Mgr Ocáriz : interviews récentes

Nous vous proposons une sélection de questions et de réponses issues d'interviews récentes du prélat de l'Opus Dei, publiées dans différents médias. Mgr Ocáriz parle du prochain centenaire de l’Opus Dei, du rôle des laïcs dans la diffusion de l'Évangile, des réponses aux critiques et aux erreurs, et de l'engagement de l'Opus Dei au service de l'Église.

Nous vous proposons les questions et réponses classées par thème :


LE CHEMIN VERS LE CENTENAIRE DE L'OPUS DEI

L'Opus Dei est déjà en route vers le centenaire de sa fondation en 2028 : quelles sont les étapes prévues et qu'attend-on de cette longue préparation ?

Dans les années qui précèdent le centenaire, nous voulons nous interroger sur les besoins et les défis de l'Église et du monde. Nous voulons approfondir notre identité et étudier comment l'Œuvre peut contribuer à la sanctification de la vie ordinaire à travers son charisme. Pendant cette période, nous chercherons donc une vision d’ensemble (l'Église et le monde) et une vision de l'intérieur (l'Œuvre), dans l'espoir que nos regards se rejoignent dans un moment de grâce. (Interview à Avvenire, 30-VI-2024)

Comment l'Opus Dei se prépare-t-il à l'approche du centenaire de sa naissance ?

Le bienheureux Alvaro del Portillo avait l'habitude de faire cette prière : « Merci, pardon, aide-moi davantage ». Il me semble que c'est une bonne inspiration pour le centenaire. Remercier Dieu pour les dons reçus et la vie sainte de tant de personnes au cours de ces cent ans ; souffrir pour les erreurs que nous avons commises ; et lui demander de l'aide pour l'avenir, car sans Dieu, nous ne pouvons rien faire. (Entretien avec El Mercurio de Chile, 28-VII-2024)

Ombres et lumières, selon vous, dans ces presque cent ans d'histoire ?

L'Opus Dei a été et est un don de l'Esprit Saint pour l'Église, comme le rappelle le pape François dans Ad charisma tuendum. Je vois l'Œuvre comme une lumière qui inspire beaucoup de personnes à rencontrer Jésus-Christ à travers les tâches ordinaires de la vie quotidienne : le travail, la famille, les relations sociales. Je dirais que ce sont les principales lumières, dont Dieu est le protagoniste, intervenant dans l'histoire.

Parmi ces lumières, je voudrais mentionner tant de personnes de l'Œuvre qui ont parcouru cette terre en essayant de faire le bien, avec leurs vertus et leurs défauts. Actuellement, environ mille personnes de l'Opus Dei décèdent chaque année. Dans la majorité des cas, ce sont des gens simples, normaux, anonymes, qui ont essayé de semer la paix et la joie autour d'eux, dans des contextes parfois difficiles.

Parfois, ce sont des personnes qui ont été publiquement présentées comme exemples pour les fidèles, comme Guadalupe Ortiz de Landázuri, la première laïque de l'Opus Dei à avoir été béatifiée, chimiste de profession qui a mené un vaste apostolat d'amitié en Espagne, au Mexique et en Italie. Ou, plus récemment, le pédiatre guatémaltèque Ernesto Cofiño, médecin et père de famille que l'Église a déclaré vénérable en décembre 2023. Entre autres choses, le Dr Cofiño s'est engagé auprès des enfants sous-alimentés et des familles pauvres de son pays, créant de nombreuses cantines solidaires et dispensaires, et développant une large œuvre d'évangélisation auprès de sa famille, de ses collègues et amis.

En même temps, dans l'histoire de l'Opus Dei, il y a aussi des ombres et des erreurs, car il est formé d'êtres humains faillibles. Les bonnes intentions n'empêchent pas de faire des erreurs et il faut l’accepter avec humilité. En particulier, il est douloureux de savoir que certaines personnes en contact avec la prélature ont été blessées par un manque de charité ou de justice : des situations de manque de soutien émotionnel, des erreurs dans les processus d'incorporation, des négligences dans l'accompagnement des personnes ayant quitté l'Opus Dei, etc. Il faut apprendre des erreurs et continuer à s'améliorer, avec l'aide de Dieu.

(Entretien avec El 9 Nou, 24-IX-2024)

FIDÉLITÉ ET CHANGEMENT

Qu’est-ce qui demeure et qu’est-ce qui a changé dans l’Œuvre durant tout ce temps ?

Dans l’Opus Dei, il y a un esprit fondamental, un message significatif sur la sainteté au cœur du monde, qui n’a pas changé : c’est le noyau immuable qui lui donne son sens. En effet, , si l’Opus Dei existe, c’est justement pour préserver et diffuser un message précis à travers le temps, comme c’est le cas dans toutes les institutions.

Ceci dit, saint Josémaria a toujours été clair sur la nécessité de conserver cet esprit intact, mais il disait aussi qu’avec le temps, les formes peuvent et doivent changer. En cent ans, la société et l’Église ont beaucoup évolué, et l’Opus Dei aussi, puisqu'il fait partie de l’Église et de la société. Les transformations provoquées par des phénomènes comme la mondialisation, l’accès grandissant des femmes à l’espace public, les nouvelles dynamiques familiales, etc., trouvent leur reflet dans l’Opus Dei en tant qu’institution et dans la vie réelle de ses membres. Savoir changer —en modélisant tout changement à partir de l’essentiel— est une condition pour pouvoir continuer à être fidèles à une mission.

Pour différentes raisons, il y a eu ces dernières années des changements dans le cadre juridique, dans certaines approches apostoliques et bien d’autres choses peut-être peu visibles mais importantes : par exemple, l’insistance sur la séparation claire entre gouvernement et direction spirituelle, des mesures pour mieux garantir et renforcer la pleine liberté et le caractère volontaire des processus d’incorporation, et des pratiques concrètes ont été actualisées pour manifester l’exigence de vivre la vertu de la pauvreté au milieu du monde, etc.

(Entretien avec El 9 Nou, 24-IX-2024)

Le pape François a appelé à renforcer le charisme essentiel de l'Opus Dei. Comment caractériseriez-vous, en quelques mots, ce charisme ?

