À Jérusalem on ne parle que de cela, ne serait-ce qu’en chuchotant, à voix basse, pour ne pas éveiller les soupçons des autorités religieuses. Mais c'est un fait indéniable et tout le monde l'a vu : le paralytique de naissance qui depuis des années demandait l'aumône à la porte du Temple appelée la Belle Porte, est entré sur ses propres jambes, sautant et bondissant, glorifiant Dieu, accompagné par deux pêcheurs de Galilée, disciples du Nazaréen (cf. Ac 3,1-10). Ces disciples, Pierre et Jean, ont été arrêtés par le chef des gardes du Temple et les Sadducéens après la guérison miraculeuse. On rapporte qu'après un procès sommaire et l'interdiction de parler ou d'enseigner au nom de Jésus, ils ont été relâchés (cf. Ac 4, 1-21).
Selon les Actes des Apôtres, dès que Pierre et Jean furent libérés de prison, ils rencontrèrent les frères et leur racontèrent tout ce qui s'était passé. « Après avoir écouté, tous, d’un même cœur, élevèrent leur voix vers Dieu en disant : « Maître, toi, tu as fait le ciel et la terre et la mer et tout ce qu’ils renferment. Par l’Esprit Saint, tu as mis dans la bouche de notre père David, ton serviteur, les paroles que voici : Pourquoi ce tumulte des nations, ce vain murmure des peuples ? Les rois de la terre se sont dressés, les chefs se sont ligués entre eux contre le Seigneur et contre son Christ. Et c’est vrai : dans cette ville, Hérode et Ponce Pilate, avec les nations et le peuple d’Israël, se sont ligués contre Jésus, ton Saint, ton Serviteur, le Christ à qui tu as donné l’onction ; ils ont fait tout ce que tu avais décidé d’avance dans ta puissance et selon ton dessein. Et maintenant, Seigneur, sois attentif à leurs menaces : donne à ceux qui te servent de dire ta parole avec une totale assurance. Étends donc ta main pour que se produisent guérisons, signes et prodiges, par le nom de Jésus, ton Saint, ton Serviteur. » (Ac 4, 24-30).
Les premiers chrétiens ne se contentent pas de prier ensemble sans se lasser, mais ils confessent Dieu comme Créateur. Ils ne voient pas l'Écriture s’accomplir seulement dans la vie du Christ, mais aussi dans la vie de la communauté primitive sous le feu des menaces que Jésus avait prévues. Loin de se décourager, ils ont confiance dans le fait que Dieu fait jaillir le bien de telles situations.
L'Église naissante grandit grâce à la prédication apostolique et, dès le début, elle a une portée universelle. Mais parallèlement aux baptêmes et aux conversions, des difficultés surgissent. « Face aux persécutions subies à cause de Jésus, non seulement la communauté n'a pas paniqué et ne s'est pas divisée, mais elle est restée profondément unie dans la prière, comme une seule personne, en invoquant le Seigneur »[1]. La communauté chrétienne primitive ne craint pas les menaces extérieures, car elle sait comment son Maître a fini et comment la Croix a été suivie de la Résurrection. Elle demande seulement de pouvoir annoncer la parole de Dieu en toute liberté : « Elle prie pour ne pas perdre le courage de la foi, le courage d'annoncer la foi »[2].
Le fondement de tout
Dans la prière de ces disciples se trouve le Psaume 2 qui, dans la tradition hébraïque, est lu avec le Psaume 1 et constitue avec lui une préface aux 148 autres psaumes, C'est l'un des psaumes dits royaux ou messianiques, comme le Psaume 45, le Psaume 89 et le Psaume 110. Parmi eux, le Psaume 2 se caractérise par le fait que, conformément à la promesse du Seigneur à David – "Je serai pour lui un père ; lui sera pour moi un fils" (2 S 7,14) – il proclame ce privilège unique de la dynastie davidique : au moment où il reçoit l'onction à Jérusalem, le nouveau roi est adopté par Dieu comme son fils. Cette filiation du roi se réalise pleinement en Jésus, Roi d'Israël, Fils de David et Fils unique de Dieu. C'est pourquoi il est cité jusqu’à sept fois dans le Nouveau Testament (cf. Lc 3,22 ; Ac 4,25-26 ; 13,33 ; He 1,5 ; 5,5 ; Ap 2,27 ; 19,15). Ce texte, qui a réconforté les chrétiens de la première heure, continue d'accompagner l'Église. C'est une prière qui inspire la confiance dans la puissance de Dieu et qui fait résonner à nos oreilles une déclaration encourageante : « Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré » (Psaume 2, v. 7).
