Prêtre et seulement prêtre. Saint Josémaria, modèle de vie sacerdotale

Le sens de la grandeur du sacerdoce portait saint Josémaria à veiller sur sa vocation sacerdotale dont il était de plus en plus épris. Lorsqu’il accédait à la demande de ceux qui l’entourions et qu’il parlait de l’origine de sa vocation, il insistait toujours sur l’initiative de Dieu qui était sorti à sa rencontre lorsqu’il n’avait que quinze ou seize ans.

Le sens de la grandeur du sacerdoce portait saint Josémaria à veiller sur sa vocation sacerdotale dont il était de plus en plus épris. Lorsqu’il accédait à la demande de ceux qui l’entourions et qu’il parlait de l’origine de sa vocation, il insistait toujours sur l’initiative de Dieu qui était sorti à sa rencontre lorsqu’il n’avait que quinze ou seize ans.

Évoquer la figure et les enseignements de ce saint prêtre est pour moi une joie profonde et si, en plus, les personnes qui m’écoutent sont des prêtres, ma joie n’en est que plus grande, puisque je connais bien l’amour profond, plus encore, la vénération, que le fondateur de l’Opus Dei avait pour ses frères dans le sacerdoce.

Il était, ô combien, heureux de pouvoir les retrouver ! Il apprenait de tous, et, à leur demande, il n’hésitait pas à leur ouvrir son cœur pour leur parler des plus grandes amours de sa vie : le Christ et Sainte Marie, l’Église et le Pape, toutes les âmes. Il disait qu’à ces moments-là il avait l’impression de vendre du miel à des ruchers. Or son miel était d’une qualité telle que ceux qui l’écoutaient en repartaient avec le désir renouvelé de fidélité à la vocation, avec une âme débordante d’optimisme, décidés à se dépenser de tout cœur à la tâche pastorale et apostolique.

Identité du prêtre

C’est avec des propos que saint Josémaria avait l’habitude d’adresser aux nouveaux prêtres que je commencerai cette intervention. Ils sont utiles aussi, et presque davantage, à tous ceux qui comme moi comptent de nombreuses années de sacerdoce. Il disait : « Soyez tout d’abord des prêtres ; puis, prêtres encore ; toujours et en tout, rien que des prêtres. » Cette affirmation nous fait comprendre combien il tenait en une très haute estime le sacerdoce ministériel, grâce auquel de pauvres hommes — c’est bien ce que nous sommes tous devant le Seigneur — sont constitués ministres du Christ et dispensateurs des mystères de Dieu (1 Co 4, 1). Sa foi en l’identification sacramentelle au Christ, réalisée par le sacrement de l’Ordre, était si ferme que son seul titre de gloire, faisant pâlir tous les autres honneurs de la terre, était celui d’être prêtre de Jésus-Christ tout court.

Les saints, de tous les temps, ont évoqué la dignité du sacerdoce. Plusieurs papes, parmi lesquels saint Pie X, Pie XI et notre Souverain Pontife Jean-Paul II, ont écrit des documents inoubliables qui ont nourri et nourrissent toujours notre vie sacerdotale. Saint Josémaria nous a laissé aussi son enseignement. En 1973 ; alors qu’on entendait des voix confuses sur l’identité du prêtre et la valeur du sacerdoce ministériel, il résumait ainsi sa pensée en une homélie : « Telle est l’identité du prêtre : être l’instrument immédiat et quotidien de cette grâce salvifique que le Christ nous a gagnée. Si l’on comprend cela, si on l’a médité dans le silence actif de l’oraison, comment peut-on voir dans le sacerdoce un renoncement ? C’est un gain incalculable. Notre Mère Sainte Marie, la plus sainte des créatures — Dieu seul est supérieur à Elle — a mis Jésus au monde une seule fois dans le temps. Les prêtres le font venir tous les jours au monde où nous vivons, à notre corps et à notre âme : le Christ vient nous alimenter, nous vivifier, être, dès à présent, le gage de la vie future.1»

Ce sens de la grandeur du sacerdoce le conduisait à veiller soigneusement sur sa vocation sacerdotale, dont il était de plus en plus épris. S’il nous arrivait de le solliciter pour qu’il nous parle du processus de sa vocation, il soulignait toujours que ce fut l’initiative de Dieu qui est venu le trouver lorsqu’il n’avait que quinze ou seize ans. Vous ne le savez que trop : ce fut à Logroño, en décembre 1917 ou en janvier 1918. Josémaria Escriva, adolescent, eut des premiers pressentiments — des lueurs, disait-il — de cet appel du Seigneur à quelque chose d’inconnu. L’idée du sacerdoce ne lui avait jamais traversé l’esprit. Cependant, sous cette emprise de Dieu, afin de mieux se préparer à accomplir la Volonté divine, il décida d’intégrer le Séminaire. C’est en toute vérité qu’il pouvait affirmer par la suite, que le début de sa vocation sacerdotale avait été « un appel de Dieu, des lueurs d’amour, le coup de foudre d’un jeune homme de quinze ou seize ans2».

