurne, une incapacité à se déplacer sans aide…

À aucun moment, il n’a perdu sa bonne humeur, il ne s’est jamais plaint de tous ces ennuis. L’abandon dans les mains de Dieu était total, tout au regret de ne pas rencontrer les Équatoriens comme il avait été prévu et, surtout, profondément peiné de ne pouvoir célébrer la Sainte Messe : sa grande passion de prêtre.

Il plaisantait sur son état en zone de « soroche » : « Je ne suis pas à la hauteur… » Il voyait la main aimante de Dieu dans cette situation et, dans les échanges avec ceux qui l’entouraient, il parlait du petit enfant qui joue avec son père, Dieu notre Seigneur… «Le Seigneur a fait que je devienne un enfant », disait-il souvent.

D’autre fois, il plaisantait à propos de sa ventilation : « Je vous parle avec un oxygène prêté. »

Un jour, le docteur Azanza lui a expliquait qu’il conseillait aux touristes affectés par le mal des montagnes de quitter Quito. Sa réponse fut énergique et immédiate : « D’accord, mon fils, mais moi je ne suis pas un touriste. Je suis prêt à rester ici le temps qu’il faudra, jusqu’à ce que je m’adapte, afin de pouvoir parler de Dieu, puisque c’est ce que je suis venu faire. »

Contre mauvaise fortune, bon cœur, il tint plusieurs réunions apostoliques les 12, 13 et 14 août. Ses propos d’alors peuvent bien résumer son attitude devant la maladie : « Jésus, j’accepte de vivre conditionné, ces jours-ci et toute ma vie, et tant que tu voudras. Tu peux bien m’accorder la grâce, la joie, la bonne humeur pour beaucoup m’amuser, pour te servir et pour que mon acceptation de ces petites bricoles soit une prière pleine d’amour. »

Durant les quinze jours qu’il passa au Venezuela, où il se rendit après Quito, il eut une nouvelle bronchite, beaucoup de fièvre mais cela ne l’empêcha pas de tenir plusieurs réunions.

Son dernier voyage en Amérique

Nous retenons trois aspects de la période septembre 1974 – février 1975 :

- L’insuffisance rénale s’aggrave de façon notoire : l’urémie atteint le taux de 2,4 ° /oo (six fois supérieur à la normale), le GFR descend à 16,5 ml/min. et la protéinurie augmente.

- On perçoit des signes d’insuffisance cardiaque par défaillance du ventricule gauche ce qui provoque un grave tableau d’œdème pulmonaire la nuit du 10 novembre 1974.

- On note une perte progressive de l’acuité visuelle qui débute en septembre et qui s’installe, d’abord à Rome, et puis à Madrid, à cause d’une altération de la rétine et, surtout, à cause du début d’une opacité au centre du cristallin de l’œil droit. Cet œil avait déjà une condensation des fibres cristallines, avec une acuité visuelle de 1/3. Seuls ceux qui étaient près de lui ont pu se rendre compte qu’il voyait très peu : son naturel était tel qu’il pouvait surmonter cette nouvelle complication, grâce à une capacité à aimer la douleur physique, largement expérimentée.

La vie de saint Josémaria durant ces six mois ne change pas : il ne veut aucune exception dans son horaire de travail ni dans ses obligations de gouvernement à la tête de l’Opus Dei.

Il dit sans cesse des oraisons jaculatoires : « Domine, ut videam !, ut videamus !, ut videant ! Seigneur, que je voie, que nous voyions, qu’ils voient ! » avec lesquelles il demande à Dieu d’éclairer de sa lumière les consciences de ceux qui doivent être lumière et guide afin qu’ils trouvent la solution à la situation de confusion doctrinale et disciplinaire installée dans tant de milieux ecclésiastiques et si nuisible à la société civile.

Il remerciait fréquemment ses filles pour l’effort et le soin apporté à la réalisation des menus dont le contenu réel n’avait rien à voir avec leur présentation effective. Ce qui semblait être un œuf poché n’était qu’un savant mixage fait en cuisine ; le pain, en petites quantités, sans sel ; le lait, écrémé ; un dessert sucré sans sucre, sans jaune d’œuf, mais avec des succédanés.

Il a supporté avec une grande patience l’exploration radiologique intense et en profondeur faite par le docteur Domenech Clarós, en septembre 1974, à Barcelone.

L’amélioration éprouvée en janvier 1975, et les mêmes considérations que nous nous étions faites en mai 1974 pour son voyage en Amérique, nous ont conduits encore à donner notre feu vert pour le départ au Venezuela et au Guatemala du 4 au 27 février 1975/

Le séjour dans ces deux pays américains se déroula sous une continuelle vigilance médicale et il se plia aux indications concernant son activité apostolique. Mais nous ne pouvions pas contrôler, en tant que médecins, le zèle apostolique et l’amour de Dieu qui bouillonnait en son cœur le poussant à passer sa journée à parler de Dieu à tout bout de champ.