En quelques mots, je le décrirais comme la recherche de Dieu, la rencontre avec Dieu, les bras ouverts à tous —et aider beaucoup d'autres personnes à cette même rencontre— dans la vie ordinaire, dans le travail, dans la famille, dans la rue. Avec les mots du pape François, il s'agit de « diffuser l’appel à la sainteté dans le monde, à travers la sanctification du travail et des occupations familiales et sociales ».

(Entretien avec El Mercurio de Chile, 28-VII-2024)

Par ailleurs, il s'agit d’un charisme qui s'est formé il y a presque cent ans, dans un monde très différent. Doit-il subir des révisions et des changements au fil du temps ?

En cent ans, la société et l’Église ont beaucoup évolué, et l’Opus Dei aussi, puisqu’il en fait partie. Nous ne sommes pas indifférents à des phénomènes comme la mondialisation, l’accès grandissant des femmes à l’espace public, les nouvelles dynamiques professionnelles et familiales, etc. Comme l’affirmait saint Josémaria, les façons de faire et de dire changent, mais l’essence, l’esprit, demeure. Savoir changer, dans ce sens, est nécessaire pour rester fidèles à une mission. La clé est de modéliser tout changement à partir de l’essentiel, de ce noyau ou charisme que nous ne pouvons pas modifier, car, comme tout charisme, c’est un don de Dieu.

(Entretien avec El Mercurio de Chile, 28-07-2024)

AVENIR DE L’OPUS DEI

Que souhaitez-vous pour l’Opus Dei dans les 50 prochaines années ?

En me projetant dans le temps, j’aimerais que l’Opus Dei soit un propagateur d’amitié, de foi manifestée par des œuvres, de liberté d’esprit et de créativité pour accomplir la mission évangélisatrice de l’Église et collaborer à la construction d’une société juste.

(Entretien avec Semana, 17-VIII-2024)

Quels ont été les jalons les plus importants du développement institutionnel de l’Opus Dei et quelle est son orientation au XXIe siècle ?

Je dirais que les jalons les plus importants sont les moins visibles : la grâce de Dieu qui agit en des milliers de personnes, qui répondent positivement à l’appel à suivre Jésus-Christ au cœur du monde. Ou encore tant d’histoires de repentir, de conversion, qui se produisent chez des personnes de l’Œuvre et chez d’autres qui fréquentent ses apostolats.

Sur le plan institutionnel, je rappellerais la canonisation du fondateur, le 6 octobre 2002. Devant la multitude rassemblée à Rome, saint Jean-Paul II s’est référé à Josémaria Escrivá comme « le saint de la vie ordinaire ». Cette expression est également un guide pour l’Opus Dei du futur, auquel vous faites référence : l’essentiel n’est pas les activités, les structures ou les chiffres, mais d’aider de nombreuses personnes —avec la grâce de Dieu— à rencontrer Dieu dans la rue, à l’usine, à l’hôpital, etc., ou à « transformer la prose quotidienne en vers héroïque », selon les mots de notre fondateur..

(Entretien avec El 9 Nou, 24-IX-2024)

Quelle est la situation actuelle du développement de l’Opus Dei dans le monde ? Y a-t-il des plans d'expansion en vue du centenaire ? Dans quels pays rencontrez-vous le plus de difficultés ?

[...] Les obstacles externes proviennent parfois de la sécularisation ambiante, de certains styles de vie qui rendent difficile la création de familles durables ou la compréhension du célibat ou des vocations dédiées au service et au soin, etc. Il existe aussi des obstacles auxquels tout chrétien dans le monde doit faire face, comme le danger de la mondanité. En ce sens, comme il n’existe pas de contexte de foi partagé, il faut une finesse de cœur particulière pour être cohérent avec ses engagements familiaux ou vocationnels.

D’un point de vue géographique, la diversité culturelle et religieuse est très large. Ce n’est pas la même chose d’incarner une vocation chrétienne dans des villes à majorité musulmane comme Mombasa (Kenya) ou Surabaya (Indonésie), qu’à Lisbonne ou Varsovie. Comme le savent bien les personnes de l’Œuvre qui vivent dans ces lieux, la semence évangélisatrice se projette sur un horizon de plusieurs décennies, comme en Chine ou en Corée du Sud. Dans ces pays, à côté des difficultés, on observe également un fort dynamisme ecclésial qui se traduit par des conversions, des baptêmes de jeunes et d’adultes, etc.

D’autre part, l’Œuvre est depuis quelques années en train de restructurer ses circonscriptions dans le but d’améliorer son gouvernement et son action apostolique [...]

(Entretien avec El Debate, 22-VI-2024)

Dans l'Opus Dei, il y a des personnes de tous âges. Que pouvez-vous faire, en tant que père et prélat, pour encourager une coopération intergénérationnelle au sein de l’Œuvre ?

Dans ma maison à Rome, nous cohabitons avec une personne de 102 ans et une autre d’une trentaine d’années. Entre autres choses, les plus âgés apportent leur expérience, et les jeunes leur enthousiasme et leur vitalité. Si les jeunes regardent les aînés (ou, plus généralement, les personnes âgées) avec affection et compréhension, et que les aînés font de même envers les jeunes, les familles et les divers milieux de la société se remplissent d’espérance. Actuellement, par exemple, les exigences professionnelles des familles requièrent particulièrement l’aide des grands-parents pour l’éducation des enfants. Et les limites physiques des aînés réclament le soutien des jeunes. Nous devons aborder la cohabitation intergénérationnelle avec amour, sachant qu’elle implique parfois des sacrifices des deux côtés.

(Entretien avec Semana, 17-VIII-2024)

LES LAÏCS DANS L'ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ

En quoi consiste le service qu’un membre de l’Opus Dei peut rendre à l’Église ?

La vocation spécifique des membres de l’Opus Dei —qui sont en immense majorité des laïcs, seuls 2 % sont des prêtres— appelle à une rencontre personnelle avec le Christ dans la famille, le travail, les relations sociales… en sachant que la quête de la sainteté n’est pas réservée aux surhommes ou aux « surfemmes », mais s’adresse à des personnes en chair et en os, avec leurs réussites et leurs erreurs. Aujourd’hui, je soulignerais le fait que le service qu’un membre de l’Œuvre peut rendre dans l’Église consiste à prendre soin des personnes —dans la famille, au travail, etc.—, à semer la communion et la fraternité dans l’Église et dans les milieux où il évolue dans la société. La « sainteté dans la rue » que prêchait saint Josémaria pousse à rechercher des solutions dignes aux problèmes de chaque contexte et de chaque époque.