Il reçut au Séminaire de Logroño sa première formation sacerdotale, qu’il compléterait par la suite à Saragosse. Dieu voulait que la semence qu’il allait jeter sur la terre le 2 octobre 1928 trouve un cœur de prêtre préparé à fond pour l’accueillir et la faire fructifier. Aussi, plein de reconnaissance au Seigneur, saint Josémaria assurait-il que sa vocation était — permettez-moi d’insister— d’être prêtre, rien que prêtre et toujours prêtre. Il aimait à la folie cette condition qui, en le configurant au Christ, l’avait préparé à être, dans les mains de Dieu, l’instrument, pour la fondation de l’Opus Dei.

Don et tâche

Dans l’énumération des conditions des candidats au sacerdoce, on prescrivait jadis qu’ils devaient être choisis parmi des hommes ayant une conduite honnête. Saint Josémaria estimait que cette façon de s’exprimer, minimaliste et déjà dépassée, était bien pauvre. « Nous entendons, avec toute la tradition ecclésiastique, écrivait-il en 1945, que le sacerdoce, de par les fonctions sacrées qui lui reviennent, demande quelque chose de plus qu’une conduite honnête : il exige une vie sainte chez ceux qui l’exercent parce qu’ils sont devenus des médiateurs entre Dieu et les hommes.3»

Josémaria Escriva a reçu, dans sa famille et à l’école, une formation profondément chrétienne, comprenant la connaissance de la doctrine, l’assiduité aux sacrements, le souci concret pour les nécessités spirituelles et matérielles des personnes, comme l’ont souligné des témoins de cette période-là. Suite à l’appel divin au sacerdoce, son existence subit un changement radical dans ce sens que l’intensité et l’assiduité à fréquenter Dieu ne fit que croître tout comme son souci apostolique pour les autres. Ceci lui procura une maturité impropre de son âge, mais surnaturellement logique. Ce dont parle la Sainte Écriture se réalisa chez lui : super senes intellexi quia mandata tua servavi4, j’ai acquis plus de prudence que les anciens parce que j’ai fidèlement gardé tes commandements. À partir de ses pressentiments, Josémaria adolescent a commencé à prendre la sainteté au sérieux, s’est appliqué à connaître et à accomplir très fidèlement la Volonté de Dieu.

Lorsque le concile Vatican II, au chapitre V de la Constitution dogmatique Lumen Gentium, aborde le thème de la vocation des baptisés à la sainteté, il affirme : « Les disciples du Christ, appelés par lui non en raison de leurs œuvres, mais selon le propos de sa grâce, et justifiés dans le Christ Jésus, sont devenus dans le baptême de la foi, vrais fils de Dieu et participants à la nature divine, et par là même réellement saints. Cette sainteté qu’ils ont reçue, il faut donc qu’avec l’aide de Dieu, ils la gardent dans leur vie et la portent jusqu’à son achèvement.5»

En tant que membres du Corps Mystique du Christ, sur lequel nous avons été greffés par le Baptême, nous avons tous été radicalement sanctifiés : nous portons en nous le germe et le début de la vie nouvelle que le Christ nous a gagnée par sa Mort et sa Résurrection. La consécration baptismale est la réalité fondamentale de l’appel à la sainteté dans tout type de vie. De ce point de vue-là, compte tenu de la gratuité absolue du don reçu, la sanctification apparaît clairement sous sa dimension de don : un cadeau immérité que Dieu Notre Père nous offre, dans le Christ, par l’Esprit Saint. En même temps, la sanctification est un appel personnel, une tâche confiée à la responsabilité de chaque chrétien. Saint Josémaria dira qu’elle est l’œuvre de toute une vie6.

Aussi, la sainteté est-elle un don et une tâche. Le don gratuit d’un bien immérité et en même temps, une tâche a exécuter jusqu’au bout avec notre effort personnel, dans une réponse héroïque, tenus par ce véritable engagement de vie chrétienne.

