Le cœur chrétien, moteur du développement social. Réflexion à partir de l’enseignement de saint Josémaria
Chers amis d’Harambee-Africa,
Le dixième anniversaire de votre association ravive en nous le souvenir, toujours actuel, de la canonisation de saint Josémaria Escriva de Balaguer. Aussi, permettez que, dix ans après ce 6 octobre 2002, je commence par remercier Dieu pour ce pasteur exemplaire qui, par sa réponse héroïque aux dons spirituels et humains reçus, a permis, entre autres, que tant de milliers de personnes du monde entier souhaitent aider les hommes et les femmes des pays financièrement moins favorisés.
Personnellement, je tiens aussi à montrer ma reconnaissance au Seigneur pour la diffusion universelle de la dévotion envers lui et pour l’aide qu’il nous a prêtée durant ces dix ans, à partir de la cérémonie où notre très cher Jean-Paul II appela Josémaria Escriva le saint de la vie ordinaire.
Un grand cœur
Saint Josémaria fut un prêtre au grand cœur, comme ses écrits le montrent (bien), aussi bien dans sa prédication orale que dans les œuvres de service à la société qu’il encouragea durant sa vie sur terre et qu’il continue d’inspirer, par son message, dans tous les continents et tout particulièrement en cette Afrique, terre d’espérance, qui, en cette journée de travail, est aujourd’hui au centre de notre réflexion.
Je pense que sa grande capacité d’aimer explique qu’en tant d’endroits du monde il y ait des églises, des chapelles, des édifices, des rues et des places qui portent son nom ; des congrès et des études sur son message concernant la recherche de Dieu dans les occupations ordinaires ; des livres, des productions audio-visuelles, des personnes qui s’approchent de l’Église grâce à un contact avec la figure et les enseignements de saint Josémaria. Tous les 26 juin, lorsque l’Église célèbre sa mémoire liturgique, il y a des milliers de célébrations dans les coins les plus variés de la planète. Des Messes ou des femmes et des hommes de toute race et de toute condition sociale, demandent à Dieu « d’être configurés à son Fils Jésus-Christ dans l’exercice du travail ordinaire et de servir d’un amour ardent l’œuvre de la Rédemption » (1).
La primauté de l’amour
Mais, entrons dans le vif du sujet de ce colloque. Saint Josémaria avançait « qu’un homme ou une société qui ne réagit pas face aux tribulations ou aux injustices et qui ne tâche pas de les soulager, n’est pas un homme ou une société à la mesure du Cœur du Christ » (2).
Quand on parle du « cœur humain », on ne se limite pas aux sentiments et encore moins à ce muscle du corps. « Très fréquemment, dit saint Josémaria, nous faisons allusion à toute la personne qui aime les autres et qui les fréquente. Et, avec la façon humaine de s’exprimer propre aux Saintes Écritures qui nous permet ainsi de comprendre les faits divins, le cœur est considéré comme le résumé, la source, l’expression et le fond ultime des pensées, des paroles et des actes. Un homme vaut ce que vaut son cœur, pouvons-nous dire dans notre langage » (3).
Benoît XVI l’a ainsi rappelé au début de sa première encyclique : « Dieu est amour et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu en lui » (1 Jn 4, 16). Ces paroles de la Première lettre de Jean expriment avec une particulière clarté ce qui fait le centre de la foi chrétienne : l’image chrétienne de Dieu, ainsi que l'image de l'homme et de son chemin, qui en découle » 4).
La charité, l’amour droit, est non seulement le centre de la vie chrétienne, mais aussi de l’existence humaine tout court. En effet, « c’est parce que Dieu est amour et que l’homme est son image que nous comprenons l’identité profonde de la personne, sa vocation à l’amour. L’homme est fait pour aimer ; sa vie ne se réalise pleinement que si elle est vécue dans l’amour » (5). Aussi, la créature est-elle incompréhensible, et incomprise par elle-même, si elle ne trouve pas l’amour, si elle ne l’éprouve ou ne se l’approprie pas, si elle ne partage pas vitalement cette richesse (6). Et vice-versa, l’être humain se révèle d’autant plus profondément et se développe davantage, en tant que personne, qu’il grandit en amour et dans le don droit de lui-même, et qu’il dépasse la logique du recevoir pour se projeter dans la logique de la gratuité et du don.