(Entretien avec Semana, 17-VIII-2024)

Quel serait, selon vous, l’apport principal de l’institution que vous dirigez à la vie de l’Église ?

La principale contribution de l’Opus Dei est d’accompagner les laïcs (qui représentent 98 % de ses membres) pour qu’ils soient les protagonistes de la mission évangélisatrice de l’Église au cœur du monde, chacun individuellement. Les laïcs ne sont pas de simples récepteurs ou des acteurs secondaires, mais bien les acteurs principaux de l’évangélisation, capables de transmettre la chaleur et l’amitié du Christ là où cela est le plus nécessaire : dans les écoles, les quartiers, les terrains de football, les hôpitaux, les bureaux, les familles, auprès des pauvres et des riches… à tout le monde. Les laïcs représentent la grande majorité de l’Église, et c’est à eux que s’adresse spécifiquement le travail d’évangélisation de l’Opus Dei.

Il s'agit d'un travail d'accompagnement spirituel, d'animation chrétienne, sans interférer dans leurs choix légitimes en matière temporelle : leurs actions dans la société —leurs réussites et leurs échecs—relèvent de leur propre responsabilité, et non de celle de l'Église ni de l’Opus Dei. Attribuer à l’Opus Dei les initiatives politiques, entrepreneuriales ou sociales de ses fidèles reviendrait à du cléricalisme.

(Entretien avec El Mercurio de Chile, 28-VII-2024)

Dans une récente interview avec le journal italien “Avvenire”, vous avez affirmé qu’« il reste encore beaucoup à faire pour redécouvrir le rôle des laïcs ». Qu’est-ce qui manque selon vous ? Mais d'abord, quel est ou devrait être le rôle des laïcs dans l’Église ?

Comme l'a souligné le Concile Vatican II, il revient aux laïcs, par leur propre vocation, d'animer chrétiennement les affaires temporelles : c'est-à-dire le travail, la famille, le commerce, la culture, etc. Ils vivent dans le monde, dans toutes les activités et professions, depuis un terrain de sport jusqu’à un laboratoire scientifique ; depuis le monde du cinéma ou des spectacles jusqu'à celui de la politique, de l'agriculture, de l'éducation ou de l'économie... Leur rôle est de contribuer à la sanctification du monde en reflétant un peu de l'amour du Christ partout et dans chaque circonstance ; et c'est ici qu’il reste beaucoup à faire. Je pense, par exemple, à la formation des laïcs en bioéthique ou en justice sociale, à leur prise de conscience d'être les acteurs principaux de l’évangélisation, à leur responsabilité éthique dans le travail, à la recherche de la paix, dans l’éducation et les finances... Ce sont les hommes et les femmes baptisés qui se trouvent là et qui doivent rendre visible la sainteté de Dieu, celle qui humanise le monde. La mission du laïc ne se résume pas à « occuper des postes » dans les structures ecclésiales.

(Entretien avec Semana, 17-VIII-2024)

L’Opus Dei est majoritairement composé de femmes, dont la plupart sont mariées. Comment peut-on valoriser ces personnes qui choisissent de donner leur vie à Dieu à travers le mariage ? Quelle richesse apporte la femme au développement du charisme de l'esprit de l'Opus Dei ?

Le mariage est un chemin de sainteté : dans l’Opus Dei, tous les membres —mariés, célibataires ou vivant le célibat— partagent une même vocation, mission et responsabilité. Les personnes mariées sont conscients que leur amour pour Dieu passe à travers leur famille, leurs amitiés et le travail qu'elles accomplissent dans le monde. C’est un énorme potentiel de service transformateur. Quant aux femmes (qui, comme vous le signalez, sont majoritaires), saint Josémaria comprenait que sans elles, l’Œuvre était incomplète. Et c’est logique, car on ne pourrait comprendre l’Opus Dei sans leur contribution irremplaçable, tout comme on ne peut comprendre la famille, le monde du travail ou la vie sociale sans elles.

(Entretien avec Semana, 17-VIII-2024)

VOCATIONS

L’Église catholique connaît aujourd’hui une diminution marquée des vocations au sacerdoce, à la vie religieuse, et aux divers mouvements. Ce phénomène touche-t-il également l’Opus Dei ? Dans les pays les plus sécularisés, nous partageons les mêmes difficultés que le reste de l’Église. Dans les régions où l’Église est en croissance (comme au Nigéria, au Brésil, aux États-Unis...), l’Opus Dei se développe également. En particulier, le nombre de laïcs inspirés par saint Josémaria, qui souhaitent chercher la sainteté et sont ouverts à fonder une famille, augmente. En revanche, le nombre de personnes qui accueillent le célibat diminue : c’est un don de Dieu, peut-être moins bien compris aujourd’hui, bien qu’il soit si enrichissant pour l’Église. Depuis un certain temps, plus de 1 000 membres de l’Opus Dei décèdent chaque année ; néanmoins, grâce à Dieu, il y a une légère croissance en termes de chiffres globaux, bien que dans la réalité ecclésiale ce qui importe soit l’union avec Dieu, et non les chiffres ou les structures. (Entretien avec El Mercurio du Chili, 28 juillet 2024)

Le pape François a qualifié la crise ou la diminution des vocations de « hémorragie pour l’Église ». Vous avez donné votre vie à Dieu depuis votre jeunesse et, un peu plus tard, vous avez décidé de vous ordonner prêtre, bien que ceux-ci ne représentent que 2 % de l’Opus Dei. Pourquoi est-il devenu plus difficile aujourd’hui pour les personnes de considérer la vocation au célibat apostolique ?

Le monde actuel fait face au défi de croire à nouveau dans l’engagement, dans un amour pour la vie qui apporte joie et liberté. Pour beaucoup, l’engagement est perçu comme une limite, alors qu’en réalité Dieu ouvre toujours des horizons lumineux. C’est une crise anthropologique et culturelle, qui touche surtout le monde occidental ; dans d’autres parties des Amériques, en Afrique et en Asie, il y a un épanouissement des vocations au sacerdoce ou à d’autres engagements impliquant le célibat. Je dirais qu’il est essentiel de retrouver la vertu de l’espérance. (Entretien avec Semana, 17 août 2024)

Beaucoup de gens s’interrogent sur la jeunesse de certaines vocations à l’Opus Dei, parfois même avant 18 ans. Des jeunes de 16 ans peuvent-ils librement décider de leur vocation et entrer dans l’Opus Dei à cet âge ?