La sainteté sacerdotale en tant que don

Puisque la condition radicale de tous les baptisés est une seule et la même pour tous, tous, prêtres et laïcs, nous sommes convoqués pareillement à la plénitude de la vie chrétienne. « Il n’y a pas de sainteté au rabais : ou nous luttons constamment pour être en grâce de Dieu et conformes au Christ, notre Modèle, ou nous désertons les rangs de ces batailles divines. Le Seigneur nous invite tous à nous sanctifier dans notre propre état de vie.7»

C’est là l’une des intuitions fondamentales que saint Josémaria Escriva a développée depuis 1928, à la demande de Dieu. En fondant l’Opus Dei, le Seigneur lui montra que toute personne doit tâcher de se sanctifier dans son état personnel de vie, là où elle a été appelée, dans son travail et à travers ce travail-là, selon l’expression bien connue de saint Paul : unusquisque, in qua vocatione vocatus est, in ea permaneat (1 Co 7, 20)

Chez les prêtres et chez les laïcs, la sainteté est donc bâtie sur les mêmes bases : la consécration originelle du baptême, perfectionnée par la Confirmation. Cependant, il est évident que le devoir de tendre vers la sainteté est bien plus pressant chez le prêtre, qui a été « pris d’entre les hommes et établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu, afin d’offrir dons et sacrifices pour les péchés (He, 5, 1) ».

« Continuellement en contact avec la sainteté de Dieu, a écrit Jean-Paul II, le prêtre doit parvenir lui-même à être saint. Son ministère lui-même l’engage à une option de vie s’inspirant sur le radicalisme évangélique.8» Et dans son livre Don et mystère, écrit à l’occasion du cinquantième anniversaire de son ordination sacerdotale il ajoute : « Si le concile Vatican II parle de la vocation universelle à la sainteté, dans le cas du prêtre il faut parler d’une spéciale vocation à la sainteté. Le Christ a besoin de prêtres saints ! Le monde actuel réclame des prêtres saints ! Seul un prêtre saint peut être, dans un monde de plus en plus sécularisé, un témoin transparent du Christ et de son Évangile. Seulement ainsi le prêtre peut être un guide pour les hommes et un maître de sainteté.9»

Le prêtre a été consacré deux fois pour Dieu : au Baptême, comme tous les chrétiens, et au sacrement de l’ordre. De ce fait, bien qu’on ne puisse pas parler de sainteté de premier ou de second ordre — parce que nous sommes tous invités à la perfection dont le Père céleste est parfait (cf. Mt 5, 48) —, c’est chez les prêtres que le devoir de tendre vers la sainteté se fait plus sentir, il n’y a pas de doute. Relisons des propos du fondateur de l’Opus Dei, spécialement éclairants là-dessus : « Quant aux chrétiens, nous pouvons et nous devons tous être non pas alter Christus, mais ipse Christus : d’autres Christs, le Christ lui-même ! Cependant c’est chez le prêtre que cela devient immédiat en vertu du sacrement.10»

C’est dans l’exercice du ministère pour lequel il a été ordonné que le prêtre trouve la nourriture de sa vie spirituelle, le matériau qui le fait brûler d’amour de Dieu. Aussi, tomberait-il dans une grave erreur si d’autres aspirations ou d’autres tâches venaient à diluer dans son âme ce qui est devenu pour lui indispensable pour atteindre la sainteté : la célébration appliquée et pleine d’amour du Sacrifice de la Messe, la prédication de la parole de Dieu, l’administration des sacrements aux fidèles, celui de la Pénitence tout spécialement ; une vie de prière constante et de joyeuse pénitence ; le soin des âmes qui lui ont été confiées, avec les mille services qu’une charité vigilante sait dispenser.

Depuis qu’il perçut son appel au sacerdoce, et pour mieux dire, depuis qu’il fut ordonné prêtre, saint Josémaria voulut s’identifier au Christ, être le Christ lui-même, dans l’exercice du ministère sacerdotal et dans toute son existence. D’où sa vie d’oraison, sa célébration posée de la Messe, son « besoin » de demeurer de longs moments près du Tabernacle ; et, en même temps, son urgence à suivre les âmes pour les conduire, dans le Christ, sur des chemins de sainteté. Il comprit que l’on peut et que l’on doit avoir une conduite sainte dans tous les états de la vie et concrètement dans celui du mariage ; c’est la raison pour laquelle, dès ses premiers pas de pasteur, en plus d’orienter beaucoup de personnes sur les voies du célibat apostolique, assumé dans la vraie joie, il encouragea beaucoup d’autres à découvrir la dignité de la vocation matrimoniale.

