Le cèdre, emblème de majesté divine

majestueux de grandeur et par l'étendue de ses branches, ses racines plongent dans des eaux abondantes (…) Dans son feuillage nichent tous les oiseaux du ciel, sous ses rameaux les bêtes des champs y font leurs petits, à son ombre s’asseyent toutes sortes de gens... Le cèdre est facilement comparable au royaume des Cieux.

Le cèdre, emblème de majesté divine

Profondément enracinés en terre tandis que leur tête semble chercher le ciel, les arbres ont toujours été considérés comme un trait d’union entre le domaine de la divinité et celui des mortels. Plus de 35 espèces d’entre eux jalonnent les pages de la Bible, mais c’est le cèdre qui exprime le mieux la gloire du Seigneur : Les arbres de l'Éternel se rassasient, les cèdres du Liban, qu'il a plantés. C'est là que les oiseaux font leurs nids... Les justes (...) s'élèvent comme le cèdre du Liban [1].D’ailleurs, Yahvé demande qu’on lui construise une demeure faite de ce bois précieux : par son prophète Nathan, il dit au roi David : Je n’ai jamais habité de maison depuis le jour où j’ai fait monter d’Égypte les Israélites jusqu’aujourd’hui, mais j’étais en camp volant, sous une tente et un abri (…) Pourquoi ne me bâtissez-vous pas une maison de cèdre ? (…) Yahvé te rendra grand, Il te fera une maison (…) C’est lui (ton successeur) qui construira une maison pour mon Nom, et j’affermirai pour toujours son trône royal [2].

Parmi les trois espèces que nous connaissons, le cèdre du Liban est présent de nos jours surtout dans les monts du Taurus en Turquie, et en Syrie ; il s’est acclimaté en Europe depuis le XVIIIe siècle. C’est un résineux d’envergure, de 25 à 50 mètres de haut, doté d’une stature pyramidale aux branches déployées en étages, à la cime tabulaire, et dont les aiguilles persistantes d’un vert sombre sont parsemées de cônes ovoïdes, d'un brun fauve, à larges écailles très serrées [3].

C’est un arbre « divin » : son tronc immense aux larges bras noueux le rend inébranlable, sa vaste ramure est somptueuse, son port « aristocratique », sa vie pérenne : majestueux de grandeur et par l'étendue de ses branches, ses racines plongent dans des eaux abondantes (…) Dans son feuillage nichent tous les oiseaux du ciel, sous ses rameaux les bêtes des champs y font leurs petits, à son ombre s’asseyent toutes sortes de gens(...) Aucun arbre du jardin de Dieu ne lui est comparable en beaut é[4]. Il est à l’image de Dieu qui rassemble tout peuple, race et nation sous son ombre protectrice.

Aujourd’hui, la cédraie qui couvrait autrefois généreusement les versants enneigés du mont Liban est retranchée sur les sommets au-delà de 1900 mètres d’altitude. Parmi ces lieux sauvegardés, la « forêt des cèdres de Dieu », au nord-est du pays, fut un pèlerinage très fréquenté au XIXe siècle. Lamartine s’en inspira pour son « Chœur des cèdres du Liban » : « Sa main divine nous planta . Nous sommes le vert diadème qu’aux sommets d’Éden il jeta ».

Tout pour Dieu : un temple de cèdre et d’or

Imputrescible, presque ignifuge, de grain très fin, le bois de cèdre était recherché par les chantiers navals des Phéniciens pour les mâts de leurs navires, par les Assyriens pour leurs constructions monumentales… En raison de sa résistance aux moisissures et aux insectes xylophages, il était très prisé parles Égyptiens pour la fabrication des sarcophages . Par ailleurs, c’est un bois odoriférant dont la sciure servait à l’embaumement des momies et qui faisait de l’antique forêt du Liban « la montagne des parfums ».

Le jeune Salomon réalisa ce que David son père n’avait pu mener à bien en raison des conflits permanents aux frontières d’Israël [5], et entreprit des travaux d’envergure [6] pour substituer au tabernacle de l’Exode, fait de toile et d’acacia, une demeure plus digne de Dieu dont le cèdre et la pierre de taille constituaient les principales matières premières. Dans cette optique, il passa un accord avec le roi de Tyr, Hiram : bois précieux contre denrées alimentaires (huile d’olive, froment). Le résultat suscitait l’admiration : de l’immense plafond à caissons jusqu’aux murs, du sol aux poutres, il y avait du cèdre à l’intérieur du Temple, sculpté d’un décor de coloquintes et de rosaces. Tout était en cèdre, aucune pierre ne paraissait (…) Il le revêtit d’or, absolument tout le Temple [7].Le roi de Tyr livra également :

-du bois de genévrier, aromatique lui aussi, dont les planches servirent notamment à couvrir le sol du Temple [8] ;

- du bois d’algummim, essence rare dont l’identité demeure douteuse[9] et qui aurait servi de supports pour le Temple et à confectionner lyres et harpes pour les musiciens.

