Dans le mode d'emploi d'un appareil pour écouter de la musique, nous avons peut-être trouvé les mots « hi-fi ». La « high fidelity », haute-fidélité, est une garantie que le son reproduit est très proche de l’original. L’objectif, tant pour le musicien que pour l’auditeur, est d’assurer le meilleur contact avec le son initial, le premier enregistrement, sans l’altérer. C’est la fidélité comprise comme exactitude, comme capacité de garder quelque chose intact.
dans le langage biblique, la fidélité est étroitement liée à la miséricorde paternelle de Dieu
Cependant, dans la culture de l’ancien Moyen-Orient, où la révélation de Dieu au peuple d’Israël a eu lieu, la compréhension de la fidélité est quelque peu différente de cet usage. La fidélité n’est pas associée à la précision, mais l’accent est mis sur d’autres aspects tels que la solidité, la stabilité ou la permanence dans le temps ; la fiabilité, la loyauté et la véracité. En outre, dans le langage biblique, la fidélité est aussi étroitement liée à la miséricorde paternelle de Dieu, un domaine où il est peu judicieux de parler d’exactitude.
Pas comme les autres dieux
Si nous cherchons dans la Sainte Écriture une définition complète de la fidélité, nous n’en trouverons pas. En revanche, si nous ouvrons les livres sacrés pour savoir qui est fidèle, tant l’Ancien que le Nouveau Testament nous donnent une réponse claire : Dieu est fidèle (cf. Dt 32,4 ; 1 Co 1,9 ; 1 Th 5,24, parmi d’autres). Que signifie le fait que Dieu soit fidèle ? Pourquoi la fidélité est-elle une caractéristique du Seigneur si souvent affirmée ?
D’une part, le Dieu d’Israël est fidèle par opposition aux dieux des peuples voisins. « Dieu est le fondement de l’espérance ; mais pas n’importe quel dieu » [1]. Les mythes païens nous montrent des dieux qui se comportent de manière inconstante et capricieuse ; parfois ils sont bons, parfois ils sont mauvais, on ne sait jamais comment ils vont réagir. Il est donc déraisonnable de leur faire confiance. En Égypte et en Mésopotamie, par exemple, les dieux étaient souvent représentés sous la forme de taureaux, de lions, d’aigles, de dragons ou d’autres animaux. Par conséquent, le culte rendu à ces divinités était imprégné d’attitudes qui ressemblent à ce que nous ferions face à une bête menaçante : satisfaire sa faim, apaiser sa colère, ou simplement ne pas interrompre son repos.
Le fait que le Seigneur soit fidèle, contrairement aux faux dieux, signifie qu’il n’est pas capricieux et inconstant
Ce n’est pas le cas en Israël. La loi mosaïque, en effet, interdit de représenter le Seigneur par des figures de quelque nature que ce soit (cf. Ex 20,4 ; Lv 19,4). Le Dieu d’Israël accepte les sacrifices et les offrandes, mais il ne le fait pas parce qu’il en a besoin ou parce que son humeur en dépend (cf. Ps 50, 7-15 ; Dn 14, 1-27). Le fait que le Seigneur soit fidèle, contrairement aux faux dieux, signifie qu’il n’est pas capricieux et inconstant, que nous pouvons en quelque sorte prévoir comment il va agir. En même temps, cette fidélité n’implique pas que le Seigneur suive un modèle de comportement uniforme ou que sa façon d’intervenir dans l’histoire soit répétitive. Dieu est libre, transcendant et souverain, « il est tout le mouvement, toute la beauté et toute la grandeur » [2], donc sa fidélité à l’alliance n’exclut pas la nouveauté (cf. Is 43, 16-19).
Dieu peut toujours, avec sa nouveauté, renouveler notre vie et notre communauté
Elle peut nous surprendre ou nous déconcerter. Dieu dit par la bouche du prophète Isaïe : « Car vos pensées ne sont pas mes pensées, et mes voies ne sont pas vos voies , oracle de Yahvé. Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sont élevées mes voies au-dessus de vos voies. » (Is 55, 8-9). Dieu sauve toujours son peuple, mais pas toujours de la même manière. C’est pourquoi « il peut toujours, avec sa nouveauté, renouveler notre vie et notre communauté et, même si la proposition chrétienne traverse des périodes d’obscurité et de faiblesse ecclésiales, elle ne vieillit jamais » [3].