Jean-Paul II écrit : « Le sens du sacerdoce personnel est redécouvert chaque jour plus intensément dans le Mysterium fidei. Voilà la grandeur du don du sacerdoce et aussi la mesure de la réponse qu’un tel don demande. Le don est toujours plus grand ! Et il est beau que cela soit ainsi. Il est beau qu’un homme ne puisse jamais dire qu’il a totalement répondu au don. C’est un don et c’est aussi une tâche : toujours ! Il est fondamental d’en avoir conscience pour vivre pleinement son propre sacerdoce.11»

Saint Josémaria Escriva célébrait chaque jour la Sainte Messe avec une passion d’amoureux, bien conscient que « par le Sacrement de l’Ordre, le prêtre est effectivement habilité à prêter à Notre Seigneur sa voix, ses mains, tout son être12». Écoutez comment il décrivait, lors d’une réunion de famille, cette mystérieuse éclipse de la personnalité humaine du prêtre qui devient à ce moment-là un instrument vivant de Dieu :

« Je parviens à l’autel et je pense tout de suite : « Josémaria, tu n’es plus Josémaria Escriva de Balaguer […], tu es le Christ. Les prêtres, nous sommes tous le Christ. Je prête au Seigneur ma voix, mes mains, mon corps, mon âme : je lui donne tout. C’est Lui qui dit : Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang, c’est Lui qui consacre. Autrement, moi je ne pourrais pas le faire. On y renouvelle, de façon non sanglante, le divin Sacrifice du Calvaire. De sorte que je m’y trouve in persona Christi, à la place du Christ. Le prêtre disparaît en tant que personne concrète : l’abbé un tel, ou tel autre, ou Josémaria… Pas du tout ! C’est le Christ.13»

La sainteté sacerdotale en tant que tâche

La grandeur incomparable du prêtre tient à son identification sacramentelle avec le Christ, qui fait de lui un ipse Christus et le fait agir in persona Christi, surtout à la célébration eucharistique et au ministère de la Réconciliation. « Une grandeur d’emprunt, disait saint Josémaria, compatible avec ma petitesse. Je demande à Dieu Notre Seigneur, ajoutait-il, d’accorder à tous les prêtres la grâce de réaliser saintement les choses saintes, de refléter, aussi dans notre vie, les merveilles des grandeurs du Seigneur.14»

Tout chrétien doit faire en sorte que sa condition de disciple de Jésus-Christ se reflète dans toute sa conduite : sa famille, sa profession, son activité sociale, publique, sportive… Et l’existence concrète de tout prêtre, dans son quotidien, montre aussi qu’il appartient spécifiquement au Christ. De par le caractère indélébile reçu à l’ordination, on est prêtre les vingt-quatre heures de la journée, non seulement lorsqu’on exerce explicitement son ministère. Il faut l’avoir très présent à l’esprit, surtout par les temps qui courent, lorsque tant de signes qui rappelaient à nos anciens la primauté de Dieu et de la vie spirituelle disparaissent petit à petit de notre société multiculturelle et multireligieuse. Je ne suis pas pessimiste mais je tiens à ce que nous nous efforcions tous pour que les racines chrétiennes de notre peuple ne se perdent pas, qu’elles se manifestent aussi dans nos pieuses traditions, dans les éléments de la culture, de l’art et des mœurs.

Le prêtre doit atteindre le but de la sainteté en suivant un plan incliné, sous la direction du Saint-Esprit, qui est celui qui façonne les traits de Jésus-Christ chez les enfants adoptifs de Dieu. Dans ce processus, qui dure toute la vie, avec l’action surnaturelle de la grâce, la réponse docile de la créature est absolument décisive.

Sans l’attachement à pratiquer les vertus, sans lutte pour les cultiver quotidiennement, avec constance, la sainteté devient impossible… Les habitudes vertueuses qui doivent structurer la sainteté du prêtre, sur quoi reposent-elles ? Sur l’union à Dieu, comme chez tous les fidèles d’ailleurs car nous sommes tous appelés à un même but et disposons des mêmes moyens pour y arriver. La différence est dans la façon d’exercer ces vertus. Chez le prêtre, tout doit être accompli sacerdotalement, c’est-à-dire, en considérant toujours la finalité de sa vocation spécifique, le service des âmes. Nous devons suivre l’exemple du Seigneur qui a dit de lui-même : « Pro eis sanctifico meipsum, ut sint et ipse sanctificati in veritate (Jn 17, 19). »

On n’a pas matériellement le temps de dresser ne serait-ce qu’une liste complète des vertus sacerdotales. Je vais donc me limiter à n’en présenter que quelques-unes qui sont, à mon avis, capitales dans l’enseignement et dans l’exemple de Saint Josémaria.

Vertus humaines du prêtre

Pour appliquer la métaphore de la construction, aux racines bibliques, il faut tout d’abord chercher un terrain solide. Le Christ lui-même fait allusion à ce besoin lorsqu’il conclut le Sermon de la Montagne, en parlant de l’homme prudent qui a construit sa maison sur le roc, de sorte que lorsque les vents et les pluies se sont abattus sur elle, ils n’ont rien pu contre elle (cf. Mt 7, 24-25).