« La roche Tarpéïenne est proche du Capitole » [10]

Dans la Bible, le cèdre symbolise la grandeur indépassable de Dieu et, par contraste, la fatuité des grands de ce monde qui prétendent se mesurer à lui et qui, tôt ou tard, seront rabaissés : La voix de l’Éternel brise les cèdres du Liban [11] : par cèdres, l’hagiographe désigne l’orgueil qui s’élève dans les hauteurs, à l’instar de la cime suréminente de cet arbre ; et qui se dresse sur les ergots de la superbe : J’ai vu l’impie forcené s’élever comme un cèdre du Liban ; je suis passé, voici qu’il n’était plus (…) Tu t’enquiers de sa place, il n’est plus ; mais les humbles posséderont la terre, réjouis d’une grande paix. Ce psaume a inspiré Jean Racine dans la composition du final d’Esther, après la disgrâce et l’exécution d’Aman : « J'ai vu l'impie adoré sur la terre. Pareil au cèdre, il cachait dans les cieux son front audacieux. Il semblait à son gré gouverner le tonnerre, foulait aux pieds ses ennemis vaincus. Je n'ai fait que passer, il n'était déjà plus »[12]

Un bois de senteur qui répand la « bonne odeur » du Dieu vivant

La fragrance balsamique et la renommée d'incorruptibilité du bois de cèdre ajoutent à son riche symbolisme l'idée d’intégrité et de parfum agréable à Dieu : « Le Cèdre ne pourrit pas ; faire du cèdre les poutres de nos demeures, c’est préserver l’âme de la corruption”[13]. Voilà qui nous encourage à repousser avec énergie le bouillonnement de l’amour propre et les remugles de l’orgueil, et à demander au Seigneur « un présent : l’Amour…, un amour qui me purifie ‒ et un autre cadeau encore : que je me connaisse, afin de me remplir d’humilité » [14]. Car Dieu résiste aux orgueilleux mais c’est aux humbles qu’il donne sa grâce. … Approchez-vous de Dieu et il s’approchera de vous… Sanctifiez vos cœurs, gens à l’âme partagée… Humiliez-vous devant le Seigneur et il vous élèvera [15] : Tous les arbres des champs sauront que moi, l’Éternel, j’ai abaissé l’arbre qui s’élevait et élevé l’arbre qui était abaissé [16]. Pour grandir, le chemin de l’humilité a toujours été le meilleur car il permet de se laisser épauler par Dieu pour bien « pousser ». Quel Dieu ‒ en effet ‒ est grand comme Dieu ? Il n’est pas de Saint pareil au Seigneur, pas de Rocher pareil à notre Dieu ! Assez de paroles hautaines ! Que l’arrogance ne sorte pas de votre bouche. C’est à lui de peser les actions. L’arc des puissants est brisé (…) Il garde les pas de ses fidèles [17]. Ézéchiel se fait l’écho de cette sainte « dynamique de vie » en représentant en parabole « le cèdre eschatologique », figure du Royaume des cieux que le Messie proclamera et réservera aux humbles de cœur : Je le planterai sur une haute montagne d’Israël ; il produira des branches et portera du fruit, il deviendra un cèdre magnifique. Les oiseaux de toute espèce reposeront sous lui, tout ce qui a des ailes reposera sous l’ombre de ses rameaux [18].

À la différence d’Ève qui voulut s’égaler à Dieu,Marie s’avoua simplement servante du Seigneur et devint Mère du Verbe divin. En ce mois de mai qui lui est dédié, méditons son exemple pour chercher à l’imiter totalement et, ainsi, ressembler davantage au Christ [19].

Bertrand Cauvin, expert forestier

Abbé Patrick Pégourier


[1]Ps 104, 16-17 et 92, 12.

[2]2 S 7, 6. 7. 11. 13. La prophétie est construite sur une opposition : ce n’est pas David qui fera une maison (un temple) à Yahvé (ce sera son fils Salomon). Mais c’est Yahvé – qui, jamais, ne se laisse battre en générosité ‒ qui fera une maison (une dynastie) à David. L’oracle dépasse donc la personne du premier successeur de David.

[3]Les autres espèces du genre Cedrus sont : le cèdre de l’Atlas (Cedrus atlantica), très fréquent au Maroc, et en France sur les pentes du mont Ventoux ; de l’Himalaya (Cedrus deodora) présent dans toute sa chaîne et au Tibet.

[4]Ez 31, 5-6. 9. Le bois de cèdre est jaune ocre, veiné de rouge, particulièrement beau. L’étymologie hébraïque de « cèdre », ‘érèz signifie « il se fait fort, il devient fort » : fermeté, croissance vigoureuse, droiture, noblesse, stabilité, longévité…, des caractéristiques qui, au plan naturel et contingent, sont comme le pendant d’attributs divins : puissance, dynamisme, immuabilité, permanence, éternité...

[5]1 R 6, 17.

[6]Ils durèrent sept ans :1 R 6, 38.

[7]1 R 6, 18. 22.

[8]1 R 5, 22. 24 et 6, 15.

[9]1 R 10, 12 ; 2 Chr 2, 7 et 9, 10. Il s’agirait encore d’un bois d’agréable odeur : santal ou thuya ?

[10]Dicton en cours dans la Rome antique où un homme, couvert d’honneurs au Capitole pour ses hauts faits (un général victorieux), pouvait par la suite tomber en déchéance et être précipité du haut de la Roche toute proche.

[11]Ps 29, 5. Cf. aussi Am2, 9 ; Is2, 13; Za 11, 2, 2.

[12]Ps 37, 35-36. 10-11. Esther, Acte III, scène dernière.

[13]Origène, commentaire de Ct 1, 17 : Les poutres de notre maison sont de cèdre.

[14]Saint Josémaria, Forge 185.

[15]Jc 4, 6.8. 10.

[16]Ez 17, 24.

[17] « Cantique d’Anne » 1 S 2.3.4.9.

[18]Ez 17, 23 et Mt 13, 32.

[19]Cf. saint Josémaria, Amis de Dieu 109.