Le Compendium de la doctrine sociale de l’Église retient que « la charité est une force capable de susciter des voies nouvelles pour affronter les problèmes du monde d’aujourd’hui et pour renouveler profondément de l’intérieur les structures, les organisations sociales et les ordonnancements juridiques ».
Le Compendium de la doctrine sociale de l’Église retient que « la charité est une force capable de susciter des voies nouvelles pour affronter les problèmes du monde d’aujourd’hui et pour renouveler profondément de l’intérieur les structures, les organisations sociales et les ordonnancements juridiques ».
En paraphrasant un enseignement de saint Josémaria, nous sommes en mesure de dire que le grand privilège de la créature humaine est de pouvoir aimer, en transcendant ainsi l’éphémère et le transitoire (7) ; aussi, chacun, chacune ne doit pas se limiter à faire des choses : son comportement devient pleinement cohérent avec sa nature lorsqu’il jaillit de l’amour, lorsqu’il manifeste l’amour et qu’il est ordonné à l’amour (8).
Qui plus est, il nous faut souligner, avec des mots du Saint-Père, que « c’est la vocation à l’amour qui fait que l’homme soit l’image authentique de Dieu : il est semblable à Dieu dans la mesure où il aime » (9). La charité, le service, le don de soi au prochain expriment ainsi la vocation fondamentale et innée de la personne. Elle se développe en aimant et en étant aimée. Ceci dit, nous devons adopter cette orientation comme une norme constante et suprême de notre conduite personnelle, car l’exercice des vertus est animé par la charité, lien de la perfection. De fait, voici ce que saint Josémaria nous dit : « c’est en vivant la charité — l’Amour— que l’on vit toutes les vertus humaines et surnaturelles du chrétien qui font une unité et qui ne sauraient être réduites à des énumérations exhaustives. La charité demande de vivre la justice, la solidarité, la responsabilité familiale et sociale, la pauvreté, la joie, la chasteté, l’amitié… »(10).
Cette vérité concerne toute l’humanité et essentiellement les disciples de Jésus : pensons à ce docteur de la loi qui voulut savoir quel était le premier commandement. Le Seigneur ne se limita pas à lui montrer que l’amour de Dieu est le plus grand et le premier des commandements mais il ajouta la nécessité d’aimer son prochain comme un commandement compris dans le premier (Mt 22, 35-39). Il exprime ainsi qu’il n’est pas possible d’aimer Dieu si on n’aime pas son prochain car une charité authentique vis-à-vis de Dieu doit être étendue à ce qu’Il aime, c’est-à-dire au monde et aux personnes. En reprenant une idée de saint Maxime le Confesseur, Benoît XVI enseigne que « l’amour de Dieu se manifeste dans la responsabilité vis-à-vis d’autrui » (11) ; et il montre que « chez les Saints, il devient évident que celui qui va vers Dieu ne s’éloigne pas des hommes, mais qu’il se rend au contraire vraiment proche d’eux. » (12).
Il faut de même souligner qu’il n’y a pas de véritable amour du prochain si on n’aime pas Dieu : « Unis au Christ en sa consécration au Père, nous partageons sa compassion pour les foules qui réclament la justice et la solidarité et comme le bon Samaritain de la parabole nous nous engageons à donner des réponses concrètes et généreuses » (13). L’amour est exigeant, il requiert le don de soi qui devient possible grâce à la totale donation aimante du Christ à tous les hommes et (qui) nous demande de les traiter comme Il l’a fait et nous y encourage (Jn 13,34; 15,12):
« Jésus nous a précisément fait connaître à quel point on doit exercer l’amour et le service. C’est seulement si nous nous efforçons de comprendre la profondeur de l’amour de Dieu, de cet amour qui va jusqu’à la mort, que nous serons capables de nous donner totalement aux autres, sans nous laisser vaincre par la difficulté ou par l’indifférence » (14).