La considération de la filiation divine – cette adoption filiale dont le Christ a fait participer chaque baptisé par la grâce – est le fondement de toute la spiritualité de l'Opus Dei[3] . C'est ce que Dieu a fait comprendre à saint Josémaria le 16 octobre 1931[4] alors qu'il se trouvait dans la rue, allant d'un endroit à l'autre de la ville en tramway, et qu'il effectuait une action aussi banale que la lecture d'un journal : « Ma prière la plus élevée, je l’ai faite (...) en montant dans un tramway et en déambulant ensuite dans les rues de Madrid, en contemplant cette merveilleuse réalité : Dieu est mon Père. Je sais que, sans pouvoir m'en empêcher, je répétais sans arrêt : Abba, Pater ! Je suppose qu'on a dû me prendre pour un fou »[5]. Et dans une méditation de 1954, il commente : « C'est peut-être la prière la plus élevée que Dieu m'ait accordée. Et ce fut l'origine de la filiation divine que nous vivons dans l'Opus Dei »[6].
Des années plus tard, ouvrant son cœur en présence de Dieu, il se remémorait cette scène, montrant que le souvenir en était resté très vif : « Quand le Seigneur me donnait ces coups, en 1931, je ne comprenais pas. Et soudain, au milieu de cette grande amertume, ces mots : Tu es mon fils, tu es le Christ. Et je ne pouvais que répéter : Abba, Pater ! Abba, Pater ! Abba ! Abba ! Abba ! »[7].
Peu après ce 16 octobre 1931, pour encourager cet esprit filial, notre Père disposa que ses enfants spirituels récitent le Psaumes 2 tous les mardis et qu'ils fassent en sorte de prendre le temps de méditer ce texte dans leur prière du mardi après-midi. Dans un premier temps, il envisagea même d'en faire un hymne de l'Œuvre, et diverses démarches furent entreprises pour en mettre les paroles en musique, mais il abandonna finalement cette idée[8]. Une explication de cette coutume se trouve dans la lettre circulaire qu'il adressa aux membres de l'Œuvre à la fin de la guerre civile espagnole, le 24 mars 1939 : « Tous les mardis, chacun invoquera son Saint Ange Gardien en lui demandant de l'accompagner dans sa prière, puis on embrassera le chapelet, comme preuve d'Amour pour Notre Dame et pour signifier que la prière est notre arme la plus efficace. On récitera ensuite le psaume 2 en latin. Je vous conseille, à l'aide de la traduction espagnole, d'utiliser ce texte pour votre méditation du mardi après-midi. Et vous verrez bien, après avoir prié, pourquoi c'est le cri que nous faisons résonner sur la terre et monter au ciel avant de commencer nos grandes batailles et toujours »[9].
Pas de place pour le découragement
Comme tout ce qui porte l'empreinte du divin, l'Œuvre a fait ses premiers pas dans des circonstances défavorables. La naissance de l'Opus Dei coïncide avec des moments difficiles de l'histoire de l'humanité : en 1928, dix ans après la fin de la Première Guerre mondiale, l'Occident connaît une grave crise économique et les totalitarismes européens naissants annoncent un scénario inquiétant qui débouchera sur une guerre mondiale aux conséquences encore plus catastrophiques. La situation en Espagne n'était pas meilleure : le régime politique était instable et la situation économique et sociale était précaire pour la majorité de la population.
Dans la méditation qu'il a prêchée le 14 février 2023 à Rome, le Père s'est penché sur ces faits et, considérant les circonstances concrètes de chacun d'entre nous, il nous encourageait : « La situation actuelle aussi est difficile. Il y aura toujours des difficultés dans le travail apostolique ou personnel, mais nous ne devons pas être effrayés, encore moins découragés ou accablés, ni par les difficultés dans l'Œuvre, ni par celles que chacun de nous rencontre dans sa vie personnelle, dans le travail apostolique ou dans son travail »[10].
« Le chemin du chrétien, comme celui de tout homme, n’est pas facile » écrivait saint Josémaria. Et il ajoutait : « il est vrai qu’à certains moments tout semble se dérouler selon nos prévisions ; mais d’ordinaire, cela ne dure pas. Vivre c’est affronter des difficultés, ressentir joies et peines dans son cœur ; et dans cette forge, l’homme peut acquérir force, patience, magnanimité, sérénité. »[11].