En plus de cette différence, une déviation fréquente dans la relation de l’homme avec Dieu est celle de vouloir le contrôler ou l’utiliser à notre guise. C’est pourquoi la divination et les pratiques similaires étaient sévèrement interdites en Israël (cf. Lv 19, 26 et 31). Que Dieu soit fidèle à sa parole ne signifie pas que sa façon de se comporter soit toujours identique, et donc prévisible et contrôlable par les hommes. Nous pouvons être sûrs qu’il ne cessera jamais de nous aimer, même si nous ne savons souvent pas comment. Sa logique dépasse toujours la nôtre. Parfois, il peut nous donner plus que ce qu’il a promis, ou il peut accomplir une prophétie d’une manière inhabituelle. La « fidélité n’a rien de stérile ou de statique ; elle est créative » [4].
Un Dieu « riche en miséricorde et fidélité »
« Alors que tout passe et change, la Parole du Seigneur ne passe pas. Si les évènements de la vie nous font sentir perdus (...) nous avons une ancre pour ne pas aller à la dérive » (Benoît XVI)
La Bible affirme que le Seigneur est fidèle par opposition aux faux dieux des peuples voisins ; mais, en réalité, le texte sacré l’affirme surtout par opposition à l’être humain : « Pourtant, celui qui est la Splendeur d’Israël ne se dément pas ni ne se repent : n’étant pas un homme, il n’a pas à se repentir » (1 S 15, 29). Contrairement à notre expérience humaine, le Seigneur dit toujours la vérité, il ne revient pas sur ses promesses : « Dieu n’est pas homme pour mentir, un fils d’Adam pour se rétracter. Va-t-il dire et ne pas agir, prononcer une parole et ne pas l’exécuter ? » (Nb 23, 19). Seul Dieu est absolument solide et digne de confiance, en qui on peut construire avec la certitude de ne pas être déçu. C’est pourquoi Benoît XVI peut dire : « Alors que tout passe et change, la Parole du Seigneur ne passe pas. Si les évènements de la vie nous font sentir perdus et que toute certitude semble s’écrouler, nous avons une boussole pour nous orienter, nous avons une ancre pour ne pas aller à la dérive » [5].
Le livre de l’Exode nous raconte qu’après le péché du veau d’or, Dieu a renouvelé l’alliance avec son peuple sur le mont Sinaï. Puis, avant de donner à Moïse les tables de la Loi pour la deuxième fois, Dieu passe devant lui en disant : « Le Seigneur, le Seigneur, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité » (Ex 34, 6). Ces paroles sont souvent considérées comme une seconde révélation du nom de Dieu, après celle qui avait eu lieu quelque temps auparavant, également avec Moïse. Cette description de Dieu est répétée, avec de légères variations, dans sept autres passages de divers livres de l’Ancien Testament[6]. C’est pourquoi saint Josémaria dit : « Si vous parcourez l’Écriture Sainte vous y découvrirez la présence constante de la miséricorde de Dieu […] Quel sentiment de sécurité doit produire en nous la compassion du Seigneur ! » [7]
Cependant, Israël sait que son Seigneur est compatissant et fidèle non seulement parce qu’il l’a dit à Moïse au Sinaï, mais surtout parce que le peuple l’a constaté dans sa propre histoire, en sa propre chair. Dieu a manifesté cette caractéristique de sa fidélité non pas simplement en la déclarant, mais en la montrant dans ses œuvres. La fidélité de Dieu est une expérience de salut qu’Israël a vécue à travers le temps. « Seigneur, tu es mon Dieu, je t’exalte, je rends grâce à ton nom, car tu as accompli projets et merveilles, sûrs et stables depuis longtemps » (Is 25, 1). Les œuvres de Dieu montrent sa fidélité ; Israël témoigne, à maintes reprises, que sa miséricorde ne disparaît pas face à l’infidélité des hommes. « Oui, le Seigneur est bon, éternel est son amour, sa fidélité demeure d’âge en âge » (Ps 99, 5), chante le psalmiste. Et dans un autre passage : « Je le dis : C’est un amour bâti pour toujours ; ta fidélité est plus stable que les cieux » (Ps 88, 2).
Dieu est non seulement le Puissant, mais aussi le Miséricordieux
La Vierge Marie, dans le Magnificat, exprime cette manière d’être de Dieu, si claire pour quiconque s’approche de l’histoire sainte. La mère de Jésus loue Dieu d’avoir remarqué son humilité, d’avoir fait de grandes choses en elle, « il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais » (Lc 1, 54-55). Saint Jean-Paul II a dit que « dans le Magnificat, cantique véritablement théologique parce qu’il révèle l’expérience que Marie fait du visage de Dieu, Dieu est non seulement le Puissant, pour qui rien n’est impossible, comme l’avait déclaré Gabriel (cf. Lc 1, 37), mais aussi le Miséricordieux, capable de tendresse et de fidélité envers tout être humain » [8].