Bien évidemment, alors qu’en pratique notre charité authentique et heureuse envers le prochain est plus immédiate et prouve que nous aimons bien Dieu, nous ne devons pas oublier que l’énergie du réel service du prochain provient de la charité surnaturelle : le don de soi et l’union sincère aux autres sont possibles « grâce à la plus intime union avec Dieu, en vertu de laquelle elle s’est totalement laissé envahir par Lui – condition qui permet à celui qui a bu à la source de l’amour de Dieu de devenir lui-même une source d’où «jailliront des fleuves d’eau vive » (Jn 7, 38).» (15).
Cette interaction entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain, qui a toujours été le fait du christianisme depuis ses débuts, est mise en exergue dans l’encyclique Deus caritas est : « Si dans ma vie je néglige complètement l’attention à l’autre, désirant seulement être « pieux » et accomplir mes « devoirs religieux », alors même ma relation à Dieu se dessèche » (16).
Il est nécessaire de mettre son cœur dans la vie sociale
Le fait que le comportement des créatures est pleinement humain quand il jaillit de l’amour est une réalité « valable aussi dans le domaine social : il faut que les chrétiens en soient des témoins profondément convaincus et qu’ils sachent le montrer avec leur vie » (17). Aussi, la charité, le service, doivent-ils être présents et pénétrer toutes les relations humaines : « Il est le principe non seulement des micro-relations : rapports amicaux, familiaux, en petits groupes, mais également des macro-relations : rapports sociaux, économiques, politiques » (18). Nous devons être convaincus, et en persuader les autres, que la société n’est pas faite au départ de liens contractuels et utilitaires, mais de liens plus profondément humains, présidés par cet amour qui devient ainsi un principe, au rang des premiers critères pour le développement de la société aussi et qui doit être considéré comme l’âme de tout l’ordre social(19).
Le Compendium de la doctrine sociale de l’Église dit que la charité est « une force capable de susciter de nouvelles voies pour affronter les problèmes du monde d'aujourd'hui et pour renouveler profondément de l'intérieur les structures, les organisations sociales, les normes juridiques. Dans cette perspective, la charité devient charité sociale et politique : la charité sociale nous fait aimer le bien commun et conduit à chercher effectivement le bien de toutes les personnes, considérées non seulement individuellement, mais aussi dans la dimension sociale qui les unit » (20).
C’est donc une exigence qui concerne toutes les composantes de la société — les chrétiens, tout d’abord, puis la communauté ecclésiale— qui doivent s’efforcer d’aimer le prochain, en œuvres et en vérité , d’un amour qui touche, de façon ordonnée, non seulement les « relations de proximité » la famille par exemple, mais aussi les personnes les plus éloignées. Si l’on tient à faire que la société soit plus humaine, plus digne de la personne, alors il faut accorder à la charité sociale la place qui lui revient afin qu’elle inspire, qu’elle purifie et qu’elle élève tous les liens humains, politiques et économiques, etc. Tout compte fait, le précepte de l’amour est le critère premier du progrès de tous et des avancées sociales (21): la charité doit imprégner, de l’intérieur, toutes les structures sociales. C’est pourquoi, le Saint-Père a parlé ainsi de la fonction de la doctrine sociale de l’Église : « elle est caritas in veritate in re sociali ”, l’annonce de la vérité de l’amour du Christ dans la société » (22).
Quelques conséquences
Nous sommes face à une réalité d’où découlent diverses conséquences pratiques concernant la démarche de l’Église et de chaque fidèle concret. Nous allons en évoquer certaines.
