Lettre sur la nouvelle évangélisation (2.X.2011)

Le jour où l'on fête l'anniversaire de la fondation de l'Opus Dei, Mgr Xavier Echevarria adresse aux fidèles de la Prélature une longue lettre, dans laquelle il aborde quelques aspects de la formation donnée dans l'Opus Dei, pour leur vie spirituelle et la nouvelle évangélisation.

Mes très chers enfants, que Jésus vous garde !

1. Depuis qu’elle a reçu du Seigneur sa mission apostolique (cf. Mt 28,19-20), l'Église n'a cessé d'évangéliser. Les fruits ont abondé au long des siècles y compris, par la grâce de Dieu, l’Œuvre et chacun de ses fidèles. Comme en d’autres époques, on voit aussi se développer aujourd’hui dans de nombreux milieux un fort processus de déchristianisation, qui entraîne avec lui de graves dommages pour l’humanité. Dieu a toujours envoyé à l'Église des saints qui, par la parole et l'exemple, ont su ramener les âmes au Christ. Comme l'a écrit le pape Benoît XVI dans son encyclique sur l'espérance, le christianisme n'est pas uniquement une « bonne nouvelle » – la communication d'un contenu jusqu'à présent ignoré, – mais il est une communication qui produit des faits et qui change la vie[1].

Je voudrais maintenant m'arrêter sur certains aspects de cette formation, si nécessaire à notre vie spirituelle et à notre participation à ce que le bienheureux Jean-Paul II définissait comme la « nouvelle évangélisation ».

En 1985, le premier successeur de notre fondateur nous avait adressé une lettre pastorale pour nous encourager à prendre part très activement à cet apostolat. Il insistait alors sur la nécessité de très bien nous former personnellement et d’étendre cet effort à toutes les âmes.

À son tour, Benoît XVI guide aujourd'hui les chrétiens sur ce même chemin. La récente création du Conseil Pontifical pour la Promotion de la Nouvelle Évangélisation [2] est une manifestation de cet intérêt. Nous nous sentons tous interpellés par les paroles qu'il adressait aux jeunes lors des dernières Journées mondiales de la jeunesse, les encourageant à témoigner de la foi dans les milieux les plus divers, y compris ceux dans lesquels il y a refus ou indifférence. On ne peut pas rencontrer le Christ sans vouloir le faire connaître aux autres. Ne gardez donc pas le Christ pour vous-mêmes. Transmettez aux autres la joie de votre foi. Le monde a besoin du témoignage de votre foi, il a certainement besoin de Dieu [3].

FORMATION POUR LA NOUVELLE EVANGELISATION

Comme les premiers chrétiens

2. Comme l'œuvre est venue au monde précisément pour rappeler l'appel universel à la sainteté et à l'apostolat, saint Josémaria affirmait que pour comprendre l'Opus Dei, le plus simple est de songer à la vie des premiers chrétiens. Ils vivaient à fond leur vocation chrétienne ; ils recherchaient sérieusement la sainteté à laquelle ils étaient appelés par le fait, simple et sublime, du baptême. Ils ne se distinguaient pas extérieurement des autres citoyens [4].

Le jour de la Pentecôte, le Paraclet lança les Apôtres et les autres disciples sur le chemin de l’évangélisation, en ravivant dans leur esprit les enseignements de Jésus-Christ. Il suffit de lire le Nouveau Testament pour constater qu’une des premières occupations des Douze était de semer la graine de la foi et de la nourrir par leurs enseignements, de vive voix ou par écrit. Le patient travail de formation que le Seigneur avait accompli pendant trois ans avec ses Apôtres, poursuivi sans répit par eux-mêmes et leurs collaborateurs, avec l’assistance de l'Esprit Saint, transforma le monde antique jusqu’à le rendre chrétien.

Nécessité et importance de la formation

3. Saint Josémaria encourageait tout le monde à acquérir et améliorer constamment sa formation chrétienne, présupposé indispensable pour croître en intimité avec Jésus-Christ et le faire connaître aux autres âmes. Discite benefacere (Is 1,17), apprenez à faire le bien, répétait-il avec des mots du prophète Isaïe : parce qu’il est inutile qu’une doctrine soit merveilleuse et salvatrice, s’il n’y a pas d’hommes formés pour la mettre en pratique [5]. Dès ses premiers pas dans la vie sacerdotale, il investit beaucoup d’énergies dans la formation doctrinale des personnes qui s'approchaient de son activité pastorale. Plus tard, avec le développement de l'Opus Dei, il intensifia cet effort, et mit en place les moyens nécessaires pour pérenniser la tâche de formation – pour ses enfants d’abord, mais aussi pour les innombrables personnes, hommes et femmes, jeunes et adultes, bien portants et malades, qui se montraient disposés à accueillir ce message en leurs âmes.

Saint Josémaria distinguait cinq aspects dans la formation : la formation humaine, spirituelle, doctrinale, apostolique et professionnelle. Il affirmait qu’un homme, qu’une femme, se fait peu à peu, et n'arrive jamais à se réaliser entièrement, à réaliser en soi toute la perfection humaine dont la nature est capable. Dans un domaine particulier, on peut parfois devenir meilleur que tous les autres, voire être indépassable dans cette activité naturelle. Cependant, sur le plan chrétien, la croissance ne connaît pas de limite [6].

Sur l’aspect humain, un examen sincère nous faire découvrir tout de suite que nous avons besoin de perfectionner notre caractère, notre façon d'être, en acquérant et en améliorant les vertus humaines qui constituent le socle des vertus surnaturelles. Il en est de même dans la formation spirituelle, car il est toujours possible de progresser dans les vertus chrétiennes, particulièrement dans la charité, qui est l'essence de la perfection.

De même, au plan doctrinal, notre connaissance de Dieu et de la doctrine révélée peut et doit croître, pour mieux conformer notre intelligence, notre volonté et notre cœur aux mystères de la foi et les assimiler plus profondément.

Quant à l'apostolat, il est une mer sans rivage , et il faut se former pour annoncer l'amour du Christ dans de nouveaux milieux et dans d’autres pays. Tel était le programme de saint Josémaria dès l’origine, comme on le voit dans un manuscrit autographe datant des premières années de l'œuvre : connaître Jésus-Christ. Le faire connaître. L’amener partout . Le prestige professionnel devient alorsnotre hameçon de pêcheur d’hommes[7], pour étendre le règne du Christ – déjà présent dans son Église – dans toute la société.

Le panorama est si vaste que nous ne pourrons jamais dire : ça y est, je suis formé ! Nous, nous ne disons jamais : c’est assez. Notre formation ne s'achève jamais : tout ce que vous avez reçu jusqu’à présent , expliquait saint Josémaria, est le soubassement de ce qui viendra après [8].

Liberté, docilité, sens des responsabilités

4. L'identification avec Jésus-Christ requiert la libre coopération humaine : « Celui qui t'a créé sans toi ne te sauvera pas sans toi » [9]. Cette correspondance personnelle joue un rôle indispensable, mais ce que les forces de la créature ne peuvent atteindre, la grâce de Dieu l’obtient. Le Seigneur nous a donné la liberté, qui est un bien très grand et l’origine de nombreux maux, mais qui est aussi l’origine de la sainteté et de l’amour [10]. L’origine de l'amour : seuls les êtres libres sont capables d'aimer et d'être heureux. Là où règne la contrainte l’amour grandit mal. Et il n'y a pas de fidélité sans une décision libre et ferme de s'identifier avec la Volonté de Dieu.

L'Église possède le remède à la faiblesse humaine, conséquence du péché, qui se manifeste entre autres par la diminution de la liberté intérieure. Ce remède, la grâce divine, guérit non seulement la liberté naturelle, mais l'élève vers une liberté nouvelle et plus haute. Jésus-Christ, en effet, nous a arrachés à l’esclavage de la corruption, pour connaître la liberté, la gloire des enfants de Dieu (Rom 8,21). Alors, exhorte l’Apôtre, tenez bon, et ne reprenez pas les chaînes de votre ancien esclavage (Gal 5,1).

Veux-tu te demander, suggère saint Josémaria, (…) si tu maintiens immuable et ferme ton choix de Vie ? Si, en entendant la voix très aimable de Dieu, qui t’incite à la sainteté, tu réponds librement : “ oui ” ? [11] La décision personnelle qu'implique notre réponse à l’appel de Dieu, dans l'Église et dans l'œuvre, est précisément la raison de notre persévérance. Bien plus, cette liberté ne s'épanouit pleinement, n'atteint son véritable sens, que par l'adhésion amoureuse à la volonté de Dieu, comme le fit Jésus.

La liberté personnelle, que je défends et que je défendrai toujours de toutes mes forces, me conduit à demander avec une totale assurance, tout en étant bien conscient de ma propre faiblesse : qu’attends-tu de moi, Seigneur, pour que je puisse, volontairement, l’accomplir ? [12] Et saint Josémaria d’ajouter : c’est le Christ lui-même qui nous répond : Veritas liberabit vos (Jn 8,32), la vérité vous rendra libres. Quelle est donc cette vérité, en laquelle commence et se consomme en toute notre vie le chemin de la liberté ? Je vais vous la résumer, avec la joie et la certitude qui découlent de la relation entre Dieu et ses créatures : nous sommes sortis des mains de Dieu, nous sommes l'objet de la prédilection de la Très Sainte Trinité, nous sommes les enfants d’un tel Père [13].

5. En s’incorporant à l’Opus Dei chacun accepte librement l'engagement de se former pour accomplir la mission de l'œuvre au sein de l'Église, et participe pour cela avec reconnaissance aux moyens de formation établis par saint Josémaria, conformément au vouloir divin.

Considérons sérieusement et fréquemment l'obligation de bien nous former au plan doctrinal, l’obligation d’apprendre à nous faire comprendre, et de telle façon que ceux qui nous écoutent sachent ensuite s’exprimer à leur tour [14]. D'où la nécessité d'assister aux moyens de formation avec l'intention d'en tirer le meilleur profit.

Comme le signalait Jean Paul II, « dans l’œuvre de la formation, certaines convictions se révèlent particulièrement nécessaires et fécondes. La conviction, tout d'abord, qu'il n'y a pas de formation véritable et efficace si chacun n'assume pas et ne développe pas par lui-même la responsabilité de sa formation : toute formation, en effet, est essentiellement « auto-formation ». La conviction, ensuite, que chacun de nous est à la fois le terme et le principe de la formation : mieux nous nous formons, plus nous nous rendons capables de former les autres » [15].

FORMATION HUMAINE

6. Sur le plan humain, la formation tend à fortifier les vertus et contribue à configurer notre caractère : le Seigneur nous veut très humains et très divins, les yeux fixés sur Lui qui est Dieu parfait et homme parfait[16].

L'édifice de la sainteté repose sur des bases humaines : la grâce présuppose la nature. C'est pourquoi le Concile Vatican II recommande aux fidèles laïcs d'avoir la plus grande estime pour les vertus « qui regardent la vie sociale, telles que la probité, l’esprit de justice, la sincérité, la délicatesse, la force d’âme : sans elles il n’y a pas de vraie vie chrétienne » [17].