Dans la vie spirituelle du chrétien, le terrain ferme de l’édifice spirituel est défini par les vertus humaines, puisque la grâce présuppose toujours la nature. Il convient de ne pas oublier que le prêtre ne cesse pas d’être un homme lorsqu’il est ordonné. Bien au contraire, c’est précisément pour avoir été pris d’entre les hommes et fait médiateur entre les hommes et Dieu (cf. He 5, 1), qu’il doit prendre soin de sa préparation humaine, qui le rend capable de mieux servir les âmes.

« Cette formation, écrit mgr Alvaro del Portillo, comprend l’ensemble des vertus humaines qui sont directement ou indirectement branchées sur les quatre vertus cardinales, ainsi que le bagage de culture générale non ecclésiastique, indispensable au prêtre afin que, aidé de la grâce bien évidemment, il puisse réaliser facilement son apostolat.15» Mon prédécesseur à la tête de la Prélature de l’Opus Dei souligne les raisons essentielles qui doivent encourager le prêtre à acquérir et à cultiver ces vertus : « D’abord, celles-ci sont indispensables au développement de la vie spirituelle pour atteindre la perfection ; ensuite elles sont un moyen d’exercer l’apostolat avec une plus grande efficacité.16»

Dans la vie et les enseignements de saint Josémaria, l’on trouve cet aspect fondamental de la formation chrétienne et,,plus spécifiquement, de la formation sacerdotale. Nous en avons de nombreuses preuves de son enfance à son décès en 1975. Les témoins de son travail pastoral sont tous d’accord pour dire qu’il fut un prêtre épris de Jésus-Christ, livré au service des âmes, doué d’une forte personnalité harmonieuse, dans laquelle l’humain et le surnaturel étaient étroitement fondus dans une unité de vie. Quant à ses enseignements, son homélie « Vertus humaines », recueillie dans Amis de Dieu, en est le paradigme. L’on y trouve le fondement théologique du besoin de cultiver les vertus humaines : la profondeur de l’Incarnation du Verbe, Homme parfait tout en étant Dieu parfait. C’est dans cette homélie qu’il analyse les principales vertus qu’un chrétien et qu’un prêtre doivent cultiver : la force d’âme, la sérénité, la patience, l’assiduité au travail, l’ordre, la diligence, la véracité, l’amour de la liberté, la sobriété, la tempérance, l’audace, la magnanimité, la loyauté, l’optimisme, la joie.

Sur la base de l’humilité

« L’humilité est le fondement de notre vie, le moyen et la condition de notre efficacité »17écrit saint Josémaria en syntonie avec la tradition spirituelle du Christianisme. Il parle, évidemment, du fondement moral puisque le théologal, comme il l’a prêché par sa conduite et dans ses enseignements, s’appuie sur la foi théologale, qui nous conduit à assumer avec profondeur le sens de notre filiation divine en Christ. Cette conviction présente aux hommes la vérité la plus profonde sur nous-mêmes et, de ce fait, elle revalorise nécessairement l’humilité qui n’est, à vrai dire, que ce dont parlait la Sainte d’Avila : « marcher en toute vérité », avancer dans la foi.

Avec une foi ferme, à la base de toute réponse chrétienne, on évite l’erreur de présenter l’humilité comme un manque de décision ou d’initiative, comme le renoncement à des droits qui sont des devoirs. Rien de plus étranger à la pensée du fondateur de l’Opus Dei. « Être humble n’est en rien être sale ou négligé, pas plus que se montrer indifférent à ce qui se passe autour de nous, dans un abandon permanent de nos droits. C’est encore moins dire tout et n’importe quoi sur nous-mêmes. Il ne peut avoir d’humilité là où il y a cinéma et hypocrisie parce que l’humilité c’est la vérité.18»

Cette vertu est si importante dans la vie chrétienne que saint Josémaria assurait que « de même que l’on condimente les aliments avec du sel, pour qu’ils ne soient pas insipides, de même devons-nous mettre l’humilité partout dans notre vie19». Et il utilisait une image classique : « N’allez pas faire comme ces poules qui, dès qu’elles ont pondu un seul œuf, assourdissent toute la maison de leurs caquètements. Il faut travailler, réaliser un travail intellectuel ou manuel, et toujours apostolique, avec de grandes visées et de grands désirs de servir Dieu en restant inaperçus, que le Seigneur transforme en réalité.20»

Mais revenons à la foi, fondement théologal, et avec la foi, à l’espérance : il n’y a pas de sainteté si l’on ne cultive pas une foi embrassant toute la réalité, si on ne cultive pas la vertu de l’espérance comme la force donnant un élan à ce pèlerinage sur terre. Dès le début, le fondateur de l’Opus Dei fut bien conscient que la mission que Dieu lui avait confiée dépassait totalement ses forces. C’est pourquoi il eut recours, instamment, sans jamais les abandonner, aux seuls moyens de mettre à notre portée la toute-puissance divine : la prière et le sacrifice. D’innombrables témoignages montrent qu’il a quémandé partout, dans les hôpitaux et les quartiers marginalisés de Madrid, comme s’il s’agissait d’un trésor, la prière et l’offrande à Dieu de la souffrance de beaucoup de gens délaissés, qui recevaient de lui la consolation et le souffle de son assistance sacerdotale.