L’exigence d’annoncer le Dieu-Amour révèle que, dans la sphère sociale aussi, l’engagement de charité ne peut pas être considéré comme bon mais secondaire, parce qu’il est une partie essentielle de la mission de l’Église et de chaque chrétien. De ce fait, l’organisation ecclésiale de la charité a fait ses premiers pas au tout début de l’Église elle-même et ensuite, sous (de) différentes formes, elle s’est prolongée et se prolongera tout au long de l’histoire. C’est ce que saint Josémaria exprimait : « On comprend très bien l’impatience, l’angoisse, les désirs inquiets des chrétiens cohérents qui ne se résignent pas devant l’injustice personnelle et sociale que le cœur humain est capable de fomenter. Tant de siècles de coexistence parmi les hommes et encore(,) tant de haine, tant de destruction, tant de fanatisme accumulé dans des yeux qui ne veulent pas voir et dans des cœurs qui ne veulent pas aimer. Les biens de la terre partagés par un petit nombre ; les biens de la culture, cloîtres dans des cénacles. Et, dehors, des gens affamés de pain, de sagesse, des vies humaines, saintes parce qu’elles procèdent de Dieu, traitées comme de simples objets, comme des chiffres d’une statistique. Je comprends et partage cette impatience qui me conduit à regarder le Christ qui continue de nous inviter à mettre en pratique le commandement nouveau de l’amour » (23).
Promouvoir la charité sociale nous concerne tous, par conséquent. C’est une tâche nécessaire au niveau individuel, associatif et ecclésial aussi.
Le Concile Vatican II l’a souligné avec fermeté, « l’acceptation des relations sociales et leur observance doivent être considérées par tous comme l’un des principaux devoirs de l’homme contemporain », et il a rappelé aussi que « le chrétien qui manque à ses obligations temporelles, manque à ses devoirs envers le prochain. Il manque surtout à ses obligations envers Dieu et met en danger son salut éternel » (24).
Dans cette logique, saint Josémaria enseignait que « les chrétiens, — tout en ayant toujours la liberté la plus large à l’heure d’étudier et de mettre en pratique les solutions diverses, et partant avec une logique pluraliste — doivent converger dans une volonté identique de servir l’humanité. Autrement, leur christianisme ne sera pas la Parole et la Vie de Jésus : ce sera un masque, un leurre vis-à-vis de Dieu et des hommes » (25).
La charité, qui est amour, doit toucher la créature en son intégrité, corporelle et spirituelle : « Les hommes ont besoin du pain de la terre qui leur donne vie et aussi du pain du ciel qui éclaire et réchauffe leur cœur » ( 26). Une carence péremptoire exige, de toute urgence, le don d’aides matérielles à des moments spécifiques, mais on ne doit jamais oublier les secours spirituels : la charité doit en quelque sorte mettre l’amour de Dieu devant les yeux.
Dans ce sens, l’activité caritative chrétienne doit avoir une spécificité particulière qui ne peut ni se perdre, ni être diluée en une philanthropie purement humaine, bonne mais insuffisante pour la mission que le Christ nous a confiée. Il faut souligner aussi que la force de toute action caritative dépend de la force de la foi et de l’amour de Dieu de ceux qui la réalisent, ainsi que le souligne Benoît XVI : « C’est seulement sur les bases d’un engagement quotidien à accueillir et à vivre pleinement l’amour de Dieu, qu’on peut promouvoir la dignité de chaque être humain en particulier. » (…) Sans un fondement transcendant, sans une référence à Dieu Créateur, sans la considération de notre destin éternel, nous risquons de devenir la proie d’idéologies nocives. » (27).
En même temps, pour que cela ne soit pas une chimère stérile, il faut souligner que l’amour social demande une institutionnalisation :
«Par bien des aspects, le prochain à aimer se présente « en société » (…) : l'aimer sur le plan social signifie, selon les situations, se prévaloir des médiations sociales pour améliorer sa vie ou éliminer les facteurs sociaux qui causent son indigence. L'œuvre de miséricorde grâce à laquelle on répond ici et maintenant à un besoin réel et urgent du prochain est indéniablement un acte de charité, mais l'engagement tendant à organiser et à structurer la société de façon à ce que le prochain n'ait pas à se trouver dans la misère est un acte de charité tout aussi indispensable, surtout quand cette misère devient la situation dans laquelle se débattent un très grand nombre de personnes et même des peuples entiers » (28).