La liberté est une condition essentielle pour toute vocation. L’incorporation à l’Opus Dei n’est possible qu’à 18 ans, l’âge de la majorité. Si quelqu’un pense avoir une vocation, il peut entamer un processus de discernement avant cet âge, tout en sachant qu’il ne fait pas encore partie de l’Opus Dei et avec l’autorisation expresse de ses parents. A partir du moment où quelqu’un demande son admission dans l’Œuvre jusqu’à son incorporation définitive, il y a plusieurs étapes de formation, qui durent au moins 6 ou 7 ans. Chaque année, la personne doit manifester son désir de continuer : ce n’est pas un processus automatique, mais qui interpelle le discernement et la liberté personnelle de manière bien plus profonde que la plupart des décisions que l’on prend dans la vie. L’Église reconnaît que les jeunes peuvent découvrir leur vocation et répondre pleinement à cet appel de l’amour de Dieu. Carlo Acutis, qui sera prochainement canonisé, est décédé à 15 ans ; la bienheureuse chilienne Laura Vicuña à 13 ans ; saint Dominique Savio à 14 ans ; sainte Thérèse de l’Enfant Jésus a décidé de devenir carmélite à l’adolescence... Les activités de formation spirituelle proposées par l’Opus Dei aux jeunes, avec la participation des parents, sont une graine pour les aider à découvrir et à témoigner de leur foi, à aimer leur famille, à servir les autres, à être de bons amis et à se préparer à devenir de bons professionnels et citoyens. La majorité découvre que leur vocation est dans le mariage, d’autres dans le célibat laïc ; d’autres encore optent peut-être pour le sacerdoce ou la vie religieuse… (Entretien avec El Mercurio du Chili, 28 juillet 2024)

L’année prochaine, un Jubilé de la Jeunesse se tiendra à Rome. Quel est, selon vous, le plus grand défi auquel les jeunes sont confrontés aujourd’hui pour envisager une vie proche de Dieu comme un idéal attirant ?

Seul le Christ est la réponse à toutes les interrogations que les jeunes portent aujourd’hui dans leur cœur, et l’amour de Dieu le Père est capable de guérir les blessures et les fragilités lorsqu’on s’ouvre à Lui. Peut-être est-ce plutôt nous, les adultes, qui devons nous interroger pour savoir si nous sommes capables de comprendre les jeunes, de les accompagner de près et avec bienveillance, et de rendre le message chrétien compréhensible, en tenant compte des circonstances concrètes et de la mentalité de chacun. Logiquement, le témoignage d’une vie cohérente est également essentiel pour montrer l’attrait d’une vie proche du Christ. (Entretien avec Semana, 17 août 2024)

« Dans l’Église, il y a de la place pour tous, pour tous », a affirmé le pape François lors des JMJ de 2023 à Lisbonne. Que signifie exactement cette ouverture de l’Église, et comment l’Opus Dei peut-il transmettre ce message ?

Saint Paul lui-même affirme que Dieu veut que tous soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Le message de salut de l’Église est une invitation à tous, sans exception. Le pape a fait de cette universalité un axe central de son magistère. Saint Josémaria parlait à ses enfants spirituels d’avoir les bras ouverts à tous. En ces temps de polarisation, de divisions et de murs, nous, disciples du Christ, avons un chemin très clair à suivre. (Entretien avec Semana, 17 août 2024)

CRITIQUES ET ERREURS

Certaines personnes de l’Opus Dei sont reconnues pour leurs contributions à la société, telles que les écoles, les universités et les œuvres sociales. Cependant, des critiques se posent également contre eux. Pourquoi, selon vous, ces critiques émergent-elles, et comment les contrer ?

Je pense parfois que ces critiques nous aident à nous purifier de la tentation de croire que nous n’avons rien à corriger, et encore moins de nous sentir satisfaits ou exceptionnels parce que quelque chose marche bien. Comme tout le monde, nous avons besoin de réfléchir au bien que nous souhaitons accomplir et à ce que nous réalisons concrètement. D’ailleurs, notre fondateur nous rappelait que l’Œuvre devait vivre « sans gloire humaine ». D’autre part, il est naturel qu’il y ait des points de vue différents, car il existe de nombreuses façons de faire et de comprendre les choses, qui peuvent plaire plus ou moins. Ce qui importe face à ces récits, c’est peut-être de souligner que l’objectif des initiatives des membres de l’Œuvre est de servir les autres, car c’est ce qui sous-tend véritablement tous les projets que vous avez mentionnés.

J’aimerais que quiconque s’approche de ces activités puisse voir que l’on y sème la paix et la joie ; chacun apporte ce qui lui est propre, s’efforce de valoriser ce qui est vient de l’autre, et tous luttent ensemble pour surmonter les nombreuses injustices et souffrances de la vie.

Mais, j’insiste, les opinions contraires peuvent être une aide lorsqu’elles sont sincères, qu’elles viennent de milieux qui ne connaissent pas l’Œuvre, de personnes proches ou de ceux qui, pour diverses raisons, ont cessé de faire partie de notre famille. Elles nous permettent de demander pardon et de nous corriger.

Personnellement, je suis heureux de constater que chaque jour de l’année ou presque, nous recevons une demande d’admission à l’Opus Dei de personnes qui ont fait partie de l’Œuvre dans le passé et qui, pour une raison ou une autre, s’en étaient désengagées. Des nouvelles comme celles-ci sont une caresse du Seigneur, qui, en un certain sens, certaines “narrations” excessivement dichotomiques.
(Entretien avec Semana, 17-VIII-2024)

Pourquoi une partie de la hiérarchie ecclésiastique a-t-elle perçu l’Opus Dei comme une institution rivale ou parallèle, alors que les fidèles de l’Œuvre sont également membres des diocèses territoriaux ?

Je perçois, en général, de l’estime de la part de la hiérarchie et des autres institutions de l’Église. Les personnes de l’Œuvre sont conscientes d’être dans le même bateau que l’Église, où coexistent différentes spiritualités et sensibilités [...] Par ailleurs, plusieurs exemples d’initiatives de l’Opus Dei me viennent à l’esprit (à Rome et dans le monde) qui, par la grâce de Dieu, ont donné naissance à des vocations pour de nombreuses institutions de l’Église. Et inversement : actuellement, par exemple, le diocèse de Florianópolis (Brésil) a lancé le processus de béatification d’un jeune de l’Œuvre, qui a mené une œuvre d’évangélisation très large dans ce diocèse et qui s’est approché de la foi catholique grâce aux retraites d’une autre réalité ecclésiale, Emaús.

