Le palmier, figure du chrétien courant

Le chrétien dans le monde est comme le palmier du désert : dressé vers le ciel, nourri par une source intérieure, il s’adapte aux ambiances mêmes défavorables pour le bien de tous.

Le dimanche des Rameaux ouvre la Semaine sainte. Avant la messe de la Passion, est proclamé, au départ de la procession, l’évangile de l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem : Les gens prirent des branches de palmiers, et allèrent au-devant de lui, en criant: Hosanna! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d'Israël [1]!

Les palmiers sont parmi les plus vieux végétaux du monde : ils existaient il y a quatre-vingt millions d'années. Leur port majestueux et leur superbe feuillage leur a fait décerner, par Linné, le titre de « princes du règne végétal ». Le dattier est l’une de leurs 2500 espèces. Il est répandu sous les latitudes tropicales et subtropicales des cinq continents, dans les zones sèches à la luminosité ambiante continue. Voilà un arbre qui se dresse sur une tige rigide ou stipe cylindrique [2], portant une couronne de larges feuilles ‒ les palmes ‒ réunies en bouquet à son sommet. Ses fruits, les dattes, sont groupés en régimes : ce sont des baies, à chair sucrée entourant un « noyau » osseux qui est en fait la graine.

Un arbre qui vit de l’intérieur

Il illustre l’aphorisme du psalmiste : Les justes croissent comme le palmier (…) Plantés dans la maison de Yahvé, ils pousseront dans les parvis de notre Dieu [3]. En effet, certaines de ses nombreuses racines adventives sont groupées en faisceaux pour capter l’eau en profondeur et, à la différence de la plupart des arbres, sa vie, la sève, ne circule pas sous écorce [4]. Il la tire du centre de son tronc, de l’intérieur de lui-même. Là se trouve la source de sa croissance. Aussi est-il un symbole avéré du chrétien authentique qui mène une vie droite et honnête sans se laisser troubler par le milieu ambiant, et cherche le dialogue avec le Seigneur dans l’intimité de son cœur : il sait méditer l’évangile chez lui, même en dehors d’une église ou d’un cadre communautaire. Cette conversion personnelle à Dieu, au-delà des conventions et pratiques extérieures est chaque année l’objectif du Carême.

Entre autres, celui-ci est figuré dans la Bible par cet épisode significatif du début de l’Exode des Hébreux : après avoir traversé la mer des Roseaux à pied sec, ils marchèrent pendant quarante kilomètres dans le désert [5] jusqu’à Mara aux eaux amères : dépités, ils murmurèrent contre la soif et contre Moïse ; sur l’indication de Yahvé, celui-ci jeta dans l’eau une sorte de bois[6], et elle devint douce. Ce parcours fut un temps de purification, de redécouverte de Dieu qui guérit et qui leur demanda d’écouter sa voix, d’observer ses lois afin d’obtenir la liberté et le bien-être qui leur faisaient défaut pendant leur séjour en Égypte. Ils en tinrent compte et parvinrent, au bout de deux fois quarante kilomètres à Élim, oasis aux douze sources et aux soixante-dix palmiers [7].

Les Bédouins disent que le palmier dattier vit « les pieds dans l'eau et la tête au soleil » : lorsqu'on l’aperçoit dans le désert brûlant, on sait qu'il y a là de l'eau et donc, un espoir de vie. Il crée une fraîcheur, un « effet d’oasis » qui permettent la culture d’autres arbres fruitiers ou de céréales.

- de même, le juste a les pieds dans l'eau, symbole de la Parole de Dieu : pour croître en vie spirituelle, il a besoin d'être ancré dans la Parole : Heureux est l’homme… qui se plaît dans la loi de Yahvé, qui la murmure – comme une source murmure – nuit et jour… Il est comme un arbre planté près du cours des eaux, qui donne son fruit en la saison et jamais son feuillage ne sèche [8].

- si l’eau du sol est le bain de pieds du palmier, le feu du ciel est sa couronne. Avec la liturgie, nous chantons : Viens, Esprit de feu, viens nous embraser. Dans quel but ? Pour que le Paraclet nous communique son influx. Celui-ci, néanmoins, ne suffit pas : pour être des chrétiens ardents mais équilibrés et compréhensifs, et non des idéologues de la foi, il est indispensable d’avoir les pieds dans l’eau, c’est à dire d’envisager les rapports humains dans le prolongement de la Parole divine.Méditée, elle sera vivante ; priante, elle deviendra « performative », elle nous habitera de l’intérieur [9] et fera palpiter notre cœur pour qu’il soit au diapason de l’attente du Seigneur : Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair [10]. D’ailleurs, le cœur du palmier est un cœur tendre, excellent comestible. En « poussant » l’analogie, cela ne signifie-t-il pas que celui du juste doit être aimant et compatissant,source de force et de consolation pour ceux qui l’entourent, afin de les guider vers la vie que lui-même a trouvée dans le Christ ?

