Saint Josémaria au Pérou: la libération, parlons-en

Entouré de prêtres, d’indigènes, de paysans, de chefs d’entreprise, de professeurs, cela fait déjà 37 ans que saint Josémaria séjourna au Pérou où il fit savoir ce qu’il pensait de la « libération ».

Il arriva à Lima le 9 juillet. Cela faisait vingt-et-un ans que, le 9 juin 1953, l’ Opus Dei avait commencé son activité apostolique au Pérou. Le Père, comme dans les autres pays qu’il avait visités précédemment, logea au siège de la commission régionale, à Los Andes. Il ne s’accorda aucun repos.

Entourés de professeurs et d’étudiants de l’Université de Piura, saint Josémaria déploie son chapelet et les encourage à le dire avec amour.

Avec les prêtres de Yauyos

Je ne dis pas un mot, si auparavant mes fils prêtres ne me donnent pas leur bénédiction. J’ai soif de vos bénédictions ! Plus de cinquante prêtres l’entourèrent pour lui donner leur bénédiction, en prononçant les invocations d’une seule voix

À peine arrivé, il eut une première réunion, et dès lors, il s’attacha à suivre ponctuellement le programme indiqué. La réunion au centre culturel Tradiciones, le vendredi 12 juillet, fut particulièrement chargée d’émotion. Tous ceux qui se trouvaient là étaient de ses fils et, parmi eux, un bon nombre de prêtres de la Prélature de Yauyos. En entrant dans la salle et en les voyant il s’écria : Je ne dis pas un mot, si auparavant mes fils prêtres ne me donnent pas leur bénédiction. J’ai soif de vos bénédictions ! Plus de cinquante prêtres l’entourèrent pour lui donner leur bénédiction, en prononçant les invocations d’une seule voix, puis, à genoux, il baisa les mains de ces prêtres l’un après l’autre. Quand l’abbé Echevarría lui fit remarquer que cela allait être un peu long, il lui répondit : Eh bien ! Je mettrai le temps qu’il faudra, mais je baiserai les mains de tous, comme je l’ai toujours fait ! … Et il continuait, en disant des paroles affectueuses à chacun.

Au bout d’un moment qui sembla interminable, il dit avant de commencer la réunion :

Ce n’est pas une comédie. Je suis fier de vous et j’éprouve une grande joie à baiser vos mains. Je ne le fais pas qu’ici ; je l’ai fait toute ma vie… C’est bien une habitude de famille. Vous êtes très bons avec moi…

Le Père leur parla du travail, qu’il faut faire à la perfection, pour qu’il plaise à Dieu, et non pas « à la créole », comme le disent les indigènes quand ils ne s’appliquent pas beaucoup à la tâche. que debe hacerse a la perfección, para que agrade a Dios, y no “a la criolla” (así dicen los indígenas cuando no se repara bien en las faenas).

Travailler avec perfection et non pas “à la créole”

Le samedi 13 juillet, le Père déploya une grande activité. À neuf heures et demie du matin, il s’en fut rendre visite au cardinal archevêque de Lima. De là, il se rendit à San Vicente de Cañete, qui était en fête, parce qu’à midi devait avoir lieu une réunion avec le Père à Valle Grande, œuvre d’apostolat collectif de l’Opus Dei. Il vint du monde de Lima et des villages des alentours. Certains s’étaient mis en route avant le lever du jour. Dans la salle où se pressaient plus de cinq cents personnes, on voyait des visages aux traits indiens, mulâtres, chinois. Il y avait des commerçants, des paysans, des employés, des professeurs, des routiers… et les femmes qui recevaient un enseignement à Condoray, centre de formation dirigé par des femmes de l’Œuvre.

Le Père leur parla du travail, qu’il faut faire à la perfection, pour qu’il plaise à Dieu, et non pas « à la créole », comme le disent les indigènes quand ils ne s’appliquent pas beaucoup à la tâche. Il leur parla des pratiques de piété et, avant tout, les engagea à se purifier intérieurement par une bonne confession, et à repartir décidés à ne plus s’adonner à l’alcool. Parfois, quand il élevait la voix pour leur demander de changer de vie, on percevait une légère émotion sur le visage impassible des Indiens.

Le Père visita Condoray et, puis l’Académie San José où résident et étudient les séminaristes de la prélature de Yauyos. À dix-huit heures, il était de retour à Lima, mais avec un rhume, que le brusque changement de température à la sortie de la salle de réunion de Valle Grande venait sans doute de déclencher.

Avec un vêtement de plus en plus propre

Une fillette prend la parole dans une réunion au Pérou.