Nous, les prêtres, nous avons, ô combien, besoin de faire grandir de plus en plus notre foi et notre espérance. Nous sommes plongés dans une tâche où ce sont les moyens surnaturels qui comptent le plus, la seule chose absolument nécessaire (cf. Lc 10, 42). On a besoin de vrais miracles pour conduire les âmes vers Dieu. Cependant « on entend dire parfois que les miracles sont moins fréquents aujourd’hui que par le passé. Ne serait-ce pas que moins d’âmes vivent une vie de foi ?21» Ces propos de saint Josémaria sont une sonnerie d’alarme, un appel à notre sens des responsabilités, parce que le prêtre doit être, avant tout, un homme de foi, un homme d’espérance. « C’est par la foi, écrit le Pape, que l’on accède aux biens invisibles qui constituent l’héritage de la Rédemption du monde que le Fils de Dieu a réalisée.22»

La foi est le fondement des choses qu’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas (He 11, 1). Et c’est « dans la prière persévérante de chaque jour, dans la facilité ou l’aridité, que le prêtre, comme tout chrétien, reçoit de Dieu […] des lumières nouvelles, la fermeté dans la foi, l’espérance sûre de l’efficacité surnaturelle de son travail pastoral, un amour renouvelé : en un mot, l’élan pour persévérer dans ce travail et la racine de l’efficacité effective de son travail lui-même23». Nous pouvons découvrir dans ces propos de mgr del Portillo, le plus étroit collaborateur du fondateur de l’Opus Dei pendant de longues années, une allusion délicate à la vie spirituelle de saint Josémaria qui reçut de Dieu la grâce d’être un contemplatif au milieu des tâches les plus absorbantes. Et don Alvaro d’ajouter : « Sans prière, sans l’effort d’une prière continuelle, au milieu de toutes les occupations, il n’y a pas d’identification au Christ, dans la mesure où elle est une tâche, qui s’appuie sur ce qu’elle a de don. Qui plus est, j’ose dire qu’un prêtre sans prière, s’il ne fausse pas l’image qu’il donne du Christ, Modèle pour tous, la présente comme une nébuleuse qui n’attire ni n’oriente, qui déboussole le peuple qui nous voit ou nous écoute.24»

Charité pastorale

Nous arrivons ainsi à la vertu la plus définitive et caractéristique de la vie chrétienne : la charité qui revêt, chez le prêtre, des aspects précis : c’est une charité pastorale. En peu de mots : elle est issue de la conscience d’être le représentant de Jésus-Christ, le Pasteur Suprême (1 P 5, 4) des âmes, qui a donné sa vie pour ses brebis (cf. Jn 10, 11). Cette conviction surnaturelle doit encourager le prêtre à se livrer jusqu’au bout dans l’exercice de son ministère, puisqu’il est pressé par la charité du Christ (cf. 2 Co 5, 14). Une charité pastorale ferme alimentée avec persévérance par l’Eucharistie et par la prière, donnera, à son ministère, l’efficacité des fruits.

La figure de saint Josémaria est source de lumière à ce propos. Dès les premiers pas de sa vocation, il ne s’est pas ménagé dans le don de lui-même au service des âmes. J’ai parlé tout à l’heure brièvement de ses incursions dans les quartiers extrêmes du Madrid des années 20 et 30, de ses contacts permanents avec la pauvreté et la maladie, de ses soins aux mourants, de sa consolation aux malades, de son instruction chrétienne aux enfants et aux adultes. Je puis vous assurer, pour l’avoir vu de mes yeux, que c’est ainsi qu’il a dépensé le reste de son existence, jusqu’au dernier jour : toujours aux petits soins des autres, des proches ou des plus éloignés, des connus et des inconnus : il priait et se sacrifiait de bon cœur pour toutes les âmes sans exception.

