La miséricorde qui évangélise

Jésus a besoin de témoins croyants et crédibles. Témoigner la foi est un acte de miséricorde, une aventure d'amour surnaturel. L'apôtre saint Thomas nous ouvre cette voie, lui qui a connu l'ardeur, la déception, le scepticisme puis, transformé par le contact avec les plaies du Christ Ressuscité, le zèle fidèle jusqu'à la mort.

Le Christ et Saint Thomas, (1467-1483), Verrocchio, Florence, Église d'Orsanmichele

« La miséricorde est le chemin qui unit Dieu et l’homme » (pape François, Le visage de la miséricorde §2) : par cette voie le cœur humain surmonte les limites du péché et s’ouvre à l’amour divin. Auprès de Jésus, les Apôtres l’expérimentent par sa doctrine et ses actes : les miracles, la mort, la résurrection. Si l’année jubilaire souligne la miséricorde d’un Dieu qui nous appelle, les fêtes des apôtres nous rapprochent de cet excès d’amour. « Je vous appelle amis… C’est moi qui vous ai choisis » (Jean 15, 15-16).

« Jésus-Christ, par sa mort et sa résurrection, nous a donné la miséricorde qui justifie » (pape François, idem §20). Les témoins de la résurrection deviennent des ambassadeurs de la miséricorde victorieuse. « Assurément il est grand le mystère de la piété » (1 Timothée 3, 16). Tant dans la liturgie que dans l’art, l’apôtre Thomas s’est rendu célèbre par son contact singulier avec la miséricorde du Ressuscité.

Les témoins de la résurrection deviennent des ambassadeurs de la miséricorde victorieuse.

Dès le début de son appel, il partageait volontiers les risques de sa mission. À la Dernière Cène il s’inquiétait sur le but à atteindre. Avec des hauts et des bas, il s’était attaché au Sauveur et il était prêt à partager sa mort ; la déception inattendue du Calvaire l’avait rendu amer. L’annonce de la résurrection, transmis par ses confrères, lui a semblé trop belle pour être vraie. « Torturé par l’amour » (Liturgie des Heures, Hymne de laudes, 3 juillet), Thomas désire la certitude, exige des preuves ; ce sera le Sauveur en personne qui les lui fournira. «Il a cru en palpant» les blessures du Ressuscité, observe saint Grégoire (Homélie 26 sur les évangiles §7), dans sa mémorable prédication pascale de l’an 591 à Saint-Jean du Latran. La sculpture du Verrocchio (Florence, vers 1480) en est une puissante réplique.

L’apôtre qui renaît nous laisse un héritage ineffaçable : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jean 20, 28). De millions de fidèles le répètent, au cœur de la célébration eucharistique, à la grande élévation. En écho de ces paroles, la liturgie proclame dans sa fête : « Tu es mon Dieu et je te célèbre ; mon Dieu, et je t’exalte » (Missel Romain, 3 juillet, antienne d’ouverture : Psaume 118, 28). L’exclamation de Thomas est devenue un mot de passe pascal.

« Torturé par l’amour », Thomas désire la certitude, exige des preuves ; ce sera le Sauveur en personne qui les lui fournira.

Thomas a ressuscité à la foi. Jadis déçu et incrédule, il guérit grâce aux Plaies miséricordieuses. Le pessimisme laisse la place à l’adoration fervente ; le scepticisme, au zèle. Le Ressuscité dynamise le disciple : il « a une force de vie qui a pénétré le monde. Là où tout semble être mort, de partout, les germes de la résurrection réapparaissent » (pape François, La joie de l’Évangile §276).

De nos jours, Jésus a besoin de témoins croyants et crédibles. Témoigner la foi est un acte de miséricorde, une aventure d’amour surnaturel. Avant de s’exprimer par la parole, le témoin parle avec sa vie auprès du Christ ; l’évangélisateur se greffe dans le Rédempteur. L’expérience contemplative a trouvé dans les Saintes Plaies, tantôt un refuge, tantôt une source d’élan, toujours un modèle de miséricorde. « Par ta mort très amère, donne-moi la grâce d'une foi droite, d'une ferme espérance et d'une charité parfaite » (sainte Claire d’Assise, Prière à la plaie du Côté).

Fort de cette contemplation, saint Josémaria a saisi le lien entre le Semeur divin et les semailles du chrétien : « C’est avec joie, Seigneur, que nous nous trouvons dans ta main blessée. Serre-nous bien fort ! Presse-nous: fais que nous abandonnions toute notre misère terrestre ! Que nous nous purifions, nous enflammions, nous sentions imbibés de ton Sang ! — Et ensuite, lance-nous au loin, très loin, avec le désir de moissonner, de faire, par Amour pour toi, des semailles de plus en plus fécondes » (Forge §5).

L’incrédule est devenu pilier de ses frères.

Le serviteur, appelé à suivre les traces du Bon Pasteur, est prêt à annoncer la miséricorde du Royaume avec une douce fierté. « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples » (Matthieu 28, 19). Transformés par l’Esprit Saint, les apôtres avancent au large, y compris jusqu’en des régions lointaines, comme ce fut le cas de Thomas ; il est connu, selon d’importants témoignages, pour son zèle au-delà de l’Euphrate. Des communautés chrétiennes au sud-ouest de l’Inde se réclament de son apostolat. La foi dépasse les frontières. L’incrédule est devenu pilier de ses frères.

Parmi les écrits pieux sur la Dormition de Marie, un texte du Xe siècle (Transitus Mariae, version arabe §4) relie Thomas à l’Assomption : Notre Dame aurait offert sa ceinture à l’apôtre, en gage de foi. Le geste, repris par la Légende Dorée (chap. 115), a inspiré un ancien vitrail dans l’Oxfordshire (1350), ainsi que plusieurs artistes florentins. La Reine des apôtres conforte notre foi et notre miséricorde. Elle qui, la première « s’est laissé conduire par l’Esprit, nous aide à annoncer à tous le message de salut » (pape François,idem §287).

Abbé Antoine Fernandez