- La liberté de ne pas s'attacher aux biens de ce monde
- Le détachement nous rappelle que tout appartient à Dieu
- Rendre grâce pour tout ce que nous possédons
« NUL SERVITEUR ne peut servir deux maîtres » (Lc 16, 13), nous dit Jésus aujourd’hui dans l’Évangile. Des propos clairs et précis, qui n'admettent pas le moyen terme. Celui qui veut être disciple du Christ fait en sorte que les biens de ce monde ne l’écartent pas de ce qu’il veut placer au cœur de sa vie. « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent » (Lc 16, 13), poursuit-il. Nous voulons demander à l’Esprit Saint de nous aider à bien comprendre l’invitation qu’il nous adresse. Le règne de Dieu et l’argent sont très différents. Nous recevons le premier qui nous ouvre aux autres ; en revanche, l’autre fait miroiter de multiples leurres, l’avarice, le désir démesuré de posséder, la confiance placée uniquement dans les biens, etc., pour nous enfermer en nous-mêmes.
L’effet immédiat, même s’il est éphémère, de l’attachement du cœur aux biens de ce monde, est la suffisance. Une fois que nous avons obtenu ce que nous désirions, nous jouissons l’espace d’un moment d’une gloire superficielle, bien que très voyante, voire bruyante sur le plan affectif. Cependant, ce refuge nous emprisonne petit à petit. Ces biens ne peuvent pas pénétrer jusqu’à notre cœur ni le nourrir. Au mieux, ils arrivent à l’anesthésier mais, tôt ou tard, nous nous réveillons pour constater que nous sommes tout seuls. Probablement, ces biens ne sont pas mauvais en soi, mais si nous en faisons de petites idoles ils prennent facilement les commandes de notre vie. Suivre Jésus comporte la joie de la vertu du détachement, jouir d’une utilisation harmonieuse des choses qui nous entourent. « Devenir ses disciples implique le choix de ne pas accumuler de trésors sur la terre, qui donnent l’illusion d’une sécurité, en réalité fragile et éphémère. Au contraire, cela exige la disponibilité à se libérer de tout lien qui empêche d’atteindre le vrai bonheur et la béatitude, pour reconnaître ce qui est durable et ne peut être détruit par rien ni personne (cf. Mt 6, 19-20) » [1]
Quelqu’un qui vit sans s’attacher aux choses, sans placer en elles son bonheur, se remplit de la richesse de Dieu, de son amour et de sa paix. Il n’a besoin de rien parce qu’il possède tout et lorsqu’il se sert des biens matériels, comme le temps ou ses talents, il en est reconnaissant, en y voyant des cadeaux ; il a ce dont il a besoin puisqu’en Dieu tout nous appartient. Il ne se les approprie pas, ni ne les retient. C’est pourquoi il en profite pleinement.
NOUS POUVONS demander à Jésus de nous apprendre l’art de prendre le risque de vivre en faisant confiance au soin qu'il prend de nous. À un autre moment de sa prédication, il a attiré l’attention de ses auditeurs sur les lys des champs et les oiseaux du ciel : jamais la nourriture ne leur fait défaut ni les vêtements, parce qu’ils vivent en Dieu, à leur manière (cf. Mt 6, 25-33). Il n’attend de nous qu’« un peu d’amour, pour qu’il déverse en abondance sa grâce dans l’âme de l’ami » [2]. Il lui suffit d’un brin d’affection pour nous remettre sa fortune. Dans cette affaire divine s’accomplissent à la perfection les propos de sainte Thérèse d’Avila : « Il n’y a pas de comparaison entre ce que vous avez donné et ce que vous allez recevoir » [3].
Jésus nous offre à tous la possibilité de jouir de la vertu du détachement, qui nous rappelle que tout appartient à Dieu. Chacun la vivra selon sa situation, dans l’abondance ou la pénurie. La situation concrète de chacun est la meilleure pour mettre sa confiance en Dieu. Lorsque l’incertitude, le doute ou la peur nous inquiètent, nous pouvons lui demander de nous convaincre que la joie ne dépend pas de la quantité, du peu ou du beaucoup ; de nous aider à bien graver en nous que « ce qui est nécessaire pour atteindre le bonheur, ce n’est pas une vie facile, mais un cœur plein d’amour » [4].
« Les desseins de Dieu ne coïncident pas avec ceux de l’homme ; ils sont infiniment meilleurs, mais ils restent souvent incompréhensibles à l’esprit humain. […] Nous ne devons certes pas attendre passivement ce qu’il nous envoie, mais plutôt collaborer avec lui, afin qu’il mène à bien ce qu’il a commencé à opérer en nous. Nous devons être diligents, en particulier dans la recherche des biens célestes. Ces derniers doivent se trouver à la première place, comme le demande Jésus : « Cherchez d’abord son Royaume et sa justice » (Mt 6, 33). Les autres biens ne doivent pas être l’objet de préoccupations excessives, car notre Père céleste connaît nos besoins » [5]
UN CHEMIN QUI conduit au détachement chrétien, qui est en même temps un « attachement » à ce que nous désirons véritablement, est celui de la reconnaissance. Lorsque nous ne tenons pas pour acquise l’affection que nous souhaitons recevoir, nous apprenons à nous ouvrir à toutes ses formes, quelles qu’elles soient. De même, nous abandonnons les pauvres certitudes que les biens, voire les créatures, nous offrent, pour découvrir mille et une manifestations de l’amour simple que les autres nous portent.
Le 28 février 1964 saint Josémaria est entré dans sa chambre et a été surpris de voir qu’il y avait un couvre-lit sur son lit, habituellement sans rien. Au bout de deux jours, il a appelé au téléphone une de ses filles pour l’en remercier : « Merci, ma fille, que Dieu te bénisse ! Quelle ne fut pas ma surprise l’autre jour en entrant dans ma chambre ! Pensant que je m’étais trompé, je me suis dit : Josémaria, te voilà riche ! Depuis 36 ans, c’est la première fois que j’ai un couvre-lit. Tu as bien vu que pendant toutes ces années j’ai beaucoup insisté auprès de vous pour être le dernier » [6].
« La vie de tout homme, de tout chrétien en particulier devrait se caractériser par une attitude de gratitude […]. C’est une attitude “eucharistique”, qui vous donne la paix et la sécurité dans les travaux, vous libère de toute affection égoïste et individualiste, vous rend docile à la volonté du Très-Haut, même dans les exigences morales les plus difficiles […]. Être reconnaissant, c’est croire, aimer, donner, et avec joie et générosité ! » [7] Nous demandons à la Vierge Marie, qui a reçu dans une parfaite reconnaissance les qualités dont Dieu l’a comblée, le courage de ne pas nous attacher aux choses de ce monde, mais de mettre notre confiance surtout en notre Père du ciel.
[1]. Pape François, Message pour la Ve Journée Mondiale des Pauvres 14 novembre 2021, XXXIIIe dimanche du temps ordinaire.
[2]. Saint Josémaria, Chemin de Croix, Ve station.
[3]. Sainte Thérèse d’Avila, Chemin de perfection, 33, 2.
[4]. Saint Josémaria, Sillon, n° 795.
[5]. Saint Jean Paul II, Audience générale, 24 mars 1999.
[6]. Saint Josémaria, témoignage cité dans A. Vazquez de Prada, Le fondateur de l’Opus Dei, vol. III, Le Laurier, Paris.
[7]. Saint Jean Paul II, Homélie, 9 novembre 1980.