Chemin : 70 ans d'un best seller.

A l'occasion des 70 ans de la parution de Chemin (septembre 1939), François Gondrand nous raconte l'histoire de ce livre.

L'actuelle couverture de l'édition française.

« Cherche le Christ, trouve le Christ, aime le Christ » (Chemin, n° 382)

En juin 1939, peu après la fin de la guerre d'Espagne, paraît à Valence un petit livre intitulé Chemin. Il a été tiré à 2 000 exemplaires. L'auteur est Josemaría Escrivá de Balaguer.

Ce livre de spiritualité est composé de blocs numérotés, comportant un ou plusieurs brefs paragraphes, le tout divisé en 46 chapitres, dont les titres sont eux aussi très brefs : de « Caractère », « Direction », « Prière » à « Apostolat » et « Persévérance ». Tout un programme de vie chrétienne en 999 points (allusion à la Trinité : trois fois « 3x3 »), interpellant le lecteur, tutoyé dès le prologue.

Il ne s'agit pas à proprement parler de maximes frappées dans le marbre, à l'instar de celles des « moralistes », volontiers pessimistes sur la nature humaine. L'auteur de Chemin, tout conscient qu'il est de la faiblesse de l'homme, a un propos constamment positif et stimulant. Il ne cherche pas à plaire, ni à séduire, mais à pousser son lecteur à la conversion, à un changement de vie : de l'indifférence religieuse à la foi, de la pratique religieuse routinière à la prise au sérieux de la vie chrétienne, du christianisme « plan-plan » à la recherche de la sainteté – ni plus ni moins !

L'édition italienne

Bien peu savent à l'époque de la parution que ce Josémaria Escrivá a fondé en 1928, à Madrid, une institution qu'il a appelée Opus Dei, et que depuis lors il est entouré de quelques hommes et femmes qu'il a engagés « dans des chemins de prière et d'Amour ». La guerre d'Espagne de 1936-1939 avait à peine freiné leur élan. Escrivá a mis à profit un exil forcé à Burgos, en zone nationale, pour compléter un petit ouvrage qu'il avait écrit pour eux en 1934, sous le titre de Consideraciones espirituales. Dans cette édition révisée et complétée de 1939, il n'y a que trois ou quatre allusions voilées au conflit. Elles transposent le langage de combat en invitations au lecteur à lutter pour s'améliorer. La trame du livre est l'amour de Dieu, plus précisément la filiation divine de la créature humaine, et les conséquences qu'elle est invitée à en tirer de son côté, en matière de vie intérieure et d'apostolat personnel.

Une édition allemande

Il s'agit, pour l'auteur, de prolonger par écrit l'accompagnement spirituel tel qu'il le pratiquait à partir du début des années trente. Le ton est bien celui du dialogue, non dénué d'affection et d'humour, entre un père spirituel, exigeant et bienveillant en même temps, et un homme ou une femme plongés dans les vicissitudes de ce monde, et décidés à le transformer et à se transformer avec la force de l'Évangile. Le titre fait d’ailleurs clairement allusion à une affirmation du Christ dans l'Évangile de saint Jean : « Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie » (Jn 14,6). Le chemin, c'est tout simplement le style de vie chrétien, voire l'Évangile lui-même, ou encore tous ceux qui sont sur le chemin du Ciel : « Étroite est la porte et resserré le chemin qui conduit à la Vie... » (Mt 7, 14).

L'actuelle édition anglophone

L'auteur d'une recension dans les années 40 comparera le livre à L'Imitation de Jésus-Christ. Si le style en est beaucoup plus moderne, il n'en est pas moins vrai que Chemin est devenu assez vite un classique de spiritualité chrétienne. La progression de ses tirages est même impressionnante. Aujourd'hui elle a atteint les 4 500 000 exemplaires en 43 langues différentes, ce qui est exceptionnel pour un livre de spiritualité.

Le succès du livre montre que son auteur ne visait pas seulement les membres de l'Opus Dei, mais qu'il s'adressait à un public beaucoup plus large : « gens de la rue », comme dirait Madeleine Delbrêl, prêtres de paroisse, religieux et religieuses. Des non catholiques et des non chrétiens ont même attesté l'avoir lu avec profit.

La couverture de la première édition espagnole

La simplicité du style, son caractère direct, souvent provoquant, peuvent masquer sa profondeur aux yeux d'un lecteur superficiel. Le leitmotiv du livre est l'appel à la sanctification personnelle et à la sanctification du monde, à partir du travail et de la vie ordinaire. Et cela vingt-cinq ans avant l'appel aux laïcs à sanctifier du dedans les activités des hommes lancé par Vatican II.

Profondeur du message et simplicité de la forme : telles sont les caractéristiques les plus évidentes de Chemin. Il n'est donc pas étonnant que la méditation de ses 999 points ait été jugée profitable aussi bien par des personnes très simples que par des intellectuels. Ni que trois papes aient dit avoir tiré profit de sa lecture: Pie XII, qui en a fait son livre de chevet avant même d'en connaître l'auteur, en 1946, Paul VI, qui a déclaré que ce livre l'avait aidé à prier, et Jean-Paul II, qui l'a lu pour la première fois dans son édition polonaise.

1939-2009: combien, en soixante-dix ans, ces « confidences d'ami, de père, de frère » livrées par un saint ont-elles fait d'autres saints ? En tout cas elles auront contribué, avec l'aide de l'Esprit Saint, à rendre des millions de gens meilleurs en les guidant vers le Christ et en faisant d'eux de plus fidèles fils de l'Église.

François Gondrand

Chemin, Le Laurier, Paris, 2009