Le monde en héritage
« Dans la prière du Psautier, le monde est toujours présent »[12]. Toute l'histoire de l'humanité et chaque parcours biographique, avec ses hauts et ses bas, trouvent leur battement de cœur dans ce livre sapiential. Les Psaumes « ouvrent l'horizon au regard de Dieu sur l'histoire »[13]. Chaque mardi, en récitant ce texte biblique, nous pouvons considérer ce qui est dit au verset 8 : « Demande, et je te donne en héritage les nations, pour domaine la terre tout entière ». Nous avons le monde en héritage. C'est pourquoi rien de ce qui s'y passe ne peut être étranger à notre cœur : « Un homme ou une société qui demeurent passifs devant les tribulations ou les injustices, qui ne s’efforcent pas de les soulager, n’est pas à la mesure de l’amour du Cœur du Christ »[14].
Le Père nous invite souvent à nous sentir proches de tout ce qui arrive, surtout lorsque nous entendons parler d'événements douloureux comme les guerres, les épidémies ou les catastrophes : « Tout nous touche, tout nous touche. Et cela ne nous pousse pas au découragement, mais à la prière, à intensifier notre union avec le Seigneur, à intensifier notre désir des âmes, à réparer, à prier … Et toujours, avec joie, sans perdre l’espérance, sachant que nous aurons toujours la grande arme de la prière. La grande arme du travail transformé en prière. La grande arme du Deus nobiscum, parce que Dieu est toujours avec nous »[15].
Nous en trouvons un exemple dans la vie de saint Josémaria. Ceux qui ont vécu avec lui se souviennent que, lorsqu'il lisait les nouvelles ou recevait des informations sur une catastrophe naturelle, il était ému et priait Dieu pour les personnes touchées. Il savait aussi se réjouir et s'émouvoir des progrès humains et techniques de son époque. Car ce ne sont pas seulement les malheurs que nous faisons nôtres, mais aussi toutes les bonnes choses du monde.
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La prière des premiers disciples est un modèle pour faire face aux revers ou aux incompréhensions. « Nous aussi, nous encourageait Benoît XVI, nous devons savoir intégrer dans notre prière les événements de notre vie quotidienne, pour en rechercher le sens profond. Et comme la première communauté chrétienne, nous aussi, en nous laissant éclairer par la Parole de Dieu, par la méditation de la Sainte Écriture, nous pouvons apprendre à voir que Dieu est présent dans notre vie, présent aussi et précisément dans les moments difficiles, et que tout – même les choses incompréhensibles – fait partie d'un plan d'amour supérieur dans lequel la victoire finale sur le mal, sur le péché et sur la mort est vraiment celle du bien, de la grâce, de la vie, de Dieu »[16].
Face à ceux qui veulent étouffer l'annonce du Christ ou face à nos propres limites, la réponse est la confiance en Dieu qui nous remplit d'espérance et nous fait regarder le monde avec un profond optimisme, sachant qu'Il est toujours à nos côtés : « Moi-même, j'ai sacré mon Roi sur Sion, ma sainte montagne » (Ps 2, 6). C'est pourquoi cette prière se termine par un appel à la béatitude, au bonheur : « Heureux qui trouve en lui son refuge ! », auquel fait écho ce point de Chemin : « Aie toujours confiance en ton Dieu. Il ne perd pas de batailles »[17].
[1]. Benoît XVI, Audience, 18 avril 2012.
[2]. Ibid.
[3]. Cfr. Quand le Christ passe, (Es Cristo que pasa édition critico-historique préparée par Antonio Aranda, Rialp, 2013, n. 64b, p. 411).
[4]. Cf. Apuntes íntimos, (notes intimes) 16-X-1931, no 334.
[5]. De Notre Père, Instruction, V-1935/14-IX-1950, no 22, note 28.
[6]. De notre Père, Méditation, 15-IV-1954.
[7]. De notre Père, Méditation, 28-IV-1963 (cité dans F. Ocáriz, Nature, grâce et gloire, p. 180).
[8]. J. L. González Gullón, DYA. La academia y residencia en la historia del Opus Dei (1933-1939), Rialp, 2016, note n. 409.
[9]. De notre Père, Lettre, 24 mars 1939.
[10]. Du Père, Méditation, 14-II-2023.
[11]. Amis de Dieu, no 77.
[12]. François, Audience, 21-X-2020.
[13]. Ibid.
[14]. Quand le Christ passe, no 167.
[15]. Du Père, Méditation, 14-II-2023.
[16]. Benoît XVI, Audience, 18 avril 2012.
[17]. Chemin, no 733.