Comme vous le soulignez, du point de vue du droit, les laïcs de l’Opus Dei sont des fidèles de leurs diocèses au même titre que n’importe quel autre fidèle. Et dans les faits, ils sont très nombreux à collaborer activement à la catéchèse ou aux cours de préparation au mariage dans leurs paroisses, à des initiatives de service comme Caritas, à des activités avec les jeunes, etc. De même, je reçois de nombreuses demandes d’évêques diocésains pour que tel ou tel prêtre collabore dans une paroisse, un hôpital, un service diocésain. Chaque fois que c’est possible, nous collaborons volontiers.

Si des réticences ont existé envers certaines institutions de l'Église, cela pourrait être dû à des relations humaines imparfaites, que nous devrions essayer de résoudre jour après jour, avec simplicité. Parfois, les malentendus proviennent aussi de la difficulté historique compréhensible d’affronter de nouvelles réalités, porteuses d'une « nouveauté » qui, au début, peut sembler surprenante. J'aime à penser que cela appartient au passé. (Entretien avec El Debate, 22-VI-2024)

Vous avez publiquement demandé pardon pour les « fautes et péchés des membres de l’Opus Dei ». Quelles sont ces fautes et ces péchés ?

Les fautes et péchés personnels, chacun les connaît. En même temps, on ne peut ignorer qu’il y a des personnes qui ont appartenu à l’Opus Dei ou qui ont été en contact avec l’Œuvre et qui se sont senties blessées par des manières de faire ou ont vu leur confiance brisée envers ceux qui étaient à la tête ou envers l’institution.

Sachant que l’objectif de l’Œuvre est de parcourir un chemin de sainteté et de rencontre avec le Christ, penser que certaines personnes n’ont pas trouvé le bonheur sur ce chemin me cause personnellement de la peine et c’est une invitation à mener sainement un travail d’examen pour détecter les causes, pour voir comment réparer selon chaque situation, étudier ce qui peut être amélioré, etc.

Les raisons de ces blessures peuvent être très variées. Ce qui me fait le plus de peine, c’est que nous n’ayons pas toujours su bien accompagner les personnes dans le discernement de leur vocation, dans l’accompagnement spirituel, ou face à une situation familiale ou personnelle difficile. (Entretien avec El Mercurio du Chili, 28-VII-2024)

L’Opus Dei est souvent qualifié de trois adjectifs : conservateur, puissant et hermétique. Pourquoi cela ? Quels adjectifs aimeriez-vous que l’on utilise pour caractériser l’Opus Dei et son travail ?

Chacun peut avoir ses opinions et ses raisons d’évaluer la réalité. Si certaines personnes le perçoivent ainsi, c’est qu’il y a quelque chose d’objectif et/ou subjectif qui peut donner cette impression. Faire mieux connaître ce qu’est l’Œuvre est en partie la tâche de chaque membre : vivre de manière authentique sa propre vocation. C’est quelque chose de grand et de merveilleux, bien que je comprenne qu’il faille une perspective de foi pour le comprendre en profondeur. Quoi qu’il en soit, je pense qu’humainement, celui qui connaît de près l’Opus Dei pourra percevoir des personnes normales, avec des vertus et des défauts. J’aimerais que l’on nous connaisse comme des gens joyeux, simples et sereins, pacifiques, avec qui il est facile de se lier d’amitié, des personnes d’esprit ouvert et compréhensif. J’aimerais aussi que l’on reconnaisse la diversité des fidèles de l’Opus Dei, et pas seulement les quelques-uns qui gagnent une certaine notoriété publique. On verrait ainsi que chacun lutte pour vivre à fond la foi, tout en bataillant avec ses propres défauts et en essayant de mettre ses talents au service de sa famille, de ses amis et de la société. (Entretien avec El Mercurio du Chili, 28-VII-2024)

ASSEMBLÉES RÉGIONALES

L'Opus Dei est en plein "voyage" pour redécouvrir la fraîcheur et la force de son charisme. Dans ce parcours, que découvre-t-il ?

Dans tous les pays où l'Opus Dei est présent, les « assemblées régionales », qui se tiennent tous les dix ans, ont eu lieu ou vont avoir lieu. Ce sont des moments précieux de dialogue et de réflexion. On y perçoit le désir d’aller à l’essentiel, au charisme, en trouvant la manière de le vivre et de le communiquer plus efficacement dans les circonstances actuelles. Par exemple, l'une des questions qui émerge de ces assemblées est le souhait de fonder de plus en plus le travail apostolique de l'Œuvre sur l'amitié sincère et la transformation du cœur, plutôt que sur des structures, des œuvres ou des activités. (Entretien avec Avvenire, 30 juin 2024)

Vous avez mentionné une consultation étendue impliquant tous les membres de l'Opus Dei et même d'autres personnes extérieures à la Prélature. Pouvez-vous expliquer ce choix dans un esprit synodal ?

À l'image de l'Église dans son ensemble, l'Opus Dei est une famille, et lorsqu'une famille doit prendre une décision importante (concernant des défis ou des priorités), elle écoute tout le monde. Nous avons consulté le Secrétariat du Synode, qui nous a encouragés à vivre les assemblées régionales de la prélature comme un moment spécial d’écoute. Chaque assemblée a inclus des moments de rencontres locales, avec des groupes de discussion, des questionnaires, des échanges intergénérationnels. Ce processus s’est déroulé en parallèle de la participation de nombreux membres de l'Opus Dei aux phases diocésaines du Synode sur la synodalité dans leurs diocèses respectifs. (Entretien avec Avvenire, 30 juin 2024)

STATUTS ET CADRE JURIDIQUE

La décision du Pape [le motu proprio Ad charisma tuendum] ne dissout-elle pas la spécificité de l'Œuvre au sein de l'Église catholique ?

