Le Colisée

Je vénère de toutes mes forces la Rome de Pierre et de Paul, baignée dans le sang des martyrs, centre d’où tant de saints sont partis pour propager la parole de salut du Christ dans le monde entier.

Télécharger l'article en pdf : Le Colisée

Je vénère de toutes mes forces la Rome de Pierre et de Paul, baignée dans le sang des martyrs, centre d’où tant de saints sont partis pour propager la parole de salut du Christ dans le monde entier. Être romain n’est en rien une preuve de particularisme, mais bel et bien d’authentique œcuménisme. Cela demande de vouloir agrandir son cœur, l’ouvrir à tous dans le souci rédempteur du Christ qui cherche tout le monde, accueille tout le monde parce qu’il nous a tous aimés le premier 1.

Les ruines du Colisée sont un témoignage aussi éloquent de la grandeur de l’ancienne civilisation romaine que de sa misère et de sa caducité. Jean-Paul II l’exprimait clairement lorsqu’il parlait « de ce tragique et glorieux monument de la Rome impériale, témoin muet de sa puissance et de sa domination, mémorial muet de vie et de mort, où l’on croit entendre, comme un écho interminable, des cris de sang (cf. Jn 4, 10) et des appels à la concorde et au pardon » 2.

Grandiosité et cruauté

L’amphithéâtre Flavius, nom d’origine du Colisée, est le fait du génie romain, capable d’entreprendre des chantiers d’envergure, et de veiller sur les plus petits détails pratiques. Tout était prévu pour que, dans cette construction, les dimensions énormes et la solidité n’enlèvent rien à sa beauté et à sa fonctionnalité. L’équilibre architectonique est réussi grâce aux trois niveaux d’arcades où ont été savamment distribués les espaces pour donner une impression de légèreté. Le sens pratique est appréciable partout : dans les accès, qui, avec plus de quatre-vingt portes, permettaient que l’amphithéâtre se remplisse et se vide en quelques minutes ; dans la répartition des places assises, calculée pour qu’on puisse voir parfaitement l’arène de chacun des cinquante mille sièges ; dans le système de bâches qui protégeaient la foule du soleil et de la pluie et que tendait une équipe de cent soldats de la marine ; dans le réseau complexe de souterrains où il y avait des ascenseurs à treuils et à poulies pour hisser les combattants et les fauves.

On mit huit ans à construire cet édifice grandiose et ce, grâce au travail de douze mille esclaves, hébreux pour la plupart, prisonniers de Titus après la destruction de Jérusalem en l’an 70. Le nouvel amphitheatrum fut inauguré en 80, avec un programme de spectacles et de festivités qui s’étala sur cent jours : des centaines de gladiateurs périrent dans l’arène, on acheva presque cinq mille bêtes sauvages. Ce fut à cette époque là que l’on célébra les premières naumachiæ, batailles navales, grâce aux plans d’eau qui couvraient l’intérieur, nouveauté qui impressionna vivement les Romains.

Les empereurs se dépassèrent les uns les autres dans des spectacles, offerts au peuple, de plus en plus extraordinaires. Sénèque avait déjà lamenté, par le passé, la spirale de violence et d’inhumanité que provoquait ce type d’événements 3. Le peuple voulait des sensations de plus en plus fortes. Seuls le sang, les homicides et les tueries de plus en plus cruels et sophistiqués l’intéressaient.

Dans ce contexte, les exécutions des condamnés n’étaient pas très intéressantes pour le public puisque les prévenus, sans défense, ne présentaient pratiquement aucune résistance aux bourreaux ou aux bêtes. Elles avaient donc lieu en fin de matinée, dans l’intermède des combats de gladiateurs qui se poursuivaient l’après-midi. Un grand nombre de ces condamnés qui perdaient la vie devant des spectateurs abrutis et souvent indifférents étaient des chrétiens.

