Saint Ignace : un preux en première ligne

« Le rêve de Dieu pour Ignace était un rêve de rédemption, un rêve d'aller dans le monde, accompagné de Jésus, humble et pauvre», écrit le Pape François dans son message pour l'année ignacienne.

Devant l’offensive française au-delà des Pyrénées, défendre la Navarre était une gageure. Le 20 mai 1521, la garnison castillane, en proie à la panique, avait déserté Pampelune ; un petit contingent d’irréductibles se mit sous le commandement de l’officier le plus gradé : l’hidalgo basque, Ignace de Loyola.

Après avoir eu une jambe blessée, un boulet de canon lui fractura l’autre. Pampelune tomba. Sur place, un groupe sculpté (A. Rebolé, 1950 ; refondu en bronze en 2005) immortalise le moment. Les Français rendirent les honneurs aux adversaires et laissèrent Ignace rentrer chez lui pour une convalescence décisive. Touché cette fois en plein cœur par la grâce, en lisant les vies des saints, le soldat converti, à ses 30 ans, se tourne vers le Roi de l’univers.

Dans son Message pour l’année ignacienne (23/05/2021), le pape invite à une« expérience de conversion », en dialogue avec Dieu qui appelle : « Le rêve de Dieu pour Ignace était un rêve de rédemption, un rêve d'aller dans le monde, accompagné de Jésus, humble et pauvre». Un parcours d’ascétisme et bienfaisance aboutit à l’offrande totale de sa vie devant la Vierge Noire de Montserrat (Catalogne) : il ébauche les Exercices spirituels, visite la Terre Sainte et, malgré l’âge, s’oriente vers l’étude. Paris l’accueille à la faculté d’arts libéraux (1528), où il deviendra bachelier.

Après les rigueurs du Collège Montaigu, il s’installe dans celui de Sainte-Barbe, sur la colline Sainte-Geneviève. Dans le portail, il trouvera le blason de la future Compagnie : le monogramme de Jésus (« IHS »), dans un soleil rayonnant. Le symbole présiderait les armoiries du pape François : une croix campe en haut ; en bas, trois clous rappellent les stigmates de la Passion salutaire.

En 1534, le savoyard saint Pierre Favre, alors jeune prêtre, reçoit à la chapelle Saint-Denis de Montmartre les premiers vœux du groupe d’« Amis dans le Seigneur », rassemblés par Ignace ; celui-ci sera ordonné prêtre trois ans plus tard, à Venise. Dans son lexique coutumier, il fondera la « Compagnie de Jésus » (approuvée par Paul III en 1540) et deviendra sitôt son « général » (1541). Réformateur sans complexes, disponible aux demandes du Vicaire du Christ, sa route est remplie de zèle et pénitence ; parmi ses fils, on trouve très tôt des théologiens, des évangélisateurs, des pédagogues. L’expansion est rapide en Europe et les missions portent jusqu’à l’empire du Soleil Levant. Après 15 ans de gouvernement, il meurt à Rome (1556), où plusieurs lieux de culte vénèrent sa mémoire.

Lors de sa canonisation (1622), en même temps que François Xavier et trois autres, ses fils ne lésinèrent pas les gestes de réjouissance. Les professeurs du Collège Romain de l’ordre, pétris de rhétorique cicéronienne, composèrent des pièces dramatiques latines : dans la première, relatant la conversion du soldat au service du Christ (à Montserrat), Jules Mazarin, jeune élève, joua avec succès le rôle d’Ignace. Encore un opéra fut représenté : l’Apotheosis des saints Ignace et Xavier ; la partition fut commandée au célèbre théorbiste germanique J. J. Kapsberger, héritier de Monteverdi ; le livret, à l’érudit jésuite O. Grassi. Le texte déploie, entre chants et ballets (un siècle en avance sur Les Indes galantes), les prosopopées des pays évangélisés en Orient, ainsi que de plusieurs nations européennes ; vers la fin, l’aria d’Ignace chante : « Le monde est petit pour contenir la flamme divine » (acte 5, scène 1) ; la même ardeur de charité sera évoquée dans la voûte monumental en trompe-l’œil, de l’église romaine Sant-Ignace (A. Pozzo, 1685).

La piété populaire l’honore avec une marche d’allure combative (A. Iturriaga, 1850), qui reçut une orchestration somptueuse (N. Otaño, 1914) ; quand les paroles mentionnent la lutte contre Lucifer, la version chorale insère, à point nommé, une dissonance glaçante des soprani. Dans les Exercices (2e semaine, 4e jour, Les deux drapeaux §2), l’auteur décrivait la stratégie du diable pour assujettir tout le monde par les vices, en répliquant qu’un paladin du Christ doit être libre pour engager la bataille de son Règne.

On a pu comparer Ignace à d’autres personnalités de son pays et son siècle, comme « le Cardinal d’Espagne » ou Thérèse d’Avila, riches de qualités pour servir le Christ : « Volonté. Énergie. Exemple. Ce qu’il y a à faire on le fait… Sans hésiter… Sans ménagements » (saint Josémaria, Chemin §11). Le secret de sa fécondité fut l’abandon docile au Sauveur, exprimé dans l’une de ses prières : « Prenez, Seigneur, et recevez toute ma liberté, ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté. Donnez-moi l'amour et la grâce, car cela me suffit, sans que je te demande autre chose ».

Abbé Fernandez

Photo : Jay Yuan / Shutterstock.com Boston Massachusetts USA - 25 Decembre 2018: Sculpture de St Ignace de Loyola, fondateur de l'ordre Jésuite, sur le campus de Boston College à Chestnut Hill, Massachusetts.