Le lendemain, il y eut une première réunion générale dans le jardin de Miralba, un centre de l’Opus Dei. Ce dimanche, par une matinée froide et grise, il y avait environ mille cinq cents personnes. Des familles au complet, avec les grands-parents et les petits-enfants. Le Père, tout d’abord, les pria de l’excuser, parce que sa voix n’était pas à la hauteur des circonstances :

Je ne sais pas si vous allez bien m’entendre, car j’ai un rhume carabiné. Je suis à moitié aphone. Mais saint Paul, qui n’est pas aphone, écrivit aux Éphésiens : In novitate vitæ ambulemus. Et non seulement aux Éphésiens, mais il nous enjoignit tous de nous engager dans une vie nouvelle. Pour qu’il n’y ait aucun doute là-dessus, il écrivit aux Romains : Induimini Dominum nostrum Iesum Christum : revêtez-vous de notre Seigneur Jésus-Christ.

La vie du chrétien est ainsi faite : mettre et remettre un vêtement, et encore un autre, de plus en plus propre, de plus en plus beau, de plus en plus paré des vertus qui plaisent au Seigneur, de victoires sur soi, de petits sacrifices, d’amour. La vie du chrétien est faite de renoncements et d’affirmations. La vie du chrétien, c’est commencer et recommencer.

L’après-midi, pour le distraire, on lui fit faire une promenade dans Lima. Il visita l’église San Francisco et la cathédrale. Mais il rentra très fatigué. Il dormit mal cette nuit-là. Le lendemain matin, il célébra la messe et prit son petit-déjeuner. Vers dix heures, le docteur Zavala vint le voir. C’était un spécialiste de l’appareil respiratoire. Il diagnostiqua les débuts d’un processus broncho-pulmonaire. Aussi, il fallut annuler les réunions prévues ce jour-là.

La libération? Endurer la souffrance dans la joie

La libération, est tout autre. La libération c’est… endurer avec joie la pauvreté ! supporter avec joie la maladie ! supporter avec le sourire la toux qui vous étouffe !

Le médecin lui demanda de s’aliter pendant le reste de la semaine. Des cadeaux lui parvenaient : des fleurs, des friandises, des lettres, avec l’affection et les prières de tous ses enfants, pour qu’il se rétablisse. Dans le journal de son séjour à Lima, à la date du samedi 20 juillet, on peut lire : « Aujourd’hui il s’est levé un peu, mais suivant la prescription médicale il n’a pas célébré la sainte messe, encore une fois. C’est un exemple pour tous de voir combien le Père est peiné de ne pouvoir célébrer, mais comme il s’implique si fortement en disant la sainte messe, une telle fatigue ne serait pas bonne pour lui et pourrait retarder son rétablissement. »

Le dimanche, il célébra la messe dans son bureau et, après le repas, il eut une réunion avec quelques directeurs de la commission régionale, ainsi qu’avec monseigneur Ignacio Orbegozo, qui raconta une foule d’anecdotes des débuts à Yauyos et de ses équipées à travers la montagne. Le Père eut besoin de trois jours de plus pour se remettre, aussi fallut-il réajuster le programme pour que tous pussent l’entendre. Parce qu’il n’y avait pas que lui qui était tombé malade. L’épidémie de grippe, qui avait sévi au même moment à Lima, avait obligé la moitié de la population à s’aliter. Le 24, il se réunit avec ses filles, et, jusqu’à fin juillet, il poursuivit un programme un peu allégé. En réalité, il n’était pas complètement rétabli, et parler en public lui demandait beaucoup d’efforts.

Le 27, au jardin de Larboleda, le centre de rencontres à Chosica, près de Lima, plus de trois mille personnes étaient rassemblées autour lui. Son départ approchait, et à quelques remarques, on devinait qu’il n’avait pas encore surmonté son mal. Sans se donner des airs de martyr, il expliquait à cette foule qu’il serait dommage que le monde fût un monde sans souffrance, ce serait comme un tableau sans ombres, qui ne saurait exister. Et il ajoutait que la souffrance, endurée par Amour, est quelque chose de savoureux, d’extraordinaire :

Si bien que vouloir se libérer de la souffrance, de la pauvreté, de la misère, c’est parfait; mais ce n’est pas la libération. La libération, est tout autre. La libération c’est… endurer avec joie la pauvreté ! supporter avec joie la maladie ! supporter avec le sourire la toux qui vous étouffe !

Source : Vazquez de Prada, Le fondateur de l’Opus Dei, Tome III, pages 722 et suivantes.