Une personnalité solide se construit dans le cadre de la famille, de l'école, du lieu de travail, dans les relations amicales, dans les situations variées de l'existence. Il faut, en outre, apprendre à se conduire avec noblesse et droiture. Le caractère devient ainsi un meilleur point d'appui pour fortifier la foi face aux difficultés intérieures ou extérieures. Il ne manque pas d'hommes et de femmes qui n’ont peut-être pas eu l’occasion d’entendre la parole divine, ou qui l’ont oubliée. Mais leurs dispositions sont humainement sincères, loyales, compatissantes, honnêtes. Et j’ose affirmer quant à moi que celui qui réunit ces conditions est bien proche d’être généreux avec Dieu, parce que les vertus humaines sont le fondement des vertus surnaturelles [18].

Il est actuellement plus nécessaire que jamais de redécouvrir la valeur et la nécessité des vertus humaines, car certains les croient incompatibles avec la liberté, la spontanéité, et avec ce qu’ils pensent à tort rendre l’homme « authentique ». Ils oublient peut-être que ces perfections habituelles de l'intelligence et de la volonté permettent d’agir bien, avec droiture, et rendent la vie sociale juste, aimable et pacifique.

L’atmosphère qu’on respire en certains endroits peut empêcher d’apprécier pleinement ces valeurs, mais les vertus humaines n’en perdent pas pour autant leur attrait. Face à toutes les promesses qui laissent le cœur insatisfait, la personne humaine finit par chercher quelque chose qui en vaille vraiment la peine. C'est pourquoi une grande responsabilité qui nous incombe à nous, les chrétiens,de manifester d’abord par notre propre exemple la beauté d'une vie vertueuse, c'est-à-dire pleinement humaine, d'une vie heureuse.

Aujourd’hui, les vertus de tempérance et de force revêtent à nos yeux une actualité particulière.

La tempérance

7. La tempérance est maîtrise de soi. Une maîtrise que l’on n’obtient que lorsqu’on se rend compte que tout ce que nous ressentons dans notre corps et dans notre âme ne doit pas être satisfait de façon débridée. Tout ce qui peut se faire n’est pas bon à faire. Il est plus facile de se laisser entraîner par les impulsions dites naturelles ; mais ce chemin débouche sur la tristesse, l’isolement dans la misère personnelle [19].

Cette vertu introduit l’ordre et la mesure dans le désir, et permet à la raison de gouverner les passions avec fermeté et modération. Son exercice ne se réduit pas à une pure négation, qui ne serait qu’une caricature de cette vertu. Elle tend à ce que le bien agréable et l'attirance qu'il suscite s'intègrent harmonieusement dans la maturité globale de la personne, dans la santé de l'âme. La tempérance n’implique pas limitation, mais grandeur. Il y a bien davantage de privation dans l’intempérance, où le cœur abdique pour se mettre au service du premier maître qui se présente en faisant tristement sonner des grelots de fer blanc [20].

L'expérience montre que l'intempérance entrave le jugement visant à déterminer ce qui est véritablement bon. Comme ils font peine à voir, ceux qui ont laissé le plaisir devenir le critère de leurs décisions ! La personne intempérante se laisse guider par les multiples sensations qu'éveille en elle son environnement. Elle délaisse la vérité des choses pour chercher son bonheur dans des expériences fugaces qui, n’étant que passagères et sensibles, n’apportent jamais une pleine satisfaction, mais provoquent l’inquiétude et l’instabilité, et finissent par entraîner la créature dans une spirale autodestructrice. La tempérance, au contraire, apporte sérénité et repos. Loin de nier ou de faire taire les bons désirs et les nobles passions, elle rend à l'homme la possession de soi-même.

Dans ce domaine, une responsabilité particulière incombe aux surnuméraires, soucieux de créer des foyers chrétiens. Saint Josémaria disait que les parents doivent apprendre à leurs enfants à vivre avec sobriété (…). C'est difficile, mais il faut être vaillants : ayez le courage d’éduquer à l'austérité [21]. La façon la plus efficace de transmettre cette orientation, surtout avec les petits enfants, c'est l'exemple. Ils ne pourront comprendre la beauté de la vertu qu'en voyant comment vous renoncez à une fantaisie par amour pour eux ou que vous sacrifiez votre propre repos pour vous occuper d'eux, leur tenir compagnie, accomplir votre mission de parents. Aidez-les à administrer les biens dont ils se servent : vous leur ferez un grand bien. J'insiste : si vous cultivez la tempérance dans vos foyers, le Seigneur récompensera votre abnégation et votre sacrifice de mères et de pères ; et vous verrez s'éveiller au sein de votre propre maison des vocations de don à Dieu.

La force

8. Nous rencontrons parfois en nous une certaine résistance à l'effort, à tout ce qui demande travail, sacrifice, abnégation. La force « assure dans les difficultés la fermeté et la constance dans la poursuite du bien. Elle affermit la résolution de résister aux tentations et de surmonter les obstacles dans la vie morale. La vertu de force rend capable de vaincre la peur, y compris celle de la mort, d’affronter l’épreuve et les persécutions » [22].

Sachons lutter pour acquérir l'habitude de vaincre dans de petits détails : respecter un horaire, veiller à l'ordre matériel, ne pas céder à des caprices, dominer les emportements, achever nos travaux, etc. Nous pourrons ainsi répondre plus promptement aux exigences de notre vocation chrétienne. En outre, la force nous conduira à la bonne patience, à souffrir sans peser sur les autres, à supporter les contrariétés qui découlent de nos propres limites et défauts, de la fatigue, du caractère d'autrui, des injustices, du manque de moyens. Est fort celui qui persévère dans l’accomplissement de ce que sa conscience lui dicte de faire ; celui qui ne mesure pas la valeur d’un travail aux seuls bénéfices qu’il en retire, mais au service qu’il rend aux autres. Le fort souffre parfois, mais il résiste ; il pleure peut-être, mais il boit ses larmes. Quand la contradiction redouble, il ne fléchit pas [23].

Il est certain qu'il faut de la fermeté pour entreprendre jour après jour le travail de sa propre sanctification et de l'apostolat au milieu du monde. Des obstacles surgiront sans doute, mais la personne mue par la force de Dieu – quoniam tu es fortitudo mea (Ps 30 [31],5), « car tu es ma force, Seigneur » – ne craindra pas d'agir, de proclamer et défendre sa foi, même si cela implique d'aller à contre-courant. Portons de nouveau nos regards vers les premiers chrétiens : ils rencontrèrent eux aussi de nombreuses difficultés, car la doctrine du Christ apparaissait, alors comme maintenant, comme un signe de contradiction (Lc 2,34). Le monde d'aujourd'hui a besoin d'hommes et de femmes qui offrent dans leur conduite quotidienne le témoignage héroïque et silencieux de tous ces chrétiens qui vivent l'Évangile sans compromis, en accomplissant leur devoir [24].

Qualité humaine

9. L’effort pour cultiver les vertus humaines contribue à faire respirer autour de nous le bonus odor Christi (cf. 2 Cor 2,15), la bonne odeur du Christ. Dans ce contexte, ce que notre fondateur appelait le « ton humain » – le comportement cordial et respectueux dans les relations avec les autres. –revêt une importance spéciale. Sachons le cultiver au sein de la famille, sur le lieu de travail, dans les loisirs, même s'il n'est pas rare qu'il faille aussi nager à contre-courant dans ce domaine. N'ayons pas peur que, parfois, la simplicité de notre naturel chrétien puisse détonner dans l'ambiance environnante : tel est justement, comme nous l’a appris saint Josémaria, le naturel que Dieu attend de nous à ce moment-là [25].

C'est devenu une nécessité impérieuse, aujourd'hui, que de veiller à cette qualité humaine du comportement, et à la promouvoir autour de nous. Bien souvent, sous prétexte d’être « naturel », on néglige dans la famille et la vie sociale ces manifestations de délicatesse dans la conduite. Il y a mille façons de contribuer à la formation dans ce domaine. La première, comme toujours, c'est de donner l’exemple, ce qui ne dispense pas d'insister au moyen de conversations personnelles et de causeries de groupe. Le respect dans les rapports mutuels se traduit par une façon de s'habiller digne et bienséante, par le choix des thèmes de conversations et de réunions, par un esprit de service joyeux que l'on encouragera à la maison, à l'école, dans les lieux de loisirs ou de repos, par la manière de tenir une maison et de prêter attention aux petites choses.

Il est particulièrement important de chercher à acquérir et entretenir un certain niveau culturel, adapté à la condition de chacun, en fonction des études, du milieu social, des goûts et préférences personnelles. Qu’il suffise ici de rappeler le rôle important de la lecture et de la bonne utilisation des nécessaires moments de repos.

10. Dans les centres de l'Opus Dei et les activités apostoliques promues par les fidèles de la Prélature, on s'attachera à ce que les jeunes s'habituent à penser aux autres, avec générosité et désir de rendre service. Encourageons-les positivement à se forger un idéal de vie qui ne les enferme pas dans des limites rachitiques, confortables ou égoïstes. Souvenons-nous de la manière dont saint Josémaria voulait qu’on encourage toutes leurs nobles ambitions, en leur donnant une dimension surnaturelle.

S'ils cultivent ces nobles ambitions dans un esprit de dépassement de soi et de sacrifice, il leur apparaîtra plus simple et plus facile d’apprécier le sens et la valeur surnaturelle de ces efforts ; et il sera plus facile de les aider à progresser dans leur vie intérieure pour devenir de bons instruments entre les mains de Dieu, au service de l'Église et de la société.

Beaucoup de garçons et de filles, rappelait Jean Paul II, « sont exigeants en ce qui concerne le sens et le modèle de leur vie, et ils désirent se libérer de la confusion religieuse et morale. Aidez-les dans cette entreprise ! En effet, les nouvelles générations sont ouvertes et sensibles aux valeurs religieuses, même si c'est parfois de manière irréfléchie. Elles ont l'intuition que le relativisme religieux et moral ne rend pas heureux et que la liberté sans la vérité demeure vaine et illusoire » [26]. Quelqu’unqui se contente d'horizons étroits peut difficilement acquérir une vraie formation humaine et chrétienne. Ne laissons donc pas de soutenir les jeunes, pour qu’ils sachent prendre à bras-le-corps les problèmes de ce monde.

Qualité humaine des ministres sacrés

11. L’exercice des vertus humaines est également indispensable aux prêtres, en vertu de la nature même du ministère pastoral.

Les prêtres développent leur activité au milieu du monde, en contact immédiat avec toute sorte de personnes qui, comme le signalait don Alvaro, « ont coutume d'être des juges implacables du prêtre, et commencent par regarder sa manière d’agir en tant qu’homme » [27].

Un prêtre affable, bien élevé, disponible pour consacrer son temps aux autres, sait soigner son attitude extérieure et rendre aimable le combat du chrétien.

Aucune circonstance ne put détourner saint Josémaria de l'idée élevée qu'il se faisait du prêtre. Celui-ci doit certes se faire tout à tous pour accéder à tous (cf. 1 Co 9,19), mais ne saurait oublierpour autant qu'il représente le Christ parmi les hommes. Aussi comprend-on qu’il doive s’efforcer, avec ses limites personnelles, de permettre aux autres fidèles de découvrir le visage du Seigneur dans son propre comportement. Les recommandations que notre fondateur adressait aux membres du clergé n’ont rien perdu de leur actualité : il les pressait de veiller à la correction de leur tenue, afin que les gens puissentvoir en eux des ministres du Christ, des dispensateurs des mystères de Dieu (cf. 1 Co 4,1).

