À la fin de mes études, en avril 1963, mes circonstances personnelles ayant changé, mon avenir professionnel aussi. En tant qu’aîné de la famille, je n’étais plus appelé à remplacer mon père dans son entreprise familiale car, pleins de bon sens, mon père et mon grand-père étaient conscients de cette dérive financière et avaient décidé de la vendre à la multinationale dont mon père était cadre dirigeant.
J’ai commencé à chercher du travail et j’en ai trouvé un chez Daicel, spécialiste en matériel chimique. J’ai été sincère dans mon entretien : Je suis daltonien, je confonds le rouge et le vert. Cela aurait pu me porter tort mais, à ma grande surprise, non seulement j’ai été embauché, mais on m’a proposé un poste très intéressant pour un jeune professionnel frais émoulu de l’université : je faisais partie du staff dans une section passerelle entre le conseil de direction et le reste des départements. Ça me passionnait puisque l’une de mes attributions était de passer des contrats techniques avec de grandes entreprises étrangères.
Lorsque je revois certains de mes comportements de l’époque, j’en suis vraiment surpris. J’agissais en toute normalité, me semblait-il, mais c’était sous l’élan des nouvelles grâces que le Seigneur m’accordait.
Autrement dit, sans trop m’en apercevoir, je commençai à agir différemment, voire de façon insolite. En effet, par éducation et par tempérament, je penche toujours vers une solution conciliante et je déteste me mettre en valeur, me faire remarquer.
Or, à l’époque personne ne quittait le travail avant le départ du chef, et celui-ci partait tard le soir, pensant, comme la plupart, que le travail est plus important que la vie de famille et passe avant toute autre chose. On vivait pour le travail, il était normal, il l’est d’ailleurs toujours, que les travailleurs jouent au golf avec leurs patrons pour envisager de nouveaux contacts et parler de la bonne marche des affaires.
Quant à moi, je terminais ma journée à 17h. Je pliais bagage et dès que la sonnette retentissait, j’avais un pied dans l’ascenseur. « Pourrais-tu rester deux heures de plus ? » me demandait mon patron. Du haut de mes vingt-deux ans, très gentiment, mais catégoriquement, je répondais :
— Excusez-moi monsieur, j’ai des engagements incontournables. Je pourrais le faire si vous le prévoyez une semaine à l’avance.
— C’est bon. Alors, puis-je compter sur tes deux heures extraordinaires mercredi de la semaine prochaine ?
— Entendu.
Et, je prenais congé en inclinant la tête.
Au Japon, dans les années soixante, c’était du jamais vu. Or moi, j’avais à cœur de faire aller de l’avant l’Opus Dei : c’était la famille que Dieu m’avait confiée et j’en étais l’aîné.
Dans un intense travail apostolique, on réalisa durant ces années-là, de nouveaux projets. Beaucoup de personnes recevaient une formation chrétienne chez nous. Dieu accorda le don de la vocation à quelques Japonais, à Koichi Yamamoto, entre autres.
Koichi avait fait des études de Sciences Économiques à la Kwansei Gakuin University. Il avait eu sa licence la même année que moi, en 1963. Il fut baptisé le 14 avril et très peu de temps après, il demanda son admission à l’Opus Dei.
Ce fut un temps de semailles, de beaucoup de travail et de peu de bras. Le Père, à Rome, nous encourageait dans ses lettres, touchantes et très affectueuses. Vous pouvez deviner ma joie lorsqu’on, quatre ans plus tard, on me proposa d’aller le rejoindre à Rome pour y poursuivre un autre cursus. C’est la raison pour laquelle, avant de me rendre en Italie, je passai quelque temps en Espagne.