Pourquoi ai-je décidé de faire un premier pas, puis un autre, et encore un vers la foi ? Ce fut un don de Dieu. Au cœur de mes doutes et de mes refus, le Seigneur m’accordait graduellement une lumière qui, sans dissiper mon incertitude, me montrait le chemin à suivre.
Humainement parlant, la foi chrétienne m’apportait finalement une base ferme sur laquelle m’appuyer. Qui plus est, elle m’enrichissait intellectuellement. J’aimais le message de l’Opus Dei sur le travail bien fait, réalisé par amour de Dieu, avec du sens professionnel et un souci de service. Mais ça s’arrêtait là. C’est pourquoi lorsque don Fernando, au bout d’un an et demi d’entretiens sur la foi me demanda si je m’étais posé la question de mon baptême, mon NON catégorique le déconcerta.
Je n’avais jamais envisagé une niaiserie pareille. Pourquoi avais-je besoin d’être baptisé ? C’était proposer un voyage spatial à un étudiant en astronomie. J’admirais la foi et la figure du Christ que je connaissais de mieux en mieux. J’avais lu des ouvrages de spiritualité chrétienne et je les avais beaucoup appréciés. Je priais, il m’arrivait d’assister à la messe, mais qu’est-ce que le baptême venait faire là dedans ?
Au bout d’un certain temps, très respectueux de ma liberté, don Fernando me posa la même question. Ma réponse fut toujours négative, mais moins catégorique.
— Je n’en suis pas tout à fait sûr, lui dis-je.
Il n’insista pas et moi je n’accordai pas plus d’importance que ça à l’événement.
Ce qui ne veut pas dire que le christianisme ne m’intéressait pas. Cet été-là, j’ai passé quelques jours à Nushima, une île sur la côte, avec Dave Sell, entre autres. J’allais fréquemment à la messe. Les autres garçons n’étaient pas catholiques, ils ne connaissaient rien à la foi. Je les ai aidés dans ce sens. Mais une chose était d’admirer le Christ et de connaître son enseignement, une autre totalement différente, le baptême.
Je m’entretenais toujours avec don Fernando. Quelques mois plus tard, il remit encore la question sur le tapis. Au cœur d’un échange cordial et amical, don Fernando m’écouta patiemment et dans un japonais affectueux et amusant il me dit :
— Que tu es bête !
Nous avions parlé toutes les semaines, durant des mois et des mois, presque durant deux ans, des questions les plus profondes et disparates de la foi, et cependant, rien ne semblait m’avoir touché.
Je connaissais les enseignements de l’Église, j’avais lu les Évangiles et des biographies de saints, je me sentais de plus en plus chrétien, intellectuellement parlant. Aucune des suggestions de don Fernando par le passé n’avait déclenché en moi l’envie de me faire baptiser. Après tant d’entretiens, tant de raisonnements théologiques, tant d’arguments doctrinaux, Dieu s’est servi d’un commentaire tout simple, d’une expression linguistique, qui lui avait échappée : mais que tu es bête.
J’ai commencé à me dire qu’il avait vraiment raison : ce que je prétendais était assez bête : je tenais à vivre conformément aux enseignements de Jésus-Christ, mais sans l’aide de la grâce et sans la force des sacrements. Je m’efforçais de le suivre de loin, à une distance pour le moins prudentielle.
8 décembre 1962. Paul
J’ai été baptisé à vingt-et-un ans, le 8 décembre 1962, le jour de la fête de l’Immaculée Conception. J’ai choisi de m’appeler Paul car j’avais lu la biographie de l’Apôtre des Gentils écrite par Josef Holzner et il m’avait profondément attiré.
Le processus de ma conversion, de mon baptême tient à ce que je découvris la vérité que je cherchais depuis mon adolescence et qui avait un nom propre : Jésus-Christ.
Or le fait d’avoir totalement accepté le Christ et d’avoir été baptisé, ne signifiait pas que ma vie fût celle d’un chrétien exemplaire. Pour tout vous dire, le dimanche qui suivit mon baptême, je ne suis pas allé à la messe. J’entends encore ce que don Fernando me dit dès qu’il l’apprit.
Il me parla du miracle d’amour de l’Eucharistie et de son importance dans la vie d’un chrétien. Ces paroles ardentes et pleines de foi se sont si profondément gravées dans mon âme que depuis lors, — hormis les deux semaines où je suis allé travailler dans un endroit très à l’écart d’une église— j’ai reçu tous les jours le Seigneur à la Sainte-Messe.
Peu de temps après mon baptême, j’ai demandé l’admission dans l’Opus Dei. Tout simplement je me suis dit après avoir communié : « Si le Seigneur m’a tout donné, pourquoi ne lui donnerais-je pas tout à mon tour ? »
Ces faits intérieurs sont difficiles à expliquer, il faut les avoir vécus pour bien comprendre. J’avais toujours rêvé de me marier, de fonder une famille, mais soudain, j’ai vu très nettement que le Seigneur me demandait une totale disponibilité à son service.
Je comprends maintenant que Dieu m’avait accordé une série de grâces spéciales. De nos jours un processus comme le mien demanderait prudemment beaucoup plus de temps. Mais à l’époque, cela ne me semblait pas exceptionnel.
J’avais encore beaucoup à construire dans ma vie et, je n’en vois pas une autre explication, la grâce de Dieu m’aida à faire des choix que je n’avais jamais imaginés auparavant. C’étaient les paroles de Nat King Cole, Unforgettable, que j’aimais tant: How the thought of you does things to me Never before has someone been more? Elles avaient un sens nouveau pour moi : Comment se fait-il que penser à Toi me pousse à faire ce que personne d’autre n’était arrivé à me faire faire auparavant ?
Je compris alors que le Seigneur m’avait petit à petit préparé depuis mon enfance, au moyen d’un ensemble de faits et de circonstances et de hasards apparents : la formation humaine dans ma famille, les entretiens nocturnes avec mes camarades, la conversation avec un pasteur anglican, le mariage du couple princier et l’opération d’appendicite de mon amie sensée !
Dieu m’avait accordé des motions intérieures, des lumières, fait des suggestions mais ce fut bien moi qui me déterminai à les accueillir dans mon âme. J’aurais pu, à tout moment, faire marche arrière, me dire, comme le fit un de mes camarades à l’université, que « c’était trop s’engager ».
Je savais pertinemment qu’avec ce choix de me livrer je risquais ma vie or, grâce à Dieu, depuis lors, je n’ai jamais douté de ma vocation.
Mes parents ont réagi comme je m’y attendais : cela leur a semblé bon, c’était mon choix. Au fil du temps, je leur ai expliqué les aspects de la foi, de la vie chrétienne et de ma vocation. Ils n’avaient aucune religion mais contrairement à la mentalité de la plupart des parents japonais de l’époque, ils avaient un esprit ouvert, libéral, ils respectaient les choix raisonnables de leurs enfants : c’était mon choix, c’était mon futur, c’était ma vie.