Il est indispensable de souligner que, bien que les structures sociales soient nécessaires, leur finalité ne consiste pas à se substituer à l’amour des personnes, parce que seul l’amour rend incommensurable la dignité humaine et pas seulement ce qui est juste, raisonnable, etc.… « Soyez convaincus que vous ne résoudrez jamais les grands problèmes de l’humanité avec la justice seulement. Quand on est juste tout court, on ne doit pas s’étonner que les gens en soient blessés : la dignité de l’homme, fils de Dieu, demande bien davantage. La charité doit tout remplir et accompagner parce qu’elle adoucit toute chose, elle divinise tout : Dieu est amour (1 Jn 4,16). Nous devons toujours agir avec cet amour de Dieu qui rend plus facile l’amour du prochain, qui purifie et élève les amours sur terre (29). De plus, « l’affirmation selon laquelle les structures justes rendraient les œuvres de charité superficielles, recèle une conception matérialiste de l’homme » (30). Aussi, les institutions et les lois ne suffisent-elles pas à bâtir une société digne de la personne. Il faut aussi la charité personnelle comme base solide de la vie sociale.
Ce que je viens de dire s’applique à toute situation sociale mais il faut surtout l’actualiser lorsqu'il s'agit de groupes sociaux plus indigents. Il faut ainsi mettre en pratique l’amour préférentiel des pauvres, en sa dimension sociale et planétaire, en promouvant des formes de coopération au développement qui dépassent les divisions religieuses, raciales, idéologiques, territoriales, etc. Saint Josémaria rappelait que « l’Opus Dei (doit se trouver) là où il y a pauvreté, là où il y a manque de travail, là où il y a tristesse, là où il y a souffrance, afin que la souffrance soit endurée dans la joie, que la pauvreté disparaisse, que le travail ne manque pas — parce nous formons les gens de sorte qu’ils puissent en avoir— pour faire une place au Christ dans la vie de chacun, s’il le veut bien, puisque nous sommes très amis de la liberté » (31).
Et comme il le disait par ailleurs, « il n’y a donc qu’une race : la race des enfants de Dieu. Il n’y a qu’une seule couleur, la couleur des enfants de Dieu. Et il n’y a qu’une seule langue : celle qui parle au cœur, à l’esprit, sans bruit de paroles, qui nous fait connaître Dieu et fait que nous nous aimions les uns les autres » (32).
Une raison pragmatique nous pousse aussi à coopérer au développement de tous. En effet, aucun groupe humain ne peut atteindre son développement que s’il favorise le développement des autres. Le bienheureux Jean-Paul II rappelait que « la collaboration au développement de tout l'homme et de tout homme est en effet un devoir de tous envers tous, et elle doit en même temps être commune aux quatre parties du monde : Est et Ouest, Nord et Sud ; ou, pour employer le terme en usage, aux divers « mondes ». Si, au contraire, on essaie de le réaliser d'un seul côté, dans un seul monde, cela se fait aux dépens des autres ; et là où cela commence, du fait même que les autres sont ignorés, cela s'hypertrophie et se pervertit (33). Mis à part cette raison pragmatique, la coopération au développement des plus nécessiteux surtout, est un impératif éthique et chrétien qui demande de renoncer à toute espèce d’égoïsme. L’union de l’humain et du divin est centrale dans le message de saint Josémaria qui affirmait que la vie des fidèles de l’ Œuvre est « un service aux buts exclusivement surnaturels parce que l’Opus Dei n’est ni ne sera jamais — il ne saurait l’être— un instrument temporel ; mais c’est en même temps un service humain parce que vous ne faites que tâcher d’atteindre la perfection chrétienne dans le monde, proprement, avec votre agir tout à fait libre et responsable dans tous les domaines de l’activité citoyenne. Un service dévoué qui n’avilit pas votre cœur, mais qui l’éduque et l’agrandit, fait qu’il devienne universel, romain, au sens le plus noble de ce mot et vous permet de chercher l’honneur et le bien des gens de chaque pays : afin qu’il y ait chaque jour moins de pauvres, moins d’ignorants, moins d’âmes sans foi, moins de désespérés, moins de guerres, moins d’insécurité, plus de charité et plus de
paix » (34).