Permettez-moi de ne pas être d’accord sur ce point. La spécificité de l'Opus Dei repose sur le charisme ou l'esprit, plus que sur son «habillage juridique ». Au cœur de cet esprit se trouve l'appel universel à la sainteté à travers le travail et les réalités ordinaires de la vie. Le Pape, dans Ad charisma tuendum, fait référence à ce message comme un « don de l'Esprit reçu par saint Josémaria », c'est-à-dire comme un charisme. Je le répète : c'est la spécificité réellement significative. En effet, avec ce motu proprio, le Pape François confirme la bulle Ut sit, par laquelle Jean-Paul II a érigé l'Opus Dei en prélature, en modifiant deux aspects secondaires tout en confirmant le charisme essentiel.

Le caractère unique de l'Opus Dei réside dans un aspect aussi ordinaire que le travail : l'importance du travail comme lieu de rencontre avec Dieu, que ce soit dans la Silicon Valley ou dans les banlieues de Kinshasa, en tant que conducteur de métro à Madrid ou enseignant dans une école de la périphérie de n’importe quelle métropole. En outre, l'Opus Dei ne souhaite pas être une exception au sein de l'Église. Ses propositions juridiques ont recherché la formule la plus appropriée à la réalité de laïcs qui, en raison d'un appel vocationnel et avec l'attention pastorale des prêtres, veulent suivre le Christ dans les domaines familial, professionnel, social, etc., dans le cadre de leurs Églises particulières respectives. Le fait que, jusqu'à présent, il ait été la seule prélature personnelle a pu être perçu comme quelque chose « d'exceptionnel », mais en réalité, ce n'est pas cela : au contraire, je pense qu'il serait très bénéfique qu'il y ait d'autres prélatures personnelles pour contribuer à l'évangélisation de nombreux domaines nécessitant une inspiration chrétienne. (Entretien avec El País, 26 juin 2023)

Comment avance la révision des Statuts ?

Comme le disait le Pape, il s'agit d'effectuer des ajustements qui préservent le charisme et la nature de l'Opus Dei, sans les contraindre ni les étouffer : par exemple, en soulignant son caractère séculier, et le fait que plus de 98 % des membres sont des laïcs, hommes et femmes qui vivent leur vocation dans la rue, en famille, au travail. À cette fin, des réunions sont en cours entre des représentants du Dicastère du Clergé et quatre canonistes de l'Opus Dei, trois professeurs et une professeure. Comme nous sommes encore en plein processus, je ne peux pas fournir plus de détails. Mais je peux vous assurer que les travaux se déroulent dans un climat de dialogue et de confiance. (Entretien avec Avvenire, 30 juin 2024)

La décision du Pape François de modifier certains aspects de la structure de l'Opus Dei vous a-t-elle surpris ? Ces mesures modifient-elles la place de l'Opus Dei dans l'Église ? Est-ce pour cela que l'Opus Dei révise actuellement ses statuts ?

Le Saint-Père nous a informés avec un peu d’avance de l’arrivée du Motu proprio Ad charisma tuendum. Les changements principaux de ce document concernent des aspects structurels et organisationnels (notamment le fait que le prélat ne soit pas évêque), mais ils ne touchent ni la mission ni la substance de l'Opus Dei. La révision des statuts est une réponse à la demande du Pape, et nous travaillons actuellement en ce sens avec le Dicastère pour le Clergé, dans un climat de dialogue et de confiance.

Entretien avec El Mercurio, Chili, 28-VII-2024

Comment les nouvelles dispositions papales affectent-elles l'Opus Dei ? Ont-elles un impact sur le quotidien de l'institution ?

Le droit et la vie sont liés tout en étant distincts. Pour les laïcs qui vivent dans le monde, ces nouvelles dispositions ne changent en rien la manière dont ils vivent leur vocation au sein de l'Œuvre. En ce qui concerne l'institution elle-même, nous collaborons avec le Dicastère pour le Clergé pour adapter les statuts, conformément à la demande du Saint-Père dans Ad charisma tuendum. Comme nous en sommes encore au stade de l'étude, je ne peux pas encore dévoiler le résultat final, mais je peux assurer que ce travail se déroule dans un esprit de dialogue et de confiance, propre à l'Église en tant que famille de Dieu.

Entretien avec El Debate, 22-VI-2024

Comment avez-vous interprété le changement de lien avec le Saint-Siège introduit par le motu proprio Ad charisma tuendum ? Le Pape affirme vouloir une autorité de l'organisation « davantage basée sur le charisme que sur l'autorité hiérarchique ».

Dans l'Église, charisme et hiérarchie se complètent et ne sont pas opposés. Les charismes existent pour le bien de toute l'Église et, pour se diffuser, ils se traduisent souvent en structures institutionnelles. Le discernement des charismes revient à l'autorité de l'Église, et chaque étape institutionnelle de l'Opus Dei en a dépendu. Avec la réforme de la curie, le Pape François a promu des changements dans de nombreuses institutions pour favoriser une évangélisation plus dynamique. Voilà le but du motu proprio. Aussi, nous travaillons pour répondre fidèlement à cette demande du Pape, conscients que l'essentiel n'est pas que le prélat porte ou non la croix pectorale, mais que les fidèles de l'Opus Dei puissent vivre pleinement ce charisme dans l'Église.

Entretien avec El País, 26-VI-2023

Ne risque-t-on pas de « cléricaliser » une institution dont la vocation première repose sur les laïcs ? Jusqu’à quel point ces mesures peuvent-elles impacter leur objectif de sainteté dans le monde ?

Le message de l’Opus Dei s'adresse principalement aux laïcs, hommes et femmes engagés dans le monde, qui en constituent la majorité. Tout comme on ne doit pas absolutiser les charismes, il ne faut pas absolutiser le droit. L'Opus Dei a donc évolué institutionnellement pour trouver la formule qui préserve le charisme et intègre une structure juridique qui reflète sa nature sans l'enfermer.

Entretien avec El Debate, 22-VI-2024

L'Opus Dei compte des évêques et des archevêques dans le monde entier. Ne serait-il pas pertinent que le prélat soit également évêque ?

Permettez-moi de préciser que les quelques évêques et archevêques issus de l'Opus Dei sont rattachés à leurs propres diocèses et ne répondent qu'au Pape, sans autre supérieur. Le fait que le bienheureux Álvaro et Mgr Javier Echevarría aient reçu la consécration épiscopale a renforcé la communion ecclésiale de 1991 à 2016. Aujourd'hui, la priorité est de suivre fidèlement les dispositions du Saint-Père plutôt que de s'interroger sur leur opportunité.