Il y avait chez le fondateur de l’Opus Dei, une parfaite harmonisation des aspects psychosomatique et surnaturel. Dans un très bref laps de temps, il passait d’une fatigue profonde à une activité débordante lorsqu’il parlait de Dieu : son corps était entraîné par son élan apostolique. Devant garder le lit, il retrouvait une grande vitalité dans sa prédication et son rythme vital s’améliorait à vue d’œil lorsqu’il vibrait et qu’il faisait vibrer ceux qui l’écoutaient. Très fréquemment, lors de ces semaines au Venezuela et au Guatemala, il quittait son lit, fiévreux, pour aller à ces rencontres. À la fin, il était logiquement épuisé. De ce fait, après ces nombreuses réunions quotidiennes, nous lui conseillions un nouveau repos.

Les derniers mois

Du 27 février au 18 mai 1975, il est à Rome. Les données cliniques montrent qu’il y a toujours cette grave insuffisance rénale : l’urémie n’a pas évolué, mais la créatininémie atteint le taux de 5, mg °/oo et le GFR baisse jusqu’à 15 ml/m. L’anémie s’accentue et c’est le 28 février qu’il a le taux le plus bas d’hématies, au retour d’Amérique : 3.320.000. La cholestérolémie atteint 354 mg °/oo, la vitesse de sédimentation augmente (100/122).

L’insuffisance cardiaque persiste : il a des oedèmes aux jambes et son équilibre hydrique est de plus en plus difficile à régler. Les premiers jours de mai, il présente une crise d’asthme cardiaque qui, comme nous le verrons plus tard, va reprendre encore deux fois dans la seconde quinzaine de mai.

Cette situation clinique préoccupante n’a rien à voir avec son rythme de travail et de normalité à la tête de l’Opus Dei.

Entre le 15 mai et le 26 juin 1975, le processus rénal est stationnaire, avec les taux d’analyse semblables aux précédents. Ce qui se fait le plus sentir c’est l’insuffisance cardiaque. À la crise d’asthme cardiaque du 3 mai, succèdent deux accidents cardiaques ce mois-là : un œdème aigu du poumon la nuit du 21 au 22 mai et une nouvelle crise d’asthme le matin du 30 mai.

Saint Josémaria se trouve à Torreciudad, du 23 au 26 mai. La ville de Barbastro tient à l’honorer en lui remettant la Médaille d’or. Il n’y tient pas mais accepte à cause de l’élan apostolique que cela suppose pour le travail en Espagne. Il profite de ce séjour pour prier au pied de la Très Sainte Vierge, dans un sanctuaire pratiquement achevé et c’est devant le Très Saint Sacrement et la représentation de Notre Dame qu’il demeure de très longues heures en prière. Surmontant sa fatigue habituelle, il parcourt les différentes zones du sanctuaire.

Le voyage à Torreciudad eut lieu deux jours après l’accident cardiaque dont nous avons parlé. Ceci dit, le 24 mai, il est bouleversé par la nouvelle du décès de don Salvador Canals, survenu à Rome. La trace de la souffrance provoquée par la mort de son fils, avec les nombreuses séquelles de la crise cardiaque et de tout le poids que saint Josémaria portait sur ses épaules, transparaît le lendemain à la mairie pendant la cérémonie de la remise de la médaille d’or de la ville de Barbastro, accordée par ses concitoyens quelques mois auparavant.

De retour à Madrid, il consulte le docteur Ulpiano Arias, parce qu’il souhaiterait se faire faire une prothèse dentaire complète.

Le 31 mai, un peu avant son départ pour Rome, il dit de façon confidentielle, combien il regrette avoir dérangé le corps médical durant son séjour. Il assure qu’il y a quelques années il ne pensait pas que le Seigneur allait permettre une situation pareille. «Cependant maintenant, ajoute-t-il, je lui demande de me prendre au plus vite, sans vous déranger. Ici je ne fais plus que déranger. Du ciel, je pourrai vous aider davantage et mieux. » Il n’y avait ni abattement ni tristesse dans ces propos, mais le désir de servir, en vivant sa vocation et en acceptant amoureusement la volonté de Dieu.

Moins d’un mois après, le Seigneur l’exauça.

Diego Martínez Caro, professeur honoraire de cardiologie. Université de Navarre. Pampelune

Alejandro Cantero Fariña, docteur en médecine, spécialiste en dermatologie. Madrid