Le sacerdoce embrasse toute l'existence du prêtre. C'est bien pour cela, parce qu'il doit se montrer toujours et réellement disponible, qu’il faut pouvoir l’identifier facilement. Le vêtement sacerdotal, soutane ou clergyman, le distingue clairement. Dans la société actuelle, façonnée par la culture de l’image tout en étant peut-être éloignée de Dieu, le vêtement sacerdotal ne passe pas inaperçu. C’est pourquoi les prêtres de la Prélature qui exercent leur ministère sacerdotal dans une paroisse portent habituellement la soutane quand ils sont dans leur église, et aussi dans nos centres. Pour les pays où les habitudes sont différentes , disait saint Josémaria, je ne me prononce pas. Nous ferons toujours ce que l’Église dispose. Cependant, à la maison nous porterons la soutane ; et ceux qui parlent de liberté doivent, pour le moins, respecter notre liberté de nous habiller comme nous voulons quand nous sommes chez nous [28].

FORMATION SPIRITUELLE

12. Cette facette de la formation doit « occuper une place privilégiée dans la vie de chacun, car chacun est appelé à grandir sans cesse dans l'intimité avec Jésus-Christ, dans la conformité à la volonté du Père, dans le dévouement à ses frères dans la charité et dans la justice » [29].

Le pape Benoît XVI rappelle que dans la tradition la plus antique de l'Église, le chemin de formation du chrétien, sans négliger l'intelligence organique du contenu de la foi, comportait toujours un caractère d'initiation où la rencontre vivante et persuasive avec le Christ, annoncé par des témoins authentiques, était déterminante [30]. Une vie d'union avec le Christ, la recherche de la sainteté, se nourrit d'apports spirituels : connaissance de la doctrine catholique, vie liturgique et sacramentelle, accompagnement spirituel.

S'identifier avec Jésus-Christ

13. Grâce à l'action du Saint-Esprit, les façons de suivre Jésus-Christ au sein de l'Église sont innombrables. C'est ce que faisait remarquer notre fondateur quand il écrivait : Vous serez aussi différents entre vous que le sont entre eux les saints du paradis, dont chacun a ses traits personnels et singuliers. — Et en même temps, vous devez être entre vous aussi semblables qu’eux, car ils ne seraient pas saints si chacun ne s’était identifié au Christ [31].

L'Opus Dei recommande, à ses fidèles ou à ceux qui fréquentent les activités apostoliques, des pratiques de piété qui sont toutes traditionnelles dans l’Église. Il transmet en outre un esprit qui aide à faire face et donner sens à sa propre vie en la fondant sur la filiation divine dans le Christ. L'axe, la charnière à laquelle s'articule tout le travail de sanctification, de soi-même et d'autrui, est le travail professionnel réalisé le mieux possible, en union avec Jésus-Christ et avec le désir de servir les autres.

Cette aide spirituelle facilite l'unité de vie, car les fidèles de la Prélature et les membres de la Société Sacerdotale de la Sainte Croix apprennent à convertir les situations particulières où ils se trouvent en occasion et moyen de sainteté et d'apostolat, tout en agissant toujours avec la plus entière liberté personnelle dans les questions professionnelles, familiales, sociales, politiques, etc., que l'Église laisse à la décision personnelle des catholiques.

En ce sens, saint Josémaria expliquait qu' il est impossible d'établir une différence entre le travail et la contemplation : on ne saurait dire où s’arrête la prière et où commence le travail. On ne cesse jamais de prier, de contempler en présence de Dieu. Hommes d'action en apparence, nous nous élevons aussi haut que les plus grands mystiques : J'ai volé haut, si haut/ que ma chasse a atteint son but , dans le cœur de Dieu [32]. Comment ne pas retrouver l’écho à cet enseignement dans ces paroles que le pape Jean Paul II adressait à des fidèles de l'Opus Dei à Castelgandolfo : « Vivre unis à Dieu dans le monde, dans n'importe quelle situation, en tentant de s'améliorer soi-même avec l'aide de la grâce et en faisant connaître Jésus-Christ avec le témoignage de sa vie. Y a-t-il un idéal plus beau et plus enthousiasmant ? Vous qui êtes insérés et immergés dans cette humanité joyeuse et douloureuse, vous voulez l'aimer, l'éclairer, la sauver » [33] ?

Les moyens

14. Unir le travail avec la lutte ascétique, la contemplation, et l'exercice de la mission apostolique, nécessite un entraînement sérieux : l'Opus Dei nous offre pour cela un large éventail de moyens de formation personnels et collectifs. Parmi les moyens personnels il en est un qui revêt une importance spéciale : c'est l'entretien fraternel que nous appelons aussi Confidence, en raison précisément de son caractère interpersonnel tout empreint de confiance.

C'est une conversation de direction spirituelle qui prend place dans le contexte du service fraternel, pour vivre à fond, dans la liberté et la responsabilité, la rencontre quotidienne avec le Christ au milieu du monde. Dès les pages du Nouveau Testament nous voyons comment le Seigneur voulut se servir de la médiation d'hommes et de femmes pour orienter les âmes sur le chemin de la sainteté. Lorsqu'il appelle saint Paul sur le chemin de Damas, il lui demande d'aller trouver quelqu’un d’autre, Ananie, qui lui communiquera ce qu'il doit savoir sur le nouveau chemin qu'il s’apprête à emprunter (cf. Ac 9,6-18 ; 22, 10-15). Ensuite il ira à Jérusalem videre Petrum, pour voir Pierre et apprendre de lui de nombreux aspects de la doctrine et de la vie chrétiennes (cf. Gal 1,18). De fait, la direction spirituelle est une tradition dont l'esprit remonte aux premiers pas de l'Église.

Dans l'Opus Dei, cette aide spirituelle a pour but d'aider les personnes à assimiler fidèlement l'esprit que notre fondateur a reçu de Dieu et nous a transmis, et qui a été proposé par l'Église comme un chemin de sainteté [34].

15. Saint Josémaria expliquait que, dans l'œuvre, la direction spirituelle personnelle se réalise in actu, c'est-à-dire au moment où se déroule cette conversation. Ce service se situe dans le cadre du conseil pour progresser dans la vie chrétienne. Saint Josémaria comparait quelquefois la direction spirituelle à la préoccupation d'un frère aîné pour la marche de ses plus jeunes frères, ou à celle d'un ami loyal qui désire inviter les autres à être de meilleurs chrétiens [35]. L’entretien est, en définitive, une conversation entre frères, non entre un subordonné et son supérieur. Ceux qui reçoivent ces entretiens fraternels agissent avec une délicatesse extraordinaire, fruit d'une préoccupation exclusivement tournée vers la vie intérieure et les activités apostoliques de leurs frères, sans jamais prétendre les influencer dans les affaires temporelles de caractère professionnel, social, culturel, politique, etc.

Dans l'œuvre, la séparation entre l’exercice de la juridiction et la direction spirituelle est assurée dans la pratique par le fait, entre autres, que ceux qui assurent les entretiens de direction spirituelle (directeurs locaux et quelques autres fidèles spécialement formés, ainsi que les prêtres dans la célébration du sacrement de Pénitence) ne disposent d'aucun pouvoir de gouvernement sur les personnes qu'ils assistent. Le régime local, pour ce qui concerne le gouvernement, ne regarde pas les personnes mais seulement l'organisation des Centres et des activités apostoliques. La fonction des directeurs locaux, pour ce qui se rapporte à leurs frères, relève du conseil fraternel. Il n’y a donc pas coïncidence dans un même sujet entre les fonctions de juridiction et de direction spirituelle. Dans la Prélature, l’autorité de gouvernement sur les personnes a pour seule base la juridiction, qui réside exclusivement dans le prélat et ses vicaires.

Que propose donc l'Opus Dei ? Fondamentalement, une direction spirituelle à ses fidèles et aux autres personnes qui la demandent. Comme fidèles de la Prélature, aspirant à notre sanctification personnelle et à la réalisation de la mission de l'Opus Dei dans l'Église, nous ne voyons d'ordinaire pas d'inconvénient à faire l’entretien fraternel avec ceux que les Directeurs nous indiquent – même si c’est quelqu’un de plus jeune –, pleinement libres et confiants dans la grâce divine, qui se sert d'instruments humains. Dans l’entretien, nous ne rendons pas de « compte de conscience ». S’il arrive qu’on nous pose une question précise – et il peut être parfois bon, voire nécessaire qu’on le fasse – ce sera avec une grande délicatesse : car nul n’est obligé, précisément, de dire dans l’entretien ce qui est matière à confession.

Ce que je vous dis là, mes filles et mes fils, doit vous sembler évident. J'ai pourtant souhaité le consigner, eu égard au contexte actuel de la société, particulièrement sensible au respect de l’intimité des personnes – même si, par ailleurs, la pudeur et le respect de la vie privée sont totalement absents de certains milieux. On nous a tous expliqué, lorsque nous commencions à fréquenter l’Œuvre, qu’il ne saurait nous passer par la tête d’appeler « mon directeur spirituel » celui qui nous écoute, pour la bonne raison, je le répète, que ce type de « personnalisation » n’a pas, et n’a jamais eu, sa place chez nous. Celui qui reçoit un entretien transmet l'esprit de l'Opus Dei sans ajout personnel : offrir une telle aide implique, pour celui qui en a la charge, de s’effacer pour placer les âmes face au Seigneur, en suivant les caractéristiques de notre propre chemin. Un chemin, le chemin de l’Œuvre, dont notre fondateur disait qu’il est très large. On peut y marcher sur la droite ou sur la gauche, à cheval, à bicyclette, à genoux ou à quatre pattes comme lorsque vous étiez bébés – et même dans le fossé, tant qu’on ne sort pas du chemin [36].

Le sacrement de la Réconciliation

16. Outre l'entretien fraternel, nous allons voir un prêtre, normalement chaque semaine, pour recevoir l'aide spirituelle qui est liée à la Confession sacramentelle. Les confesseurs qui s’occupent de nous sont, comme on le comprend bien, ceux qui sont désignés pour chaque Centre : ils ont été ordonnés pour être avant tout au service de leurs frères et sœurs, avec une totale disponibilité et, connaissant et vivant le même esprit, ils sont les mieux à même de nous orienter, sans nous commander. C’est ainsi que se comporte celui qui va trouver le médecin de famille, plutôt que de s'adresser à un inconnu.

En même temps, comme saint Josémaria l'a toujours clairement fait savoir, les fidèles de la Prélature, à l'instar de tous les catholiques, jouissent d'une totale liberté pour se confesser ou s'entretenir avec n'importe quel prêtre muni des facultés ministérielles : cela vous surprendra que je vous rappelle cette vérité si claire, mais je tiens à la mentionner car il se pourrait qu'elle soit moins connue de ceux qui ne savent rien de l'Opus Dei ou de l'esprit de liberté propre à ceux qui se ont entrepris de suivre Jésus-Christ. En outre, notre fondateur a établi que ce soit habituellement des personnes différentes qui s'occupent de nous dans l'entretien fraternel et dans la Confession.

Esprit d'initiative et docilité

17. La direction spirituelle requiert, chez ceux qui la reçoivent, le désir de progresser dans la suite du Christ. Ils sont les premiers intéressés à rechercher ce soutien avec la fréquence appropriée. Ouvrant le cœur avec sincérité, ils peuvent ainsise voir suggérer des objectifs, signaler des écarts éventuels, recevoir des encouragements dans les moments difficiles, bénéficier de consolation et de compréhension. C'est pourquoi ils agissent dans un esprit d'initiative et de responsabilité. Le conseil d'un autre chrétien, et spécialement celui d'un prêtre – en matière de foi ou de morale – est une aide puissante pour reconnaître ce que Dieu attend de nous dans une circonstance déterminée ; mais le conseil n'élimine pas la responsabilité personnelle. C'est à nous, à chacun d'entre nous, qu'il appartient de décider finalement, et nous aurons à rendre compte personnellement à Dieu de nos décisions [37].