Comme tout ce qui touche à la vie chrétienne, les critères évoqués ne sont pas seulement une belle théorie à prêcher, mais sont surtout un encouragement à l’action efficace en faveur du développement intégral des hommes, sans exclusions (35). Ce développement doit être un objectif incontournable, demandant de l’effort, un effort programmé, responsable et réglementé, que tous, chacun à sa place dans l’Église et dans la société civile, nous sommes tenus de réaliser (36). Pour y arriver, il faudra sans doute contribuer à changer les styles de vie, les structures de pouvoir qui gouvernent la société, les modèles de production et de consommation, en les orientant selon une droite compréhension du bien commun de l’humanité toute entière (37).
Personne ne saurait esquiver l’engagement à vivre de la sorte, avec le souci d’aider nos frères. Mais il est tout aussi indispensable de le transmettre aux autres, de les aider, comme le dit saint Josémaria « à surmonter leur égoïsme et à mettre généreusement une partie de leur temps au service des moins
fortunés, en participant à des tâches, adaptées à leur âge, où le souci d’une solidarité humaine et divine soient manifeste » (38).
Comme les initiatives d’Harambee concernent le monde africain, j’aimerais évoquer ce propos de Benoît XVI dans son exhortation apostolique Africae munus, du 19 novembre dernier « la conscience humaine est interpellée par de graves injustices existant dans notre monde, en général, et à l’intérieur de l’Afrique, en particulier. (…) La justice, vécue dans toutes les dimensions de la vie, privée et publique, économique et sociale, a besoin d’être soutenue par la subsidiarité et la solidarité, et encore plus d’être animée par la charité » (39).
Harambee est né à l’occasion de la canonisation de saint Josémaria. En vous souhaitant aujourd’hui un bon anniversaire, je vous remercie pour le travail que vous faites et vous assure de mes prières pour qu’il y ait de plus en plus de personnes impliquées dans cet effort collectif qui cherche à secourir des personnes et des entités d’Afrique qui, à leur tour, veulent être les artisans et les protagonistes du développement de leurs nations.
Avec vous, je rends grâces à Dieu pour les nombreux projets éducatifs déjà mis en route en Afrique Subsaharienne durant les dix années écoulées et pour les nombreuses activités que vous avez promues ailleurs dans le monde afin de donner une vision de l’Afrique loin des stéréotypes : certes, c’est dans votre continent que sont concentrées quelques injustices qui ne peuvent laisser personne indifférent, mais l’Afrique est aussi une terre aux valeurs spirituelles très importantes pour notre époque.
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Après demain commence la 13ème Assemblée du Synode des évêques sur « La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne ». Je vous invite à prier pour cette intention. En ce dixième anniversaire de la canonisation de saint Josémaria, ayons recours à son intercession : puisse cette Assemblée ecclésiale rappeler au monde que la sainteté n’est pas une affaire de privilégiés mais que, comme le Concile Vatican II l’a confirmé— elle est une invitation universelle, à la portée de tout homme, de toute femme de bonne volonté. Demandons au Seigneur que ce Synode contribue aussi, avec l'Année de la Foi, à élargir beaucoup de cœurs « à la mesure de l’amour du Cœur du Christ ». Des cœurs, qui, par la grâce de Dieu, soient le moteur d’autres conversions et de transformations d’un environnement social en accord avec la dignité de l’homme et de son destin pour la gloire de Dieu, en Afrique et dans le monde entier.
