Si c’est un enfant qui souffre

Leon Tshilolo, pédiatre e hématologue à Kinshasa, République Démocratique du Congo

La drépanocytose ou anémie falciforme est une maladie héréditaire du sang qui touche environ 2% de nouveau-nés (dans sa forme homozygote) et concerne environ 30% de la population à l’état hétérozygote en République Démocratique du Congo (RDC). Le patient atteint de la forme homozygote est habituellement appelé « SS ».

C’est une maladie caractérisée surtout par des épisodes de douleurs qui peuvent intéresser les os, l’abdomen, le thorax, ou tout le corps. Ce sont les « crises douloureuses » que certains patients résument par une phrase : « Je souffre de partout ». Les autres manifestations sont l’anémie et les infections. La mortalité en RDC reste très élevée, surtout chez le jeune enfant en âge préscolaire.

Jolie a 7 ans. Elle est orpheline de mère (son père avait abandonné sa mère) et vit avec la grand-mère maternelle. Elle nous a été envoyée par des sœurs italiennes qui gèrent un centre de santé à une vingtaine de km du Centre Hospitalier Monkole.

La petite patiente se tord de douleur, elle respire mal et pleure continuellement. Elle n’est vraiment pas bien. Elle souffre. L’examen médical montre une pâleur conjonctivale avec une coloration jaunâtre des bulbes oculaires, son abdomen est distendu par la présence d’un gros foie et une énorme rate. Le cœur bat très vite et les bruits cardiaques sont un peu sourds. Jolie est très agitée et ne supporte pas du tout la position couchée.

Après les premiers bilans d’analyses, l’équipe médicale retient le diagnostic suivant : « Crise douloureuse, péricardite, anémie hémolytique et pneumopathie spécifique chez un sujet SS». La grand mère s’effondre. Oui : SS ! Avec S comme Souffrance et S comme Salut. C’est Lui.

« Un enfant. – Un malade. – N’éprouvez-vous pas la tentation d’écrire ces mots avec des majuscules ? Pour une âme éprise, les enfants, les malades, c’est Lui » (Saint Josémaria, Chemin n° 419)

A travers de centaines d’histoires semblables, je rencontre dans l’exercice de ma profession Le Christ qui passe. Souvent, IL s’arrête, me regarde et me parle. On ne Le découvre et ne Le sent aussi proche que dans la douleur, surtout lorsqu’il s’agit de la douleur d’un enfant.

Les enfants SS sont vraiment pour moi des véritables trésors : ils me permettent de me sanctifier, de m’approcher davantage du Christ dans la vie ordinaire, dans l’exercice de ma profession.

L’hôpital devient un Golgotha où par la grâce divine, et lorsqu’on répond à Son appel, on est debout à côté de Sa Mère, en dessous de Sa croix.

Ces enfants, je les aime parce qu’ils ont la croix de Jésus Christ plantée dans leur sang. Ce sang qui véhicule la douleur…dans tout le corps. Un sang qui me fait penser à celui que soulève dans le calice chaque matin le Prêtre. Un sang auquel j’ajoute en offrande une goutte de toute ma journée… « Bénie soit la douleur. Aimée soit la douleur. Sanctifiée soit la douleur…Glorifiée soit la douleur »

La souffrance de ces enfants porte beaucoup de fruits. En effet, plusieurs initiatives sont prises, à partir du Centre Hospitalier Monkole, en leur faveur. Le tout commence avec des activités de formation : un groupe d’étude appelé « Club du Globule Rouge » qui regroupe une dizaine de médecins qui s’efforcent à mieux comprendre la maladie ; un cours post-graduate de génétique médicale et d’hématologie organisé en collaboration avec des professeurs d’université et des experts du Nord qui permet au médecin congolais de ne pas rester trop en retard sur les connaissances récentes de la maladie ; une campagne de sensibilisation et d’information faite en collaboration avec les Associations de la Drépanocytose . (www.harambee2002 aide à ce projet en ligne) et à travers un vaste programme de Santé Scolaire qui vise à former les enseignants et les élèves, les familles, etc. Des brochures spécifiques à la drépanocytose « Docta SS » sont éditées et diffusées gratuitement dans plusieurs régions du pays…Et enfin, un programme de dépistage néonatal de la drépanocytose est mis sur pied : c’est le tout premier réalisé en RDC. (www.cefacongo.org et diaporama)

Tous ces efforts sont entrepris pour réduire le poids de la prise en charge de cette maladie qui pèse lourdement sur la seule famille dans un pays où il n’existe pas de mutuelle ni d’assistance médico-sociale : la consultation médicale, les médicaments, les actes médicaux sont, à Monkole, mis à un tarif social

Et tout cela se passe dans un pays qui peine à sortir d’une longue guerre et qui connaît encore d’énormes difficultés économiques et sociales. Les moments difficiles, même au niveau personnel ne manquent pas. Les journées s’achèvent généralement dans une fatigue intense qui s’estompent à l’accueil chaleureux de mon épouse et de mes enfants…

Mais la force pour réaliser tout ce qu’on fait pour les drépanocytaires ne provient que de la douleur, de la souffrance de ces enfants SS.

« Bénie soit la douleur. Aimée soit la douleur. Sanctifiée soit la douleur…Glorifiée soit la douleur » (Saint Josémaria, Chemin n° 208)