Quand nous allons à la direction spirituelle, pour seconder l'action du Saint Esprit, grandir spirituellement et nous identifier avec le Christ, nous devons cultiver les vertus de sincérité et de docilité, qui résument l'attitude de l'âme du croyant envers le Paraclet. Tels sont les termes qu’employait saint Josémaria pour donner ce conseil, adressé à tous les fidèles, qu'ils soient de l'œuvre ou non. Vous ne connaissez que trop bien les obligations de votre chemin de chrétiens, qui vous conduisent sans trêve ni fébrilité vers la sainteté. Vous êtes aussi prévenus contre presque toutes les difficultés, parce qu’on les aperçoit dès le début du chemin. J’insiste maintenant auprès de vous pour que vous vous laissiez aider, guider par un directeur d’âmes, auquel vous confierez tous vos saintes aspirations et les problèmes quotidiens qui affectent votre vie intérieure, les échecs que vous essuyez et toutes vos victoires.

Montrez-vous toujours très sincères dans cette direction spirituelle : ne vous accordez rien sans le dire, ouvrez totalement votre âme, sans crainte ni fausse honte. Soyez conscients que sans cela, ce chemin qui était si égal et praticable se complique, et ce qui au début n’était qu’un petit rien finit par devenir un piège étouffant [38].

Et, se faisant l'écho des enseignements des Pères de l'Église et des auteurs spirituels, confirmés par son expérience d’années de pratique pastorale, il insistait : Si le démon muet s’introduit dans une âme, il compromet tout ; en revanche, si on l’en expulse aussitôt, tout s’arrange, on est heureux, la vie reprend son cours. Soyons toujours sauvagement sincères , tout en gardant une sage mesure [39].

Le Seigneur déverse sa grâce en abondance sur l'humilité de ceux qui reçoivent dans un esprit surnaturel les conseils de la direction spirituelle, qui perçoivent dans cette aide la voix de l'Esprit Saint. Seule une réelle docilité du cœur et de l'esprit permet de progresser sur le chemin de la sainteté. Le Paraclet, en effet, à travers ses inspirations et les conseils de ceux qui nous assistent, imprime un ton surnaturel à nos pensées, à nos désirs et à nos actes. C'est Lui qui nous pousse à adhérer à la doctrine du Christ et à l'assimiler en profondeur. C'est Lui qui nous éclaire, nous rend conscients de notre vocation personnelle et nous donne la force de réaliser tout ce que Dieu attend de nous. Si nous sommes dociles au Saint-Esprit, l'image du Christ se formera sans cesse davantage en nous et nous nous approcherons ainsi chaque jour davantage de Dieu le Père. Tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu (Rm 8, 14)[40].

Humilité et prudence dans l'exercice de la direction spirituelle

18. Je vais maintenant m'arrêter sur les dispositions de la personne qui aide les autres dans la direction spirituelle. La première est d’aimer les autres comme ils sont et de ne rechercher que leur propre bien. Celaentraîne une attitude toujours positive, optimiste et encourageante. La personne qui exerce une direction spirituelle doit en outre cultiver en soi-même la vertu d’humilité, pour ne pas oublier qu’elle n’est qu'un instrument (cf. Ac 9,15) dont le Seigneur veut se servir pour la sanctification des âmes.

D'autre part, elle essaiera de se préparer le mieux possible à accomplir sa tâche, de connaître les principes fondamentaux de la vie spirituelle dont vivent habituellement les âmes, et de savoir hésiter prudemment – c’est-à-dire de ne pas se fier exclusivement à son jugement – lorsque se présentent des situations particulières. Dans ces cas, non contente de prier davantage, elle demandera à l’Esprit Saint d’autres lumières pour étudier et aborder convenablement la question. Si nécessaire, en conformité avec les enseignements de la morale, on pourra consulter des personnes plus expertes, en formulant la question sous la forme d’un cas hypothétique dont les détails seront modifiés. De cette façon - pour respecter le secret inhérent à la charge, - l’identité des intéressés sera totalement préservée, et cela toujours avec la prudence requise.

Dans l'œuvre, nous avons toujours su et accepté expressément que la personne avec laquelle nous nous entretenons fraternellement puisse consulter le Directeur compétent, quand elle le considère utile pour mieux aider l'intéressé. Afin que se manifeste encore plus clairement l'esprit de liberté et de confiance dans ces situations – qui ne sont ni habituelles ni fréquentes – la personne qui reçoit l'entretien fraternel demande désormais explicitement à l'intéressé s'il désire prendre lui-même conseil auprès d'un Directeur, ou s'il préfère que ce soit celui qui reçoit son entretien qui le fasse. C'est une manière d'agir qui renforce les pratiques de délicatesse et de prudence vécues depuis le début de l’Œuvre.

De plus, tous jouissent de la liberté de s'adresser directement au Père ou à un Directeur régional ou de Délégation, pour parler de leur propre vie intérieure. Ceci nous offre, à nous qui cherchons la direction spirituelle dans l'Opus Dei, la garantie de recevoir ce dont nous avons besoin et que nous désirons : à savoir l'esprit que nous a transmis saint Josémaria, sans rajouts ni modifications. En même temps, le devoir de maintenir le secret naturel reste entièrement sauf, et il est observé avec un soin et une exigence extrêmes : quiconque ne serait pas exemplaire à cet égard manquerait d'une disposition fondamentale pour exercer la direction spirituelle.

Ceux qui s’occupent des autres s'efforcent de favoriser à tout moment la liberté intérieure de ces âmes afin qu'elles répondent volontairement aux requêtes de l'amour de Dieu. La direction spirituelle est ainsi proposée sans tendre à uniformiser les fidèles de l'Opus Dei, ce qui serait anormal et contraire au naturel. L'œuvre nous veut souverainement libres et divers. Mais elle nous veut citoyens catholiques responsables et cohérents, dont la tête et le cœur n’aillent pas chacun de son côté sur des rythmes différents, mais soient au contraire solidement accordés : de sorte qu’on puisse accomplir en tout moment ce qu’on voit clairement devoir faire, sans se laisser ballotter, par manque de personnalité ou de loyauté envers sa conscience, par des tendances ou des modes passagères [41]. Il est normal de devoir parler avec la fermeté nécessaire pour stimuler les autres à suivre le chemin marqué par Dieu ; mais toujours également avec la plus grande douceur, car on n’est pas, et l’on ne se croit pas, le maître des âmes, mais leur serviteur : fortiter in re, suaviter in modo (fermes sur le fond, doux dans la manière). En effet, lorsque la situation l’exige, la prudence veut qu’on applique le remède à fond et sans mitigations, après avoir mis la plaie à nu (…). C’est ainsi que nous devons procéder, envers nous-mêmes d’abord, et aussi envers ceux que la justice ou la charité nous font obligation d’aider [42].

Cette responsabilité ne saurait être diminuée par la pensée que l’on doit soi-même s’améliorer dans le même domaine. Est-ce qu’un médecin qui est lui-même malade arrête de soigner les autres, même si le trouble qui l’affecte est chronique ? Sa maladie doit-elle l’empêcher de prescrire à d’autres malades le traitement approprié ? Non, bien sûr : pour soigner, il doit seulement posséder la science requise et la mettre en pratique, avec la même détermination qu’il met à combattre son propre mal [43].

La formation liturgique

19. Au sein de la formation spirituelle, et en lien étroit avec la formation doctrinale, prend place l'amour pour la sainte liturgie de l'Église en laquelle se réalise – éminemment dans la Sainte Messe – l’œuvre de notre Rédemption [44]. La Sainte Messe nous place (…) devant les mystères essentiels de la foi, car elle est le don même de la Trinité à l'Église. Ainsi comprend-on que la Messe soit le centre et la racine de la vie spirituelle du chrétien [45].

Le message chrétien est performatif. Autrement dit, l'Évangile, et la liturgie qui le rend présent à notre existence, n'est pas seulement la communication d'éléments que l'on peut connaître, mais une communication qui produit des faits et qui change la vie [46].

Il faudrait manquer de sens commun et de sens surnaturel pour penser que la liturgie est une « affaire de prêtres », ou que les prêtres « célèbrent » tandis que le peuple se contente d’« assister ». Au rebours d’une telle conception, saint Josémaria encourageait la participation de tous : depuis la compréhension du lien intime entre la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique, ou de la dimension essentielle de l'adoration dans la célébration, jusqu'à des détails pratiques comme l'utilisation du missel des fidèles pour faciliter leur participation, d'abord dans leur cœur et ensuite avec les paroles et les attitudes prévues. Je me rappelle avoir entendu dire que dès les années trente du dernier siècle, il voulait que la Messe fût dialoguée, qu’on répondît à voix haute aux prières que prononçait le prêtre. C'était alors inhabituel : le concile Vatican II ne viendrait que trente ans plus tard.

La liturgie de la Parole

20. Toute l'histoire du Salut, et la liturgie qui le célèbre et le rend présent, est caractérisée par l'initiative de Dieu qui nous convoque et attend de chacun de nous une réponse actuelle, avec un amour qui informe ensuite toute la journée, avec le désir de voir le Sacrifice de l'autel se prolonger au long des vingt-quatre heures qui suivent.

La célébration de la Parole dans la Sainte Messe est un véritable dialogue qui demande une réponse pleine de délicatesse : c'est Dieu qui parle à son peuple et celui-ci fait sienne cette parole divine à travers le silence, le chant, etc. ; il adhère à cette annonce en professant sa foi dans le Credo, et plein de confiance il présente ses demandes au Seigneur [47]. Dans les lectures, le Paraclet parle en langage humain pour que notre intelligence comprenne et contemple, pour que notre volonté se fortifie et que l'action s'accomplisse [48]. La possibilité que ces paroles deviennent réalité dans notre vie dépend de la grâce divine, mais aussi de la préparation et de la ferveur de celui qui les lit et les médite, de celui qui les écoute. « Par les saintes Écritures nous sommes en effet conduits à l'accomplissement d'actions vertueuses et à la pure contemplation » [49].

Ici se présente à nous un point bien concret d'examen de conscience et de progrès. Quels fruits tirons-nous de ces lectures quotidiennes, au cours de la Sainte Messe ? Savourons-nous les instants de silence prévus après l'Évangile, pour nous appliquer à nous-mêmes la prédication du Seigneur ? J'ai déjà rappelé ailleurs que « nous avons été nombreux à être témoins de la façon dont saint Josémaria entrait à fond dans les lectures de la Messe ; on le sentait jusque dans le ton de sa voix. Un fait se répétait souvent : après le Saint Sacrifice il notait les phrases qui l'avaient touché plus profondément, pour pouvoir les porter à la prière personnelle. Ainsi s’enrichissaient constamment son âme et sa prédication. À notre tour tâchons d'imiter un si bon maître. Dieu s'est révélé à nous pour que nous le connaissions plus et mieux, et pour que nous le fassions connaître, de façon naturelle, sans respects humains » [50].