Un martyre insigne « in Amphitheatrum »

Saint Ignace d’Antioche, mort sous l’empereur Trajan, est un témoignage bouleversant de l’attitude des premiers chrétiens face au martyre. Converti du paganisme, Ignace fut le deuxième successeur de saint Pierre au siège épiscopal d’Antioche. Il fut arrêté en 107, condamné ad belvas, à affronter les fauves, et envoyé à Rome sous bonne garde militaire pour l’exécution de sa peine.

L’historien Eusèbe de Césarée nous permet de connaître beaucoup de choses de ce long voyage de la Syrie à la capitale de l’empire, mais aussi surtout les sept lettres que saint Ignace écrivit aux Églises d’autant de villes pour les conforter dans la foi et les avertir du danger des hérésies agnostiques qui commençaient à se répandre à l’époque.

Toutes ses lettres commencent par la salutation Ignace, appelée aussi Théophore, porteur de Dieu. Le fondateur de l’Opus Dei aimait ce qualificatif : Ainsi qu’aux premiers temps, on devrait pouvoir dire de tout chrétien qu'il est "porteur de Dieu".

— Comporte-toi de telle manière que l'on puisse "en toute vérité" te donner ce titre admirable4.

Saint Ignace était totalement pris par Dieu, comme on peut le constater à la joie qui déborde de ses lettres : de tout cœur en Jésus-Christ et dans une joie immaculée dit-il aux Éphésiens, au début de sa lettre. Il souhaite à ceux de Magnésie une surabondance de joie en Dieu le Père et en Jésus-Christ ; et il envoie à ceux de Philadelphie une salutation dans le sang de Jésus-Christ qui est joie éternelle et constante. Les raisons de son bonheur étaient totalement surnaturelles car le futur martyr connaissait bien ce qui l’attendait et, quant aux sbires qui s’en occupaient, ils n’étaient pas spécialement tendres : De la Syrie à Rome, je lutte contre les fauves, sur terre et en mer, jour et nuit, enchaîné à dix léopards, c’est-à-dire à un peloton de soudards qui, en dépit du bien qu’ils reçoivent, sont de plus en plus méchants. Avec leurs mauvais traitements je deviens de plus en plus disciple [du Christ]5.

Saint Ignace se réjouissait à l’idée de partager la Croix de Jésus et souhaitait ardemment que son identification à Notre Seigneur se termine par le martyre. C’est la raison pour laquelle il prie les chrétiens de ne pas intercéder pour lui devant les autorités et montre combien il tient à ce que les fauves le dévorent le plus rapidement possible, pour qu’il ne m’arrive pas, dit-il, ce qu’il est advenu à certains, que les bêtes n’ont pas osé approcher6. En effet, en certains cas, les fauves affamés n’avaient pas attaqué les chrétiens, voire, ils s’étaient gentiment couchés à leurs pieds, sous les yeux des spectateurs ahuris. C’est ce que la tradition rapporte à propos de sainte Martine, saint Alexandre et saint Marin, par exemple.

L’évêque d’Antioche fut jeté aux lions in Amphitheatrum7. Son vœu fut accompli : Je suis le froment de Dieu et il faut que je sois broyé par les dents des fauves, afin de devenir le pain immaculé du Christ 8.

Après cet affreux spectacle, les chrétiens réussirent à récupérer certains os du martyr, ils les vénérèrent et les envoyèrent à Antioche quelque temps plus tard : Vous avez profité de son épiscopat, disait saint Jean Chrysostome aux fidèles de la cité syrienne, et les Romains ont admiré son martyre. Le Seigneur vous a ravi pour peu de temps ce précieux trésor afin de le montrer aux Romains et il vous l’a rendu avec une plus grande gloire9. Ses reliques furent cependant rapportées à Rome au 7ème siècle lors des invasions des Sarrasins. Elles reposent désormais en l’église Saint-Clément. On peut s’y rendre, sous le conseil de saint Jean Chrysostome, pour tirer tous les bienfaits spirituels de ces restes sacrés, qui sont comme un trésor où l’on peut puiser sans qu’il s’épuise 10.

