Peter Millar du Times (Londres) commente le Da Vinci Code

Times ( Londres ) Peter Millar 21 juin 2003

Il y a quelque chose dans les recherches archéologiques, les vestiges des anciennes religions et l’iconographie mystique qui peut transformer une banale histoire de pistolets en un véritable parcours magique et mystérieux.

Donc, un roman qui débute par le meurtre bizarre d’un conservateur du Louvre, successeur de Léonard de Vinci et d’Isaac Newton, à la tête d’une société secrète dont le but est de cacher le Saint Graal ainsi que la vérité sur le Christ, vous fait dresser les cheveux sur la tête et vous fait presque croire au battage publicitaire de l’éditeur.

Mais le titre du livre de Dan Brown : Da Vinci code devrait vous mettre sur la voie, car il n’est pas sans évoquer la formule tristement célèbre de Robert Ludlum : article défini + nom commun avec adjectif exotique interposé.

Depuis « The Scarlatti inheritance », en passant par « The Maltarese Circle » jusqu’à « The Prometheus deception », Ludlum a fabriqué toute une série de conspirations extravagantes avec des personnages de carton-pâte dans des dialogues ridicules.

Dan Brown, j’en ai bien peur, en est le digne successeur.

C’est sans nul doute, le roman de gare le plus idiot, le plus inexact, le plus mal documenté, le plus stéréotypé que j’ai jamais lu, avec des personnages sourdingues véritables pantins articulés. Et ce n’est pas peu dire.

Ce serait déjà assez mauvais si Brown n’avait que rajouté à la tendance New-Age en essayant de mêler le Graal, Marie-Madeleine, les Templiers, le Prieuré de Sion, l’ordre des Roses-Croix, les chiffres de Fibonacci, le culte d’Isis et l’ère du Verseau. Mais il l’a fait avec une telle négligence. Dès le début, on en trouve une indication lorsque Sophie, l’héroïne experte en cryptographie de la police française, révèle que son grand-père lui a dit qu’on pouvait créer le chiffre ahurissant de 62 autres mots à partir du mot anglais « planets ».

« Il a fallu à Sophie 3 jours de recherche dans un dictionnaire pour les trouver tous ».

Je ne suis pas cryptographe, mais en comptant les pluriels, j’ai réussi à en compter 86 en 30 minutes.

Rien de surprenant, alors, lorsque Sophie et son compagnon américain, spécialiste des symboles, soient totalement décontenancés devant un texte bizarrement écrit qu’ils assimilent à une ancienne forme d’écriture sémitique. Au final, ce n’est rien d’autre qu’une écriture-miroir (ce à quoi ça ressemble exactement).

Tout cela ne pourrait être que des objections mineures si ce n’était le fait que l’intrigue est essentiellement une chasse au trésor comportant précisément ces indices-là. Il leur a fallu un temps excessivement long pour arriver à saisir que son prénom à elle, Sophie, est dérivé de Sofia, qui veut dire « sagesse ».

Ce n’est peut-être pas si étrange que ça après tout. Mis à part les « puzzles », le livre est truffé d’idées fausses, de bourdes et de descriptions de sites qui sont tirés en droite ligne de guides touristiques.

Visiblement, Brown pense que les téléphones mobiles français ne passent pas de l’autre côté de l’Atlantique, qu’Interpol connaît tous ceux qui passent la nuit à Paris et dans quel hôtel, qu’on répond au téléphone à Scotland Yard par ces mots : « Ici Police de Londres », que l’anglais est une langue qui n’a pas de racines latines et que l’Angleterre est un pays où il pleut toujours.(D’accord, là il n’aurait pas tout à fait tort).

Bien sûr, le personnage qui incarne le suspect britannique, Sir Leigh Teabing, est une parodie à la Gielgud de la bourgeoisie dont la question-test pour laisser franchir les barrières de sécurité, est :Comment buvez-vous votre thé ? La bonne réponse, si étrange que cela puisse paraître, n’est autre que : Earl Grey avec du lait et du citron.

La solution du mystère laisse totalement à désirer et les méchants présumés, l’Opus Dei et le Vatican, sont disculpés, sans doute par crainte d’éventuelles poursuites judiciaires.

Les éditeurs de Brown ont orchestré un petit nombre de commentaires flamboyants de la part de quelques écrivains de deuxième ordre, spécialistes du genre. Je suppute que la seule raison à leurs louanges sans réserve, tient au fait que par comparaison, leurs propres œuvres ressemblent à des chefs-d’œuvre.

The Times