Un arbre qui partout s’épanouit

Le désert est son lieu d’habitat mais le sont aussi les rivages maritimes. Quand le juste est juste dans son for intérieur, quel que soit l'endroit où la Providence le place, il demeure ferme. C'est même lui qui, par le témoignage de sa vie intègre, amène autrui à s’ouvrir à celle du Christ : pour les chrétiens, « toute région étrangère est une patrie, et toute patrie ici-bas est une région étrangère (…). Ils vivent dans la chair et non selon la chair. Ils habitent la terre et leur conversation est dans le ciel… Ils aiment tous les hommes et tous les hommes les persécutent (…) Pour tout dire, en un mot, les chrétiens sont dans le monde ce que l'âme est dans le corps : l'âme est répandue dans toutes les parties du corps ; les chrétiens sont dans toutes les parties de la Terre ; l'âme habite le corps sans être du corps, les chrétiens sont dans le monde sans être du monde… Les chrétiens n'ont que de l'amour pour ceux qui ne leur montrent que de la haine. L'âme, enfermée dans le corps, le conserve ; les chrétiens enfermés dans ce monde comme dans une prison, empêchent qu'il ne périsse » [11].

À des siècles de distance, des vagues de persécution violente des débuts du christianisme à la sécularisation massive de notre époque, le rôle du « chrétien-palmier », source de vie, lien d’unité et porteur d’espérance dans son milieu social demeure capital : « L’Église sera davantage celle des minorités, elle se perpétuera dans de petits cercles vivants, où des gens convaincus et croyants agiront selon leur foi. C’est précisément ainsi qu’elle redeviendra, comme le dit la Bible, ‘le sel de la terre’ » [12].

Un arbre dont on ne peut se passer

Le palmier était l’un de ceux dont la détérioration représentait en Israël un désastre, au point de tarir la gaieté des humains [13]. Pour leur part, les Arabes prétendent que les divers usages du palmier sont au nombre de 365, autant que de jours de l'année, car on l’utilise à peu près pour tout : son bois sert au chauffage mais aussi à construire des cabanes, confectionner des meubles, des chaises… Avec ses feuilles et leurs nervures, on fait sacs, corbeilles, paniers et nattes, cordes et paillassons, chapeaux, etc. On fabrique avec la sève du dattier une boisson fermentée, le vin de palme, qui peut être désignée dans certains passages bibliques comme « boisson forte » ou « enivrante »[14]. Quant aux dattes, un des meilleurs aliments des pays chauds, elles sont réunies en grappes appelées régimes, et on les mange fraîches ou sèches [15], leurs noyaux servent de nourriture au bétail, de combustible, ou à fabriquer l'encre de Chine. Le palmier n’est-il pas à l’image du serviteur fidèle et dispos de la parabole que son Maître, quelle que soit l’heure où il se présente, trouve éveillé, la ceinture aux reins et les lampes allumées [16]?

Un arbre symbole de victoire

Depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, les palmes sont l'emblème décoratif du triomphe, de l’honneur et de la gloire [17].

En Israël, le palmier était le symbole de la nation : sur les premières monnaies maccabéennes, par exemple, il figurait la Judée victorieuse. Par ailleurs, le nom hébreu de cet arbre ‒ Thamar qui signifie « être érigé » ‒ désignait un grand nombre de lieux [18]. C'était aussi un nom de femme, car le palmier évoquait la grâce et l'élégance [19].

Il représentait également la victoire de Dieu sur le péché, le Diable et le monde. C’est pourquoi la feuille de palmier était un motif d'ornementation dans le temple [20]. Et elle avait sa place dans la liturgie hébraïque : lors de la fête des Tabernacles, pour faire des tentes qui rappelaient celles de l’Exode, les Hébreux portaient des branches de palmier tout en chantant l’Hosanna ‒« Sauve-nous » ‒, appel à Dieu pour qu’il protège la nation [21] ; ils célébraient de même chaque année la victoire de Simon Macchabée et son entrée à Jérusalem (en 142 av. J. -C) avec des acclamations et des palmes, au son des harpes, des cymbales et des cithares, au chant des hymnes et des cantiques[22].

Lors de la célébration de la Pâque, ils avaient coutume d’agiter des rameaux, en signe de joie. C’est ainsi que fut saluée l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem : une foule en liesse, rameaux en main, étendit devant lui des palmes sur le sol en guise de tapis d'honneur [23]. Enthousiasme superficiel car quelques jours plus tard, ces mêmes acteurs, entraînés par les dires et le mauvais exemple des chefs du peuple, se retournèrent contre lui et ses disciples eux-mêmes, à l’heure de l’opprobre de la croix, l’abandonnèrent. C’est pourquoi « le chrétien ne doit pas attendre, pour entamer ou poursuivre sa lutte, de percevoir des signes extérieurs ou d’éprouver des sentiments favorables. La vie intérieure n’est pas affaire de sentiment, mais de grâce divine et de volonté : d’amour, en un mot » [24].