Entretien avec El Debate, 22-VI-2024

Certains voient dans la décision du Vatican une perte de privilèges, voire une sorte de rétrogradation, avec une Église plus progressiste face à un monde conservateur, en lien avec un ancien conflit entre jésuites et Opus Dei.

Le Pape François a déjà répondu à une question similaire en soulignant qu’il s’agissait d’une interprétation mondaine, étrangère à la dimension religieuse. La réalité est souvent analysée sous un angle de pouvoir et de polarisation, mais l’Église doit privilégier la logique du service et de la collaboration. Nous sommes tous dans le même bateau, prêts à être aidés pour progresser. Quant à «l’ancien conflit», je suis personnellement ancien élève du collège des Jésuites à Madrid, et je leur suis reconnaissant pour la formation reçue.

Entretien avec El País, 26-VI-2023

Quand saint Josémaria demanda en 1946 l’approbation juridique de l’Opus Dei, la réponse fut que l’Œuvre arrivait un siècle trop tôt. Aujourd’hui, alors qu’elle s’apprête à fêter son centenaire, pensez-vous que la révision de ses statuts par la Sainte Siège s’inscrit dans cette perspective ?

En 1946, l’Opus Dei était présent dans quatre pays ; aujourd'hui, il en compte 70. L’appel à la sainteté adressé aux laïcs semblait alors prématuré, bien qu’enraciné dans l’Évangile. Le temps et l’universalisation ont permis de mieux faire connaître ce charisme. Je peux vous garantir que la révision des statuts répond à ce principe fondamental d’adaptation au charisme, mieux compris et partagé aujourd’hui. Le droit, essentiel, suit la vie et le message incarné, pour leur apporter soutien et continuité.

Entretien avec Semana, 17-VIII-2024

Le fait que le Pape demande un rapport annuel sur la situation de l'Opus Dei (au lieu de tous les cinq ans) est-il lié à un besoin de transparence, notamment après les cas d'abus dans l'Église ? Les contrôles étaient-ils insuffisants ?

Le changement de fréquence résulte du transfert au Dicastère pour le Clergé, qui demande des rapports annuels. Indépendamment de cela, il est certain que l’Église, et l’Œuvre en son sein, cherche à améliorer la transparence. Depuis 2013, l'Opus Dei a mis en place un protocole de protection des mineurs et des personnes vulnérables, avec des mesures prudentes depuis des décennies. Ce protocole rejoint la récente réglementation de l’Église et, aujourd’hui, des canaux de résolution et d’écoute pour les victimes sont en cours d’élaboration.

Entretien avec El Mercurio, Chili, 28-VII-2024

ÉGLISE
Le fondateur saint Josémaria rappelait souvent la nécessité de «servir l'Église comme l'Église veut être servie». Comment pouvons-nous interpréter aujourd'hui cette célèbre affirmation ?
Je dirais que la signification de cette phrase n'a pas changé depuis le jour où elle a été prononcée : l'amour pour l'Église et le Pape est inscrit dans l'ADN du message de saint Josémaria. D'un point de vue pratique, cela se traduit par le fait d'aider aussi efficacement que possible dans les diocèses où vivent et auxquels appartiennent les membres de l'Opus Dei [...].
(Entretien avec Avvenire, 30-VI-2024)

Ces derniers temps, la perception des abus commis au sein de l'Église a changé dans la société. Comment cette question capitale est-elle perçue depuis la prélature de l'Opus Dei ?
C'est quelque chose de très triste. En plus de souligner à quel point ces abus et délits sont déplorables (un seul suffit déjà à causer beaucoup de douleur !), je voudrais également mettre en avant le travail réalisé ces dernières années par le Pape et le Saint-Siège à travers des dispositions claires et nettes : aujourd'hui, grâce à Dieu, l'Église universelle et la plupart des institutions de l'Église disposent de protocoles et de directives pour éradiquer et combattre efficacement ces abus, qui laissent des blessures profondes et parfois irrémédiables.
Les protocoles de la prélature, par exemple, datent de 2013 et je les ai moi-même mis à jour en 2020. Ce sont des instruments pour sensibiliser aux droits et aux besoins des mineurs et des personnes vulnérables, et ainsi éviter tout risque d'exploitation, d'abus sexuels ou de mauvais traitements dans toutes les activités menées dans les centres de la Prélature, et nous souhaitons qu'ils inspirent également toutes les activités développées dans les institutions qui reçoivent un certain soutien pastoral de la part de l'Opus Dei.
En raison des mystères de la nature humaine, ce genre d'instruments (dans l'Église et dans la société) ne garantissent pas qu'il n'y ait jamais de mauvais agissements, mais ils contribuent à créer une nouvelle culture et une référence claire : celui qui commet un crime de ce type sait désormais à quoi s'en tenir.
Pour des raisons compréhensibles, ces abus dans l'Église ont été spécialement mis en lumière dans l'opinion publique, alors qu'il s'agit d'une réalité bien plus généralisée dans la société. Il existe des secteurs de la société où cette réalité triste et déplorable est plus répandue. Les cas concrets de prêtres sont nombreux, mais comparés aux milliers et milliers de prêtres qui ont consacré leur vie au travail, ils restent proportionnellement peu nombreux. Mais oui, il faut les combattre par tous les moyens possibles.
(Entretien avec El País, 26-VI-2023)

SOCIÉTÉ
À l'occasion du 50e anniversaire de la catéchèse de saint Josémaria en Amérique latine, vous retournez dans cette région. Pensez-vous que la réalité de l'Opus Dei en Amérique latine se rapproche du rêve d’Escrivá à cette époque ?
Quand saint Josémaria était en Amérique, il encourageait à rêver de grandes aventures de service chrétien. Sans ignorer les difficultés et les erreurs humaines, je rends grâce à Dieu pour le développement de l'Opus Dei en Colombie et dans le reste du continent. En même temps, la logique de Dieu permet de regarder les résultats humains, les chiffres, et les succès ou échecs externes avec plus de perspective, car l'essentiel est de permettre une rencontre avec Jésus-Christ dans le cœur de nombreuses personnes, et cela, seul Dieu peut le voir.
(Entretien avec Semana, 17-VIII-2024)