Jésus est l’accomplissement des promesses
« Une femme peut-elle oublier son nourrisson (...) ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas » (Is 49, 14-16).
La fidélité est un attribut déterminant de Dieu dans sa relation avec l’humanité, en particulier avec son peuple en vertu de l’alliance. Et pour décrire la force de cette alliance, les prophètes ont recours à un certain nombre d’images. L’une d’entre elles est celle du mariage, que nous trouvons développée surtout dans les livres d’Osée, de Jérémie et d’Ézéchiel. Cette image met en évidence la miséricorde du Seigneur, qui est prêt à pardonner et à rétablir l’alliance malgré les infidélités répétées d’Israël. Une autre image est celle de la paternité et de la maternité. Le livre d’Isaïe l’utilise à plusieurs reprises, de manière poignante, pour souligner que Dieu n’abandonnera jamais son peuple : « Jérusalem disait : “Le Seigneur m’a abandonnée, mon Seigneur m’a oubliée”. Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas » (Is 49, 14-16).
Jésus reprend tout cet héritage de fidélité et de miséricorde, incarné dans l’Ancien Testament, pour révéler la continuation en sa personne de cette œuvre divine. Ainsi, face à la foule, le Seigneur fait écho dans sa plainte à l’oracle d’Isaïe dans lequel il nous rappelle que Dieu ne nous oublie jamais : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous n’avez pas voulu ! » (Mt 23, 37). Jésus-Christ est peiné par la rébellion des hommes, par la dureté de leur cœur, face à l’insistance, la fidélité, de l’amour de Dieu.
S’inspirant également d’un passage du prophète Isaïe, qui affirme qu’Israël est la vigne du Seigneur (cf. Is 5, 7), Jésus résume l’histoire de la fidélité de Dieu face à l’infidélité des hommes en racontant la parabole des vignerons homicides (cf. Mc 12, 1-12). Là, après des refus successifs de prendre les fruits qui lui sont dus par l’intermédiaire de différents serviteurs, le propriétaire de la vigne décide d’envoyer son fils en dernier recours. Mais les vignerons le tuent. De même, la venue de Jésus, le Fils unique de Dieu, et sa mort sur la croix, sont la pleine manifestation de la fidélité et de la miséricorde du Dieu d’Israël ; après l’avoir envoyé mourir pour nous, Dieu ne peut rien faire de plus grand (cf. He 1, 1-2).
Jésus est l’accomplissement fidèle de tout ce que Dieu a promis
Les apôtres, au cours de leur prédication, étaient conscients de la relation entre le mystère pascal du Christ — sa passion, sa mort et sa résurrection — et la fidélité de Dieu à ses anciennes promesses. Le livre de l’Apocalypse nous dit que Jésus est « l’Amen, le témoin fidèle et vrai » (Ap 3, 14). Dans la deuxième lettre de saint Paul aux Corinthiens, nous trouvons la déclaration la plus explicite à cet égard : « En fait, Dieu en est garant, la parole que nous vous adressons n’est pas “oui et non”. Car le Fils de Dieu, le Christ Jésus, que nous avons annoncé parmi vous, Silvain et Timothée, avec moi, n’a pas été “oui et non” ; il n’a été que “oui” » (2 Co 1, 18-20). Et cette conviction est passée dans la foi de l’Église, qui a constamment proclamé que Jésus est l’accomplissement fidèle de tout ce que Dieu a promis (cf. 1 Co 15, 3-4).
Si nous ne sommes pas fidèles, lui est toujours fidèle
À propos de ceux qui n’ont pas cru au Christ pendant son séjour sur terre, saint Paul s’exprime ainsi, en mettant l’accent sur la grandeur du Seigneur : « Si certains ont refusé de croire, leur manque de foi va-t-il donc empêcher Dieu d’être digne de foi ? Loin de là ! » (Rm 3, 3-4) En Dieu, nous pouvons mettre toute notre confiance. « Aux uns, les chars ; aux autres, les chevaux ; à nous, d'invoquer le nom de Yahvé notre Dieu » (Ps 19, 8), dit le psalmiste, exprimant sa confiance dans le Seigneur plutôt que dans les stratégies humaines de combat. « Qui est Dieu, hormis le Seigneur ? le Rocher, sinon notre Dieu ? » (2 S 22, 32), dit l’Écriture Sainte dans ce qu’on appelle l’Hymne de David. Seul Dieu peut être considéré comme le rocher sur lequel on peut s’appuyer sans crainte et rechercher la protection. L’application du terme « Rocher » à Dieu est si fréquente dans l’Ancien Testament [9] que parfois on dit simplement « le Rocher » et on comprend que l’on parle de lui.