La liturgie eucharistique

21. Dans cette partie de la Sainte Messe, le prêtre ne s’adresse pas principalement aux fidèles réunis. De fait, l'orientation spirituelle et intérieure de tous, prêtre et fidèles, est versus Deum per Iesum Christum , vers Dieu par Jésus-Christ. Dans la liturgie eucharistique, il est clair que le prêtre et le peuple ne prient pas tournés l'un vers l'autre, mais vers l'unique Seigneur. C'est pourquoi durant cette prière ils regardent dans la même direction, vers une image du Christ dans l'abside, vers une croix ou simplement vers le ciel, comme le fit le Seigneur dans l'oraison sacerdotale du soir précédant sa Passion [51].Aller à la rencontre du Seigneur qui vient, et poser nos regards sur la croix de l’autel : comme cela nous aide à vivre cette adoration commune !

22. Le Sacrifice de l'autel requiert l'obéissance et la piété, intimement unies. Ce sont également des conditions fondamentales pour que la liturgie soit la source et le sommet de la vie de l'Église et de chaque chrétien. Obéissance, en premier lieu, car « les paroles et les rites de la Liturgie constituent l’expression fidèle, mûrie au long des siècles, des sentiments du Christ, et ils nous apprennent à avoir les mêmes sentiments que les siens (cf. Ph 2,5) ; en conformant notre esprit à ces paroles, nous élevons nos cœurs vers le Seigneur » [52]. Telle est la raison profonde de l’obéissance, de l’amour qui nous lient à chaque parole, chaque geste, chaque rubrique, qui nous font parvenir le don de Dieu et nous aident à être alter Christus, ipse Christus.

Le Concile Vatican II a rappelé que la pleine efficacité de la liturgie dépend aussi de ce que chacun, prêtre ou fidèle, harmonise son âme avec sa voix [53]. Et Benoît XVI d'expliquer que, dans les cérémonies, la vox, les paroles précèdent notre esprit. Ce n’est pas ce qui arrive d’ordinaire : on doit d’abord penser et ensuite la pensée se transforme en paroles. Ici, en revanche, la parole est première. La sainte liturgie nous donne les paroles ; nous, nous devons entrer dans ces paroles, nous accorder à cette réalité qui nous précède (…). Voici la première condition : nous-mêmes devons intérioriser la structure, les paroles de la liturgie, la parole de Dieu. C'est ainsi que notre célébration est vraiment une célébration « avec » l'Église : notre cœur s'est élargi et nous ne sommes simplement pas en train de faire quelque chose, mais d’être « avec » l’Église en dialogue avec Dieu [54].

Dans la vie de saint Josémaria, piété et obéissance se fondent admirablement jusqu'à constituer l'exemple de quelque chose de bien réel : il n’y a pas de meilleure manière de manifester tout l’amour et l’intérêt que nous portons au Saint Sacrifice que d’observer soigneusement la moindre rubrique prescrite par la sagesse de l’Église.

Et en plus de l’Amour, c’est aussi le « besoin » de ressembler au Christ qui nous presse : de lui ressembler non seulement intérieurement mais extérieurement, pour évoluer dans les vastes espaces qui entourent l’autel chrétien avec ce rythme et cette harmonie de la sainteté obéissante, qui s’identifie à la volonté de l’Épouse du Christ, c’est-à-dire à la Volonté du Christ lui-même [55].

J'aimerais que ces très brèves considérations sur la structure de la Sainte Messe nous aident tous nous à intéresser davantage à la liturgie, aliment et composante nécessaires de la vie spirituelle. Comment ne pas rappeler que notre fondateur, dès la lointaine année 1930, écrivait que tous, dans l’Œuvre, doivent mettre un effort particulier à suivre scrupuleusement toutes et chacune des règles liturgiques, jusqu’à celles qui semblent d’importance faible ou nulle. Celui qui aime ne néglige aucune occasion. Je l’ai vu : ces petits riens sont quelque chose de grand : ils sont de l’amour. Et obéir au pape, jusqu’au moindre détail, c’est l’aimer. Et aimer le Saint Père c’est aimer le Christ et sa Mère, notre très sainte Mère, Marie. Et nous n’avons d’autre aspiration que celle-ci : parce que nous les aimons, nous voulons que omnes, cum Petro, ad Iesum per Mariam [56]?

FORMATION À LA DOCTRINE CATHOLIQUE

23. Celui qui aime Dieu sincèrement se sent poussé à Le connaître toujours plus et mieux. Il ne se contente pas d'une relation superficielle mais cherche à comprendre plus profondément tout ce qui se rapporte à Lui. L’effort pour acquérir cette science théologique, la bonne et solide doctrine chrétienne, se nourrit d'abord du désir de connaître et d'aimer Dieu. C’est en même temps la conséquence de cette aspiration caractéristique de l’âme fidèle, qui est de découvrir la signification la plus profonde de ce monde, œuvre du Créateur [57]. Pour cela, la formation que l’Opus Dei offre à ses fidèles, sur le plan doctrinal, vise à nous permettre d’assimiler la doctrine de l’Église et d’approfondir sa connaissance.

C’est dans la même perspective – le regard tourné vers Dieu et vers le monde – que le bienheureux Jean Paul II soulignait le besoin actuel de formation dans la doctrine catholique. « La formation doctrinaledes fidèles se révèle de nos jours de plus en plus urgente, du fait non seulement du dynamisme naturel d'approfondissement de la foi, mais aussi de la nécessité de “rendre raison de l'espérance” qui est en eux en face du monde et de ses problèmes graves et complexes. De là découle l'absolue nécessité d'une action systématique de catéchèse, adaptée à l'âge et aux diverses situations de vie, et d'une promotion chrétienne plus résolue de la culture, afin de répondre aux questions éternelles et aux problèmes nouveaux qui agitent l'homme et la société d'aujourd'hui » [58].

Dès les débuts de l'Opus Dei, et même avant, saint Josémaria se montra désireux de voir les personnes qu’il assistait spirituellement approfondir leur formation doctrinale : car chacun de nous, disait-il, doit s’efforcer, dans la mesure de ses moyens, d’étudier la foi sérieusement, avec une rigueur scientifique [59].

24. Comme l’écrivait saint Grégoire le Grand, « la piété est bien inutile quand la science ne lui donne pas de discernement » [60] et « la science n'est rien si elle ne trouve à se rendre utile par la piété » [61]. Notre fondateur insistait pour que l'étude de la doctrine fût accompagnée d'une vie spirituelle sincère, d'une fréquentation intime de Jésus-Christ dans la prière et les sacrements, d'une dévotion filiale envers la très Sainte Vierge Marie. Il enseignait que la vérité est toujours, d'une certaine façon, quelque chose de sacré : un don de Dieu, une lumière divine qui nous achemine vers Celui qui est la Lumière par essence. Et cela se vérifie spécialement lorsqu’on considère la vérité d’ordre surnaturel. Il faut donc l’entourer de respect, d’amour (…). Plus encore, nous sommes convaincus que cette vérité divine, dont nous sommes les porteurs, nous transcende ; que nos paroles sont incapables d’en exprimer toute la richesse, qu’il se peut même que nous ne la comprenions pas pleinement et que nous jouions le rôle d’un messager qui ne saisit pas vraiment le message qu’il transmet [62].

L’effort consenti par la Prélature pour assurer une sérieuse compétence doctrinale à tous ses fidèles et à bien d’autres personnes en vaut vraiment la peine ; surtout dans une période comme aujourd’hui, où la nécessité de cette formation apparaît encore plus urgente. Voilà qui souligne la réconfortante actualité de ce qu’affirmait notre fondateur il y a bien des années : l’Œuvre tout entière n’est rien d’autre qu’une grande catéchèse, réalisée de façon vitale, simple et directe au cœur même de la société civile [63].

Fidélité au Magistère et liberté dans les matières de libre opinion

25. La formation doctrinale embrasse tous les domaines, de la philosophie à la théologie et au droit canonique, etc. Ces connaissances acquises (qui, dans le cas des numéraires et de nombreux agrégés des deux sections, couvrent les programmes étudiés dans les universités pontificales) contribuent à la présence, dans toutes les strates de la société, de personnes décidées à rendre un témoignage vivant de l’Évangile, par la parole et par les actes : toujours prêts, comme l'écrivait saint Pierre, à vous expliquer devant ceux qui vous demandent de rendre raison de l’espérance qui est en vous (1 P 3,15).

Conformément aux directives répétées du Magistère, une pertinence particulière est reconnue à la doctrine du Docteur commun de l’Église pour l’étude des diverses matières de philosophie et de théologie. On applique ainsi la recommandation du concile Vatican II et de nombreux papes : « approfondir les mystères de la foi et découvrir leurinterconnexion mutuelle (…) sous le magistère de saint Thomas » [64].

Saint Josémaria s'est tenu à cette ligne, qu’il ne manqua pas de la rappeler aux professeurs des Studia generalia de la Prélature. En même temps, l’esprit ouvert au progrès de la science théologique, il expliquait que cette recommandation ne peut amener à conclure que nous devons nous contenter d’assimiler et de répéter intégralement et exclusivement les enseignements de saint Thomas.

C’est de bien autre chose qu’il s’agit : nous devons assurément cultiver la doctrine du Docteur angélique, mais de la même manière qu’il le ferait s’il vivait aujourd’hui. C’est pourquoi il faudra parfois mener à terme ce qu’il n’avait pu que commencer ; et c’est pourquoi aussi nous saurons faire nôtres toutes les découvertes d’autres auteurs, qui correspondent à la vérité [65].

Je viens de vous rappeler, avec des mots de saint Josémaria, une caractéristique essentielle de l'esprit de l'Opus Dei : en tant qu'institution, nous n'avons d'autre doctrine que celle qu'enseigne le Magistère du Saint Siège. Nous acceptons tout ce que ce Magistère accepte, et rejetons tout ce qu'il rejette. Nous croyons fermement tout ce qu'il propose comme vérité de foi, et nous faisons également nôtre tout ce qui relève de la doctrine catholique [66]. Et dans les limites de cette vaste doctrine, chacun de nous forme son opinion personnelle [67]. Les Statuts de la Prélature stipulent, comme le voulait notre fondateur, qu’il est interdit pour l’Opus Dei de créer ou de faire sienne une école philosophique ou théologique particulière [68]. Ceci ne traduit pas seulement l’amour de la liberté, mais aussi un fait ecclésiologique fondamental : les membres de la Prélature sont des fidèles chrétiens ordinaires, ou, le cas échéant, des prêtres séculiers ordinaires, dont la liberté d’opinion est aussi étendue que celle des autres catholiques.

FORMATION À L'APOSTOLAT

26. La connaissance profonde des vérités religieuses fondamentales, ainsi que des dimensions éthiques et morales liées plus directement pour chacun à l’exercice de sa profession, est également importante pour réaliser un vaste travail apostolique dans le milieu professionnel où chacun évolue. Ce n'est pas au fond de la vallée mais au sommet de la montagne que doit briller la lumière de ceux qui suivent Jésus-Christ: pour que l'on voie vos bonnes oeuvres et que l'on glorifie votre Père qui est dans les cieux (Mt 5,16)[69].

Il y a dans le monde, c’est certain, beaucoup de personnes au cœur grand, capables de s’éprendre de Dieu, mais qui sont privées de la lumière de la doctrine capable d’orienter et de donner sens à leur vie. Et c'est aux chrétiens qu’incombe le devoir et la joie de la leur apporter. Un passage du Nouveau Testament l'illustre clairement. Le diacre Philippe, exécutant un commandement de l’Esprit Saint, se dirigeait vers la route qui conduit à Gaza. Par là passait le char d’un haut personnage, ministre de la reine d’Éthiopie, qui s’en retournait dans son pays après avoir adoré Dieu à Jérusalem. Philippe courut près de lui et entendit qu'il lisait le prophète Isaïe. Il lui dit : « – Comprends-tu ce que tu lis ? – Et comment pourrais-je comprendre s’il n’y a personne pour me guider ? » Il invita donc Philippe à monter et à s’asseoir à côté de lui (Ac 8, 30-31).