Vous êtes venu en Colombie à plusieurs occasions : en tant que professeur invité, comme accompagnateur du Prélat et maintenant en tant que Prélat. Quels changements voyez-vous dans la réalité colombienne et quels aspects de la société nécessitent une amélioration ?
Sans entrer dans les détails ou faire des propositions concrètes, car je ne connais pas suffisamment la situation du pays, je vois en Amérique du Sud une région pleine de contrastes et de grands défis. L'Église et le Pape encouragent à surmonter les divisions, à prioriser les plus nécessiteux et à accompagner la vie de foi des familles avec un espoir renouvelé. Je pense que ce sont trois aspects sur lesquels tous les catholiques peuvent beaucoup apporter. J'encouragerais donc les laïcs à participer dans les espaces publics pour promouvoir ces trois domaines, en cherchant le bien commun avec d'autres personnes qui, peut-être, n'ont pas la foi mais qui partagent l'engagement pour la dignité humaine.
(Entretien avec Semana, 17-VIII-2024)

La dernière visite du Prélat de l'Opus Dei en Colombie, celle de votre prédécesseur Javier Echevarría, a eu lieu en 2015. Ce voyage s'est déroulé dans un contexte national où nous étions sur le point de signer un Accord de Paix. Aujourd'hui, dans un panorama toujours turbulent, nous continuons de chercher la fin de la guerre. Quelle est la raison pour laquelle la paix est si difficile à atteindre dans les sociétés ?
La paix exige un effort humain, mais surtout c'est un don de Dieu, tandis que la violence détruit ce don et empêche de marcher ensemble vers l'avenir, vers le bien commun. Sans paix, le développement intégral des personnes devient difficile et les sociétés stagnent, surtout dans les secteurs les plus vulnérables. Le grand piège de la paix est la violence, qui place toujours l'intérêt personnel avant le bien commun. La paix est un don de Dieu que nous devons demander ensemble. Nous pouvons tous contribuer à bâtir la paix dans les cœurs et les relations, souvent avec de petites actions de pacification dans notre propre maison, dans le quartier, sur le lieu de travail.
(Entretien avec Semana, 17-VIII-2024)

Notre pays [Chili] connaît des changements en matière religieuse. L'enquête Bicentenario de l'UC montre une baisse significative de l'adhésion des jeunes à la religion catholique. Faut-il assumer que les catholiques tendent à devenir un groupe minoritaire ?
Je ne vis pas au Chili, donc je ne connais pas en profondeur la situation, mais j'oserais dire que ce serait une erreur de se retrancher, ce qui est une réaction naturelle quand on se retrouve en minorité. Au contraire, en tant que disciples de Jésus-Christ, nous devrions ressentir comme nôtres les aspirations, les besoins et les souffrances de toutes les personnes et travailler avec elles au coude à coude.
Après la tempête provoquée par la crise des abus, par exemple, de nombreux catholiques ont entrepris le chemin de l'accompagnement des personnes blessées, et l'Église au Chili a mis en place des mesures de prévention et de promotion d'environnements de confiance et de liberté, qui sont indispensables pour retrouver sa vigueur dans la société, et qui sont essentiels pour que ces délits ne se reproduisent plus. Une Église blessée dans ses membres peut transmettre le Christ et a beaucoup à apporter : aider, collaborer, guérir, sans chercher un intérêt personnel ou institutionnel, ni des solutions hâtives. Je constate que c’est la voie que suit l'Église au Chili, la voie pour retrouver la crédibilité et surtout pour apporter la proximité de Jésus-Christ à un grand nombre de personnes.
(Entretien avec El Mercurio du Chili, 28-VII-2024)

BIOGRAPHIE
Vous êtes né en 1944 en exil, à Paris. Aujourd'hui, on se souvient des moments dramatiques que vivait alors l'Europe, que votre famille a vécus en exil en France. Cette expérience vous a-t-elle marqués d'une certaine manière ?
Pendant la guerre civile espagnole, mon père a servi dans l'armée républicaine, ce qui l'a contraint, à la fin du conflit, à s'exiler à Paris. Il était vétérinaire militaire et a d'abord travaillé pour s'occuper des animaux d'un cirque. Peu de temps après, il a réussi à trouver un emploi dans un laboratoire et a pu faire venir sa famille. Grâce à Dieu, les représailles que mon père a subies quelques années plus tard, en revenant en Espagne, ont été légères et il a pu se consacrer à la recherche en biologie animale. Pour le reste, j'étais enfant et j'ai vécu tout cela sans en être vraiment conscient. Néanmoins, peut-être que la réflexion sur cette expérience m'a immunisé contre la séduction de tout type de violence et contre la tentation d'identifier la religion à certaines options politiques.
(Entretien avec El Mercurio du Chili, 28-VII-2024)

Vous avez étudié la physique puis la théologie, un mélange singulier. Quels aspects de la physique ont éclairé votre cheminement religieux ?
La physique et la théologie sont, chacune à leur manière, des formes de connaissance de la réalité : non seulement elles ne sont pas contradictoires, mais elles se complètent. Je ne peux pas dire que l'étude de la physique m'ait ouvert les yeux sur la réalité de Dieu, car j'étais déjà croyant par tradition familiale et par conviction personnelle. Mais la recherche dans la réalité physique concrète m'a aidé à voir le monde sous une autre perspective, comme créé par Dieu.
(Entretien avec El Mercurio du Chili, 28-VII-2024)

Dans votre jeunesse, vous avez côtoyé saint Josémaria Escrivá, fondateur de l'Opus Dei. Dans ce contexte quotidien, quel trait de sa personnalité vous a marqué ?
Je suis arrivé à Rome en 1967 et j'ai vécu dans la même maison que lui jusqu'à sa mort en 1975, mais nous étions environ 200 personnes à y résider. Malgré ce nombre, nous nous sentions très aimés, enveloppés par sa joie et son affection.

Une fois, devant beaucoup de personnes, il me posa une question et se rendit immédiatement compte qu’il me mettait dans une situation délicate ; sans me laisser le temps de répondre, il ajouta un commentaire anecdotique,qui m’évitait de répondre. Ces petits gestes se répétaient quotidiennement. Ce qui m'a surtout marqué, c'était son union avec Dieu, qui était évidente quand on l'entendait parler lors d'une prédication ou d'une rencontre familiale. Sur le plan humain, je soulignerais son amour de la liberté et son sens de l'humour.
(Entretien avec El Mercurio du Chili, 28-VII-2024)