Dieu assume de façon particulière la personne du prêtre et cela se fait à l’ordination sacerdotale. Il fait que le prêtre soit attaché et entièrement consacré au service et à l’amour total du Christ. La richesse de ce don est d’une telle envergure que le prêtre peut faire siennes, avec une profondeur toute spéciale, les paroles de l’Apôtre : mihi vivere Christus est (Ph 1, 21), vivo autem iam non ego, vivit vero in me Christus (Ga 2, 20). Par ailleurs, la mission reçue a un caractère universel : le prêtre est envoyé au monde entier, comme un instrument vivant du Christ, qui s’est livré lui-même pour nous afin de nous racheter de toute iniquité et de purifier un peuple qui lui appartienne en propre, zèle pour le bien (Tt 2, 14).

L’identification sacramentelle au Christ, avec la mission reçue, sont à la base des exigences particulières de la charité pastorale et accordent au prêtre une place spéciale dans le mystère du Christ et de l’Église. En parlant de la profondeur doctrinale que le concile Vatican II avait atteinte à ce sujet, mgr Alvaro del Portillo écrit : « Si l’on considère que l’Amour incarné parmi les hommes a évité tout attachement humain — encore que juste et noble —qui aurait pu, d’une façon ou d’une autre, entraver ou diminuer le plein épanouissement de son entière consécration ministérielle, on comprend alors combien il sied au prêtre de faire de même, en renonçant librement, par son célibat, à ce qui en soi est bon, voire de saint, pour s’unir plus facilement et tout cœur au Christ et par Lui et en Lui se consacrer plus librement au service de Dieu et des hommes.25»

Le célibat sacerdotal est perçu comme une manifestation de l’oblation complète de sa vie que le prêtre, librement, offre au Christ et à l’Église. Sous cet angle-là, l’on saisit parfaitement les propos de saint Josémaria lors d’un moment d’entretien familial, en 1969 : « Le prêtre, s’il a un esprit sacerdotal authentique, s’il est un homme de vie intérieure, ne pourra jamais se sentir seul. Personne n’aura un cœur aussi épris que le sien. Il est l’homme de l’Amour, le représentant parmi les hommes de l’Amour fait homme. Il vit par Jésus-Christ, pour Jésus-Christ et en Jésus-Christ. C’est une réalité divine qui me touche au plus profond de moi-même, lorsque tous les jours, j’élève le Calice et la Sainte Hostie que je tiens dans mes mains. Je dis lentement, en les savourant, ces paroles du Canon : Per Ipsum, et cum Ipso et in Ipso… c’est par Lui, avec Lui et en Lui que je vis pour les âmes. C’est de son Amour et pour son Amour que je vis, en dépit de mes misères personnelles. Et malgré ces misères, voire peut-être à cause d’elles, mon Amour est un amour qui se renouvelle chaque jour.26»

Fraternité sacerdotale

En aimant toutes les âmes sans exception, saint Josémaria vouait cependant un amour de prédilection à ses frères prêtres. J’ai déjà parlé de la joie avec laquelle il les retrouvait, pour apprendre de leur don, si souvent héroïque, et pour leur transmettre en même temps quelque chose de son expérience personnelle. Mais je ne peux pas ne pas évoquer son dévouement concret pour les prêtres, spécialement pendant les années où il vécut en Espagne. Dans les années 40, à la demande des évêques diocésains, il prêcha beaucoup de retraites au clergé qui avait besoin d’aide spirituelle après la terrible épreuve de la persécution religieuse des années précédentes. Saint Josémaria s’y est livré à fond et il est arrivé, parfois, à s’occuper de plus de mille prêtres en une seule année.

Jusqu’à la fin de sa vie, il fit une demande pressante au Seigneur, afin que Dieu envoie à l’Église beaucoup de vocations sacerdotales. Quant à lui, il a préparé et orienté vers les séminaires un grand nombre de jeunes pouvant devenir prêtres. Il encourageait les fidèles laïcs à prier instamment le Maître de la moisson, d’envoyer des ouvriers à sa moisson (cf. Mt 9, 37-38). Pour saint Josémaria, le pouls de la vitalité surnaturelle d’un diocèse est à la mesure du nombre de vocations sacerdotales dont les prêtres eux-mêmes sont les premiers responsables.

Il était ô combien triste lorsqu’il en rencontrait un ayant négligé ce travail ! En effet cette négligence est le signe certain que le prêtre lui-même n’est pas content de son appel. Je pense maintenant à sa réponse immédiate lorsqu’on lui demanda un jour pourquoi les vocations se faisaient rares au séminaire. « Il se pourrait que, très souvent, la première cause tienne à ce que nous, les prêtres, nous n’appréciions pas le trésor que nous avons entre nos mains. Aussi n’allumons-nous pas chez les jeunes le désir de posséder ce trésor. Les séminaires seraient pleins si nous aimions davantage notre sacerdoce.27»

Sa préoccupation pour la sainteté du clergé venait de loin. Il voyait clairement que le premier apostolat des prêtres doit être celui des prêtres eux-mêmes. Ne jamais les laisser seuls dans la peine, partager leur joie, les encourager dans la difficulté, les raffermir au moment du doute… Il a gravé au feu dans son âme ces paroles de la Sainte Écriture : frater, qui adiuvatur a fratre, quasi civitas firma (Pv 18, 19), le frère aidé par son frère est comme une ville forte.