(1) Prière collecte de la Messe de saint Josémaria Escriva de Balaguer, prêtre, (26 juin).
(2) SAINT JOSÉMARIA, Quand le Christ passe, n. 167.
(3) SAINT JOSÉMARIA, Quand le Christ passe, n. 164.
(4) BENOÎT XVI, En. Deus caritas est, n. 1.
(5) BENOÎT XVI, Message au X Forum International des Jeunes, 24-III-2010.
(6) Cf. BIENHEUREUX JEAN-PAUL II, Redemptor hominis, n. 10.
(7) Cf. SAINT JOSÉMARIA, L’engagement avec la vérité, n. 8 (Discours sur l’université).
(8) Cf. SAINT JOSÉMARIA, Quand le Christ passe, n. 48
(9) BENOÎT XVI, Discours au colloque ecclésial du diocèse de Rome, 6-VI-2005.
(10) SAINT JOSÉMARIA, Entretiens, n. 62.
(11) BENOÎT XVI, En. Spe salvi, n. 28.
(12) BENOÎT XVI, En. Deus caritas est, n. 42.
(13) BENOÎT XVI, Discours aux organisations de la Pastorale Sociale, 13-V-2010.
(14) SAINT JOSÉMARIA, Quand le Christ passe, n. 98
(15) BENOÎT XVI, En. Deus caritas est, n. 42.
(16) BENOÎT XVI, En. Deus caritas est, n. 18.
(17) Compendium de la doctrine sociale de l’Église, n. 580.
(18) BENOÎT XVI, En. Caritas in veritate, n. 2.
(19) Cf. Compendium de la doctrine sociale de l’Église, n. 32.
(20) Compendium de la doctrine sociale de l’Église, n. 207.
(21) Jésus-Christ « nous révèle que Dieu est amour (1 Jn 4, 8), et il nous apprend en même temps que le commandement nouveau de l’amour est la loi fondamentale de la perfection humaine et donc de la transformation du monde. (…) en même temps, il nous dit que cette charité il ne faut pas uniquement la chercher dans les événements importants mais, avant tout, dans la vie ordinaire ». CONCILE VATICAN II, Const. past. Gaudium et spes, n. 38.
(22) BENOÎT XVI, Enc. Caritas in veritate, n. 5.
(23) SAINT JOSÉMARIA, Quand le Christ passe, n. 111.
(24) CONCILIO VATICANO II, Const. past. Gaudium et spes, n. 30 et 43
(25) SAINT JOSÉMARIA, Quand le Christ passe, n. 167.
(26) SAINT JOSÉMARIA, Quand le Christ passe , n. 49.
(27) BENOÎT XVI, Discours à la Caritas Internationalis, 27-V-2011.
(28) Compendium de la doctrine sociale de l’Église, n. 208.
(29) SAINT JOSÉMARIA, Amis de Dieu, n. 172.
(30) BENOÎT XVI, Enc. Deus caritas est, n. 28 b).
(31) SAINT JOSÉMARIA, Un regard vers l’avenir au cœur de Vallecas, Madrid 1998, p. 135 (paroles du 1-X-1967).
(32) SAINT JOSÉMARIA, Quand le Christ passe , n. 106.
(33) BIENHEUREUX JEAN-PAUL II Enc. Sollicitudo rei socialis, n. 32.
(34) SAINT JOSÉMARIA, Lettre 31-IV-1943, n. 1.
(35) Cf. BIENHEUREUX JEAN-PAUL II Enc. Centesimus annus, n. 57.
(36) Cf. BIENHEUREUX JEAN-PAUL II Enc. Sollicitudo rei socialis, nn. 42-45.
(37) Cf. JEAN-PAUL II, Enc. Centesimus annus, n. 58.
(38) SAINT JOSÉMARIA, Entretiens, n. 111.
(39) BENOÎT XVI, Exh. ap. Africae munus, n. 24.