Il revient aux catholiques d'annoncer, avec paix et persévérance, la bonne nouvelle de Jésus, de remédier à l'ignorance religieuse par la diffusion de la doctrine révélée. L'apostolat chrétien – et je me réfère ici spécialement à celui d'un chrétien courant,d'un homme ou d'une femme qui vit comme un de plus parmi ses égaux – est une grande catéchèse qui, à travers les rapports personnels et une amitié loyale et authentique, éveille chez les autres la faim de Dieu, et les aide à découvrir de nouveaux horizons ; avec naturel, avec simplicité, disais-je, par l'exemple d'une foi bien vécue, par la parole aimable mais toute pleine de la force de la vérité divine [70].

Nous devons propager avec ardeur la Vérité de Jésus-Christ, faire en sorte que d'autres partagent le trésor que nous avons reçu, de façon à leur faire découvrir qu'il n’y a rien de plus beau que d’être rejoints, surpris par l’Évangile, par le Christ. Il n’y a rien de plus beau que de le connaître et de communiquer aux autres l’amitié avec lui [71].

27. Dans le Décret sur l'apostolat des laïcs, le Concile Vatican II enseigne que « l’apostolat ne peut atteindre une pleine efficacité que grâce à une formation à la fois différenciée et complète. C’est ce qu’exigent non seulement le constant progrès spirituel et doctrinal du laïc lui-même mais aussi diverses circonstances tenant aux réalités, aux personnes et aux obligations auxquelles son activité doit pouvoir s’adapter (…). Un certain nombre de formes d’apostolat requièrent en plus de la formation commune à tous les chrétiens une formation spécifique et particulière » [72].

Au cours des dernières années, ce désir de gagner les âmes a réclamé plus d’énergie, pour contrecarrer le sécularisme qui avançait à grands pas, au point d'obtenir droit de cité dans des pays traditionnellement chrétiens. Imprégner à nouveau de l'esprit du Christ les racines de ces nations est précisément l'objectif de la nouvelle évangélisation [73]. Dans la Prélature, ce travail revient à orienter et stimuler chaque personne, pour qu’elle s’adonne à la mission évangélisatrice reçue lors du Baptême, dans l'esprit et avec les moyens spécifiques de l'Opus Dei, à travers un apostolat d'amitié et de confidence.

Jean Paul II insistait sur le fait que le monde « réclame des évangélisateurs crédibles, dans la vie desquels resplendisse la beauté de l'Évangile (…).Tout baptisé, en tant que témoin du Christ, doit acquérir la formation appropriée à sa situation, non seulement pour éviter que sa foi ne s'épuise par manque de vigilance dans un milieu hostile comme l'est le milieu sécularisé, mais aussi pour soutenir son témoignage évangélisateur » [74].

Apostolat personnel d'amitié et de confidence

28. Notre Seigneur est venu sur cette terre pour que toutes les âmes parviennent à la vie éternelle. Il veut aussi compter sur ses disciples : ut eatis, allez – dit-il aux chrétiens comme Il le disait aux Apôtres – allez, et portez du fruit, et que votre fruit demeure (cf. Jn 15,16). En conséquence, mes filles et mes fils, nous avons à porter sa doctrine dans les milieux les plus divers, puisque toutes les âmes nous intéressent pour le Seigneur. Mais il est normal de commencer par ceux que Dieu a placés plus près de nous.

Dans la Prélature de l'Opus Dei, comme je vous le disais, nous donnons la priorité à ce que saint Josémaria appelait l’apostolat d'amitié et de confidence : un rapport personnel où un cœur verse dans un autre sa connaissance et son amour du Christ, lui permettant ainsi de s’ouvrir aux douces impulsions de la grâce.

L'amitié suppose, en même temps qu’elle suscite, la communion de sentiments et d’aspirations. Or « là où se réalise principalement cette communion, c’est dans la vie commune (…) ; de là vient que vivre ensemble soit le propre de l’amitié » [75]. C’est en se fréquentant qu’on fait les premiers pas sur le chemin de l’amitié. Aussi sommes-nous contents de saisir les occasions de nous faire de nouveaux amis, que nous offre la vie professionnelle et sociale. Nous avons envie de les aider, autant que d’apprendre d’eux : l’amitié est par essence réciproque. Saint Josémaria nous encourageait à nous conduire comme le Christ qui passe au milieu des gens, sur la route de la vie quotidienne. Le Seigneur veut se servir de nous – de nos rapports avec les autres, de cette capacité qu’Il nous a donnée d’aimer et de nous faire aimer – pour continuer à se faire des amis sur la terre [76].

Une des caractéristiques éminentes de cette manière de servir, c’est la nécessité de savoir s’adapter à la capacité et la mentalité de chacun, afin d’être compris de ceux qui nous écoutent. Saint Josémaria appelait don de langues cet effort pour se faire comprendre. Fruit de la grâce, de la prière et de la formation acquise, cet effort permet à la doctrine de l’Église de résonner avec des harmoniques nouvelles aux oreilles des gens. Il faut répéter la même chose, mais de manières différentes. C'est la forme qui doit être toujours nouvelle, toujours variée – pas la doctrine [77].

Il s’agit ce faisant d’imiter Jésus, qui proposait les enseignements les plus élevés au moyen de paraboles et de comparaisons que tous – chacun à son niveau – étaient en mesure de comprendre. Sachons nourrir notre désir d'exposer les vérités chrétiennes de façon attrayante : que votre parole soit toujours bienveillante, pleine de force et de sel, sachant répondre à chacun comme il faut (Col 4,6). Il n’est pas question ici de suivre des procédures, ou de faire assaut d’érudition, mais de transmettre du solide, en cherchant la gloire de Dieu et le bien des âmes.

29. Dans ce contexte, la connaissance profonde de la Sainte Écriture – Ancien et Nouveau Testaments – fruit d'une lecture assidue et d'une méditation attentive, revêt une importance fondamentale. C'est ce qu'a rappelé récemment le pape Benoît XVI, dans l'Exhortation Apostolique Verbum Dominisur la Parole de Dieu dans la mission de l'Église. Dans ce document, évoquant les grands saints auxquels le Seigneur a accordé des lumières spéciales pour approfondir le sens spirituel de la Bible, le pape affirme qu’un de ces rayons de lumière brilla à travers saint Josémaria et sa prédication sur l’appel universel à la sainteté [78].

Le Souverain Pontife écrit qu’un temps important de l’animation pastorale de l’Église, où l’on peut avec sagesse redécouvrir le caractère central de la Parole de Dieu, est la catéchèse qui, dans ses diverses formes et phases, doit toujours accompagner le Peuple de Dieu [79]. Et il montre comment la rencontre des disciples d’Emmaüs avec Jésus décrite par l’évangéliste Luc (cf. Lc 24,13-35) représente, en un certain sens, le modèle d’une catéchèse au centre de laquelle se trouve « l’explication des Écritures » que seul le Christ est en mesure de donner (cf. Lc 24,27-28), en montrant leur accomplissement dans sa personne. C’est ainsi que renaît l’espérance, plus forte que tout échec, qui fait de ces disciples des témoins convaincus et crédibles du Ressuscité [80]. Ces paroles ne vous remettent-elles pas en mémoire la prédication joyeuse de saint Josémaria, affirmant que, désormais, Emmaüs, c’est le monde entier, parce que le Seigneur a ouvert les chemins divins de la terre [81] ?

Rappelez-vous la manière dont il nous transmettait l’enseignement contenu dans ce passage de saint Luc. Toute la vie du Christ , expliquait-il, est un modèle divin à imiter, mais ce que nous rapporte l’évangéliste de la scène d’Emmaüs nous regarde de manière toute spéciale [82]. Cette scène évangélique lui servait aussi à nous parler de l’apostolat personnel d’amitié et de confidence. Il en soulignait une caractéristique importante : c’est à nous de prendre l’initiative, d’aller au devant des gens pour leur offrir notre amitié et les aider dans leur recherche de Dieu, dans le respect et la protection de l’intimité et de liberté de tous.

Sur le chemin d'Emmaüs, le Ressuscité va à la recherche de deux disciples qui retournaient chez eux, découragés par les évènements douloureux dont ils avaient été témoins : la Passion et la Mort de leur Seigneur. Ce geste de Jésus nous montre que l'amitié nous amène à partager les joies et les peines de nos amis, à nous montrer solidaires et leur consacrer du temps. Jésus chemine aux côtés de ces deux hommes qui ont presque perdu tout espérance, au point que la vie commence à leur sembler dépourvue de sens. Il comprend leur douleur, pénètre dans leur coeur, leur communique un peu de la vie qu'Il porte en Lui [83]. De la même façon nous avons à partager les soucis, les aspirations, les difficultés de ceux que nous fréquentons, en restant parmi nos compagnons de travail comme l’un d’entre eux, sans laisser aucune barrière nous séparer d’eux : c'est là une caractéristique merveilleuse de l'esprit de l'œuvre, qui ne retire personne de sa place et nous invite à être dans le monde sans être mondains.

Ainsi devons-nous nous comporter dans le milieu où nous évoluons, sans oublier que, si nous sommes fidèles, c'est Jésus-Christ qui agit en nous, et veut se servir de notre exemple et de nos paroles pour toucher d’autres personnes, en même temps que celles-ci nous enrichissent par leur amitié. Rien n’est plus naturel pour de vrais amis que de partager entre eux les joies et les peines, les activités et, bien évidemment, le plus grand trésor que puisse posséder un chrétien : la vie du Christ, précisément. Nous leur parlerons de Dieu, de la joie de sa présence dans notre âme en état de grâce, de la valeur immense que Lui seul peut conférer à une existence humaine.

En agissant de la sorte, les chrétiens coopèrent efficacement à la mission évangélisatrice de l'Église. Faisant entrer le Christ dans le cœur et l’âme de ceux qu’ils connaissent, ils contribuent à hisser la Croix au sommet de toutes les activités humaines.

Apostolat de la famille et de la jeunesse

30. Nombreuses sont les activités qui contribuent à fortifier l’expansion du royaume de Dieu. Certaines, toutefois, revêtent objectivement une importance majeure en fonction des besoins de l’époque et du lieu. La famille, la formation de la jeunesse et le monde de la culture concentrent sur eux une grande partie du défi de la nouvelle évangélisation à laquelle invite le Saint Père.

La famille a un urgent besoin de voir réaffirmer son terreau originaire, voulu par Dieu lors de la création, et que malheureusement l’état des mœurs et la législation civile de nombreux pays s'évertuent à pervertir. C'est une tâche d'importance capitale, pour laquelle les catholiques se retrouvent aux côtés de personnes d’autres croyances ou sans religion, convaincues elles aussi que la promotion de la famille, communion d’amour entre un homme et une femme, indissoluble et ouverte à la vie, constitue un pilier irremplaçable du juste ordonnancement de la société, et un fondement essentiel pour permettre aux hommes d’accéder à la maturité et au bonheur. En plus de la contribution que nous pouvons apporter en collaborant avec d’autres, il y a l’aide personnelle que chacun peut apporter : par exemple, aider des conjoints à se pardonner mutuellement, et à mieux comprendre que leur vie est donnée à l’autre ; et, dans le cas d’un couple chrétien, l’aider à réaliser qu’il participe à un mystère, celui de l’union du Christ avec son Église. Cette fidélité de chacun des époux, qui devient avec le passage du temps manifestation de l’amour véritable, trace aussi le chemin qui conduit au Ciel.