Cette volonté d’aider ses frères dans le sacerdoce était si intense qu’en 1950, lorsque l’Opus Dei avait déjà reçu l’approbation définitive du Saint-Siège, il a pensé à se consacrer entièrement aux prêtres diocésains. Ayant déjà offert au Seigneur le sacrifice d’Abraham — il était prêt, en effet, à quitter l’Œuvre si cela avait été nécessaire — le Ciel lui fit voir que ce sacrifice n’était nullement nécessaire. En effet, l’esprit de l’Opus Dei apprenant aux chrétiens à se sanctifier au beau milieu du monde, chacun à son travail personnel, il y avait donc une place pour que les prêtres diocésains y rencontrent Dieu. Il suffisait qu’en pleine communion avec leur évêque ordinaire et avec le presbytérium du diocèse, ils cherchent la sainteté dans l’exercice de leurs devoirs ministériaux, en étant profondément attachés à l’évêque diocésain, qu’ils vénèrent et à leurs frères dans le sacerdoce. Les portes de la Société Sacerdotale de la Sainte Croix, dont faisaient déjà partie les clercs incardinés dans l’Opus Dei, étaient largement ouvertes pour y accueillir les prêtres diocésains ayant reçu cet appel divin spécifique.

Aujourd’hui, sur ces terres de la Rioja, où, depuis fort longtemps, le travail de l’Opus Dei est parfaitement intégré dans le diocèse, j’élève un cœur reconnaissant à la Très Sainte Trinité pour les fruits copieux que la Société Sacerdotale de la Sainte Croix y a produits et continue d’y produire, au service de l’Église universelle et des Églises particulières. Tout est le fruit de la grâce que Dieu nous octroie par l’intermédiaire de sa Très Sainte Mère, grâce à laquelle saint Josémaria sut répondre, il y a déjà quatre-vingt-cinq ans, lorsqu’à Logroño précisément, il reçut l’appel au sacerdoce.

Discours prononcé lors de l'acte académique célébré en l'honneur de saint Josémaria, au séminaire diocésain de Logroño, en Espagne

Notes

1. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Homélie Prêtre pour l’éternité. 13 avril 1973.

2. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Notes prises lors d’une réunion de famille, 28 mars 1966.

3. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Lettre du 2 février 1945, n° 4.

4 Ps 118/119, 100.

5. CONCILE VATICAN II, Const. Dogm. Lumen gentium, n° 40.

6. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Chemin, n° 285.

7. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Homélie Prêtre pour l’éternité. 13 avril 1973.

8. JEAN-PAUL II, Don et mystère.

9. JEAN-PAUL II, Don et mystère.

10. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Homélie Prêtre pour l’éternité. 13 avril 1973.

11. JEAN-PAUL II, Don et mystère.

12. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Homélie Prêtre pour l’éternité. 13 avril 1973.

13. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Notes prises lors d’une réunion de famille, 10 mai 1974.

14. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Homélie Prêtre pour l’éternité. 13 avril 1973.

15. MGR. ALVARO DEL PORTILLO, Vocation et mission du prêtre, Le Laurier, Paris 1991, page 16.

16. MGR. ALVARO DEL PORTILLO, Vocation et mission du prêtre, Le Laurier, Paris 1991, pages 18-19.

17. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Lettre du 23 mars 1930, n° 20.

18. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA Notes prises lors d’une méditation, 25 décembre 1972.

19. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA Notes prises lors d’une méditation, 25 décembre 1972.

20. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA Notes prises lors d’une méditation, 25 décembre 1972.

21. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Amis de Dieu, n° 190.

22. JEAN-PAUL II, Don et mystère.

23. MGR. ALVARO DEL PORTILLO, Vocation et mission du prêtre, Le Laurier, Paris 1991, page 105.

24. MGR. ALVARO DEL PORTILLO, Vocation et mission du prêtre, Le Laurier, Paris 1991, page 105.

25. MGR. ALVARO DEL PORTILLO, Vocation et mission du prêtre, Le Laurier, Paris 1991, page 55.

26. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Notes prises lors d’une réunion de famille, 10 avril 1969.

27. SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Notes prises lors d’une réunion avec des prêtres, 3 novembre 1972.

Actes du congrès international « La grandeur de la vie ordinaire » , Vol. X Holy Priests, Priests “through and through”, EDUSC, 2004.