La voie de l’ordinaire

Bien que le Circus Maximus, le cirque de Néron et d’autres lieux de l’Urbs aient été aussi le cadre de la mort de nombreux chrétiens, cependant ce fut en 1749 que le pape Benoît XIV consacra le Colisée comme un lieu saint en mémoire de la Passion du Christ et des souffrances des martyrs. À cette occasion, il fit placer autour de l’arène les stations du Chemin de Croix.

De nos jours, dès que l’on pénètre dans l’amphithéâtre, on voit en face une grande croix en bois noir qui invite à la prière. Sur ces lieux, face à l’instrument de la Passion du Seigneur, en pensant à ceux qui ont donné leur vie pour le Christ, il est naturel d’avoir envie d’être plus généreux, de surmonter à tout jamais notre égoïsme, de vouloir que tous les chrétiens soient plus attachés à la mortification. Ce sont de saintes aspirations qui, la grâce aidant, peuvent devenir efficaces dans la vie quotidienne : Combien se laisseraient clouer sur une croix, devant des milliers de spectateurs stupéfaits, qui ne savent pas supporter chrétiennement les piqûres d’épingle quotidiennes ! — Juge, par là, ce qu’il y a de plus héroïque 11!

Le fondateur de l’Opus Dei cultivait sa dévotion envers les martyrs des premiers siècles de l’Église. En même temps, il aimait rappeler que la sainteté est pour tous et il mettait en garde fréquemment contre l’erreur de croire que l’héroïsme surnaturel ne tient qu’à l’ extraordinaire : les persécutions, le martyre, les contradictions de taille ou la réalisation de grandes entreprises pour la gloire de Dieu. Afin que ces faits héroïques, éventuels, il est vrai, mais peu probables dans la vie de tous les jours, ne nous leurrent pas, il encourageait tous les chrétiens à suivre la voie de l’héroïcité dans leurs propres circonstances personnelles. Le conseil qu’il nous donne en Chemin va bien dans ce sens :Tu veux être martyr. — Je vais mettre le martyre à portée de ta main : être apôtre et ne pas te dire apôtre ; être missionnaire — remplissant une mission — et ne point te dire missionnaire ; être homme de Dieu et paraître homme du monde : passer inaperçu12.

De même que les martyrs, tout chrétien doit souhaiter ardemment faire la Volonté de Dieu et lui montrer son amour qui passe aussi par le sacrifice, et ce, dans la joie car la mortification n'est ni pessimisme ni aigreur. La mortification ne vaut rien sans la charité: c'est pourquoi nous devons chercher des mortifications qui, en nous aidant à maîtriser les choses de la terre, ne mortifient pas ceux qui vivent avec nous. Le chrétien ne peut être ni un bourreau ni un misérable; c'est un homme qui sait à la fois aimer et le montrer, et pour qui la douleur est la pierre de touche de l'amour.

Mais j'ajoute, encore une fois, que cette mortification ne saurait consister en de grands renoncements, qui d'ailleurs se présentent rarement. Il doit s'agir plutôt de petites luttes: sourire à qui nous importune, refuser au corps les caprices de biens superflus, nous habituer à écouter autrui, faire fructifier le temps que Dieu met à notre disposition... Et tant d'autres détails, insignifiants en apparence, qui surgissent sans que nous les cherchions — contrariétés, difficultés, chagrins — au fil de chaque jour 13.

Notes

1. Saint Josémaria, Loyauté envers l’Église, 4 juin 1972

2. Jean-Paul II, Chemin de Croix aux Colisée, Vendredi saint 2003, prière initiale

3. Cf. Sénèque, Épîtres morales à Lucilius I, 7, 3-5.

4. Saint Josémaria, Forge, n° 94

5. Saint Ignace d’Antioche, Lettre aux Romains, V, l.

6. Ibid., V, 2.

7. Martyrium Antiochenum VI, 3.

8. Saint Ignace d’Antioche, Lettre aux Romains, IV, 1.

9. Saint Jean Chrysostome, In S.Ignatium Martirem hom, n. 5, PG 50, col. 594.

10. Ibid., col. 595.

11. Chemin, n° 204.

12. Chemin, n° 848.

13. Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n° 37.