En insistant sur la fidélité de Dieu et en l’opposant souvent à l’inconstance humaine, l’Écriture Sainte ne semble pas laisser beaucoup de place à la fidélité humaine. Mais plutôt qu’une vision pessimiste de la force humaine, c’est une affirmation réaliste et profonde de notre faiblesse face à sa puissance. Il est ainsi plus facile de comprendre ce dur oracle transmis par Jérémie : « Maudit soit l’homme qui met sa foi dans un mortel, qui s’appuie sur un être de chair, tandis que son cœur se détourne du Seigneur. Il sera comme un buisson sur une terre désolée, il ne verra pas venir le bonheur. Il aura pour demeure les lieux arides du désert, une terre salée, inhabitable. Béni soit l’homme qui met sa foi dans le Seigneur, dont le Seigneur est la confiance. Il sera comme un arbre, planté près des eaux, qui pousse, vers le courant, ses racines. Il ne craint pas quand vient la chaleur : son feuillage reste vert. L’année de la sécheresse, il est sans inquiétude : il ne manque pas de porter du fruit » (Jr 17, 5-8).
La réponse humaine à la fidélité du Seigneur n’est pas une conduite irréprochable, sans faille, mais la foi
Ce qu’il est important de comprendre, c’est que les êtres humains ne peuvent pas être fidèles dans le même sens que Dieu l’est. La réponse humaine à la fidélité du Seigneur n’est pas une conduite irréprochable, sans faille, mais la foi (cf. Gn 15, 6 ; He 11, 1). En effet, en hébreu, le même verbe est utilisé pour dire que Dieu est fidèle et pour dire qu’un homme croit en lui. Le Nouveau Testament appelle « fidèles » ceux qui croient en Jésus-Christ et le suivent (cf. Ac 10, 45). Ce que le Seigneur attend de nous, ce n’est pas que nous soyons fermes et solides comme lui, ce qui serait impossible, mais que nous mettions toute notre confiance en lui, comme l’a fait Marie et comme l’ont fait les saints, « car il est fidèle, celui qui a promis » (He 10,23). Et, surtout, le Seigneur veut que nous reconnaissions nos offenses et que nous en demandions pardon. « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous égarons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous », dit la première lettre de Jean. « Si nous reconnaissons nos péchés, lui qui est fidèle et juste va jusqu’à pardonner nos péchés et nous purifier de toute injustice » (1 Jn 1, 8-9). Même si nous sommes pécheurs, le Seigneur ne nous laisse jamais seuls. « Si nous manquons de foi, lui reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même » (2 Tm 2, 13).
Notre fidélité n’est qu’une réponse à la fidélité de Dieu.
« Notre fidélité n’est qu’une réponse à la fidélité de Dieu. Dieu qui est fidèle à sa parole, qui est fidèle à sa promesse » [10]. Dans la même veine, le prélat de l’Opus Dei a commenté : « La foi en la fidélité divine donne de la force à notre espérance, même si notre faiblesse personnelle nous conduit parfois à ne pas être totalement fidèles, dans les petites choses et peut-être, en certaines occasions, dans les grandes. La fidélité consiste donc à suivre, avec la grâce de Dieu, le chemin du fils prodigue » [11]. L’important est de toujours revenir à celui qui tient la promesse, de revenir dans la foi au Rocher qui nous attend toujours.
[1]. Benoît XVI, Enc. Spe Salvi, n° 31.
[2]. Saint Josémaria, Amis de Dieu, n° 190.
[3]. Pape François, Exhort. ap. Evangelii gaudium, n° 11.
[4]. Benoît XVI, Homélie, 12 septembre 2009
[5]. Benoît XVI, Angelus, 12 décembre 2010.
[6]. Cf. Nb14, 17-18 ; Dt 7, 9-10 ; Ps 86, 15 ; 145, 8 : Jl 2, 13 ; Na 1, 3.
[7]. Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n° 7.
[8]. Saint Jean Paul II, Audience, 6 novembre 1996.
[9]. Cf. par exemple Dt 32, 4 ; 1 S 2, 2 ; 2 S 22, 2 ; Ps 19, 15 ; 28, 1 ; 71, 3 ; Is 1, 10 ; Ha 1, 12 parmi d’autres.
[10]. Pape François, Homélie, 15 avril 2020.
[11]. Mgr Fernando Ocariz, Lettre pastorale, 19 mars 2022.