Le travail apostolique avec la jeunesse représentera toujours un défi vital pour le monde et pour l'Église : c’est dans les années de jeunesse, en effet, que se construisent ceux qui pourront redresser le cap de la société et la faire avancer sur les routes marquées par le Créateur et Rédempteur.

Dans ce domaine, l'apostolat des loisirs et le bon usage du temps libre acquièrent une signification singulière. Je me contenterai de vous rappeler ce que je vous ai écrit en 2002 : il importe de remplir de sens chrétien « les mœurs, les lois, la mode, les moyens de communication, les expressions artistiques. Autant d'aspects qui sont au cœur battant de la bataille pour la nouvelle évangélisation de la société à laquelle le Saint Père ne se lasse pas d'appeler les chrétiens [84]. »

Apostolat et culture

31. Le vaste monde de la pensée et de la culture, des sciences, des lettres et de la technique demeure un champ privilégié qui demande à être éclairé par les lumières de l'Évangile. « Les chrétiens sont donc appelés à avoir une foi qui leur permette de se confronter de manière critique à la culture actuelle, en résistant à ses séductions ; d'influer avec efficacité sur les milieux culturels, économiques, sociaux et politiques ; de manifester que la communion entre les membres de l'Église catholique et avec les autres chrétiens est plus forte que tout lien ethnique ; de transmettre joyeusement la foi aux nouvelles générations ; d'édifier une culture chrétienne capable d'évangéliser la culture toujours plus vaste dans laquelle nous vivons » [85].

Les apostolats de l'œuvre sont une mer sans rivage. Nous voulons accueillir toute personne à bras grand ouverts, comme le Christ sur la Croix. De là notre détermination pour atteindre ceux qui sont le plus loin de Dieu, comme nous l’a appris saint Josémaria, qui aimait tant – il le disait toujours – l’apostolat ad fidem. Saint Josémaria nous encourageait à nous impliquer tout spécialement dans l’apostolat ad gentes, avec les « gentils » (…). En commençant, dirai-je pour rappeler la leçon de toujours, par une amitié sincère, loyale, humainement bonne [86].À l’occasion des multiples relations offertes par l’exercice de nos professions, dans un monde caractérisé par la globalisation, il sera facile de dialoguer avec des personnes d'autres confessions et croyances, ou avec des gens sans aucune religion, avec le désir de susciter en eux l'envie de mieux connaître Dieu. Nous aiderons même ceux qui manifestent une attitude hostile à l'Église catholique, si nous nous efforçons de les traiter avec bienveillance, patience, compréhension et affection.

Je considère comme particulièrement important , disait Benoît XVI dans un discours à la Curie romaine, le fait que les personnes qui se déclarent agnostiques ou athées doivent également nous tenir à cœur en tant que croyants. Lorsque nous parlons d'une nouvelle évangélisation ces personnes sont peut-être effrayées. Elles n’aiment pas se voir comme faisant l'objet d'une mission, ni renoncer à leur liberté de pensée et de volonté. Mais la question de Dieu ne laisse pas de se poser pour elles aussi, quand bien même elles ne peuvent pas croire au caractère concret de son attention pour nous [87].

La participation spéciale à des initiatives de ce genre peut n’être le fait que de quelques-uns, mais nous ressentons tous le devoir de les appuyer avec notre prière. Car chacun de nous, enfant de Dieu dans la sainte Église, ne veut vivre que pour porter le nom du Seigneur à tous les peuples et toutes les cultures, jusqu'aux derniers confins de la terre (cf. Ac 9,15).

FORMATION PROFESSIONNELLE

32. Le travail ordinaire constitue, selon l'esprit de l'Opus Dei, la charnière de la sanctification personnelle et le cadre habituel du travail apostolique de ses fidèles : on comprend dès lors l’importance attachée, dans la Prélature, à la compétence professionnelle. L’étude, la formation professionnelle, quelle qu’elle soit, sont obligations graves chez nous [88].

À l’époque récente, le Magistère de l’Église, dans un enseignement que nous ne pouvons lire sans penser à ce que prêchait saint Josémaria depuis 1928, a parlé du travail comme lieu de la recherche de la sainteté par les fidèles laïcs. Il a insisté sur « le devoir particulier de former une spiritualité du travail susceptible d'aider tous les hommes à s'avancer grâce à lui vers Dieu, Créateur et Rédempteur, à participer à son plan de salut sur l'homme et le monde, et à approfondir dans leur vie l'amitié avec le Christ [89]. »

Travail et unité de vie

33. Dans l’homélie « Aimer le monde passionnément », saint Josémaria soulignait l'importance de l’ unité de vie du chrétien, qui harmonise piété, travail et apostolat. Je n'ai cessé de l'enseigner en utilisant des paroles de la Sainte Écriture : le monde n'est pas mauvais, puisqu'il est sorti des mains de Dieu, puisqu'il est sa création, puisque Yahvé l'a contemplé et a vu qu'il était bon (Cf. Gn 1,7 et s.). C'est nous, les hommes, qui le rendons laid et mauvais, par nos péchés et nos infidélités. N'en doutez pas, mes enfants : toute forme d'évasion hors des honnêtes réalités quotidiennes est pour vous, hommes et femmes de ce monde, à l'opposé de la volonté de Dieu.

Tout au contraire, vous devez maintenant comprendre — avec une clarté nouvelle — que Dieu vous appelle à le servir dans et à partir des tâches civiles, matérielles, séculières de la vie humaine : c'est dans un laboratoire, dans la salle d'opération d'un hôpital, à la caserne, dans une chaire d'université, à l'usine, à l'atelier, aux champs, dans le foyer familial et au sein de l'immense panorama du travail, c'est là que Dieu nous attend chaque jour. Sachez-le bien : il y a quelque chose de saint, de divin, qui se cache dans les situations les plus ordinaires et c'est à chacun d'entre vous qu'il appartient de le découvrir (…).

Il n'y a pas d'autre chemin, mes enfants : ou nous savons trouver le Seigneur dans notre vie ordinaire, ou nous ne le trouverons jamais. Voilà pourquoi je puis vous dire que notre époque a besoin qu'on restitue, à la matière et aux situations qui semblent les plus banales, leur sens noble et originel, qu'on les mette au service du Royaume de Dieu, qu'on les spiritualise, en en faisant le moyen et l'occasion de notre rencontre continuelle avec Jésus-Christ [90].

La formation donnée par la Prélature a pour but de susciter en chacun l’esprit surnaturel qui lui permet de s’efforcer de travailler avec toute la perfection humaine possible, et avec la volonté de servir, en convertissant le travail en instrument de sainteté et d'apostolat. Dans ce but, nous devons tâcher d’acquérir parmi nos collègues cet indispensable prestige professionnel, fruit d’années d’effort et d’ardeur au travail. Chacun reçoit cette formation spécifique comme tous les autres citoyens : dans l’enseignement supérieur, dans les écoles professionnelles, les ateliers, etc., où chacun fait ses études ou apprend un métier. L'esprit de l'œuvre nous pousse à préserver et améliorer constamment cette compétence. Nous connaissons tous l’entière liberté dont nous jouissons, tant au moment de choisir un métier que dans la manière de l’exercer. L’Œuvre se contente de nous apprendre à nous sanctifier dans ces activités, sans s’immiscer dans les choix professionnels de chacun.

Ce n’est pas le type d’activité qui compte, pourvu qu’elle soit honnête. Qu'est-ce qui est le plus important : être professeur à la Sorbonne ou s’occuper de la maison ? Je te répondrai que si tu es sainte parce que tu te sanctifies dans ton travail, c'est cela le plus important [91]. Et notre fondateur ajoutait une autre fois : lorsque, en parlant des femmes de ménage qui travaillent à l'Université de Navarre, j'affirme ne pas savoir si leur travail est aussi important, voire plus important, que celui de la présidence de l’Université, je ne plaisante pas : je ne fais que répéter ce que j'ai toujours pensé. Le travail d'une de ces femmes qui s'y met avec joie et fait tout par amour peut être héroïque, sans rien de prosaïque, et dès lors bien plus efficace que celui d'un grand chercheur qui ne pense qu'à ses publications. J'insiste : qu'est-ce qui a le plus de valeur ? Tout dépend de l'amour et de l'esprit de sacrifice avec lequel on réalise son travail, pourvu toutefois que le sacrifice soit libre, joyeux, volontaire : sinon, mieux vaut s’abstenir [92].

Tous les catholiques ont le devoir de faire tout ce qu’ils peuvent pour que le Christ règne effectivement dans la société, et ces saintes aspirations se manifestent aussi lorsqu’on essaied'acquérir le prestige professionnel nécessaire pour être un lampadaire d'où brille la lumière du Christ (cf. Mc 4,21).

Les étudiants, pour leur part, doivent se sentir tenus d'obtenir de bons résultats. N'oubliez pas cette réflexion de saint Josémaria recueillie dans Chemin, qui a guidé des générations de jeunes du monde entier : Une heure d’étude, pour un apôtre moderne, c’est une heure de prière [93].

Droiture d'intention

34. Alors même que nous veillons à être professionnellement qualifiés, faisons preuve de responsabilité en nous rappelant que le travail, quel qu’il soit, reste toujours un moyen pour atteindre la sainteté et nous occuper d’apostolat. Cette perspective ne saurait être perdue de vue dans les circonstances actuelles : en effet, dans la société d’aujourd’hui, fortement compétitive, il est facile de placer l’exercice de la profession au premier rang de nos préoccupations, en reléguant à l’arrière-plan nos autres devoirs envers Dieu, notre famille et les autres. Avec saint Josémaria, j’insiste sur ce point : travaillez face à Dieu, sans ambitionner la gloire humaine. Certains voient dans le travail un moyen de recevoir des honneurs, ou d’acquérir le pouvoir ou la richesse qui satisferont leur ambition personnelle, ou pour éprouver l’orgueil de leurs propres performances.

Pour nous, enfants de Dieu dans son Opus Dei, le travail ne peut avoir aucun rapport avec l’égoïsme, la vanité ou l’orgueil. Nous ne voyons en lui qu’une possibilité d’être au service de tous les hommes par amour de Dieu [94].C’est pourquoi notre fondateur ajoutait : un bon indice de la droiture d’intention avec laquelle vous devez exercer votre métier, c’est précisément la manière dont vous tirez parti des relations sociales ou amicales qui se nouent au travail pour approcher les âmes de Dieu : cela peut aller, si les circonstances s’y prêtent, jusqu’à aborder avec elles la question de leur vocation [95].

