Mgr Jaime Fuentes est né à Montevideo. Docteur en Théologie, il fit aussi des études de Journalisme à l’université de Navarre. Très jeune, il vécut à Rome aux côtés de saint Josémaria Escriva de Balaguer. Ordonné prêtre en 1973, il rentra à Montevideo en 1974. Il a été nommé évêque du Diocèse de Minas, en Uruguay, il y a dix mois.
Les faits sont sacrés
En 1921, C.P. Scott, journaliste britannique dit : “les faits sont sacrés, les opinions sont libres”. Jaime Fuentes écrit ses souvenirs sur saint Josémaria Escriva et donne un sens nouveau à la première partie de cette affirmation. En effet, dans la vie de quelqu’un qui aspire à la sainteté, même le plus petit de ses gestes peut être sacré. Cette certitude l’a encouragé à publier « Lutter par amour », un petit livre avec ses souvenirs. « J’ai vécu près du fondateur de l’Opus Dei pendant dix ans, de 1964 à 1974 […] Au fil du temps, ces petits souvenirs sont devenus un trésor pour moi».
La clé pour emporter le prix
-Sur la première page de votre livre il y a deux citations. “Vivre c’est lutter”, de Sénèque et “Voici notre destinée sur terre: lutter par amour jusqu’au dernier instant”, de saint Josémaria.
Quelle est la différence, à votre avis?
L’amour. Si l’amour est là, la lutte devient un tournoi sportif. « Ne savez-vous pas que tous courent au stade, mais qu’un seul emporte le prix ? ». Saint Paul, l’homme le plus épris du Christ qui ait existé, en parlait déjà.
Le tournoi sportif est un combat à mener jusqu’au bout, malgré les défaites. C’est ce que j’ai appris de saint Josémaria.
-Saint Josémaria, dites-vous, était “un maître en l’art de créer des instants”. Expliquez-nous ce que cela veut dire et quels sont les « faits » qui vous portent à le dire ?
“Créer un instant” veut dire imposer un rythme humain au travail, apprécier les rencontres personnelles. Il s’agit de chercher avec acharnement la richesse que recèle le cœur des personnes, de ces gens qui à force de courir et de faire des choses peuvent devenir une énorme société anonyme.
Saint Josémaria nous apprit à “créer des instants”. Sa formule était toute simple et très difficile à vivre en même temps : il était là avec ses cinq sens rivés sur chaque personne, sur chaque situation. En 1968, je travaillais dans un bureau du siège central de l’Opus Dei, à Rome. Le Père y est venu pour s’entretenir avec celui qui dirigeait ce bureau et voir où ils en étaient dans différents projets. Il n’était jamais dans le rôle du cadre qui analyse les problèmes, suggère des modalités à suivre et repart. Pour lui, le plus important c’était nous. Il « créait des instants » pour nous demander des nouvelles de la famille, pour s’intéresser aux plus petites de nos affaires.
N’attendez pas d’être vieux
-Comment saint Josémaria faisait-il face “au passage du temps”? Avez-vous vécu un anniversaire près lui, par exemple ?
Le 9 janvier 1968, son soixante-sixième anniversaire. Je pense à l’homélie qu’il fit ce jour-là. Plusieurs dizaines de jeunes gens l’entouraient et il nous dit qu’il ne fallait pas attendre d’être vieux pour être saints.
“Vous auriez vraiment tort”. Il faut s’y mettre dès maintenant, sérieusement, gaiement, à travers le travail, — l’étude est votre travail en ce moment— en sanctifiant cette tâche, en vous sanctifiant à la tâche, tout en sachant que vous y sanctifiez les autres » .
J’ai aussi en tête le geste qu’il eut vis-à-vis de quelqu’un de nous, le jour de ses 40 ans. C’était un officier de marine. À l’heure du déjeuner, on lui offrit un bateau en papier que saint Josémaria avait fait et sur la proue duquel il avait écrit de sa main: 20+20 = l’éternel printemps”.
Le passage du temps, qui est un vrai drame pour pas mal de monde, l’encourageait à tirer profit de l’instant présent en lui donnant la valeur de l’éternité, par l’amour qu’il mettait dans les plus petites choses.
Des rêves et des réalités
-Pour certains jeunes, les saints sont des rêveurs. Avez-vous entendu saint Josémaria parler de la réalisation de ses rêves ?
Le jour de son anniversaire, justement. Il disait que nous, là près de lui, nous étions la concrétisation de ses rêves: des personnes des milieux les plus divers, issus de tous les coins de la planète, qui avaient entendu le message de la sainteté au coeur du monde et qui voulaient mettre leur vie sur le tapis pour le faire connaître du nord au sud.
Ce jour-là il avait dit “l’Oeuvre est aujourd’hui une famille sans limites de race, de langue de nation […]. Les choses de Dieu sont ainsi faites, toutes petites: elles se font avec une douce violence, en s’ouvrant une voie dans la souffrance et l’abnégation. La tige vient après que la semence soit morte, et puis, il y a des fleurs (...) et les fruits, que vous êtes (...). Rêvez. J’ai soixante six ans et mes rêves sont devenus des réalités, et je ne me sens nullement vieux, en plus » .
Tout est avantageux
-Vous aviez pensé être journaliste, le fait d’avoir été ordonné prêtre a-t-il été “un dur renoncement” pour vous? Autrement dit, comment saint Josémaria concevait-il la vocation au sacerdoce ?
Dieu nous donne sa grâce pour que nous fassions ce qu’il veut de nous. Autrement je n’arriverais même pas à me comprendre moi-même. Si en 1964, quand je suis parti, à 19 ans, faire des études de journalisme à l’Université de Navarre, quelqu’un m’avait dit qu’un jour je serais prêtre et évêque, je l’aurais pris pour un fou à lier. Et voilà. Je n’ai pas suffisamment de temps pour remercier Dieu pour tout ce que j’ai gagné en répondant à son appel au sacerdoce. Saint Josémaria pensait que le sacerdoce était le plus beau cadeau que Dieu puisse faire à un homme, puisqu’il s’agit de servir tout le monde en étant l’intendant des mystères de Dieu, comme le dit saint Paul. Pour un fidèle de l’Opus Dei, il ne s’agit pas d’un quelconque « aboutissement », du couronnement de sa vocation à la sainteté. « Il s’agit d’un appel qu’il adresse à certains pour qu’ils se mettent au service des autres d’une façon différente », disait saint Josémaria. Pour le reste, j’ai toujours gardé ma mentalité professionnelle : j’ai une nouvelle permanente à communiquer et je tâche de le faire en me servant des moyens les plus appropriés au public auquel je m’adresse.
- Maintenant, en tant qu’évêque, quel souvenir de la vie de saint Josémaria vous aide-t-il dans votre travail pastoral ?
Une fois, à Rome, Mgr Luis Sanchez Moreno, évêque au Pérou, à l’époque, vint prendre congé de lui. J’étais là. Saint Josémaria l’embrassa sur les deux joues, comme le Père affectueux qu’il était et ne lui dit qu’une chose: - Je vais prier pour toi pour que tu sois un saint évêque.
C’est bien l’essentiel, auquel je n’ai rien à ajouter.