J’avais presque quinze ans quand une amie m’encouragea : « confie-toi à l’Archange Saint Raphaël et demande lui en ce jour qui lui est réservé, de te trouver un bon mari ». À l’époque la Saint-Raphaël était célébrée le 24 octobre, jour de mon anniversaire. Je n’aurais jamais imaginé ni la portée de ce conseil, ni le pouvoir de Saint Raphaël.
Quelques années plus tard, ma sœur, étudiante en Médecine et son époux en Allemagne m’ont appelée à la naissance de leur premier enfant pour que je m’en occupe. J’ai quitté le Costa Rica pour m’y installer et ce fut dans un cours de danse que je rencontrai Norbert, un garçon très gentil qui m’initia à l’allemand. Il faisait partie d’un groupe d’agents antiterroristes de la Lufthansa pour assurer la sécurité des passagers, incognito dans les avions. Six fois par semaine, il faisait le tour du monde pour me retrouver à son retour. Nous avons tissé des liens très forts.
Le jour de ses vingt ans, Norbert m’a invitée chez ses parents, à trois heures de Frankfurt. Nous avons visité l’église du village et j’y ai découvert une fresque avec l’Archange Saint Raphaël entourant Tobie. Était-ce un signe ?À la fin de ce séjour, je suis rentrée au Costa Rica.
Et alors, votre amitié a-t-elle bravé la distance ?
C’est vraiment très dur de quitter quelqu’un que l’on aime. J’ai parfaitement compris alors ce que saint Josémaria exprimait dans son livre Quand le Christ passe à propos de l’Eucharistie, l’histoire d’un Amoureux qui doit nous quitter.
Dans les années 80, sans internet, sans skype, sans portables, sans rien, un appel téléphonique était hors de prix, il n’y avait que le courrier postal.
Mes lettres mettaient une semaine pour lui parvenir en Allemagne. , Et dans le meilleur des cas, j’attendais encore une semaine, pour recevoir sa réponse.
Tous ces sacrifices ont été porteurs, cela valait vraiment le coup.
Nous avons correspondu durant six ans au bout desquels je me suis demandé si cette attente avait un sens. Étais-je sûre de le revoir un jour ? Et si ce n’était qu’un rêve ? C’était fou ! Séparés par l’Atlantique !
Or tout est bien qui finit bien. Je remercie infiniment Dieu pour ses bénédictions et tant de bienveillance.
En 1985, au mois de mars, j’eus l’occasion d’aller à Rome avec ma mère et mes sœurs. En Europe, je ne pensais qu’à renouer le contact avec lui. Je l’ai appelé de Rome, j’étais en Europe, lui dis-je. « Veux-tu que je vienne ? » reprit-il. J’ai hésité un instant pour lui dire ok. Il est arrivé deux jours plus tard pour rester 48h avec nous. Nous nous retrouverions Costa Rica début août et nous pourrions décider sur place : se marier ou bien couper toute correspondance.
Je suis rentrée au Costa Rica, le cœur serré, avec un choix important à faire, plein de conséquences. J’ai alors eu recours à la Sainte Vierge, « Cœur très doux de Marie, prépare-moi un chemin sûr » lui ai-je demandé des milliers de fois. Elle allait tout me faire voir clairement. En effet, si je l’épousais je devais partir en Allemagne, avec tout ce qui s’en suivait.
Ce fut le 15 août que je pris ma décision, éclairée par un beau signe.
Après une si longue attente, nous nous sommes mariés. Nous sommes très heureux, mais notre vie n’a pas été un conte de fées, il y a eu des écueils, des soucis, un bon lot de souffrance.
Je n’étais pas encore prête à aller vivre en Allemagne, nous avons décidé de nous installer au Costa Rica. Nous y avons vécu quatre ans et eu nos trois premiers enfants. Mais la Providence avait un autre projet pour nous et des difficultés sur place nous ont obligés à quitter mon pays. L’idée de partir en Allemagne pour m’installer pendant quatre ans chez mes beaux-parents en attendant d’avoir un logement, me rebutait.
Nous n’avions aucune ressource, il fallait tout commencer à zéro. Dieu aidant, les efforts de Norbert furent payants et nous avons réussi à faire l’emprunt nécessaire pour l’achat d’un terrain et la construction de bnotre maison. Norbert en fit les plans et les week-ends, il se mit à la construire.
Notre jeune famille se battait pour vivre dans ses murs, c’était indispensable. Ce fut très pénible, épuisant. Nos cinq enfants n’arrivaient plus à dormir la nuit, moi, j’étais comme un « zombie ».
Aviez-vous projeté, avant de vous marier, d’avoir une famille nombreuse ?
Bien sûr. Nous tenions à avoir des enfants. Or j’étais encore au Costa Rica quand j’appris, après des examens médicaux, que ne je pourrais pas en avoir. Je lui fis un courrier. Si le choix de m’épouser était remis en cause de ce fait, moi je le comprendrais. Il me répondit qu’il n’en était rien et que nous en adopterions.
Or, grâce à Dieu, nous avons eu nos propres enfants. Il était convenu d’avance que je resterais au foyer pour m’en occuper, lui, assurerait nos revenus. J’ai donc fait une croix temporaire sur mon propre métier et je ne regrette absolument rien. Ce ne fut pas du temps perdu mais le plus précieusement employé. J’eus la chance de faire avec mes enfants leurs premiers pas dans la vie, de les former chrétiennement, de leur communiquer nos valeurs.
Je pense en ce moment à nos cinq aînés. Ils ont déjà « quitté le nid ». Dieu m’a comblée et à leur départ, nous avons eu Eva Maria, onze ans après notre cinquième et il y a onze ans. J’avais 44 ans à sa naissance. Bien entendu, j’ai eu peur, mais tout a bien marche. Stéphanie, mon aînée, a désormais la petite sœur qu’elle avait toujours souhaitée.
Norbert est un travailleur acharné. Il permet à nos enfants de faire des études supérieures alors que nous n’avons pas fini de rembourser notre emprunt à la banque ! On va vite y arriver. Le Seigneur est toujours là mais « aidez-vous et Dieu vous aidera » !
Le mariage, la famille, sont un constant défi, une boîte à surprises inenvisageables au départ, votre nouveau pays, une nouvelle langue, des coutumes différentes...
J’ai eu du mal à m’y faire. J’ai souvent eu la tentation de rentrer chez moi. Ceci dit je comptais sur un ancrage spirituel qui m’aidait à tout envisager autrement. J’ai été très entourée et encouragée à voir tout sous un autre angle, à surmonter le cafard de mon pays, les soucis financiers, les heurts avec ma belle-mère, l’éloignement des miens. Tous ces sacrifices ont été porteurs, cela valait vraiment le coup.
Cela fait 25 ans que je suis en Allemagne. J’ai appris, entre autres, la façon d’être des Allemands. Les Latinos nous sommes normalement ouverts, émotifs, causeurs. Ici, les gens sont plutôt réservés, modérés, avec une immense richesse intérieure. Les amis je me suis faits des amis à vie. Au départ toutes ces différences me faisaient souffrir mais j’ai appris à surmonter ce que je ne comprenais pas, ce qui me dérangeait, et à chercher à pardonner, à oublier. Je ne regrette vraiment rien, tout ce temps a été rempli d’occasions de rendre grâces à Dieu pour sa bonté et ses bénédictions.
Au bout de trente ans de mariage, avec nos six enfants, il m’arrive de retourner à l’église du village de mon époux pour faire un petit coucou à mon cher Saint Raphaël.