Dans la perspective eschatologique, les feuilles de palmier constituent la bannière des élus : ceux-ci apparaissent dans la gloire, debout devant le trône et l’Agneau, vêtus de robes blanches, des palmes à la main [25]. Et aux catacombes, on reconnaît les restes des martyrs aux palmes gravées sur la pierre de leur sépulture. Elles sont comme un attribut des martyrs chrétiens, la marque de leur triomphe.

Quel que soit notre parcours, il est possible de triompher dans le Seigneur, nourris de sa vie et par la puissance de sa grâce.

Bertrand Cauvin, expert forestier

Abbé Patrick Pégourier


[1] Jn 12, 13.

[2] Le stipe est un simili-tronc ou tronc en colonne, de 15 à 30 mètres de haut. Chacune de ses palmes, est divisée en lamelles pointues et mesure de 4 à 7 m de long. La tige est un empilement de pétioles de feuilles dont la structure est très fibreuse et donne l'apparence d'un tronc. Le palmier-dattier n'a pas de cerne annuel (croissance latérale) dans son tronc comme les autres arbres ; aussi son âge est-il difficile à appréhender.

[3] Ps 92, 12-14.

[4] Il n'a pas d'écorce. C’est l'empilement des feuilles qui protège son cœur, là où réside la vie. Son système racinaire est semblable à celui du poireau.

[5] Le chiffre quarante est à l’origine du terme de « Carême », dont le début, avant que Grégoire le Grand ne le fasse remonter au Mercredi des Cendres, était fixé au quarantième jour avant le Jeudi Saint. C’est dans la Bible un symbole de plénitude qui fait référence aux quarante jours de jeûne de Jésus au désert, mais aussi aux quarante jours et quarante nuits du Déluge, aux quarante jours de marche d’Élie jusqu’à l’Horeb, à la limite supérieure de quarante coups permise par la Loi comme châtiment aux coupables– Dt 25, 3 ‒, aux quarante ans de la marche des Hébreux vers la Terre promise…

[6] Ex 15, 24-25 : c’est une préfiguration de la Croix rédemptrice.

[7] Ex 16, 26-27. Les Pères de l’Église ont vu dans les 12 sources, les 12 tribus d’Israël, les 12 Apôtres ou encore les attitudes du cœur qu’il convient de nourrir pour attirer la bienveillance du Sauveur. Les 70 palmiers figureraient les 70 disciples de Jésus ou les 70 anciens que Yahvé demanda à Moïse d’associer à son gouvernement (cf. Nb 11, 16).

[8] Ps 1, 1-4.

[9] Dans le désert, j’entends ta Parole, c’est pour ma soif que ton eau vive jaillit (Liturgie des heures, hymne de Carême). Cf. aussi l’Exhortation apostolique La Parole du Seigneur 3. 86.

[10] Ez 36, 26.

[11] Lettre à Diognète, 5-6.

[12] J. Ratzinger, Le sel de la terre, Flammarion-Cerf, 2005, chap. III.

[13] Jl 1, 12. Primitivement cultivé en grand dans la vallée tropicale du Jourdain, le palmier en a aujourd'hui à peu près disparu. Jéricho était la ville des palmiers (Dt 34, 3 ; 2 Ch 28,15) ; elle possédait une palmeraie de 20 km de long (d'après Josèphe, Strabon, etc.). Pline dit que les dattes de Jéricho sont les meilleures, grâce au terrain salin ; d'autres auteurs latins et grecs parlent de ce fruit renommé de Jéricho.

[14] Cf. Nb 6, 3 ; Lv 10, 9 ; Jg 13, 14 ; Is 5, 22.

[15] Un arbre bien soigné vit plus d'un siècle et produit en moyenne cinq à six régimes de dattes par an, pesant environ 8 kg chacun.

[16] Lc 12, 35.

[17] Chez nous, dans la littérature classique, Corneille y fait référence dans le Cid et le célèbre dialogue entre Rodrigue et Don Diègue : Les palmes dont je vois ta tête si couverte

Semblent porter écrit le destin de ma perte.

J’attaque en téméraire un bras toujours vainqueur,

Mais j’aurais trop de force, ayant assez de cœur.

À qui venge son père il n’est rien d’impossible :

Ton bras est invaincu, mais non pas invincible.

L’honneur illustré par des palmes subsiste aussi dans les « Palmes académiques », la « Palme d'or » du Festival du cinéma à Cannes…

[18] Cf. Gn 14, 7 ; 2 Ch 20, 2 ; Ez 47, 19 ; 48, 28.

[19] Gn 38, 6 ; 2 S 13, 1 et 14, 27; Ct 7, 8.

[20] 1 R 6, 29. 35 ; Ez 40,16. Le roi Salomon fit faire des pilastres en forme de palmiers.

[21] Lv 23, 40 ; Ne 8, 15.

[22] 1 M 13:51 ;cf. 2 M 10:7.

[23] Jn 12, 13. Béthanie signifie » maison des dattes ».

[24] Saint Josémaria, Quand le Christ passe, 75, 3.

[25] Ap 7, 9.