Dans le cadre de la formation professionnelle, nous devons nécessairement tendre à bien connaître les aspects de la doctrine catholique les plus en rapport avec notre domaine professionnel, ou qui revêtent une actualité particulière dans le pays : ils peuvent varier d’un lieu à l’autre, mais certains sont partout à l’ordre du jour, par exemple tout ce qui touche au mariage et à la famille, à l'éducation, à « l'évangile de la vie », la bioéthique, la justice et la charité dans les relations de travail… C'est pourquoi l’exemple de la droiture dans l’accomplissement des devoirs professionnels, familiaux et sociaux constitue un témoignage crédible que nous sommes tous appelés à rendre. « Fruit de votre droiture humaine et chrétienne, vous ai-je écrit un jour, de nombreuses initiatives naîtront en outre dans les milieux où vous évoluez, qui auront pour objectif direct de résoudre des problèmes sociaux particuliers, dans une collaboration noble et fraternelle avec d’autres hommes et femmes de bonne volonté. J'élève en ce moment mon cœur en action de grâces vers Notre Seigneur, car autour de la Prélature, avec l’aide de nombreux coopérateurs catholiques et non-catholiques, s’épanouissent d’abondantes réalités de solidarité qui contribuent à implanter sur la terre la justice et la paix, en apportant à des dizaines de milliers de personnes, pour citer saint Josémaria, le baume fort et pacifique de l'amour (Quand le Christ passe , n° 183) »[96].

Spontanéité apostolique

35. J’ai voulu, mes filles et mes fils, vous faire considérer de nouveau que l’unique ambition, l’unique aspiration de l’Opus Dei et de chacun de ses enfants est de servir l’Église comme elle veut être servie, au sein de la vocation spécifique que le Seigneur nous a donnée [97]. Et il n’était pas rare que saint Josémaria parle de l’Opus Dei en disant que c’est une désorganisation organisée, parce que sa façon propre de collaborer à la mission de l’Église, voulue par Dieu, consiste à donner de la formation aux gens, dans les divers domaines. On peut affirmer que la Prélature de l'Opus Dei dépense toutes ses énergies dans cette activité, dans cette catéchèse. C’est vous ensuite, individuellement, avec le bagage de la formation reçue et assimilée, dans la liberté et la responsabilité personnelles, qui tâchez d’infuser la lymphe de l’esprit chrétien dans le circuit sanguin de la société.

Répondant à la question d'un journaliste sur cet aspect si caractéristique de l'œuvre, saint Josémaria expliquait que nous accordons une importance première et fondamentale à la spontanéité apostolique de l’individu , àson initiative libre et responsable, guidée par l'action de l'Esprit ; et non pas aux structures organisationnelles, aux directives, aux tactiques et aux plans imposés d’en-haut, depuis le siège de gouvernement [98].

Avant de conclure, je reviens à l’essentiel : jour après jour, consacrons nos meilleurs efforts à notre engagement de chrétien envers Dieu et les autres.Appliquons-nous à être des femmes et des hommes absolument fidèles au Pape, priant sans cesse pour sa personne et ses intentions ; vivons dans l’union affective et effective avec les évêques et tous les fidèles catholiques. Soyons pleins d'optimisme et de reconnaissance envers le Seigneur à l’idée de prendre part à la nouvelle évangélisation. Demandons l’intercession de la très Sainte Vierge, Reine du monde et Mère de l'Église, pour qu'elle nous obtienne du Ciel les grâces nécessaires.

Nous plaçons naturellement saint Josémaria comme intercesseur tout spécial pour ce travail de formation : par sa vie et son enseignement, il a donné une forme achevée à l’esprit reçu de Dieu le 2 octobre 1928, permettant à ses filles et ses fils, et à beaucoup d’autres, de parcourir tous les chemins de la terre en les rendant divins par la grâce de l’Esprit saint.

Avec toute mon affection, je vous bénis

Votre Père.

+ Xavier

Rome, le 2 octobre 2011


[1] Benoît XVI, Encyclique Spe Salvi, 30 novembre 2007, n. 2.

[2] Cf. Benoît XVI, Lettre apostolique Ubicumque et semper, 21 septembre 2010.

[3] Benoît XVI, Homélie de la messe de conclusion de la Journée mondiale de la jeunesse, 21 août 2011.

[4] Saint Josémaria, Entretiens, n. 24.

[5] Saint Josémaria, Lettre du 6 mai 1945, n. 19.

[6] Saint Josémaria, Lettre du 24 mars 1931, n. 9.

[7] Saint Josémaria, Chemin, n. 372.

[8] Saint Josémaria, Notes prises lors d’une réunion de famille, 18 juin 1972.

[9] Saint Augustin, Sermon 169, 13 (PL 38, 923).

[10] Saint Josémaria, Notes prises lors d’une réunion de famille, 1963.

[11] Saint Josémaria, Amis de Dieu, n. 24.

[12] Ibid., n. 26.

[13] Ibid.

[14] Saint Josémaria, Lettre du 9 janvier 1932, n. 28.

[15] Jean-Paul II, Exhortation apostolique Christifideles laici, 30 décembre 1988, n. 63.

[16] Symbole Quicumque.

[17] Concile Vatican II, décret Apostolicam actuositatem, n. 4.

[18] Saint Josémaria, Amis de Dieu, n. 74.

[19] Ibid., n. 84.

[20] Ibid.

[21] Saint Josémaria, notes prises lors d’une réunion de famille, 28 novembre 1972.

[22] Catéchisme de l’Église catholique , n. 1080.

[23] Saint Josémaria, Amis de Dieu, n. 77.

[24] Benoît XVI, Allocution lors de l’Angélus, 28 octobre 2007.

[25] Cf. saint Josémaria, Chemin, n. 380.

[26] Jean-Paul II, Discours à un groupe d’évêques en visite ad limina, 18 novembre 1999.

[27] Alvaro del Portillo, Vocation et mission du prêtre, Le Laurier, Paris, 1991.

[28] Saint Josémaria, Lettre du 8 août 1956, n. 47.

[29] Jean-Paul II, Exhortation apostolique Christifideles laici, 30 décembre 1988, n. 60.

[30] Benoît XVI, Exhortation apostolique Sacramentum caritatis, 22 février 2007, n. 64.

[31] Saint Josémaria, Chemin, n. 947.

[32] Saint Josémaria, Notes prises lors d’une réunion de famille, 30 octobre 1964.

[33] Jean-Paul II, Homélie, 19 août 1979.

[34] Cf. Jean-Paul II, Constitution apostolique Ut sit, 28 novembre 1982.

[35] Cf. Saint Josémaria, La Abadesa de las Huelgas. Estudio teológico jurídico, Rialp, Madrid, 3e éd., 1974, p. 153. La Congrégation pour le clergé a publié récemment un document, Le prêtre, confesseur et directeur spirituel, ministre de la miséricorde divine (9 mars 2011) qui affirme explicitement que « des fidèles laïcs bien formés réalisent [eux aussi] ce service de conseil sur le chemin de la sainteté » (n. 65).

[36] Saint Josémaria, Notes d’une méditation, 31 décembre 1970.

[37] Saint Josémaria, Entretiens, n. 93.

[38] Saint Josémaria, Amis de Dieu, n. 15.

[39] Ibid., n. 188.

[40] Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n. 135.

[41] Saint Josémaria, Lettre du 6 mai 1945, n. 35.

[42] Saint Josémaria, Amis de Dieu, n. 157.

[43] Ibid., n. 161.

[44] Cf. Concile Vatican II, Constitution Sacrosanctum Concilium, n. 2.

[45] Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n. 87.

[46] Cf. Benoît XVI, Encyclique Spe salvi, 30 novembre 2007, n. 2.

[47] Cf. Présentation générale du Missel romain, n. 55.

[48] Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n. 89.

[49] Saint Jean Damascène, Exposition sur la foi orthodoxe, IV, 7 (PG 94, 1175).

[50] Vivre la Sainte Messe , Le Laurier, 2010.

[51] Joseph Ratzinger-Benoît XVI, Opera omnia, vol. XI, Préface.

[52] Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, Instruction Redemptionis Sacramentum , 25 mars 2004, n. 5.

[53] Cf. Concile Vatican II, Constitution Sacrosanctum Concilium, n. 11.

[54] Benoît XVI, Rencontre avec les prêtres du diocèse d’Albano, 31 août 2006.

[55] Saint Josémaria, Forge, n. 833.

[56] Saint Josémaria, Notes intimes, n. 110 (17 novembre 1930) ; cité par don Álvaro del Portillo, Lettre du 15 octobre 1991.

[57] Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n. 10.

[58] Jean-Paul II, Exhortation apostolique Christifideles laici, 30 décembre 1988, n. 60.

[59] Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n. 10.

[60] Saint Grégoire le Grand, Moralia, I, 32, 45 (PL 75, 517).

[61] Ibid.

[62] Saint Josémaria, Lettre du 24 octobre 1965, n. 24-25.

[63] Saint Josémaria, Lettre du 11 mars 1940, n. 47.

[64] Concile Vatican II, Décret Optatam totius, n. 16 ; cf. Pie XII, Discours, 24 juin 1939 ; Paul VI, Discours, 12 mars 1964 ; Jean-Paul II, Encyclique Fides et Ratio, 14 septembre 1988, n. 43 et suiv.

[65] Saint Josémaria, Lettre du 9 janvier 1951, n. 22.

[66] Saint Josémaria, Lettre du 14 février 1964, n. 1.

[67] Saint Josémaria, Notes d’une réunion de famille, 30 avril 1961.

[68] Cf. Codex iuris particularis seu Statuta Prælaturæ Sanctæ Crucis et Operis Dei , n. 109.

[69] Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n. 10.

[70] Ibid., n. 149.

[71] Benoît XVI, Homélie de la Messe d’intronisation, 24 avril 2005.

[72] Concile Vatican II, Décret Apostlicam actuositatem, n. 28.

[73] Cf. Benoît XVI, Encyclique Caritas in veritate, 29 juin 2009, n. 29 ; et entre autres les Discours du 19 octobre 2006, 11 juin 2007, 12 mars 2010, 24 septembre 20011.

[74] Jean-Paul II, Exhortation apostolique Ecclesia in Europa, 28 juin 2003, n. 49.

[75] Saint Thomas d’Aquin, Commentaire de l’Éthique à Nicomaque, IX, lect. 14.

[76] Saint Josémaria, Lettre du 9 janvier 1932, n. 5.

[77] Saint Josémaria, Lettre du 30 avril 1946, n. 71.

[78] Benoît XVI, Exhortation apostolique Verbum Domini, 30 septembre 2010, n. 48.

[79] Ibid., n. 74.

[80] Ibid.

[81] Saint Josémaria, Amis de Dieu, n. 314.

[82] Saint Josémaria, Notes prises lors d’une réunion de famille, avril 1951.

[83] Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n. 105.

[84] Lettre du 28 novembre 2002 , n. 11.

[85] Jean-Paul II, Exhortation apostolique Ecclesia in Europa, 28 juin 2003, n. 50.

[86] Saint Josémaria, Notes prises lors d’une réunion de famille, 15 avril 1973.

[87] Benoît XVI, Discours à la Curie romaine, 21 décembre 2009.

[88] Saint Josémaria, Chemin, n. 334.

[89] Jean-Paul II, Encyclique Laborem exercens, 14 septembre 1981, n. 24.

[90] Saint Josémaria, Homélie « Aimer le monde passionnément », 8 octobre 1967 (dans Entretiens, n. 114).

[91] Saint Josémaria, Notes prises lors d’une réunion de famille, 30 août 1961.

[92] Saint Josémaria, Notes prises lors d’une réunion de famille, 10 avril 1969.

[93] Saint Josémaria, Chemin, n. 335.

[94] Saint Josémaria, Lettre du 15 octobre 1948, n. 18.

[95] Ibid., n. 31.

[96] Lettre du 1 er juin 1999.

[97] Saint Josémaria, Lettre du 31 mai 1943, n. 1.

[98] Saint Josémaria, Entretiens, n. 19.